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Édito
par Rédaction

Un sombre avenir

La « lepénisation des esprit » est achevée

L’expression de Robert Badinter utilisée lors du vote de la loi Debré sur l’immigration en 1997 n’a jamais été autant d’actualité. Mêlée à un complotisme rampant, une inversion du sens et à un niveau de désinformation inédit, nous sommes à la veille d’une catastrophe.

Interview accordée par Emmanuel Macron à Valeurs Actuelles - Copie d'écran

Il faut une force d’esprit en béton armé ces temps-ci pour résister. Résister à plonger dans les discussions trollesques sans fin. Faut-il ou non défiler avec le Rassemblement national ? La gauche est-elle antisémite ? Est-ce que ne pas soutenir le massacre des civils dans la bande de Gaza, c’est être antisémite ? Est-il normal, comme le fait le Sénat, de priver les populations d’allocations familiales (pas avant cinq ans de résidence sur le territoire) ? Et supprimer l’aide médicale d’État (AME), limiter le regroupement familial ? Toutes ces questions n’en sont pas. La réponse, il y a moins de trente ans, aurait été évidente et personne n’aurait pu la poser sans être perçu comme un ultra-conservateur, limite réactionnaire ou facho. C'est-à-dire, faisant partie d'une minorité politique réprouvée. Ce n'est visiblement plus le cas. Il faut une force d’esprit en béton armé pour ne pas vaciller, pour rester fidèle à une vision du monde répondant à une éthique humaniste, pour ne pas se laisser aller à la colère. Car jour après jour, même ceux que l’on pensait les plus posés distillent des messages qui suintent la haine, l’anathème. Tout cela ne s’est pas fait en un jour, mais il faut bien le constater, tout s’accélère. La lepénisation des esprits est achevée. Et avec elle s’est installée une polarisation complète de la population. Tout le monde s’étripe sur tout. Il n’y a plus de gauche et de droite, plus d’extrême-gauche et d’extrême-droite. Il n’y a plus d’idées, de courants de pensée. Il n’y a plus qu’une grande foire d’empoigne en mode « chacun pour soi ». Et ce qui reste cantonné pour l’instant aux réseaux sociaux, va probablement déborder dans la rue et dans les urnes. Reste à savoir quand et ce qui en ressortira.

Comment tout cela est-il arrivé aussi vite ? Grâce au chaudron puant. Les responsabilités sont multiples. Nous avions décrit dès 2016 la mutation qui était en marche. Elle s’est accélérée et plus rien ne semble pouvoir l’arrêter.

Les politiques remplissent le chaudron et aucun ne souhaite, ou ne parvient, à s’élever au-dessus des remugles de la potion glauque qui se prépare. Entre complotisme, mensonges répétés, perte de sens de la parole politique, reprise à peine dissimulée des propositions de l’extrême-droite dans les textes défendus par la gauche, puis le centre et la droite, comment ne pas envisager le pire ?

La presse tente pour sa part de survivre en cherchant le buzz permanent. Il est loin le temps où elle tentait de donner les clefs d’un monde complexe pour que les citoyens puissent prendre des décisions éclairées. Pire, une grande partie de la presse et de l'édition sont désormais aux mains d’un milliardaire qui ne cache pas son jeu. Il soutient activement les idées rances des pires politiques.

Les citoyens eux, souvent par paresse, se laissent embarquer dans la fabrication de cette potion. Le populisme est glorifié. Les discours simplistes s’imposent : « mais c’est bien sûr, pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ! ». Ils s’abreuvent de vide auprès de chaînes dites d’information en continu dont la seule œuvre et de contribuer à la polarisation des débats et de la société. On a mal à nos cartes de presse…

Les idées fondent

La zone de confort dans laquelle on pouvait se situer pour ne pas être classé à l’extrême-droite a fondu. C’est même un peu plus complexe que cela et la « lepénisation des esprits » ayant atteint un niveau inégalé, il est désormais possible d’égrener des idées d’extrême-droite en se disant d’un courant politique autre : « Je suis de gauche, mais je pense que les immigrés sont la cause du terrorisme ». Tout se fond dans le chaudron puant…

La dédiabolisation a fonctionné. Au-delà sans doute de toutes les espérances de Marine Le Pen. Nous avons désormais un ministre de l’Intérieur qui a travaillé pour un organe de presse d’extrême-droite (tendance Action française) tout en se disant ni de droite ni de gauche. Tout est possible. On peut défiler avec le Rassemblement national (RN) contre l’antisémitisme. Le RN, nouveau nom du Front national… un parti fondé notamment par d’anciens SS et miliciens. On peut se dire de gauche et aller déblatérer sur CNews. On peut être dans un gouvernement ni de droite ni de gauche et donner des interviews au Journal du dimanche, piloté par l’extrême-droite. Ou même être le président du pays, se dire ni de droite ni de gauche et trouver légitime d’accorder une interview à Valeurs Actuelles.

Dans un monde qui devient de plus en plus binaire, où la voie du milieu, de la subtilité et de la nuance sont considérées comme de la tiédeur, paradoxalement, tout se vaut. On peut être aux responsabilités et affirmer que Marine Le Pen est « un peu tiède », que la gauche est un danger pour la démocratie tout en laissant défiler les néo-nazis dans les rues de la capitale et des principales villes de France. On peut même observer la première ministre accuser un parlementaire LFI de comparer l’usage du 49.3 à la Nuit de cristal alors que c’est complètement faux tandis que les nervis d’extrême-droite multiplient, eux, les ratonnades et les violences dans les rues à Lyon ou ailleurs…

Il y a là comme une sorte d'acmé. Tout a commencé avec Nicolas Sarkozy pour qui il fallait absolument « cliver » en permanence afin d’être au cœur des débats. La dystopie macroniste qui a été mise en place dans le but de conserver le pouvoir sans base électorale, n'a fait qu’aggraver la situation.

Non, vraiment, qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?

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