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Dossier
par Ricardo Parreira

Néonazisme : quinze ans de haine en Lorraine

La Taverne de Thor

Antre des néonazis Hammerskins, la Taverne de Thor à Combres-sous-les-Côtes, un petit village de la Meuse (55), accueille depuis des années des événements de cette mouvance dans l’indifférence des autorités et au grand dam des habitants. Retour sur ce lieu de haine et entretien avec le collectif RAGE.

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Dans un article publié dans le média Manifest.info, puis dans une lettre ouverte, le Rassemblement Antifasciste du Grand Est (RAGE) revient sur quinze ans de faits liés à la Hammerskin Nation, une organisation néonazie internationale toujours active dans la Meuse. L’année dernière, près de 300 combattants de MMA (arts martiaux mixtes) — dont beaucoup sont des néonazis et fascistes connus des autorités et des groupes antifascistes européens — ont pu participer à un événement en toute tranquillité, avec seulement un léger contrôle de la gendarmerie. Cela, malgré les alertes lancées par les groupes antifascistes et la population locale. Un nouveau pas dans la normalisation du néonazisme en France.

La « Taverne de Thor », projet néonazi initié à Toul entre 2010 et 2014 puis déplacé en Meuse depuis 2015, est devenue « un véritable point de ralliement des Hammerskins français et allemands », alors même que les Hammerskins ont été officiellement interdits en 2023 en Allemagne. Cette affaire, comme d'autres, illustre le fait que les dissolutions ne servent à rien si les infrastructures ne sont pas visées.

Un lettre ouverte signée par plusieurs collectifs antifascistes rappelle :

« Déjà en mai 2015, une pétition pour la fermeture de la Taverne, lancée par des habitants locaux, avait recueilli plus de 50.000 signatures. Le 20 juin 2024, le Conseil départemental de la Meuse a demandé, à l’unanimité de ses élus, au ministre de l’Intérieur l’interdiction de ce groupuscule néonazi sur le sol français et la fermeture du hangar agricole La Taverne de Thor. En février 2025, dans un courrier adressé au préfet de la Meuse, plusieurs organisations syndicales de travailleurs ont de nouveau exigé la fermeture de cette Taverne. »

Contactée par Reflets, Fanny Leroux, membre du collectif RAGE, revient sur la situation sur place : « Les retours sont partagés, mais il est vrai que beaucoup d’habitants n’osent pas parler. Voir débarquer plusieurs centaines de types tatoués de croix gammées et d’insignes SS, c’est difficile à vivre. Une élue locale et des citoyens engagés, qui luttent depuis le début contre ce centre de ralliement fasciste, ont même été personnellement menacés ».

Face à l’inaction persistante des autorités françaises — une passivité peu surprenante, notamment au vu du laxisme dont a bénéficié la récente manifestation du C9M à Paris — les antifascistes locaux ont décidé de mener leur propre enquête. Leur objectif, explique Fanny Leroy : documenter les activités de la Taverne de Thor et apporter des informations au public dans l’espoir de changer les rapports de force : « cette dernière année, du fait de la visibilité augmentée par les recherches antifascistes et une mobilisation des villages aux alentours, la Taverne est à nouveau dans le débat. Malgré plusieurs demandes de fermeture sur le plan départemental, le ministère de l’intérieur et la préfecture prétendent "surveiller" la Taverne. Dans les faits, ils protègent ces néonazis et les laissent s'organiser tranquillement ».

Les Hammerskins

La Hammerskin Nation (HSN) est un réseau néonazi et suprémaciste blanc fondé en 1988 aux États-Unis, structuré comme un club de motards, qui prône une idéologie raciste, violente et antisémite. Il est considéré comme l’un des groupes néonazis les plus organisés et dangereux au niveau international. Actifs dans plusieurs pays, dont la France depuis 1999, ils sont organisés en quatre chapitres : North France, South France, Lorraine et Aquitaine. Une première tentative de branche française avait vu le jour dès 1993, avec les « Charlemagne Hammerskins ».

Selon l'article publié sur manif-est.info, les Hammerskins Lorrains font de la propagande et bâtissent un sas d'entrée aux futurs membres via des structures comme Crew 38. Le tout reste très secret et structuré, avec un objectif clair : propager leur culture néonazie tout en organisant un mouvement fasciste souterrain.

Dans le cas de la Taverne de Thor, en Meuse, Fanny Leroux est très explicite : « nous avons à faire à un centre organisationnel d’un néonazisme qui, pour le moins, soutient des entraînements et des tentatives de soulèvements fascistes en Europe et en Amérique. Le réseau Hammerskin, gang pyramidal de nazis-skinheads promouvant la musique néonazie et les sports de combat (généralement le MMA), est aujourd'hui l’une des plus grandes structures du national-socialisme organisé. La maudite Taverne permet la coordination et génère beaucoup d’argent. Mais ce sont aussi les événements réguliers comme les entraînements de boxe chaque mercredi qui en font un point d’attraction et d'endoctrinement qui peut piéger la jeunesse du coin ».

Un réseau actif autour de la Taverne de Thor

En Lorraine, le collectif RAGE a pu identifier plusieurs acteurs qui gravitent autour du réseau néonazi Hammerskin dans le Toulois, la Meuse et la Moselle. À Toul, on retrouve Christophe Gruy, ancien membre influent des Hammerskins aujourd’hui installé en Suisse, ainsi que Jérémy Felt, tatoueur néonazi. Le vigneron Gautier Welter et Jérémy Parisot, sont également des habitués des soirées locales organisées par la mouvance.

Le Hammerskin Christophe Gruy, ex-Toulois maintenant installé en Suisse. - ©RAGE
Le Hammerskin Christophe Gruy, ex-Toulois maintenant installé en Suisse. - ©RAGE

En Meuse, le réseau s’organise autour de la Taverne de Thor, gérée par Jérémy Flament, tatoueur et combattant de MMA, dont le corps est couvert de symboles nazis. Il est régulièrement accompagné de Christophe Saccavini, tatoueur à Bar-le-Duc, chargé de la sécurité lors d’événements comme le Hammerfest ou le Day of Glory. Julien Allemand, aujourd’hui dans le sud, reste affilié au chapitre lorrain, tout comme Jonathan Kennel, guitariste du groupe néonazi Wolfsfront, actif entre la Moselle et l’Allemagne.

©RAGE
©RAGE

D'autres militants comme David, alias « Crokess », amateur d’armes et membre de l’Elsass Brotherhood, ou encore Alexandre Lelièvre, ancien militaire mosellan et soutien déclaré de la Taverne, complètent ce réseau structuré.

Ce maillage de militants néonazis en Lorraine n’est ni marginal ni désorganisé. Il repose sur une structure solide, des liens interrégionaux et un usage habile de vitrines légales — salons de tatouage, sports de combat, événements néonazis — pour propager leur vision du monde et recruter de nouveaux membres. Malgré les alertes répétées de la société civile, des syndicats locaux et des collectifs antifascistes, les autorités françaises restent largement passives. Pendant ce temps, explique Fanny Leroux, « la gauche radicale — qu’il s’agisse des écologistes mobilisés à Bure ou des antifascistes de l'ex-Bloc Lorrain — est exposée à une répression terrible. Il faut rappeler que c’est l’ex-sénateur Gérard Longuet, formé politiquement au GUD, qui a durablement influencé la politique en Lorraine, en favorisant l’implantation de la poubelle nucléaire et d’usines d’armement. La Meuse est un bastion du FN/RN, et à Toul, on vient même d’ériger une statue à la gloire du tortionnaire Bigeard. Nous n’avons rien à attendre de la politique actuelle. Nous ne pouvons compter que sur nous même et les effets de notre travail de documentation ».

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