Néobanque : le fasciste Martin Sellner finance son concept de « déportation » via la France
Les autorités françaises restent muettes...
Martin Sellner est l'une des figures les plus influentes de l'extrême droite européenne, connu pour son rôle de leader au sein de Identitäre Bewegung Österreich, mouvement qui prône la "déportation" des exilés au nom de la défense de la culture européenne. En 2019, il reçoit des fonds du terroriste néo-zélandais Brenton Tarrant. Après la fermeture de dizaines de comptes bancaires, Sellner s'est tourné vers une néobanque française pour continuer à financer ses activités haineuses.
Sellner, qui était un néonazi dans sa jeunesse, est devenu une figure centrale du mouvement identitaire à partir de 2012, lorsqu'il a participé à la création du mouvement Identitäre Bewegung Österreich (IBÖ), branche de l'ancienne Génération Identitaire, qui a émergé en France avant de se répandre dans d'autres pays européens. L'IBÖ prône une opposition farouche à l'immigration et la promotion de la « remigration », concept visant à « déporter » les immigrants ainsi que les Européen·ne·s racisé·e·s dans leurs pays d'origine.

Pour ces fascistes, la « remigration » est la réponse politico-administrative censée arrêter le grand remplacement, théorie néonazie dénuée de fondements scientifiques qui est au cœur de l’idéologie identitaire promue par Sellner. Les actions racistes et les discours virulents de Sellner sont tellement radicaux que plusieurs pays lui ont interdit de participer à plusieurs événements sur leur territoire. En 2018, alors qu’il veut participer à une conférence anti-musulmans à Londres, Sellner et le fasciste hongrois Abel Bodi, fondateur de la branche identitaire en Hongrie, sont arrêtés à la frontière pour la seconde fois en un mois. Interdit de séjour aux États-Unis en 2019, en 2024, il a également été refoulé de Suisse et interdit de séjour en Allemagne.
Le Lien avec Brenton Tarrant
La réputation de Sellner a été gravement ternie en 2019 lorsqu’a été révélé par l'ORF le fait qu’il avait reçu un don substantiel de Brenton Tarrant, l’auteur de l'attentat terroriste de Christchurch en Nouvelle-Zélande qui a coûté la vie à 51 personnes dans deux mosquées. Dans une séquence de messages entre Tarrant et Sellner, ce dernier écrit : « Si vous venez à Vienne, nous devons prendre un café ou une bière. »

Tarrant, qui a diffusé un manifeste avant l’attaque, a repris de nombreuses idées prônées par les identitaires, notamment la notion de « grand remplacement ». Cette affiliation idéologique a conduit à une perquisition et à une surveillance accrue des activités de Sellner et de son mouvement par les services de sécurité européens. Ce n’est pas anodin : en 2021, Sellner était la 9ᵉ personne sur la liste de l'ONG Counter Extremism Project qui lutte contre le terrorisme. Les donations de Tarrant ont également bénéficié à Génération Identitaire, qui a d'abord nié les accusations, mais a fini par les admettre face aux preuves.
Le financement de la haine via une néobanque en France
Les néobanques, ces nouvelles banques 100 % en ligne, séduisent par leur simplicité d’utilisation, leurs tarifs attractifs et leur accessibilité. Ces entreprises, qui se présentent comme des « prestataires de services de paiement », sont un moyen d'assurer un flux régulier de donations vers les mouvements d'extrême droite.
Reflets a pu tracer les IBAN utilisés par Martin Sellner au cours des deux dernières années. En mai 2023, Sellner utilisait encore un IBAN lituanien de UAB PayrNet, une néobanque que la Banque centrale lituanienne souhaitait fermer depuis 2021 pour des problèmes liés à un manque de lutte contre le blanchiment et le terrorisme. En juin 2023, un IBAN français apparaît sur son site après l’ouverture d’un compte chez Olkypay, une entreprise immatriculée au Registre du commerce et des sociétés (RCS) en France, mais dont le siège social est domicilié au Luxembourg.

Selon Anne-Sophie Coulbois, cheffe de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière, les néobanques sont « systématiquement impliquées » dans des affaires de blanchiment d’argent. En 2021, après plusieurs signalements sur la plateforme signal-arnaques, la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP) a émis un message d’alerte concernant le risque accru de FOVI (faux ordres de virement) lié à plusieurs néobanques dont Olkypay, aujourd’hui utilisée par Martin Sellner.

Les comptes liés au mouvement identitaire autrichien ou ceux au nom de Martin Sellner sont régulièrement fermés, et des dizaines de demandes d’ouverture de compte sont tout simplement refusées. Sur son site, Sellner affirme que depuis le premier blocage de son compte par Bank Austria en 2017, quelque 82 comptes et prestataires de services de paiement lui ont fermé leurs portes. En 2022, la PostFinance Suisse a fermé son compte suite à un article paru dans l'Aargauer Zeitung, qui mettait en avant les liens de Sellner avec le terroriste Brenton Tarrant. Il en a été de même pour la Banque d’Autriche, la banque allemande N26, la Erste Bank, la Bank of Georgia, Crypto.com, STRIPE, etc.
Dans un rapport du Center für Monitoring, Analyse und Strategie gGmbH (CeMAS), entre 2016 et 2023, Martin Sellner a partagé plusieurs IBAN, pour un total de 11 comptes dans sept pays de l'UE. Le rapport souligne que Sellner détenait le plus grand nombre d'IBAN différents parmi les individus étudiés. En mai 2023, à la fin de l’étude, les identitaires, y compris Martin Sellner, ne disposaient pas de comptes en France.

L'ouverture d'un compte en France via une néobanque n'est pas illégale. Cependant, Martin Sellner est obligé de déclarer en Autriche les « donations » reçues.
Pour ce qui est de Olkypay et de ses valeurs éthiques (lire aussi cet article de Mediapart) , le 22 janvier de 2024, Sleeping Giants France, une association qui combat les discours de haine et leur financement par l’argent de la publicité (récemment proposée par un député pour le Prix Nobel de la Paix), avait signalé à Olkypay l’utilisation de leurs services par Martin Sellner, précisant qu'il s'agit d’un « responsable autrichien du mouvement raciste Identitäre Bewegung Österreich, impliqué dans plusieurs actions xénophobes ». Olkypay n’a pas donné suite à l’alerte, évoquant son impossibilité « d’échanger des données confidentielles avec des tiers ». Réponse standard. Néanmoins, le compte est toujours actif. Interviewés par Reflets, les Sleeping Giants confessent que cette « non-implication » de la néobanque a lutte contre « ce qui pourrait possiblement être du blanchiement d’argent des idées qui sont reprises par des terroristes » est « étonnante ». Ajoutant, « nous avons réussi à faire fermer plusieurs comptes de Martin Sellner en Europe, les banques étaient toujours très réactives ».
Contactée par Reflets, Olkypay se présente sous la forme d'un Bon Samaritain venant au secours des plus pauvres : « Aujourd'hui, nous constatons qu'une partie significative de la population, notamment les associations et fondations militantes de toute obédience ou courant politique, est dé-bancarisée ou éprouve de réelles difficultés à trouver des teneurs de comptes ». Ainsi, la néobanque renvoie dos à dos l'extrême droite et l'extrême gauche pour justifier un de ses principes fondamentaux — « l'interdiction de toute discrimination en matière d'inclusion bancaire », ainsi que « la liberté pour les clients de disposer de leur argent » — alors que plusieurs banques mondialement reconnues ont immédiatement fermé les comptes de Martin Sellner suite à des alertes provenant d'ONG ou d'autres associations luttant contre la haine et la discrimination raciale.
Pire encore, Olkypay se présente comme un rempart contre l'économie parallèle qui ne serait finalement que le résultat d'une dé-bancarisation : « des personnes ou entités se trouvent ainsi amenées à recourir à des moyens de paiement alternatifs qui soutiennent les économies parallèles ou à adopter des pratiques peu scrupuleuses pour se financer ».
Être chez Olkypay ne semble pas empêcher Martin Sellner de recourir à des systèmes « économie parallèle » pour lever des fonds et contourner les blocages imposés par les grandes plateformes de financement participatif et les institutions bancaires traditionnelles.
Depuis des années, Sellner utilise plusieurs cryptomonnaies. Rien qu'avec son portefeuille Bitcoin, entre novembre 2023 et août 2024, il a récolté plus de 3.800 euros. Sellner possède au moins neuf cryptomonnaies avec lesquelles les trois dernières années il a récolté, selon nos calculs, plus de 16.000 euros.

Nous avons interrogé Joe Düker, chercheur au CeMAS, sur les moyens de financement de Martin Sellner. Il nous explique que ce type de militant d’extrême droite utilise plusieurs plateformes pour récolter des fonds. Au-delà des cryptomonnaies et des comptes bancaires dont les montants sont inconnus, Martin Sellner a, ces trois dernières années, alors qu'il annonçait en février 2023 quitter le poste de porte-parole du mouvement identitaire, récolté plus de 20.000 euros grâce à une campagnes de financement participatif et à ses émissions sur DLive.
L'Influence de Sellner en Allemagne et dans la Nouvelle Droite française.
En novembre 2023, il ouvre une conférence tenue secrète à Potsdam. Des cadres de Alternative für Deutschland (AfD), le parti d’extrême-droite allemand et notamment le député Roland Hartwig étaient présents. Leur but : théoriser un plan d'expulsion massive des Allemands d'origine étrangère et des étrangers vivant en Allemagne, y compris les réfugiés politiques. Le projet implique le déplacement forcé d'environ 2.000.000 de personnes en Afrique du Nord. L'affaire est médiatisée, L’AfD risque l’interdiction, et pendant plusieurs jours des millions de personnes manifestent contre l'extrême droite en Allemagne. Martin Sellner est aussi un ami de Götz Kubitschek, intellectuel de la Nouvelle Droite allemande qui fréquente des cadres des « Camaraderies libres » néonazies et de l’ancien Parti national-démocrate d’Allemagne (NPD) également néonazi.
Le 20 juin dernier, plusieurs membres de groupuscules fascistes et néonazis se sont rendus à Vienne pour participer à une manifestation en faveur de la « remigration ». Des militants du Red d’Angers, d'Aurora Lorraine, de Tenesoun et Le Maquis (PACA), des Natifs (Paris), etc., étaient présents. Le soutien des fascistes français envers Sellner n’est pas nouveau, par exemple, en février 2024 plusieurs militants du groupuscule néonazi An Tour-Tan (Vannes), créé par Logan Gourenez, se sont déplacés à Chemnitz, en Allemagne pour soutenir Sellner.
Si les identitaires cherchent par tous les moyens à se dédiaboliser et à formuler un discours acceptable, les idéologies fascistes qui sont à la base de ce mouvement ne restent pas toujours dans l’ombre. Infiltrés par une chaîne de télévision allemande lors de la manifestation de juin à Vienne, N-TV révèle qu'une des militantes a tenu des propos ouvertement négationnistes sur la Shoah : « L’Holocauste n'a pas tué des millions (6 millions) de Juifs, mais plutôt 175.000. ».

Sellner entretient également une amitié de longue date avec le militant d’extrême-droite Damien Rieu. Tous deux ont participé aux actions racistes de Defend Europe, qui ont conduit à la dissolution du mouvement. Co-fondé par Damien Rieu, Génération Identitaire (GI) était l'un des mouvements d'extrême droite radicale les plus puissants de ces dix dernières années, bénéficiant d’un capital économique très important, mais aussi de militants issus de diverses mouvances fascistes et néonazies, tous obsédés par un objectif commun : le racialisme pur.
Depuis la dissolution de GI, en matière de diffusion de propagande idéologique, c’est l’Institut Iliade, le think tank de la Nouvelle Droite française (co-fondé par le théoricien d’extrême-droite Jean-Yves le Gallou), qui a pris le relais, offrant un véritable écho aux discours et aux actions violentes de Martin Sellner en France.
Où sont les autorités dans la lutte contre le financement de l'extrême droite radicale ?
Alors que le profil de Martin Sellner inquiète les services de renseignement et que plusieurs de ses voyages, lectures, et conférences ont été interdits, le même homme ne semble pas inquiéter certaines banques, qui continuent à l'accueillir malgré les dizaines d'établissements qui l'ont déjà évincé en raison de ses idéologies racialistes.
Le fait qu'Olkypay n'ait pas donné suite à l'alerte de Sleeping Giants et que, sept mois plus tard, ce compte soit toujours actif, prouve que cette méthode de financement est fonctionnelle.
Les néobanques, en général, en raison de leur nature numérique, de la difficulté à tracer les transactions, et du faible niveau de communication avec la Banque de France, offrent un moyen idéal pour les militants d'extrême droite de collecter et de transférer des fonds sans attirer l'attention.
L’association allemande IB-Doku: Recherche- und Dokumentationsplattform zur Identitären Bewegung vient d’ailleurs de dénoncer publiquement l’ouverture par Martin Sellner d’un compte chez VolksBank Bravo à Wolfsburg et un deuxième également en Allemagne via la İşbank AG turque .
Making of
Début août, Reflets a été alerté par l'Autonome Antifa Freiburg (AAF) sur l’utilisation d’un compte français par l’autrichien Martin Sellner.
Contactées, le ministère de l’Intérieur, la DGPN, la DICOM, l’OCRGDF, n'ont pas donné suite à nos demandes d’entretien sur l’utilisation d’une néobanque française (Olkypay) par un militant d’extrême-droite radical qui est dans le viseur des services de renseignement.
Dans un mail de réponse à Reflets Olkypay se presente comme une « néobanque tenue de respecter les principes fondamentaux que sont : Le droit au compte ; La lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Aujourd’hui, nous constatons qu’une partie significative de la population notamment les associations et fondations militantes de toute obédience ou courant politique est dé-bancarisée ou éprouve de réelles difficultés à trouver des teneurs de comptes. Des personnes ou entités se trouvent ainsi amenées à recourir à des moyens de paiement alternatifs qui soutiennent les économies parallèles ou à adopter des pratiques peu scrupuleuses pour se financer. Nous acceptons d’accompagner ces acteurs tant que leurs activités restent légales. Par ailleurs, nos obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ainsi que les moyens que nous allouons à leur mise en œuvre nous permettent de gérer les risques associés à certains profils de relation d’affaires. Si nos obligations réglementaires nous interdisent de confirmer ou d’infirmer que Monsieur SELLNER détient ou a détenu un compte Olky, nous pouvons vous assurer que nous appliquons à tout personne qui sollicite une ouverture d’un compte Olky les mêmes procédures d'entrée en relation qui sont basées notamment sur l’interrogation des listes de sanctions internationales. Par ailleurs, l’analyse de presse que nous effectuons régulièrement pour chaque client participe à l’attribution d’un niveau de risque qui peut déclencher une surveillance renforcée. Il arrive que ces analyses conduisent à identifier des schémas pouvant entrainer l’exclusion de certains clients lorsque nous découvrons que l’usage du compte ne correspond pas aux déclarations préalables ou postérieures à l’entrée en relation.. »
Mais impossible d'obtenir des informations précises sur les raisons qui ont poussé Olkypay à conserver la clientèle de l'une des figures les plus influentes de l'extrême droite radicale européenne, le détail des règles prudentielles mises en place pour l'ouverture des comptes, les mesures prises après le signalement des Sleeping Giants.