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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

La bataille contre l'extrême-droite est elle perdue ?

Internet a raté sa mission

Le réseau devait offrir à tous le savoir et la culture. A l'inverse, il véhicule la désinformation - souvent produite par l'extrême-droite - et lui donne un sceau de respectabilité. On est passés de « c'est vrai puisque c'est dans la presse » à « Je l'ai vu sur Internet en faisant mes propres recherches ». Les idées de l'extrême droite ont percolé dans toutes les couches de la population. Les micro-polémiques permanentes ruinent les efforts de ceux qui tentent de démonter le discours ambiant.

Lucie Castets
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Deux jours. Lancée début août par le Canard Enchaîné et abondamment relayée par la droite et l'extrême-droite, la micro-polémique sur Lucie Castets et son engagement politique pendant ses vacances a duré deux jours. C'est un parfait exemple qui démontre que la bataille contre l'extrême-droite est désormais perdue.

Deux jours où les médias complaisants ont relayé à la Une les inepties de la droite sur le fait qu'il s'agirait d'un détournement d'argent public, les dénégations de la gauche et les pensées profondes vides des éditocrates. Deux jours.

Pendant se temps-là, le monde continue de s'écrouler. Les effets du réchauffement climatique ou l'effondrement lent mais inéluctable de l'économie française ont péniblement atteint le niveau des brèves en fin de journal tandis que les massacres israéliens à Gaza et les bombardements russes indiscriminés en Ukraine généraient quelques lignes.

Les mêmes médias n'ont étonnamment pas traité avec le même acharnement les dîners organisés par Laurent Wauquiez au frais de la région (lire la liste des invités ici) ou le rapport de la Cour des comptes sur les réceptions somptuaires organisées par Emmanuel Macron aux frais des contribuables. La presse serait-elle de droite ou opposée à la gauche ?

Au delà des chaînes de télévision d'information en continu qui lobotomisent lentement mais surement la population, Internet et ses « réseaux sociaux » jouent un rôle prépondérant dans la banalisation et l'acceptation des théories fumeuses de l'extrême-droite, des fake news et de la montée en puissance des micro-polémiques qui saturent totalement l'espace médiatique, empêchant tout débat démocratique sur les sujets de fond.

Il pleut de la fake news comme à Gravelotte et les factcheckers s'épuisent à les démonter. L'effort de submersion de ces chercheurs de « vérité » est tel que des bots viennent désormais leur demander en DM de vérifier telle ou telle rumeur (qui généralement n'existe pas), histoire de leur voler du temps. Ou peut-être pour les détourner de fakes news lancées par ceux qui gèrent ces bots ?

Les discussions dans les groupes Telegram de l'extrême-droite extra-parlementaire montrent un effort concerté pour faire de l'astroturfing avec le moindre événement pour servir le camp de la haine et la guerre civile « ethnique » qu'ils appellent de leurs vœux. Il ne va pas falloir attendre longtemps pour que des fermes à trolls fabriquent à la chaine des contenus permettant ces campagnes d'astroturfing. C'est un peu la même méthode que sur CNEWS où un fait divers va être monté en épingle pour tenter de faire croire aux auditeurs qu'il s'agit d'une tendance généralisée. C'est le cas par exemple dès qu'un mineur est impliqué dans une violence. L'extrême-droite, et donc CNEWS voudraient faire croire à un « ensauvagement » de la jeunesse alors que les professionnels expliquent qu'il n'en est rien. Mais sont-ils entendus ? En tout cas ils ne sont certainement pas reçu aussi longtemps sur les antennes des chaînes de télé d'info en continu que les tenants de « l'ensauvagement ». Dans l'univers de la droite et de l'extrême-droite on aime avoir peur, on aime faire peur. Car la peur est un carburant puissant qui attise la haine. Et la haine mène l'extrême-droite au pouvoir...

La peur valide tous les comportements, même les pires. - CC
La peur valide tous les comportements, même les pires. - CC

Les émeutes racistes déclenchées par l'extrême-droite en Grande-Bretagne sont un cas d'école. Tous les groupes français d'extrême-droite suivent d'ailleurs avec grande attention ce qui se passe outre-Manche. Les émeutes racistes ont débuté après meurtre de trois fillettes lors d’une attaque au couteau, lundi 29 juillet à Southport, dans le nord-ouest de l’Angleterre. L'auteur est un jeune homme de 17 ans originaire de Cardiff. Ses parents sont rwandais et certains ont immédiatement affirmé sur les réseaux sociaux qu'il s'agissait d'un « immigré musulman ». L'extrême-droite a surfé sur cette fake news et la violence s'est déchaînée dans la rue, certains allant jusqu'à attaquer des mosquées ou à mettre le feu à des hôtels dans lesquels vivent des réfugiés. L'auteur des faits est en fait catholique pratiquant. Il était même enfant de coeur dans un église locale.

Les groupes d'extrême-droite extra-parlementaire pensent qu'il s'agit là du début de cette « guerre civile raciale » qu'ils appellent de leurs vœux, espérant en sortir vainqueurs et au pouvoir.

Comment lutter contre cette pluie de fake news qui inonde les écrans du matin au soir ? A quelle vitesse peut-on démonter une fake news et quel est le pourcentage de personnes initialement contaminées qui se rendent compte de leur erreur ?

Cette bataille des idées et de l'information semble perdue aujourd'hui, notamment parce que la vitesse de circulation de l'information est devenue monumentale grâce aux réseaux sociaux. Et comme les biais de confirmation fonctionnent parfaitement, les fake news gagnent à chaque fois.

Ce qui n'augure rien de bon sur un plan politique car outre l'avènement d'une Idiocracy puissance 10, cela laisse penser que l'extrême-droite au pouvoir, c'est pour demain, ou après-demain.

Comment la gagner la bataille des idées lorsque du côté du camp de la haine, il n'y a justement ni idées, ni réflexion, ni argumentation.

On lutte ici contre la haine, une pulsion peu raisonnée, pas contre des idées politiques. Comment argumente-t-on contre la haine ? Qui peut être utile dans cette lutte ? Quel devrait-être le rôle de l'État ?

Si vous avez des idées, nous sommes preneurs pour lancer une réflexion démocratique et sociétale.

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