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par Rédaction

Néofascisme : la banalisation du mal

De l’importance de nommer les choses

En restant coi face à la haine des néofascistes, l’exécutif participe à la banalisation du mal. Ce n’est que lorsque les télés d’info en continu abordent le sujet qu’il prend la parole. Pour tenter de noyer le poisson, en évitant de nommer le poison...

Manifestation du 6 mai à Paris - © Reflets

Les observateurs des courants néofascistes le savent. Depuis quelques mois, les groupes les plus actifs et les plus réactionnaires, adeptes de la violence, défilent dans les rues du pays, revendiquent des ratonnades sur les réseaux sociaux et lèvent allègrement le bras. Samedi 6 mai, ils défilaient à Paris, cagoulés, avec des gants renforcés, arborant des drapeaux à croix celtiques, emblème du néofascisme. Plusieurs « actions » ont frappé les esprits et ont été cataloguées comme des victoires par ces groupes, mais aussi par leurs vitrines politiques « légales », le RN et le parti d’Éric Zemmour. Ainsi Callac où les manifs et les menaces de mort se sont succédé jusqu’à l’abandon d’un projet d’accueil de réfugiés dans un silence glaçant de l’exécutif. Et à Saint-Brevin, où le maire Yannick Morez a fini par démissionner après des mois de harcèlement, culminant avec l’incendie de sa voiture qui a gagné ensuite son domicile.

Texte du communiqué du maire de St Brevin - Copie d'écran
Texte du communiqué du maire de St Brevin - Copie d'écran

Que fait l’exécutif face à cette expression de haine, de violence et d’une idéologie raciste à la fois mortifère et illégale ? Pas grand-chose.

Seule la démission du maire de Saint-Brevin, en boucle sur les télés d’info continue, a forcé Emmanuel Macron à sortir de son silence. L’incendie qui a ravagé la maison où il dormait avec sa famille date du 22 mars. Nous sommes le 11 mai. Soit quasiment deux mois plus tard. Il n’avait fallu que quelques heures à Emmanuel Macron pour appeler Éric Zemmour sur son portable quand celui-ci avait été molesté dans la rue. Le président s’était entretenu quarante-cinq minutes avec le leader d’extrême-droite.

Dans le communiqué annonçant sa démission, Yannick Morez explique avoir « pris cette décision pour des raisons personnelles, notamment après l’incendie criminel perpétré à mon domicile et au manque de soutien de l’État, et après une longue réflexion menée avec ma famille ».

Il avait reçu un appel d’Olivier Véran le jour de l’incendie de sa maison, comme il l’avait raconté à Envoyé Spécial, mais depuis… rien.

Le précédent Callac

Dans les rues de Callac, les mêmes groupuscules radicaux sont « venus au secours » d’un mouvement de rejet des réfugiés, lui-même initié ou soutenu par le Rassemblement National de Marine Le Pen et par le parti Reconquête d’Éric Zemmour. Les néofascistes ont défilé, comme à Paris, avec des croix celtiques. Sur leurs groupes Telegram, notamment celui de Ouest Casual, on peut voir cette vidéo :

À l'époque toute l'extrême-droite, du RN aux plus radicaux, en passant par Reconquête avaient salué l'abandon du projet sous la pression :

Boulevard Voltaire - Copie d'écran
Boulevard Voltaire - Copie d'écran

Gilbert collard - Copie d'écran
Gilbert collard - Copie d'écran

William Goldanel - Copie d'écran
William Goldanel - Copie d'écran

Jean-Yves Le Gallou - Copie d'écran
Jean-Yves Le Gallou - Copie d'écran

Samuel Lafont - Copie d'écran
Samuel Lafont - Copie d'écran

Rassemblement National - Copie d'écran
Rassemblement National - Copie d'écran

Ouest Casual - Copie d'écran
Ouest Casual - Copie d'écran

Ouest Casual  - Copie d'écran
Ouest Casual - Copie d'écran

Oriflamme Rennes - Copie d'écran
Oriflamme Rennes - Copie d'écran

Ouest Casual a par ailleurs pour habitude de relayer les vidéos de ratonnades organisées contre des « antifa ». Personne ne peut ignorer leur aspect violent.

Un jeune homme frappé, humilié et filmé - Copie d'écran
Un jeune homme frappé, humilié et filmé - Copie d'écran

Ils publient des photos de néofascistes et autres suprémacistes blancs partout en France. Mais aussi dans d’autres pays européens. Sur ces photos des bras tendus qui rappellent furieusement le salut nazi ou un salut avec le bras et trois doigts tendus. C’est le salut de Kühnen, « ersatz de salut nazi inventé par Michael Kühnen, un leader néonazi allemand, pour contourner l’interdiction de ce geste », explique StreetPress dans cet article sur l’agression violente d’un attaché parlementaire de la France Insoumise avant la finale de la coupe de France.

Légende postée par Ouest Casual sous cette image : « 9/02/2023 Canailles Bordeaux looking for antifas »
Légende postée par Ouest Casual sous cette image : « 9/02/2023 Canailles Bordeaux looking for antifas »

À Strasbourg, le groupe local - Copie d'écran
À Strasbourg, le groupe local - Copie d'écran

Bras levés et croix gammées

Ouest Casual salue les photos de drapeaux ukrainiens dans lesquels s’insèrent des croix gammées.

Ouest Casual salue les photos de drapeaux ukrainiens dans lesquels s’insèrent des croix gammées. - Copie d'écran
Ouest Casual salue les photos de drapeaux ukrainiens dans lesquels s’insèrent des croix gammées. - Copie d'écran

Ou encore, le 30 janvier, date où « Adolf Hitler devenait chancelier de la république de Weimar ».

Une date qui semble importante pour ces groupes - Copie d'écran
Une date qui semble importante pour ces groupes - Copie d'écran

Autre "canal", mêmes idées... - Copie d'écran
Autre "canal", mêmes idées... - Copie d'écran

Tout cela passe sous les radars d’une grande partie de la presse grand public. Et l’exécutif ne semblait pas jusqu’il y a peu s’émouvoir de ce regain de confiance des groupes néofascistes qui s’expriment librement dans la rue et sur les réseaux sociaux.

Derrière cet étrange silence, que l’on peut qualifier d’oubli médiatique coupable, on en viendrait presque à s’alarmer davantage, sur les chaînes comme CNews, du débarquement d’une poignée de migrants sur un rivage que du défilé d’une troupe haineuse sur les grands boulevards.

Mais plus qu’une dérive sociétale à urgemment enrayer, le « peuple » politique semble trouver là une raison supplémentaire de s’opposer sur les bancs de l’Assemblée nationale. Ainsi le 10 mai, lorsque Jérôme Guedj propose de s’élever contre sur la situation et de rendre hommage à Yannick Morez, le groupe du Rassemblement National trouve plus raisonnable de rester assis. Dans cet instant de crise présidentielle, et sans doute poussés par un réflexe mauvais, les députés du RN paraissent avoir tranché entre la protection d’un futur et potentiel électorat et une attaque trop frontale de groupuscules extrémistes.

Emmanuel Macron, incapable de nommer le mal - Copie d'écran
Emmanuel Macron, incapable de nommer le mal - Copie d'écran

Sous la pression médiatique, à l’occasion de la démission de Yannick Morez, Emmanuel Macron, comme contraint et forcé par des faits trop visibles, s’est donc senti obligé de sortir de son silence. Qu’a-t-il dit ? Dans un tweet, il condamne : « Les attaques contre Yannick Morez, maire de Saint-Brevin-les-Pins, et contre sa famille, sont indignes. A cet élu de la République, à son épouse et ses enfants, je redis ma solidarité et celle de la Nation. » Il échoue à nommer les auteurs des attaques. Un mutisme qui contraste avec l'encoprésie verbale des groupes d’extrême-droite au cœur de ces « attaques ». Et d’une dernière « attaque » contre le maire de Saint-Brevin que l’on pourrait surtout qualifier de tentative de meurtre si l'on voulait être précis.

Des "manifestations" qui ressemblent un peu à des tentatives de meurtre...  - Copie d'écran
Des "manifestations" qui ressemblent un peu à des tentatives de meurtre... - Copie d'écran

Mauvais concert

Dans la très droite ligne du président, parmi ses amis politiques, de Renaissance au Modem en passant par les membres du gouvernement, il semble que personne ne puisse nommer le mal. Il y a les « attaques » et les « violences », mais de la part de qui ? Mystère. Est-ce que ce sont des attaques et des violences contre des biens ou des personnes ? Mystère. Pourtant, cela fait une sérieuse différence.

La présidente de l'Assemblée Nationale ne sait pas non plus précisément qui met la démocratie en danger - Copie d'écran
La présidente de l'Assemblée Nationale ne sait pas non plus précisément qui met la démocratie en danger - Copie d'écran

La porte-parole du groupe parlementaire du Modem ne sait pas trop non plus qui se cache derrière les attaques et les violences. - Copie d'écran
La porte-parole du groupe parlementaire du Modem ne sait pas trop non plus qui se cache derrière les attaques et les violences. - Copie d'écran

Cela fait d'autant plus une sérieuse différence que l’extrême-droite radicale a quelques morts et de nombres agressions physiques et verbales à son actif. Clément Méric, militant antifasciste est mort sous les coups des néofascistes en 2013 à Paris. Le rugbyman Martin Aramburu a quant à lui été tué par balles à Paris en mars 2022 par des néofascistes gravitant toujours, dans les mêmes cercles. Cercles qui ne sont jamais éloignés du RN . Selon des chercheurs qui ont ausculté 6.000 faits de violences depuis 1986, l’extrême-droite radicale tue. Elle tue même beaucoup : « Quand la radicalité de gauche compte 3 assassinats – tous œuvres d’Action directe – et 2 morts violentes, à droite ce sont 48 morts », rappelle ainsi Nicolas Lebourg, « dont 32 dans des crimes racistes commis entre 1987 et 2001 », peut-on lire dans cet article de Libération qui chronique cette étude.

A-t-on déjà vu des groupes d'extrême-gauche aller taguer les tombes des anciens SS français de la division Charlemagne avec des graffitis à la gloire de Staline ? En revanche, des profanations de cimetières juifs ou musulmans par des néofascistes, c'est quasiment monnaie courante.

La majorité, dans le sillage du président s’est lancé dans un vrai concert de très mauvais musiciens comme le montre cette compilation du HuffPost France :

L’exécutif serait-il sorti de son silence si de rares médias comme Reflets, Mediapart, Libération, n’avaient couvert la manifestation de samedi 6 mai ? Jusqu’à nos articles, il s’accommodait très bien de ce défilé puisque la manifestation avait été autorisée par le préfet Laurent Nuñez et que seuls quelques policiers à vélo avaient été dépêchés, pour « faire la circulation ». Un comble quand on voit le nombre de cars de CRS déployés pour empêcher quelques manifestants de taper sur leurs casseroles. Ces manifestants radicaux étaient cagoulés et portaient des gants renforcés. Un comble aussi, quand on sait le zèle généralement déployé par les forces de l’ordre pour confisquer les désormais fameux « dispositifs sonores portatifs », des lunettes de piscine ou même des gilets jaunes…

La manifestation du 6 mai 2023 à Paris - © Reflets
La manifestation du 6 mai 2023 à Paris - © Reflets

Élisabeth Borne met sur le même plan toutes les « extrêmes »

La première ministre va, elle, plus loin. Comme le président, elle ne nomme pas les auteurs des actes contre le maire démissionnaire.

Mais elle fait encore plus fort puisqu’elle assimile les « extrêmes ». Quand la journaliste lui demande « Qu’est-ce que cela dit quand des gens s’attaquent à un maire parce qu’il soutient la création d’un centre de demandeurs d’asile ? », Élisabeth Borne répond sans trembler : « Écoutez, ça montre qu’il y a une montée de l’extrémisme dans notre pays et évidement il faut que l’on soit très vigilants sur ce sujet, heu, l’extrémisme, il vaut des deux côtés ». De quels côtés ? Mystère. Probablement l’extrême-droite et l’extrême-gauche. Si tel est le cas, il y a deux implications possible. Première possibilité : la première ministre tente de minimiser les actions de l’extrême-droite (sur le mode : ils ne font pas pire que les autres). Deuxième possibilité, elle estime que les idées de l’extrême-gauche sont aussi dangereuses que celles de l’extrême-droite.

A ce stade, il faut tenter de lister les idées d’extrême-gauche. Selon wikipedia, ce courant politique milite pour « l'anticapitalisme, l'internationalisme, l'antinationalisme, l'écosocialisme et le féminisme, un fort attachement à des valeurs de fraternité/sororité, de progrès et d'insoumission dont le discours se veut plus proche des milieux populaires que celui de la gauche traditionnelle. L'autogestion fait aussi partie de ce socle commun puisque l'intérêt de l'extrême gauche est de renverser le capitalisme pour aboutir à une nouvelle société et un autre mode de production. Des courants socialistes, ou issus du trotskysme se réclament également de l'autogestion. »

Et côté extrême-droite ? Toujours selon Wikipedia, « Si les mouvements ou partis d'extrême droite sont divers, leurs socles idéologiques comportent des points communs : un patriotisme, un chauvinisme, un nationalisme, un souverainisme et un traditionalisme encore plus poussés qu'à droite, un discours autoritariste affirmé, et un programme économique et social hétéroclite, parfois plus favorable aux milieux populaires que celui de la droite traditionnelle, usant largement d'une rhétorique antisystème et de dénonciation des élites. La xénophobie, l'islamophobie et le racisme font aussi partie de ce socle commun et se traduisent souvent par une opposition à l'immigration. Enfin, on y retrouve un anticommunisme marqué. Le politologue néerlandais Cas Mudde montre que la plupart des analyses de l'idéologie d'extrême droite mettent en avant des combinaisons diverses des cinq aspects suivants : nationalisme, racisme, xénophobie, opposition à la démocratie, revendication d'un État fort. Pour Pascal Delwit et Andrea Rea, "deux sujets essentiels cristallisent le vote d'extrême-droite : la xénophobie et le discours sécuritaire". Selon le sociologue Alain Bihr, la pensée d'extrême droite voit les inégalités comme relevant de l'ordre naturel des choses, d'où son goût pour les chefs, l'autorité et la hiérarchie. Selon cette famille politique, la société a dévié de l'ordre naturel, et elle doit absolument y revenir. »

De deux choses l’une, soit la première ministre fait preuve d’une grande inculture sur le plan des idées politiques, soit elle fait preuve d’une grande inculture sur le plan des idées politiques. Mais on ne peut y croire… Les nouveaux « terroristes intellectuels » selon les termes du ministre de l'intérieur Gérald Darmanin diront sans doute qu’Élisabeth Borne essaye de dédramatiser et banaliser les idées d’extrême-droite en leur conférant la même valeur que les valeurs (humanistes celles-là) définies plus haut sur Wikipedia pour l’extrême-gauche. Mais ce sont des terroristes intellectuels.

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