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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Devrait-on pouvoir frapper un nazi ?

Leur mésusage du droit pose question

Les tenants d'une idéologie rance, prônant la haine et l'exclusion se retranchent souvent derrière le droit pour se protéger lors de leurs sorties de route. Se laisseraient-ils autant aller s'ils risquaient à tout moment de prendre une droite dans le nez ?

2017 : un homme reçoit un coup de poing après avoir fait un salut nazi à Charlottesville (USA) - D.R.

Que l'on se comprenne bien, il ne s'agit pas ici d'appeler à la violence, l'extrême-droite le fait suffisamment chaque jour. Non, il s'agit plutôt d'une réflexion philosophique sur l'usage que certains peuvent faire du droit, ce contrat social qui nous éloigne de l'ère des hommes des cavernes. Ce contrat est-il une bonne réponse et, question éternelle pour les étudiants de droit : « jusqu'où la démocratie doit-elle accepter que ses ennemis l'utilisent pour la détruire » ?

L'injonction « punch a nazi in the face » (frappez un nazi à la figure) fait son chemin aux États-Unis où la liberté d'expression érigée en droit constitutionnel sans véritable contrepoids pousse bon nombre d'Américains à aller très loin dans l'abomination. En France la question se pose de manière moins radicale. Il y a d'autres manières de faire taire les discours d'extrême-droite. Le droit permet de faire condamner des personnes qui se laisseraient aller à des propos racistes, homophobes, qui nieraient l'existence de la Shoah, etc. Éric Zemmour en a fait les frais. Mais à quel prix et à quel horizon ? Le processus judiciaire est souvent très long et très coûteux. Et le résultat est aléatoire.

Le portrait d'Éric Zemmour « Veni, vidi, Vichy » diffusé jeudi 4 novembre sur France 2 aura dévoilé la face non cachée d'un vilain petit bonhomme, sûr de son fait, agressif, violent, ne respectant absolument pas ses adversaires politiques. Au fil du reportage il apparait assez clairement que cet individu batailleur et revêche se rêve en apollon gracieux et musculeux. Certes le rapport au physique reste une affaire très personnelle mais pour certains, la taille et les épaules comptent assurément davantage que la finesse d'esprit. Il est à ce propos bien tentant de faire le parallèle avec un Nicolas Sarkozy qui ne supportait pas sa taille (1,65m) au point de faire attention à ne pas être entouré de personnes de plus haute stature ou de mettre des talonnettes quant il ne demandait pas une petite estrade personnelle que l'on ne montrerait pas sur les photos.

Les deux hommes semblent vouloir « compenser » ce qu'ils vivent comme un handicap, par la violence verbale. Notre polémiste toutologue d'extrême-droite manifeste quant à lui ce problème du rapport au physique par une violence spécifique envers les femmes. Un psychiatre n'aurait sans doute aucun mal à expliquer d'où vient la fêlure tant le cliché est désespérément flagrant.

Ce portrait de France 2 aura l'avantage de nous faire découvrir un homme hyper-agressif verbalement, envers les femmes, bien sûr, mais aussi envers les hommes. Il peine à se fixer des limites dans la violence des propos. De nombreuses procédures sont en cours, la nouvelle coqueluche du l'extrême-droite est poursuivie, notamment, pour « provocation à la haine » et « injures raciales ».

Ces sorties de route des extrémistes sont probablement rendues possibles parce que le reste de la population est à la fois polie (les personnes sont désarçonnées par la violence des attaques qu'elles ne pratiquent pas) et civilisée (elles ne décrochent pas un coup de poing dès qu'elles sont contrariées). Éric Zemmour et ses semblables sont parfaitement conscients de cela en et en jouent. Ils savent que le bénéfice de la méthode est souvent total : si un contradicteur perdait son calme, ils se poseraient immédiatement en victime et porteraient plainte pour coups et blessures. Si le contradicteur ne réagit pas, le bénéfice est également immédiat : les idées rances sont passées.

File ta cuisse de mammouth !

À l'époque de l'homme des cavernes, l'humain pouvait aisément en découdre avec ses congénères d'un bon coup de masse. Juste par instinct primaire, ou simplement parce que l'envie irrépressible de récupérer une belle cuisse de mammouth l'avait saisi (j'ai faim et j'ai une massue = je mange!). Nous avons évolué. Pour faire société, nous avons accepté de renoncer à un certain nombre de comportements primaires et violents en contrepartie d'autres droits. Nous avons signé un contrat social dont la pierre angulaire est le droit.

Mais ce « bon » droit qui nous interdit de frapper nos semblables dès qu'ils nous agressent verbalement, quelle que soit la violence de l'attaque, n'ouvre-t-il pas un boulevard aux néo-furieux de tous bords ? Le volume de violence verbale, d'intimidations, la diffusion lente mais sûre des idées rances (et condamnables devant un tribunal) sont chaque jour plus importants. Le résultat à terme sur la société est connu. L'Histoire, ancienne ou récente, nous a donné une vue claire de ce qui va se passer. L'Allemagne nazie, l'Espagne franquiste, l'Italie de Mussolini, les pays d'Amérique du Sud gérés par des militaires d'extrême-droite, les Philippines de Rodrigo Duterte, la Hongrie de Viktor Orbán, les États-Unis de George Bush Jr. ou de Donald Trump sont des exemples de ce à quoi mènent les idées rances.

Si l'on ne peut évidemment pas souhaiter la fin de notre contrat social et du rôle de médiateur des tribunaux, à la lumière de la violence croissante des attaques de l'extrême-droite, il n'est peut-être pas complètement incongru de militer pour une réforme des débats politiques. Pourrait-on envisager que ce genre de démonstration d'un autre âge s'exécute au centre d'un octogone réglementaire ? Comme pour les combats d'arts martiaux mixtes, il n'y aurait là plus vraiment de règles, et si l'un des participants venait à le juger nécessaire, il pourrait tout à trac parer l'offense adverse avec les poings. Cela aurait probablement un effet inverse de celui attendu. Les grotesques et les petits rabougris en tous genres, régulièrement touchés par une encoprésie verbale comme Éric Zemmour, se contrôleraient sans doute nettement mieux. On peut alors parier qu'ils appelleraient de leurs vœux un rapide retour à une forme plus sereine des échanges. Car ils ne sont probablement pas tout à fait les mâles alfa qu'ils fantasment.

MMA - piqsels.com - CC0
MMA - piqsels.com - CC0

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