Des policiers et des patchs racistes
La Thin Blue Line sur des uniformes
Apologie de la violence extrajudiciaire, du racisme, du mythe du policier guerrier, la Thin Blue Line recycle des codes haineux issus de l’extrême droite américaine. Une nouvelle fois, elle a été repérée sur l’uniforme de policiers à Paris.
Le 10 juin 2025, une rixe éclate à Paris. Parmi les policiers qui interviennent, l’un arbore plusieurs patchs non réglementaires : un insigne « Police » souligné d’une fine ligne bleue, la Thin Blue Line, un soldat à tête de mort, et un drapeau français frappé du mot « pépite ». Un des policiers dit aussi à l’une des personnes impliquées - de couleur et d’origine étrangère — de « quitter le pays si elle n’est pas satisfaite ».

Ce type d’injonctions à « quitter le pays », à « retourner en Afrique » ou encore de « remigration » entend légitimer l’expulsion des personnes perçues comme « non blanches » hors d’Europe, validant le « grand remplacement » de l’extrême droite complotiste et antisémite.

La TBL France rassemble plus de 50.000 abonnés sur Meta. Sur leurs réseaux sociaux et leur site, on peut acheter des patchs qui prônent la violence, une vision belliqueuse de la société, parfois le meurtre et souvent l’idée que la police serait l’ultime rempart contre le chaos.

Des patchs non réglementaires sont utilisés par des forces de police, de gendarmerie et même de l’armée. En 2022, Libération publie un premier article sur le sujet, encore peu connu. L’article pointe les drapeaux et symboles utilisés par l’extrême droite américaine, désormais importés en France. Dans la foulée, le général Alain Pidoux, à la tête de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), lance un appel à la « [vigilance](https://www.liberation.fr/societe/police-justice/thin-blue-line-la-gendarmerie-siffle-le-rappel-20230304FBZGFWCCUVA33PLHX25ENHQ4QI/ ) _» et à d’éventuelles sanctions.

Le Punisher, les Spartiates, Batman ou John Wick : la vision accélérationniste de la TBL dépeint un monde en escalade permanente, où une guerre civile est implicite, mais claire. Avec l’idée d’une nécessaire militarisation de la police, pour faire face au « terroristes », mais aussi aux « [eco terroristes](https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/17/l-ecoterrorisme-une-arme-politique-pour-discrediter-la-radicalite-ecologiste61737823232.html) ». Étonnamment, alors que l’extrême droite est aujourd’hui identifiée comme la deuxième menace près la menace terroriste islamiste, la TBL ne semble pourtant pas s’en inquiéter.
Aux origines de la Thin Blue Line
Depuis 2013, dans le sillage des violences policières et du mouvement Black Lives Matter, les forces de l’ordre font face à une remise en question sur les discriminations raciales et la brutalité policière. En réaction, des policiers suprémacistes blancs créent le mouvement Blue Lives Matter, dont la Thin Blue Line (TBL) devient un emblème, censé affirmer le rôle des policiers comme rempart contre le chaos, et surtout destiné à invisibiliser la violence raciste qui gangrène la police américaine .
Historiquement, l’essence de la police la rend sensible aux idéologies fascisantes, il n’est donc pas si surprenant que, très rapidement, en 2015, le symbole TBL soit adopté par certains des groupes d’extrême droite les plus radicaux qui créent le contre-mouvement raciste White Lives Matter. La convergence se cimente au rassemblement néonazi de Charlottesville « Unite the right » en 2017, où le symbole apparaît aux côtés de groupes suprémacistes blancs comme le Nationalist Front ou les Proud Boys.
Un instrument de radicalisation
En 2024, Charlène Seeburger, directrice de la Thin Blue Line France, justifie la vente d’équipement, de consulting, de formations au tir et au secourisme tactique par un soutien inconditionnel aux forces de l’ordre. Non parce qu’elles seraient dans « le camp du bien », mais parce qu’elles « font le bien », au point d’ériger, comme source d’inspiration pour les policiers, un assassin : le Punisher. En passant sous silence l’origine haineuse du mouvement. « Je comprends que l’utilisation du symbole du Punisher par les forces de l’ordre est controversée, » explique-t -elle, « car elle peut être perçue comme glorifiant la violence ou la justice personnelle, ce qui n’est pas en accord avec les valeurs d’une société démocratique. Cependant, il est possible d’apporter une réponse positive à cette situation en encourageant les forces de l’ordre à adopter des symboles et des valeurs qui reflètent leur engagement envers la protection et le service à la communauté. »

Sa méconnaissance de l’histoire du mouvement, qu’elle présente comme « non extrémiste », relève de la manipulation. Il suffit de considérer des aspects sociaux et sociétaux, tels que le racisme systémique, pour comprendre que la création du mouvement Thin Blue Line s’inscrit dans un contexte bien particulier, visant à blanchir les violences policières. Charlène Seeburger explique : « En aucun cas je ne suis politisée de quelque manière que ce soit », tout en publiant sur son site et ses réseaux sociaux de nombreuses références largement utilisées par l’extrême droite.
Ce business, fondé sur la haine et sur l’idée d’un policier assiégé, dont la posture devrait être celle d’un guerrier dans une population où chaque individu est un ennemi potentiel, s’inscrit parfaitement dans le récit exploité par l’extrême droite depuis les fascismes historiques et la création même de la police. La majeure partie du travail policier consiste en des missions de renseignement, de maintien de l'ordre, de sécurité publique, de contrôles routiers et d'autres tâches périphériques. Des missions pour lesquelles le surarmement de la police n’est ni nécessaire ni souhaitable, contrairement à l’image de « l’ordre » systématiquement véhiculée par Thin Blue Line France.
Complaisance de la hiérarchie
Les gadgets et patchs Thin Blue Line ne sont pas anodins : ils ne reflètent pas seulement une idéologie politique affirmée, intrinsèquement raciste, mais remettent également en cause la déontologie policière.
Ces dernières années, des dizaines de cas ont été documentés, impliquant non seulement des policiers, mais aussi des unités de police donc une grande partie des agents arborant les symboles TBL, alors même qu’ils enfreignent leur devoir de neutralité, pourtant exigé de tous les policiers et gendarmes.