Homophobie, appel à la haine : peut-on rire avec Papacito ?
C'est dur
Le Youtubeur Papacito, Ugo Gil Jimenez de son vrai nom, a comparu mercredi 28 février devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour « provocation à la haine », « injures publiques à raison de l’orientation sexuelle » et « provocation non suivie d’effet à une atteinte volontaire à la vie aggravée ». C'était la première fois qu'il comparaissait devant une juridiction pénale. Le parquet a requis six mois de prison avec sursis. Le tribunal rendra sa décision le 28 avril.
Papacito aime pêle-mêle : les chevaliers, le moyen-âge, les paysans, la chasse, les bons gros blasons occitan et la justice, mais pas la justice « des tarlouzes » qui se rend à coup d’articles, plutôt celle de l’ancien temps qui se rendait à coup d’épées. Papacito n’aime pas : la modernité, la corruption des élites, la République, le maire du village de Montjoi, les fouines (parce que c’est tordu), les sangliers (parce qu’il est chasseur) et les homosexuels (il s’en défend). Ces constats résultent du visionnage attentif de longues vidéos postées par le YoutuBeur toulousain de 38 ans, agitateur nationaliste, royaliste, influenceur d’extrême-droite et amateur inconditionnel de « gaudriole » un peu trash dans lesquelles ce sont toujours un peu les mêmes qui prennent des coups, en l’occurence ici la communauté LGBTQI+, les anglais et le maire de Montjoi.
Ces visionnages ont été imposés par le procès de Ugo Gil Jimenez, alias Papacito, assis devant à droite de la grande salle d’audience, dont on aperçoit le profil : une barbe taillée, des grandes lunettes fumées à monture épaisse et un crâne tout à fait lisse. Tout cela surmonte un corps robuste de 192 cm enrobé d’une longue chemise en Denim, ce qui, couplé aux lunettes, donne incontestablement un côté fashion victim au prévenu.
Papacito tourne deux vidéos, en novembre 2022 et mai 2023, dont sont extraits les cinq passages qui lui valent d’être jugé ce jour. On le retrouve dans la première vidéo, « Le paysan, le maire et le lord », sur un chemin communal au coté d’un géant à béret, l’éleveur de cochon Pierre-Guillaume Mercadal, en conflit très ouvert avec le maire Christian Eurgal, puisqu’il a été condamné en juin 2022 pour violences et séquestration de l’édile (5.000 euros d’amende avec sursis). Une sombre histoire qui, racontée par Papacito, devient un conte mêlant un lord anglais corrupteur d’un maire au bras long soutenu par la presse et la région, et un honnête paysan spolié.
« La confrontation entre un éleveur de cochon du sud ouest et la grande bourgeoisie itinérante »
En fait, un riche écossais en conflit de voisinage avec l’éleveur de cochon, pour une histoire de droit de passage sur un chemin communal. Papacito flaire l’histoire, dit-il lui même à la barre lorsqu’il est interrogé : « La confrontation entre un éleveur de cochon du sud ouest et la grande bourgeoisie itinérante, des personnalités caractéristiques porteuses de thématiques absolument très parlantes ». Évidemment, il apporte sa touche personnelle au scénario.
Sans le moindre contradictoire, le Youtubeur narre l’histoire du paysan écrasé par les élites corrompues, dans un langage injurieux et menaçant. Les dizaines de lignes extraites qui font l’objet des poursuites, trop longues à reproduire, usent de toute la palette lexicale homophobe pour fustiger la corruption supposée du maire de Montjoi, qui détournerait des sommes importantes à son seul profit, comme tous les politiques, dit-il en substance, vive le moyen-âge, une « meilleure époque pour les paysans », affirme-t-il sans rire. Filmé sur le chemin communal devant l’arrêté litigieux placardé, il s’emporte contre les « tarlouzes », les « pédés », les « fiottes », les « déviants » à qui ont infligeait les pires supplices à l’époque bénie du moyen-âge. Le style est répétitif et ponctué d’invectives, lourd et agressif. C’est un one man show énervé d’un pseudo défenseur de la paysannerie dans laquelle la nuance n’est pas convoquée. Succès phénoménal et force de frappe incroyable. Cette vidéo est suivie d’un appel aux dons pour l’éleveur. La cagnotte atteint 276.000 euros. L’éleveur de cochons est sauvé. Il se pavane.
Six mois plus tard, Papacito et Mercadal, galvanisés, tournent une deuxième vidéo (« Infestation de fouines à Montjoi ») qui met en scène des fouines. La fouine champêtre est représentée par une personne portant un costume de mascotte fouine, qui sautille un peu partout en poussant des petits cris psychédéliques. La fouine municipale, c’est le maire. La fouine en costume est pourchassée par Papacito et ses amis, présentés comme des psychopathes ultra violents et qui coincent la fouine avec leur pick up surmontés de drapeau occitan dans une carrière de pierre. A la fin de la vidéo, Papacito dit qu’on ne peut pas la tuer car elle est franc-maçonne, et que c’est une espèce protégée par la République. Puis, la fouine est violée par un participant à l’arrière d’un 4x4, et s’effondre au sol, inerte.
La fouine est une « allégorie fictive de la corruption républicaine ». L’avocat du maire, partie civile, demande au prévenu : « Quelle est la nature du message quand la fouine est tuée et sodomisée morte ?
« C’est le plaisir coupable de voir une représentation de la corruption républicaine en la dégradant, et on ne la dégrade pas en lui jetant des fleurs, on la dégrade en le sodomisant. »
« L'univers de la gaudriole est inévitablement identifiable »
Pour le parquet et à première vue, il est évident que que cette fouine sodomisée et passée à tabac par Papacito et ses amis, représente le maire soi-disant corrompu, Christian Eurgal. L’intéressé le pense aussi. Il a très mal vécu cette affaire, qui lui a valu un déferlement de haine sur les réseaux, car Papacito avait 200.000 abonnés avant que Youtube ne ferme sa chaîne et parce que sa communauté très virulente a gobé tout son récit. Car Papacito est un tribun du Web dont le discours simpliste et manichéen fait florès auprès d’un public peu adepte de rigueur intellectuelle et de vérification des faits.
On a tagué sa maison et on l’a menacé de « sortir la trancheuse ». Pierre Mercadal a déposé un cochon mort dans son bureau. Christian Eurgal est aujourd’hui sous anxiolytique, menacé physiquement par les aficionados de Papacito, dont ce n’est pas le problème, répète-t-il à l’audience, si le public prend ses vidéos comiques au pied de la lettre. Car tout cela est de l’humour, explique-t-il doctement avec sa faconde méridionale :
« Il me semble évident que l’univers de la gaudriole est inévitablement identifiable avec les montages, la convocation d’une mascotte gaguesque, des bruitages. » Alors qu’il ne fait que s’inscrire dans la continuité de La Fontaine, dit-il sans rire, « j'ai fait énormément de garde à vue, subi la confiscation de mes outils de travail, la destruction de ma chaîne Youtube. »
D’ailleurs : « je souligne que dans cette vidéo ce qui est attaqué c’est la forme et pas le fond, la corruption. On va s’appuyer sur cet excès de la forme pour empêcher le fond de ressortir. D’ailleurs dans une des qualifications on me reproche non pas les 21 lignes retenues, mais on mon reproche de parler. Tout ça est très lourd pour une simple satire avec une mascotte de fouine. On est sur des codes très rustiques avec tous les excès de langage que je sers autant aux autres qu’à moi-même. Je m’adresse à une communauté que j’ai constituée autour de ces codes, que je réaffirme dans les vidéos », explique-t-il.
Le rire est le propre de Papacito et de ses amis, surtout celui qui rabaisse, humilie, menace. C’est un moyen pour promouvoir des idées et mener des combats tout en se prévalant de gaudriole et de bouffonnerie, tout comme la convocation du moyen-âge et de la guerre de cent ans est une excuse pour menacer de mort un citoyen anglais. La politique sous le couvert du folklore. Un moyen pour prêcher la haine et la violence, produire de la subversion en se prévalant de liberté d’expression.
Papacito prévenu ne nie pas son dessein politique. Il se défend de toute « croisade » contre le maire, même s’il pense avoir mis au jour un système de corruption véritable et réaffirme en fin d’audience : « Et je le redis devant ce tribunal que Monsieur Eurgal est corrompu, j’attends la plainte en diffamation ». Il a fait ça pour aider un ami. « Mon ami Pierre Mercadal n’arrivait pas à se faire entendre d’un point de vue médiatique, l’affaire n’arrivait pas à émerger. Quand on n’a pas d’argent ni de média, comment faire émerger un scandale ? La provocation, l’outrance, ce qu’on appelle le buzz ».
– Est-ce que vous souhaitez faire passer un message en particulier ? Est-ce un travail artistique pur ou y’a une intention derrière ?, interroge la présidente.
« Moi, mon parti pris, c’est la confrontation de la modernité dans ses plus grands travers avec un passé fantasmé, un moyen-âge que j’estime meilleur pour les gens comme nous. Je suis la pour porter la voix de la ruralité ».
– D’accord, il semble que pour porter ces idées vous ayez besoin de mettre en valeur des oppositions.
« L’opposition est toujours fédératrice. On est marqué par des antagonismes, je ne suis pas un individu pour la conciliation, j’aime la confrontation parce qu’elle fait partie de la prise de risque et de faire des choix. Je ne viens pas m’amender je viens expliquer que nous avons le droit de nous exprimer avec nos codes ».
– Est-ce que vous aviez mesuré toutes les conséquences ?
« Quelle est ma marge de manoeuvre ? Aucun journaliste n’a voulu parler de cette affaire là. J’ai essayé de faire un ersatz de documentaire pour que médiatiquement l’affaire sorte. Des personnes voient cette vidéo et décident de faire des actes nuisibles, mais c’est un substrat minoritaire au regard des chiffres que j’ai fait, qui ont décidé d’aller faire des bêtises. »
« On est dans l’esthétique de la violence »
Parmi ces codes, l’homophobie, champ lexical central de l’invective dans la réthorique Papacitienne, employée contre ceux qu’il souhaite dégrader, écraser, combattre. La présidente l’interroge : Comment expliquez vous l’homophobie ? « Ça fait partie du style très rugbystique. De la même manière que les interjections (le « con » toulousain), ici le mot ‘pédé’ arrive parce que c’est un vocable très rattaché à un milieu. On en fait des caisses là-dessus mais y’a pas d’appel à faire quelque chose aux homosexuels ».
– Et la déviance ?
« Elle est prêtée à la République, pas à quelqu’un. »
– Vous parlez de l’arrêté municipal à ce moment.
« On est dans l’esthétique de la violence, dans l’outrance, il n’y a pas de développement homophobe en particulier. »
L’avocat de quatre associations contre l’homophobie, parties civiles, lui demande : « Est-ce que vous pensez qu’il y a des personnes homosexuelles qui vivent en milieu rural ? »
« Je pense qu’il y en a qui vivent dans tous les milieux. », répond Papacito.
« Comment pensez-vous qu’ils vont ressentir les propos ? »
« Je pense que les personnes LGBT qui sont rompues au sud-ouest, ils sont habitués. »
« Ce n’est pas la première fois qu’un prévenu dit à la barre que le terme pédé n’est pas homophobe. Mais Papacito, un de ses derniers mots est ‘on le dégrade en le montrant sodomisé’, eh bien je crois qu’on a là une confession sur le fait que, pour lui, les homosexuels sont inférieurs en raison de leur pratique sexuelle », reprend le même avocat dans sa plaidoirie.
Il est là pour rappeler que ces vidéos ont occasionné plusieurs centaines d’actes de haine. Il rapporte que 55% des homosexuels ont subi des actes homophobes pendant leur vie, que 12,5% des hommes homosexuels ont fait des tentatives de suicide. Que les mots prononcés par le prévenu sont haineux et engendrent de la violence. « Dans les propos poursuivis, il y a des injures, des atteintes à la dignité », plaide-t-il encore.
L’avocat du maire rapporte le calvaire vécu par son client, physiquement si diminué que, artiste peintre, il ne peut plus tenir son pinceau. Il résume : « C’est un dossier qui secoue notre territoire. Le maire de Montjoi a été élu il y a 3 ans. Dix-huit ans avant, le lord Sinclair avait négocié un droit de passage sur ce passage. En 2017 Mercadal achète la ferme, et un jour il s’embrouille avec le lord et ça part en sucette. »
Selon lui, Papacito, sous couvert de mise en scène guignolesque pour défendre la paysannerie, appelle à la violence, au « soulèvement contre les poudrés ». Cela induit harcèlement et menaces, 800 mails par jour pour ceux qui sont visés. « Tout le monde a peur d’avoir une vidéo de Monsieur Gimenez, dont on peut dire qu’elles sont performantes. Et il n’a peur de rien. Il faut siffler la fin de la partie. C’est un dossier important, beaucoup plus important qu’on imagine. » Il demande que soit versée à ses clients, à titre de dommages et intérêts, l’intégralité de la cagnotte rassemblée par la communauté du YouTubeur.
Le procureur dans un style moins théâtral estime également que les termes employés sont outrageants, et que l’excuse de l’humour ne tient pas, car il s’inscrit dans une « démarche à dimension journalistique » militante, en jouant sur l’ambiguïté du ton employé. Un coup, Ugo Gil Jimenez l’ami des paysans, parle d’un sujet sérieux, puis Papacito le provocateur, personnage un peu bouffon, fait des sketchs à prendre au second degré. « A quel moment on est dans un truc sérieux et réaliste et à quel moment on fait de l’humour et on dit n’importe quoi ? » Il demande au tribunal de le déclarer coupable de tous les faits reprochés, et de le condamner à six mois de prison avec sursis. Le tribunal rendra sa décision le 28 avril.