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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Trump : opération Shock and Awe

Le nouveau président a choisi d’écraser tous ceux qui ne sont pas de son clan

Choc et effroi… Cette tactique militaire consiste à écraser l’adversaire par une puissance démesurée. Mise en place en 1996 aux États-Unis, elle semble avoir été retenue par Donald Trump pour sidérer ses adversaires. Pour l’instant, ça marche. La justice est lente et a du mal à répondre au même rythme. Bilan.

Trump en chef d'une troupe de clowns (dangereux)
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À lire la fiche Wikipedia de cette stratégie militaire, c’est la tactique Trump qui se dessine : « imposer un niveau de choc et d’effroi tel que la volonté de l'adversaire de continuer la lutte soit anéantie [… et de] prendre le contrôle de l’environnement, et paralyser les perceptions de l’adversaire et ses capacités de compréhension ou tant les saturer que l’ennemi se retrouve incapable de résister sur les plans tactique et stratégique. » La description semble coller aux actions du nouveau président américain : « une suppression sélective des informations diffusées et la propagation de désinformation, le débordement des forces adverses, et la rapidité d’action ». Depuis son accession au pouvoir, Donald Trump a publié 112 décrets , tentant de détruire à la fois l’infrastructure du gouvernement fédéral et de déconstruire l’ordre international mis en place après la deuxième guerre mondiale. A titre de comparaison, Joe Biden a signé 19 décrets en 2024, un peu plus d’une vingtaine durant les deux années précédentes et 77 en 2021.

L’état de la démocratie américaine, notamment depuis 2001, celui de l’ordre international ne sont pas exempts de défauts. Loin de là. Mais qui veut véritablement remplacer une démocratie imparfaite par une dictature néo-fasciste reposant sur la puissance de la technologie et des milliards de datas collectées par les géants de la tech et par la communauté du renseignement américaine ? Le néo-fascisme est-il une réponse acceptable aux défauts de la démocratie ? Les mots sont importants et il est essentiel de nommer les programmes politiques correctement.

D’autant qu’ils sont également à l’oeuvre en France via des milliardaires comme Vincent Bolloré ou Pierre-Édouard Stérin et des politiques comme Marine Le Pen, Jordan Bardella ou Éric Zemmour. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la même destruction de l’État de droit sera mise à exécution après l’élection d’un candidat d’extrême-droite. Et pourquoi pas de droite tendance LR/Renaissance ? Plus rien n’est impossible tant il est devenu « normal » de critiquer les décisions de justice, on l’a vu récemment avec celle concernant Marine Le Pen .

Le principe même de la démocratie est de laisser chacun s’exprimer. Doit-elle pour autant laisser ses ennemis mortels utiliser ses points faibles pour mieux la détruire ? En tout cas, l’expérience Trump 2025 aura permis de mesurer à quelle vitesse il est possible pour un homme de détruire ce qui fonctionnait, tant bien que mal, avec quelques contre-pouvoirs, depuis si longtemps.

Les Américains sont très attachés au concept de la « rule of law », l’équivalent local de notre « État de droit ». Une idée selon laquelle la justice est la même pour tous et que les textes qui organisent notre contrat social priment sur le politique, qu’il s’agisse de jurisprudence ou de droit positif. En d’autres termes, normalement, un dirigeant politique qui voudrait la mort de la démocratie ne pourrait pas appliquer un tel projet qui se heurterait à la justice. Mais la justice est lente… Et Trump signe des décrets illégaux plus vite que son ombre. Toute ressemblance avec la prise de pouvoir des nazis serait évidemment fortuite.

Un think tank à la manoeuvre

Les décrets pris de manière massive par Donald Trump dans son opération « Choc et effroi » traduisent bien entendu une conviction profonde, qui est également celle de tous ses fans, au premier rang desquels, Elon Musk. Les positions néo-fascistes sur la gauche et les idéaux humanistes qu’elle défend, la haine de tout ce qui est « différent » à ses yeux, qu’il s’agisse d’ethnies, de préférences sexuelles, de genre, sont ancrées en lui. Mais il y a un programme. Et celui-ci, notamment sur le plan sociétal a été couché sur le papier la Heritage Foundation.

Rapport hebdomadaire interne de la Heritage Foundation (2008) - © Reflets
Rapport hebdomadaire interne de la Heritage Foundation (2008) - © Reflets

Ce n’est pas une nouveauté puisque ce « think tank » ultra-conservateur avait déjà fourni à Ronald Reagan 2.000 propositions dont environ 60 % avaient été appliquées, rappelle Wikipedia. Cette fois, pour Trump, la Heritage Foundation a publié un document de 900 pages qui contient 293 propositions visant à redessiner un pays ultra-conservateur, bénéficiant principalement aux blancs, chrétiens intégristes. Outre ces propositions, le projet permet à Donald Trump et son administration de « remplacer » de supposés fonctionnaires de gauche par des personnes dévouées au projet. À ce jour, 96 proposition ont été appliquées via les décrets du nouveau président américain et 58 sont en cours de mise en place.

Pour bien comprendre où vont les États-Unis, il faut revenir à une déclaration (en juillet 2024) du président de la Heritage Foundation, Kevin Roberts : « Nous sommes en pleine deuxième révolution américaine, qui restera sans effusion de sang si la gauche le permet ». La Heritage Foundation a déjà tourné son regard vers l’Europe.

Mail de Anthony Richard Perkins, ancien président du Family Research Council à Steve Debuhr de la Heritage Foundation - © Reflets
Mail de Anthony Richard Perkins, ancien président du Family Research Council à Steve Debuhr de la Heritage Foundation - © Reflets

Il s’agit bien d’un projet visant à renverser un système existant qui reposait pour l’instant sur l’État de droit, la séparation des pouvoirs, bref, la démocratie, aussi imparfaite qu’elle puisse être. Ce qui vient n’est rien d’autre qu’un néo-fascisme reposant sur les nouvelles technologies, on a vu la course de vitesse lancée par Elon Musk et son DOGE pour mettre la main sur les datas concernant les fonctionnaires et les Américains.

Des déportations

Dans un projet fasciste, il y a bien sûr, avant tout, un agenda raciste. Ici il s’est traduit par des déportations d’étrangers, avec des mises en scène déshumanisantes relevant des pires films d’anticipation dystopiques.

Reportage de NBC News sur la mise en scène de déportations d'immigrés

Donald Trump a par ailleurs réactivé la tristement célèbre prison de Guantanamo en signant un memorandum ouvrant la voie à l’emprisonnement de 30.000 personnes en situation illégale aux États-Unis. Donald Trump se dit « en période de guerre » en décrivant l’entrée d’immigrants dans le pays comme une « invasion », une rhétorique habituelle à l’extrême-droite.

Il tente désormais de s’attaquer au droit à la citoyenneté américaine lorsque l’on naît sur le sol des USA.

Ce racisme se révèle également dans le décret visant à annuler les opérations de diversité, équité et inclusion. La lecture attentive de ce décret (DEI) montre l’inversion du sens opérée par Trump et ses alliés. Ainsi, Donald Trump évoque des programmes discriminatoires alors qu’il s’agit évidemment de programme visant à plus d’équité : « Le directeur de l'Office of Management and Budget (OMB), assisté du procureur général et du directeur de l'Office of Personnel Management (OPM), coordonne la suppression de tous les programmes discriminatoires, y compris les mandats, politiques, programmes, préférences et activités illégales en matière de DEI et de "diversité, équité, inclusion et accessibilité" (DEIA) au sein du gouvernement fédéral, sous quelque nom que ce soit. »

La frénésie de destruction des agences gouvernementales, FDIC, SEC, USAID, DHS, EPA, USAGM, pour n’en citer que quelques-unes, montre un soin particulier à réduire à néant tout ce qui pourrait s’apparenter de près ou de loin à un contre-pouvoir. Il faut réduire au silence tous ceux qui pourraient apporter une juste contradiction factuelle au discours totalement faux de Donald Trump.

En matière de relations internationales, Donald Trump s’est surpassé. Tel un Poutine de pacotille, il a menacé d’envahir le Groenland, le Canada, Gaza et de prendre le contrôle du canal de Panama.

Parce que chez Donald Trump, comme pour toutes ses copies d’extrême-droite quel que soit le pays, c’est la loi du plus fort qui fait foi. Pas question de respecter les droits de qui que ce soit (sauf s’il est plus fort). Pas question non plus de respecter les instances internationales comme l’ONU ou la Cour pénale internationale qui maintiennent comme elles le peuvent un semblant d’ordre international basé sur le droit. Ces instances trouvent leur origine dans le deuxième conflit mondial, ce n’est sans doute pas un hasard si l’extrême-droite ne peut pas les souffrir.

La résistance se met en place aux États-Unis, mais avec lenteur. Les dégâts sont déjà incommensurables. Des personnes ont été déportées sans aucune raison valable vers des prisons d’Amérique du Sud, les luttes étudiantes sont réduites au silence, on arrête des étudiants dans la rue ou sur les campus pour les expulser lorsqu'ils sont étrangers, des dizaines de milliers de fonctionnaire ont été licenciés sans aucune justification, les marchés financiers se sont effondrés (l’effet est désormais pire que celui du Covid) faisant fondre les fonds de retraite de millions d’Américains.

La justice rend des décisions qui annulent les effets des décrets présidentiels. Mais qui les fera appliquer ?

État des lieux des contestations judiciaires de décrets présidentiels par The Washington Post - Copie d'écran
État des lieux des contestations judiciaires de décrets présidentiels par The Washington Post - Copie d'écran

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