C9M : La nébuleuse de la haine
Une infographie terriblement inquiétante
Néonazisme, fascisme, racisme, suprémacisme blanc : les groupes réunis au sein du C9M à Paris ont déjà un lourd passif. Des actions anti-LGBT, des agressions racistes, des tabassages de militants progressistes, des attaques contre des lieux associatifs... Nombre de leurs membres ont déjà été jugés et condamnés.
Le Comité du 9 Mai (C9M) est une organisation structurée au sein de la mouvance néonazie et néofasciste française, qui organise depuis des années à Paris une marche en hommage à Sébastien Deyzieu, un militant d’extrême droite décédé en 1994. Ce dernier participait à une manifestation un peu particulière quand il a fait une chute d’un toit en tentant d’échapper à la police. Comme l’explique La Horde : « le 7 mai 1994, pour protester contre le cinquantième anniversaire du débarquement américain en Normandie, le GUD et les Jeunesses nationalistes Révolutionnaires (JNR) de Serge « Batskin » Ayoub appellent à une manifestation place Denfert-Rochereau à Paris, la fin de la présence nazie en France et en Europe signifiant pour eux le début de la "véritable occupation" (sic) ; des militants de l’Œuvre française mais aussi du Front national de la Jeunesse (structure jeune du Front national) sont également présents ».
Le choix d’un hommage funéraire, ritualisé chaque année par une marche en plein Paris, ne défie pas seulement la démocratie ; il constitue aussi un coup de force pour tester les seuils de tolérance institutionnelle face à la normalisation des idéologies racialistes. Cette marche permet également à ces groupes de construire une mythologie victimaire, destinée à renforcer la cohésion idéologique de la mouvance néonazie et néofasciste en France, dans une action militante soigneusement mise en scène. Cette année, le journal Libération a pu documenter une partie de ces rituels aux allures fascistes, notamment l’hommage organisé dans la cour de l’immeuble de la rue des Chartreux (VIe arrondissement de Paris), où est décédé Sébastien Deyzieu. Sans surprise, plusieurs participants ont été filmés en train d’exécuter le salut nazi.
Sur le plan idéologique, ce que l’on observe, c’est un dépassement des clivages traditionnels. La manifestation réunit un large arc de l’extrême droite radicale française, allant de militants royalistes et catholiques intégristes à des groupes explicitement néonazis, en passant par des identitaires suprémacistes blancs et des nationaux-révolutionnaires. Le GUD, malgré sa dissolution, continue de jouer un rôle actif dans l’organisation de l’événement à travers ses anciens membres.
Ainsi, le C9M organise aujourd’hui un événement qui se veut une « convergence entre diverses tendances radicales », souvent en conflit idéologique ou stratégique, mais capables de s’unir autour d’une mémoire commune — celle de Sébastien Deyzieu — et surtout autour d’une haine partagée des valeurs démocratiques, antiracistes et multiculturalistes. Le C9M est un coup de communication qui arrange tout le monde, y compris à l’international, où il sert également de rouage dans les dynamiques de recrutement.
Luminis Paris, la Bastide Bordelaise, Tenesoun, L’Oriflamme Rennes… plus de 40 groupes d’extrême droite ont participé à la marche néonazie du C9M. À plusieurs reprises, Reflets a enquêté sur cette nébuleuse de la haine qui s’organise sur Telegram pour préparer une guerre civile, faire l’apologie du terrorisme et lancer des « coups de com » identitaires. Leur seul objectif : stigmatiser les étrangers, les minorités de genre et les personnes non blanches.

Selon la préfecture de police de Paris, plus d’un millier de militants d’extrême droite ont participé à la marche néonazie. Parmi eux, plusieurs figures bien connues du fascisme français ont pu être identifiées : le néonazi Marc de Cacqueray-Valménier — un protégé de Bolloré — ne prennent même plus la peine de dissimuler leur visage. Reflets a également pu identifier Thomas Bègue, ancien du Parti de la France, ainsi que Christian Bouchet, écrivain fasciste, référence du courant national-révolutionnaire (GUD), passé par le FN et éditeur aux éditions Ars Magna.
Au pas des fachos, brandissant un drapeau, on retrouve aussi l’avocat des fascistes, pétainistes et néonazis : Pierre-Marie Bonneau, « Ce quinquagénaire a notamment défendu l’antisémite Alain Soral, le néonazi breton Boris Le Lay, ainsi que les négationnistes Hervé Ryssen et Robert Faurisson», rappelle StreetPress.
Au total Reflets a identifié plus de 60 militants. Leur « portfolio » est bien connu non seulement des militants antifascistes, mais aussi des services de police. Parmi eux, Jean-Eudes Gannat, propulsé « porte-parole » du C9M, qui, lors de la marche, accuse celles et ceux qui osent les critiquer de « venir faire le buzz ».
Des groupes souvent connus de la justice pour des violences
Parmi les groupuscules extrémistes présents à la marche néonazie du C9M et leurs membres ayant été acteurs de violences, on compte :
Marc de Cacqueray (Zouaves Paris) condamné pour violences en réunion.
Maxime Sanial (Les Arts enracinés) Salut nazi.
Les lions des flandres (Lille).
Tristan Arnaud (Clermont non conforme - Clermont Ferrand) condamné à de la prison ferme.
Clermont non conforme (Clermont-Ferrand).
Hussards Paris (Paris).
François-Aubert Gannat (ex de l'Alvarium à Angers) condamné pour des violences.
Gaspard Beaumier (Red Angers), condamné pour des violences.
Daniel Beaussier (ex Alvarium à Angers), jugé pour une banderole antisémite et anti IVG a été relaxé.
Xavier Maire (GUD, Bastion Social Strasbourg, Zouaves Paris) a été condamné pour violences à Strasbourg.
Jules B. (Remes Patriam) à Reins.
Alexandre R. (Zouaves Paris)
Jayson Pétinay épinglé pour ses posts racistes et suprémacistes.
François Delagrande, ancien militaire du 13e bataillon de chasseurs alpins, militant néonazi originaire de Chambéry (ex Bastion social,, ex-Edeilweiss), qui se fait surnommer « Frankreich », condamné en juin 2020 à une peine de 18 mois de prison dont 12 avec sursis pour avoir tabassé un militant antifasciste de 17 ans.
Franck Cuter (ex Bastion social,, ex-Edeilweiss) : attaque avec F. Delagrande, d'un concert organisé par la Fédération anarchiste en 2017 à Chambéry. Rappel à la loi (idem pour Delagrande).
Julien Chivoret (GUD, Unité radicale), condamné à 24 mois dont 12 fermes pour avoir fracassé un individu qu'il soupçonnait d'être de gauche.
Bloc montpelliérain (Montpellier) mis en cause dans des violences en 2024.
Vandal Besak (Besaçon) : mis en cause dans des agressions transphobes et des descentes racistes.
Patria Albiges (Albi) : condamnations pour provocation à la haine.
Quentin Laferté et Enzo Lebrun (Bordeaux) : Jugés devant le tribunal correctionnel de Bordeaux pour des faits de violences, d’injures publiques, de provocation à la haine et à la violence, ainsi que de dégradations commises lors de la Marche des Fiertés en 2022, l’un des sept prévenus a été condamné en 2023..
Liste non-exhaustive.
Soutien international
Depuis longtemps, est évoqué le développement d’une internationale néonazie. Aujourd’hui, entre les sports de combat comme le MMA, les Active Clubs, les marches néonazies et néofascistes, ou encore les rencontres partisanes internationales à Madrid, l’extrême droite parlementaire et extra-parlementaire — et en particulier les racistes qui revendiquent ou flirtent ouvertement avec l’héritage du nazisme — semble très bien se porter.
Le C9M s’inscrit dans cette dynamique transnationale. Il devient un événement de plus qui permet aux militants allemands de la Revolutionäre Nationalistische Jugend (Der Dritte Weg ou de Heimat) de rencontrer leurs homologues français. Ces derniers croisent également la mouvance paramilitaire de Légió Hungária, les italiens de Forza Nuova, les rexistes Bourguignons de Belgique ou les espagnols néonazis de Devenir Europeo, qui n’ont pas hésité à effectuer des saluts fascistes et/ou nazis dans la cour de l’immeuble parisien où se tient l’hommage annuel.

Symboles néofascistes et néonazis dans l’espace public
L’analyse iconographique de la marche du C9M révèle une présence marquée de symboles explicitement nazis, d’origine fasciste, ou issus d’une graphisme historique et culturelle détournée à des fins racialistes et suprémacistes blanches. Parmi les drapeaux, écussons et insignes arborés lors de la marche, plusieurs font directement référence à l’imagerie du IIIe Reich : une croix gammée tatouée sur le bras d’un militant espagnol, des Soleil noir (Schwarze Sonne), la Totenkopf (tête de mort des SS), ainsi que des runes germaniques – notamment la rune Algiz et la rune Odal – ou encore des symboles issus de la culture nordique, comme le Valknut et le Vegvisir, hélas fréquemment réutilisés dans les milieux néonazis et néofascistes contemporains.

Reflets a pu déceler plus d’une trentaine de signes et d’insignes renvoyant à des groupuscules en activité dans l'hexagone, tels que les symboles du bataillon néonazie d'Azov (Ukraine) ou encore des références au réseau néonazi international Blood & Honour, fondé au Royaume-Uni. L’usage de ces codes graphiques permet une reconnaissance mutuelle entre militants, tout en constituant un signal politique explicite adressé à leurs adversaires et aux institutions. Il est important de comprendre que si certains de ces néonazis appartiennent à l’extrême droite radicale, beaucoup votent aussi pour le Rassemblement national et participent à ses meetings. D’autres ont même rejoint ses rangs.

Cette normalisation croissante de signes historiquement associés à des organisations ayant commis des crimes contre l’humanité ne semble pas suffire à entraîner l’interdiction du rassemblement du C9M. La liberté d’expression inclut-elle désormais la possibilité, pour des néonazis, d’exprimer publiquement leur vision du monde raciste ?
Re-stigmatiser l'extrême droite
Portée par une stratégie de "dédiabolisation", l’extrême droite parvient progressivement à effacer les stigmates historiques qui lui étaient autrefois associés : racisme, antisémitisme, xénophobie, homophobie, sexisme, culte de la violence et de l'autoritarisme. Le refus de nommer clairement l’extrême droite pour ce qu’elle est, ou le fait de la mettre sur le même plan que l’extrême gauche pour des intérêts électoraux, alimente un confusionnisme dangereux. Ce brouillage idéologique affaiblit les "repères démocratiques" et permet à la haine de se multiplier et se diffuser plus largement.
La montée de l’extrême droite n’est pas une abstraction intellectuelle : elle s’accompagne d’une recrudescence d’agressions racistes, antisémites, homophobes, de violences contre des militants politiques ou associatifs, ainsi que d’intimidations et de harcèlement en ligne. Enfin, la re-stigmatiser, semble aussi faire œuvre de mémoire, surtout, à l’heure où des symboles néonazis réapparaissent ouvertement dans des manifestations. Reflets propose une infographie pour rappeler ce qu’est le C9M et identifier quelques dizaines de ses figures militantes les plus actives et leurs respectives groupes.

Making of
Reflets a pu échanger avec plusieurs militants et groupes antifascistes sur la marche néonazie du C9M : Raaf-Angers ; AGA-Reims ; CAO-Orléans, TAF-Tours, VISA 73, etc.