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par Rédaction

Enquête sur l'école hors de la République

Bonnes feuilles

Les journalistes Anna Erelle et Jacques Duplessy signent un livre qui raconte les dessous de l'école à la maison et d'écoles privées hors contrat. Reflets publie en exclusivité les bonnes feuilles de cet ouvrage.

Couverture du livre "Enquête sur l'école hors de la République"

C'est une enquête passionnante qu'ont réalisé Anna Erelle, le pseudo de la journaliste auteure de Dans la peau d'une djihadiste (Robert Laffont 2015), et Jacques Duplessy - que nos lecteurs connaissent bien - dans leur livre L'école hors de la République qui sort demain 8 avril aux éditions Robert Laffont. L'instruction en famille, qui fait tant débat en ce moment alors qu'est examinée la loi Séparatisme, est abordée avec finesse. Les auteurs donnent la parole à des familles mais aussi à des inspecteurs de l’Éducation nationale qui témoignent quasiment tous sous couvert d'anonymat. Ils dévoilent aussi comment les salafistes ont profité de l'école à la maison pour s'infiltrer dans l'éducation des enfants.

Leur enquête révèlent aussi de curieuses pratiques dans des écoles hors contrat, qu'elle soit musulmanes, d’inspiration Steiner ou catholiques intégristes pour ne citer que celles-ci. Ils exposent aussi les modalités du contrôle de l’Éducation nationale. Là encore, leur travail s'appuie sur des documents internes de l'Education nationale, comme les manuels d'inspection et des rapports d'inspection de certaines écoles.

Morceaux choisis.

Même aux députés, on ne répond pas

Un inspecteur général de l’Éducation nationale nous avait prévenus : « Si le ministère bloque tout, c’est bien que votre sujet fait peur. » Un autre éclate de rire à l’évocation des difficultés rencontrées : « C’était évident qu’ils ne vous répondraient pas, il y a un black-out sur ces questions. Dès qu’on parle séparatisme, religion, contrôle des établissements ou de l’école à la maison, c’est bouche cousue. Par principe, l’Éducation nationale n’aime pas qu’on mette le nez dans ses affaires et les responsables ont peur des coups de règle sur les doigts du cabinet du ministre. »

« L’omerta, c’est ce qui fonctionne le mieux dans l’Éducation nationale », lâche encore un syndicaliste. Par moments, nous avons en effet eu l’impression d’être en Sicile. Même la représentation nationale n’est pas mieux informée. Lorsque nous nous sommes intéressés à la déscolarisation, aux élèves fantômes, nous sommes tombés sur une « mission flash » sur ce sujet, conduite en 2018 par deux députées, Anne Brugnera, députée du Rhône (La République en Marche), et George Pau-Langevin, députée de Paris (Nouvelle Gauche). Nous avons épluché leur rapport et les avons interviewées. Malheureusement, elles ne savaient pas grand-chose. Et pour cause. Un inspecteur d’académie nous a glissé : « Même elles, on ne leur répond pas, on traite ça par-dessus la jambe. »

Les salafistes s'invitent à domicile

Anna Erelle a infiltré les groupes de discussions de parents qui officiellement font l'école à la maison, mais font appel en réalité à des pseudo-écoles en ligne salafistes.

Je contacte directement Oum Bienveillante, une maman avec qui je parle régulièrement, afin de lui demander si les cours de Ève Éducation, et ceux des autres écoles d’ailleurs, dispensés par visioconférence sont mixtes : « Bien sûr que non! On ne retire pas les enfants des écoles haram [interdites] où ils sont tous mélangés pour refaire pareil ! » Mais ça ne compte pas vraiment, puisque les enfants ne se côtoient que par vidéo, je lui rétorque. Devant sa réponse – « Tu es bizarre de voir les choses ainsi » –, je ne poursuis pas la discussion. Je ne voudrais pas que ma couverture s’effondre, d’autant que j’ai désormais plus d’une centaine d’amies et que je consacre mes journées à ce sujet depuis deux mois. Justement, Oum Monia, avec qui j’échange depuis deux semaines, tente de m’appeler via Messenger. Je ne décroche pas mais lui écris aussitôt. Très vite, j’évoque la mixité, ou plutôt la non-mixité. J’aime bien Monia, elle est intelligente et aussi rigolote que nonchalante. Un peu extrême par moments, mais ça ne me dérange pas puisqu’elle est très franche. « Quelle horreur, la mixité » m’écrit-elle, en appuyant sa phrase d’une dizaine de smileys qui vomissent. « Ça me dégoûte presque autant que les non-musulmans. » Euh… Sa réponse m’étonne, je lui rentre un peu dedans, en prenant garde de ne pas me griller : «Oukty (Ma sœur), je ne t’imaginais pas comme ça… Moi aussi je préfère être entourée de musulmans, mais je ne déteste pas les Croisés… ».

Aussitôt je reçois une salve d’emojis de bonshommes qui rigolent : «Mais moi non plus, Oukty, je ne déteste pas les Croisés! J’ai des copines qui sont chrétiennes et je les aime, mais pour mes enfants, ce que j’ai de plus précieux, la chair de ma chair, il n’est pas question que ce soit des profs non musulmans qui les instruisent ! Quelle horreur ! » Toujours dans le personnage de Lila, je lui explique que mes enfants étaient jusqu’à présent scolarisés dans une école publique mais prenaient des cours de Coran à côté, dispensés par des religieux. S’ensuit une discussion surréaliste.

« Ah bon? Tu as une fille, non? — Oui, une fille et un garçon. — Et que ce soient des hommes qui enseignent à ta fille, ça ne te pose pas de problème ? — Mais enfin, ma fille a 3 ans ! On lui apprend à assembler des cubes, ce ne sont pas des cours d’éducation sexuelle ! — Beurk ! Tu fais ce que tu veux, Oukty, mais moi je ne pourrais pas! Ma fille ne côtoie que son père, ses frères et les hommes de la famille. — Elle n’a pas de copains ? — Si, elle a des copines. — Mais pas de copains ? — Et puis quoi encore ! Oukty, ta fille a des amis garçons ?

Les cathos intégristes : l'école à l'extrême droite du Christ

Des anciens élèves nous mettent sur la piste des manuels utilisés par la plupart des écoles de la mouvance traditionaliste. Ces manuels sont rédigés par une congrégation dans l’orbite de feu Mgr Lefebvre, les Dominicaines enseignantes de Brignoles, dans le sud de la France, et publiés aux éditions Fideliter-Clovis, maison sous influence de la Fraternité. Pour se les procurer, il suffit de se rendre sur le site de la librairie et de débourser la somme de 48 euros.

La lecture des deux tomes consacrés à l’histoire contemporaine est édifiante. Sans surprise, le manuel sous-entend que le capitaine Dreyfus est coupable d’espionnage au profit de l’Allemagne, et il consacre à cette affaire pas moins de cinq pages. On y apprend : « Une manœuvre habile facilitait la découverte d’un nouvel accusé : la meilleure solution était la découverte d’un nouveau coupable. […] Grâce à la complicité de certains magistrats, le jugement du conseil de guerre fut enfin cassé. »

L’Action française, mouvement politique nationaliste et royaliste d’extrême droite très puissant avantguerre, « qui s’employa à réveiller le sens de la Patrie » est encensée : « La force de la pensée de Charles Maurras s’imposa au sien d’une équipe hors pair. » À l’inverse, la Démocratie chrétienne est conspuée : « Fille de la Révolution dans son essence même, son rêve est de concilier l’inconciliable : le christianisme et la “promotion” – c’est-à-dire la déification – de l’homme. » Et de conclure : « La fermeté du catholicisme met en lumière la contradiction irréductible entre la Royauté de Dieu et l’indépendance totale de l’homme. […] Par nature, la Démocratie chrétienne est ennemie de l’Église. »

On continue de feuilleter et les chapitres sur la Seconde Guerre mondiale réservent à leur tour bien des surprises. Les Anglais seraient ainsi en partie responsable de la défaite de juin 1940. « Il [Winston Churchill, le Premier ministre anglais] semblait oublier que la défaite avait été rendue inéluctable par la défection des forces anglaises dans les Flandres d’abord, sur la Somme ensuite au moment où Weygand croyait avoir rétabli un front pour endiguer l’invasion. »

À propos de l’armistice de Compiègne, le 22 juin 1940, les sœurs écrivent : « La France conservait un gouvernement indépendant dont le chef était le maréchal Pétain. » Une indépendance toute relative… Vichy trouve décidément grâce à leurs yeux. « La Révolution nationale n’avait aucunement l’allure de dictature ; il était d’ailleurs prévu qu’aprèsguerre, il y aurait de nouveau des chambres élues. »

Quant à la Shoah, elle n’est carrément pas évoquée. Les mots « chambres à gaz » ne figurent pas dans les manuels… Un point de détail de l’histoire sans doute. Les camps de concentration sont qualifiés de « lieux d’internement pour civils soumis à un traitement plus ou moins inhumain selon les chefs, tous venus des S.S. » L’extermination des Juifs est évoquée en deux phrases. « Dès le début, il y eut, outre des communistes, des Juifs; leur nombre s’accrut pendant les hostilités, surtout lorsque les difficultés commencèrent pour la Wehrmacht. Les Allemands entreprirent d’envoyer dans ces camps les Juifs étrangers qui avaient été recensés; des familles entières furent déportées et il était évident que c’était en vue de leur extermination. » Mais de « solution finale », il n’est point question, ni de la rafle du Vél’ d’Hiv organisée par l’État français avec la collaboration des policiers et gendarmes français en juillet 1942.

Aucun chiffre non plus pour dire l’ampleur de ces camps de la mort. En revanche, les auteurs en profitent encore pour calomnier les communistes. «Même après juin 1941, les communistes furent relativement privilégiés, servant de “Kapos”, sortes de contremaîtres sous les ordres des SS. […] La découverte de toutes ces horreurs par les armées alliées provoqua une haine du “fascisme” plus que celle des Allemands; un dangereux amalgame rendait responsable d’atrocités tout régime autoritaire, donc Vichy ; mais les procédés identiques de l’épuration n’étaient jamais dénoncés par les médias. »

L'école hors de la République - D.R.
L'école hors de la République - D.R.

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