Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Emmanuel Macron sur France 2 : la lente banalisation du mal

Attiser la colère et la haine ne mène qu'à une seule chose...

Que cherchent Emmanuel Macron et ses proches en caressant dans le sens du poil le Rassemblement national et en flattant les pires instincts de certains citoyens ? Est-ce là le projet d'une société souhaitée ?

L'étranger, d'Albert Camus - nrf

Quelle démission intellectuelle et personnelle peut amener un président de la république en poste à désigner à la foule des « étrangers » alors même que ladite foule a été conditionnée depuis des années à chercher dans « l’étranger » le responsable de tous ses maux ? N’est-ce pas une faute terrible alors que les hordes de fascistes défilent désormais dans les rues européennes et françaises, s’adonnant même à des ratonnades sans que la police n’intervienne ? Le président, celui-là même dont le rôle est d’unir la nation contribue à la fracturer un peu plus, dans le sillage des plateaux télé ou toutologues et extrémistes politiques viennent exister au dépens du vivre ensemble. Invité sur France 2 où il a pu dérouler son discours marketing autosatisfait sans contradiction, Emmanuel Macron a lâché : « Aujourd’hui, quand on regarde la délinquance par exemple à Paris, où on a une forte concentration (...) de cette immigration illégale, oui, elle est très présente dans les faits de délinquance (...) on ne peut pas ne pas voir que la moitié au moins des délinquants, des faits de délinquance qu’on observe, viennent de personnes qui sont des étrangers, soit en situation irrégulière, soit en attente de titres (...) et qui viennent souvent de ces filières ». De quoi réjouir toute l’extrême-droite qui martèle cette idée depuis des lustres. Le site Fdesouche, caisse de résonance des idées rances a d’ailleurs immédiatement salué la tirade du chef de l’État. Et pendant que le président de la république tire officiellement un trait sur les valeurs humanistes de ce pays, 234 rescapés secourus par l’Ocean Viking sont dans l’attente de pouvoir débarquer dans un port sûr depuis onze jours.

L’énorme plateforme qui s’est peu à peu mise en place sur le terrain de la presse, soit via le milliardaire ultra-conservateur catholique Vincent Bolloré dont la chaîne de télé CNEWS est le fer de lance, soit via une galaxie de sympathisants de la cause a contribué au fil des ans à banaliser les idées d’extrême-droite. Lorsque ce n’est pas directement via les plateaux de CNEWS que se propagent les idées rances, c’est par le biais de chaînes concurrentes qui pensent perdre des points d’audience si elles ne s’alignent pas sur ces thématiques.

Alors que l’extrême-droite, justement, fustige les journalistes qui seraient tous d’affreux gauchistes, notamment dans l’audiovisuel public, la réalité est toute autre.

A l’antenne que ce soit sur CNEWS, Sud-Radio, et maintenant BFMTV et bien d’autres, se succèdent sans discontinuer des représentants de l’extrême-droite sous couvert d’une règle journalistique discutable : tout le monde doit pouvoir s’exprimer. Y compris lorsqu’il s’agit de miner le vivre ensemble ? N’a-t-on pas vu comment finissait ces entreprises d’abêtissement et de banalisation des discours extrémistes ? L’attaque du Capitole le 6 janvier 2021 n’inquiète-t-elle pas journalistes et autres politiques qui s’accommodent de l'omniprésence sur les plateaux TV des héritiers intellectuels d'un ancien Waffen-SS.

Les journalistes seraient de gauche ?

Sur BFMTV, qui n’est pourtant pas CNEWS, on entend Bruno Jeudi harceler une députée présente sur une manifestation : « que faisiez-vous là ? (...) c'est une manifestation interdite (...) comme Mélenchon qui s'oppose à une perquisition », et cela continue durant de longues minutes... A sa suite, une journaliste politique, Agathe Lambret, demande aux spectateurs « ce que faisait une députée dans une manifestation interdite et en plus marchand sciemment en direction d’un cordon de gendarmes ». Le message envoyé aux auditeurs est clairement celui martelé par le ministère de l’intérieur depuis le mouvement des gilets jaunes : bien que le droit de manifester soit un droit fondamental dans ce pays, nous l’avons suffisamment encadré pour que sur simple décision de l’exécutif, les manifestations soient purement et simplement interdites. Rentrez chez vous, tenez-vous sages et si vous ne respectez pas notre décision, attendez-vous à une pluie de gaz lacrymogène et de balles de LBD, souvent dans la tête, même si c’est totalement interdit.

Une du Figaro Magazine - Copie d'écran
Une du Figaro Magazine - Copie d'écran

Ceux qui voient dans les journalistes des « islamo-gauchistes » devraient se demander d'où parlent Bruno Jeudi et Agathe Lambret. D'où parlent les journalistes du Figaro Magazine quand il évoquent des « extrémistes » pour désigner des salariés qui exercent simplement leur droit de grève ?

Sur les ondes du service public, on entend chaque jour un peu plus la même petite musique. Les discours ultra-libéraux, légitimant les projets du gouvernement. Comme si les dirigeants en place ne pouvaient qu’avoir raison… Et pourtant, ces mêmes dirigeants viennent de procéder à l’étape 1 d’un projet déjà vu mille fois, qui s’achèvera avec la privatisation dudit service public audiovisuel. Nadège Vezinat, Professeure des universités en sociologie à Paris 8 , expliquait en 2019 dans un article titré « Le crépuscule des services publics » comment ce processus fonctionne et l’avait résumé dans le graphique suivant.

Un processus bien pratique - Nadège Vezinat
Un processus bien pratique - Nadège Vezinat

La presse dans sa grande majorité, qu’elle appartienne à quelques milliardaires ayant parfois un agenda sociétal et politique comme Vincent Bolloré ou qu’elle fasse partie du service public, distille la même petite musique, années après années. Cette presse est au pire d’extrême-droite, au mieux « légitimiste » et va dans le sens du discours de l’exécutif, aussi mortifère soit-il pour la démocratie et le vivre ensemble.

Par exemple, le parti au pouvoir n’a-t-il pas permis que le Rassemblement national obtienne deux vice-présidences de l’Assemblée Nationale ? Le parti du président a préféré donner des voix au RN plutôt qu’à la NUPES. N’a-t-il pas également bénéficié des votes du Rassemblement national pour recaler la revalorisation des minimas sociaux, le gel des prix des loyers, la taxe sur les super-profits, on en passe.

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur n’a-t-il pas trouvé Marine le Pen un peu « molle » en matière d’immigration ? « Je ne vous trouve pas assez dure », lui avait-il répondu au cours d’un débat en février 2021. « Je trouve Marine Le Pen un peu branlante, un peu molle », ajoutait-il. Que faut-il déduire de ce type de déclarations ?

Emmanuel Macron se trumpise

En expliquant à une heure de grande écoute sur le service public (et sans que les journalistes ne le contredisent) que la délinquance à Paris est le fait des « étrangers », il se transforme un peu plus en Donald Trump. Le déni de la réalité est devenu une habitude, une méthode de gouvernement. l'utilisation de chiffres biaisés, en utilisant le petit bout de la lorgnette tordent la réalité. Sans même parler des évidences sociologiques. On trouvera plus de personnes en grande précarité dans la population des personnes en situation irrégulière que dans celles des habitants du 16ème arrondissement de Paris. Il est donc assez logique de trouver plus de personnes qui s'adonnent au vol dans cette partie de la population que chez les habitants du 16ème arrondissement.

Mais ce qui est véritablement pathétique, c’est que le ministère de la justice vient justement de publier ses chiffres clef pour l’année 2022 (et pour toute la France, donc en regardant par le bon côté de la lorgnette). On y découvre par exemple que parmi les condamnations en 2021 (hors compositions pénales) pour crimes, délits, contraventions de 5e classe (hors tribunaux de police), 84 % sont des Français et 16 % des étrangers.

Chiffres clef de la justice 2022 - Exploitation statistique du Casier judiciaire national des personnes physiques - Ministère de la justice/SG/SDSE
Chiffres clef de la justice 2022 - Exploitation statistique du Casier judiciaire national des personnes physiques - Ministère de la justice/SG/SDSE

De son côté, Mediapart relève qu’en matière de corruption, détournement de fonds publics, favoritisme, les atteintes à la probité ont augmenté de 28% entre 2016 et 2021. Ces chiffres reposent sur les données collectées par un service de statistiques du ministère de l’intérieur et par l’Agence française anti-corruption. Le profil des mis en cause est celui, très majoritairement, d’hommes (78 %), dont 95 % sont de nationalité française, note le journal.

Quelle société construisent des politiques comme Emmanuel Macron, qui énoncent des fake news à longueur de temps ? Quelle société polarisée et hystérisée fabriquent les chaîne d’info en continu qui courent derrière le buzz au détriment de l’information ? L’exemple américain devrait pourtant nous éclairer. « Nous n’avons jamais été aussi proches de la guerre civile depuis la guerre de sécession » indiquait décemment un Américain à Reflets. Quel fantastique projet de société… C’est par petites touches, insignifiantes si on ne les perçoit pas comme un tout, que s’installe l’horreur. Ce n’est pas un nouveauté puisque Hannah Arendt a largement disserté sur ce qu’elle a décrit comme la « banalité du mal ». Bien évidemment, il ne s’agit pas du même mal et il n’est pas question ici de Reductio ad Hitlerum, mais les signes sont inquiétants.

1 Commentaire
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée