Néonazisme - Le C9M à nouveau à l’assaut de Paris
Les fascistes veulent manifester, la riposte antifasciste s’organise
Depuis plus de 10 ans, la fachosphère s’organise pour marcher dans la capitale en hommage à Sébastien Deyzieu, décédé alors qu’il était poursuivi par des policiers. Entre croix celtiques, logos nazis et slogans appelant à la guerre civile, ces néonazis profitent de la fascisation de la société pour ancrer leur haine dans l’espace public.
 
              Le Comité du 9 Mai (C9M) est un groupuscule néonazi français qui organise chaque année à Paris une manifestation en hommage à Sébastien Deyzieu, un militant décédé en 1994 lors d'une mobilisation d'extrême droite. Cette marche, qui rappelle les rassemblements fascistes de l’Italie mussolinienne, réunit divers courants et groupuscules issus de l'extrême droite française, ainsi que des militants fascistes et néonazis venus de plusieurs pays. Malgré les tentatives d’interdiction portées par des associations antiracistes et d'autres acteurs antifascistes, le C9M a, à plusieurs reprises, obtenu des décisions du tribunal administratif lui permettant de défiler dans l’espace public parisien.
Une panoplie de symboles fascistes et nazis
Dans leur cortège, les « manifestants » souvent vêtu de noir arborent de nombreux drapeaux frappés de la croix celtique — un symbole dont l’un des premiers usages politiques remonte au nazisme — qui est devenu l’un des emblèmes les plus répandus de l’extrême droite. Il incarne une idéologie de suprématie blanche et de pureté raciale. En France, depuis les années 1970, cette croix est devenue leur symbole de prédilection : elle est utilisée non seulement comme emblème, mais aussi comme signature dans des actes de violence ou de vandalisme perpétrés par des groupes d’extrême droite.
Le C9M utilise également la « roue solaire » pour illustrer ses affiches et supports de propagande. À l’instar de la croix celtique, la roue solaire a été réappropriée à des fins politiques par les nazis. Aujourd’hui, elle est largement diffusée dans les milieux fascistes et néonazis, où elle accompagne fréquemment une iconographie inspirée directement du Troisième Reich.

Lors de leur parcours en ville, ces militants fascistes scandent des slogans tels que « Europe, Jeunesse, Révolution », inspiré du slogan fasciste du MSI italien « Europa, Nazione, Rivoluzione ». Ils arborent de nombreux symboles d'origine fasciste et nazie, dont la liste est extrêmement longue.
Dans cet élan de violence, certains militants présents dans la marche portent également des t-shirts appelant ouvertement à la guerre civile : « Au fusil, au couteau, nous imposerons l'Ordre Nouveau ». Cette phrase est extraite du chant allemand « Wir sind des Geyers schwarzer Haufen », repris par les nazis, et évoque directement le concept développé par le IIIᵉ Reich de Nationalsozialistische Europapläne und Neuordnung (Plan Européen Nationaux-socialiste et Ordre Nouveau). Ce concept est repris depuis 1969 en France par les militants du GUD et de L’Élite européenne, lors de la création du mouvement fasciste Ordre Nouveau.

L’expression de l’idéologie nazie par le C9M dans l’espace public et sur Internet est une constante. En 2020, l’affiche annonçant la marche néonazie représentait un portrait de Sébastien Deyzieu, surmonté d’une auréole qui est en réalité le Soleil Noir. Ce symbole, lié à l’occultisme nazi et, d’une certaine manière, à la glorification de la prétendue « race aryenne », fut intégré par Heinrich Himmler dans l’aménagement du château de Wewelsburg, destiné aux SS. Plus tard, en 2022, rebelote : sur l’affiche de la marche, on pouvait identifier « Le Garde », un bas-relief réalisé en 1940 par le sculpteur allemand Arno Breker, artiste officiel du Troisième Reich, reconnu et apprécié par Adolf Hitler. À cette sculpture de haine s’ajoute également la rune Tyr, un symbole désormais interdit dans l’espace public en Allemagne en raison de ses associations répétées au nazisme et au néonazisme.

En 2023, sur leur page Facebook (modifiée depuis), dans l’onglet "À propos", le C9M avait défini la page YouTube du canal néonazi "OuestCasual" comme leur site officiel. En visitant cette page, on pouvait constater que plusieurs vidéos faisaient ouvertement l’apologie de la violence et évoquaient des thématiques suprémacistes blanches - les « white boys » - notamment Kyle (tueur suprémaciste blanc américain), ainsi que le bataillon néonazi d'Azov. Leur nouvelle chaîne YouTube date d’avril 2025.

Étonnamment, en dépit de leur pedigree, les membres du C9M sont parvenus, à plusieurs reprises, à défiler dans les rues de Paris.
L’année dernière, plusieurs incidents ont été signalés, notamment des saluts nazis et des actes d’intimidation envers des journalistes.
Pour dissimuler leur visage, bien que la loi interdise cette pratique — souvent invoquée par la police pour procéder à des interpellations lors de manifestations de « gauche » —, de nombreux militants utilisent des cache-cous de la marque fasciste Reliqua. La créatrice de cette marque, Emma K., a publié en février 2021 sur Instagram une photographie d’un t-shirt frappé de l’icône de Sainte Geneviève, encadrée de deux baïonnettes Wehrmacht K98, armes emblématiques de l’armée allemande sous le IIIᵉ Reich.
Derrière le site du C9M se trouve un multi condamné
Les réseaux sociaux, ainsi que le site du C9M, servent à la fois d’outil de propagande et de plateforme de vente de produits destinés à financer la diffusion de discours haineux. Selon nos informations, le site est administré par Théodore R., développeur web employé chez Ether Creation à Chabellay, dans les Pays de la Loire.
On y retrouve les symboles haineux habituels du groupe, une boutique en ligne, ainsi que quelques petits textes à caractère militant. Dans l’un de ces textes, le C9M accuse des policiers en civil d’avoir « défenestré » Sébastien D. — une accusation d’homicide qui ne semble pas troubler les services de police, qui suivent pourtant très probablement les activités de ce groupuscule violent.
Théodore R., est connu des services de police et de justice.
Le 14 décembre 2019, en centre-ville du Mans, une quarantaine d’individus « au visage dissimulé », armés de « barres de fer, de battes de baseball et de matraques », saccagent plusieurs bars. Cinq personnes sont interpellées après les violences ; parmi elles, Théodore R., qui sera condamné pour cette affaire en 2020.
Théodore R. est à l’époque militant au sein du groupuscule raciste l’Alvarium, dissous le 17 novembre 2021 pour « faits de violences », « discours de haine assumée » et « incitation à la discrimination ou à la violence envers des personnes en raison de leur origine ou de leur religion ».

En 2023, Théodore R. est à la tête du cortège du C9M à Paris. La même année, à Angers, il participe à des violences contre plusieurs personnes venues manifester après la mort de Nahel. Il est alors condamné à huit mois de prison avec sursis.
Récemment, sur son compte LinkedIn, Théodore R. a partagé un post faisant la promotion du mouvement Chouan. Ce groupuscule né en 2023, dirigé par Jean-Eudes Gannat, recycle les mêmes logiques racistes et suprémacistes blanches que les anciens mouvements identitaires, en y ajoutant des éléments populistes et traditionalistes.
La riposte antifasciste s’organise
En 2023, Mediapart révélait que plusieurs violences avaient eu lieu après la manifestation du Comité 9 mai. Le soir même, les militants ont clôturé la journée avec un concert néonazi dans la salle Simone Veil à Saint-Cyr-l’École (Yvelines), un lieu en hommage à la rescapée de la Shoah, comme le relatait également Mediapart.
L’an dernier, à la dernière minute, le tribunal administratif a autorisé ces néonazis à défiler dans les rues de Paris. Cette année, une cinquantaine de collectifs et d’associations s’organisent pour empêcher les néonazis d’imposer leur présence à nouveau dans l’espace public.
Des collectifs féministes comme Nous Toutes ou la Relève Féministe, aux comités de soutien à la Palestine, associations antiracistes, écologistes, LGBTQIA+, anti-impérialistes ainsi que les personnes sans papiers se sont rassemblés pour créer un front unitaire et dire non à la marche néonazie à Paris. Pour les organisateur·ices de la contre-manifestation, « le C9M incarne bien plus qu’un simple rassemblement de militants néonazis : il symbolise la résurgence d’une idéologie néo-nazie violente, masculiniste, raciste et décomplexée, qui cherche à banaliser la haine et à légitimer la violence ».
Pour Reflets, l’organisation indique que le point de rendez-vous est fixé à Port-Royal, précisément là où démarre traditionnellement la marche du C9M. La provocation est totale, d’autant plus que l’année dernière, des collectifs antifascistes, syndicats, partis politiques et associations avaient organisé un « Village Antifasciste » place du Panthéon. Malgré la richesse de cette initiative, la marche du C9M a tout de même eu lieu, avec une participation en hausse, nous expliquent les organisateur·ices.
Cette année, « notre initiative de la Marche Antifasciste et Antiraciste du 10 mai, empruntant le même parcours, le même jour et à la même heure que le défilé du C9M, constitue pour nous une prise de position frontale, quoique pacifiste ».

Ces dernières années, notamment avec la montée du score du Rassemblement national, plusieurs médias indépendants ainsi que des collectifs antifascistes ont pu constater et documenter que l’extrême droite se sent de plus en plus légitime à occuper l’espace public. La « Marche sur les fachos » vise à dénoncer non seulement ce que représente le C9M en tant que mouvement politique néonazi, mais aussi leur stratégie globale : « fracturer la société pour en faire un terrain favorable à des forces réactionnaires ». Leurs objectifs, continue l’organisation antifasciste, « ne s’arrêtent pas à ce rassemblement annuel ; ils visent à construire un ordre autoritaire, fondamentalement incompatible avec nos acquis démocratiques et nos valeurs de solidarité, de justice et d’égalité ».
Le préfet, Laurent Nuñez a annoncé lundi que la préfecture allait interdire le défilé néofasciste et le défilé anti-fasciste par crainte des « affrontements ». Reflets a interrogé les organisateur·ices sur l’interdiction préfectorale de leur marche. Leur réponse est sans équivoque : « Nous ferons appel de cette décision pour défendre notre droit à manifester. » Ils ajoutent : « Notre objectif est de maintenir une manifestation pacifique et respectueuse des valeurs de solidarité et d’égalité. Notre vision à long terme est celle d’une mobilisation continue contre l’extrême droite et le fascisme ».
Making of
Contacté sur son portable et sur son adresse mail, Théodore R. n'a pas répondu à nos questions.