À Nancy, la police et la justice ne voient pas les fascistes
Mais leurs opposants se retrouvent en garde à vue
Cadeau de la Macronie, les nationalistes révolutionnaires voient dans les élections anticipées une autoroute vers le pouvoir. Dans la foulée, une partie de la population s'organise contre l'extrême droite. Le 11 juin à Nancy, alors que les fascistes, sous les yeux de la police, ont pu enfiler leurs cagoules et préparer leurs ceintures pour « taper du gaucho » sans être inquiétés, quelques semaines plus tard, trois militants de gauche sont placés en garde à vue pour violences en réunion.
Deux jours après le score de l’extrême droite aux élections européennes le 7 juin, Emmanuel Macron annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. Le week-end, plusieurs manifestations contre l’extrême droite sont prévues en France. À Nancy, le 11 juin au soir, plus de 1.000 manifestants se rassemblent place Stanislas. Un cortège se forme et défile dans le quartier. Lorsque les manifestants tentent de passer par la Grande Rue, secteur que les fascistes cherchent à monopoliser depuis des années suite à l’implantation de la librairie fasciste « Les Deux Cités », des militants d’extrême droite se mobilisent pour empêcher la manifestation de passer.
Stationnés place Vaudémont, une douzaine de policiers de la CDI et de la BAC avancent vers la Grande Rue et se positionnent quelques mètres après la librairie fasciste. Selon plusieurs témoignages, des fascistes auraient été aperçus en train de discuter avec la police, qui, pendant plus de trente minutes, a laissé les militants d'extrême droite circuler librement sans effectuer aucun contrôle. Bien que le service de communication de la police nationale de Nancy ait affirmé que les forces de l’ordre n'étaient pas là pour protéger la librairie, « ce n'est pas la première fois qu'ils forment une barrière devant la vitrine de celle-ci et qu'ils dispersent, à coups de gazeuses, toutes les personnes qui s'en approchent », témoigne Bernard*, un manifestant régulier à Nancy, auprès de Reflets.
Dans un communiqué, parmi lesquelles Solidaires 54, SUD Éducation Lorraine, AG Antifasciste Nancy, Bloc Antifasciste Nancy, Jeunes Insoumis de Nancy, Jeunes Socialistes 54, etc., plus de trente organisations dénoncent « avec la plus grande fermeté toutes les formes de répression infligées aux personnes qui résistent à l'extrême droite. ». Les militant·es antifascistes s'inquiètent ainsi : « L'extrême droite violente peut-elle faire sa loi en toute impunité, tandis que ses opposant·es sont criminalisé·es ? ».
Connivence avec les fascistes ?
Parmi les personnes présentes ce jour-là, Reflets, avec l’appui de sources locales, a pu identifier des membres de la tribune Saturday FC Nancy, les Brizak Nancy et de l’Action Française Nancy. Les deux derniers sont des groupes fascistes connus des services de police nancéiens, que ce soit pour leur rapprochement avec les zemmouristes, leurs actions homophobes, ou le procès en cours d’un membre de l’Action Française.
La police justifie son déplacement en évoquant un « risque imminent de violence dans la Grande Rue » — parole de police. Bizarrement, alors que les militants d'extrême droite enfilaient leurs cagoules et préparaient leurs ceintures pour « défendre leur quartier face au cortège antifa » (selon un de leurs posts sur Telegram, NDLR), la police n'est pas intervenue pendant près de 30 minutes pour empêcher les violences qui allaient survenir. Résultat : quelques blessé·es, dont une manifestante qui se retrouve avec « l'arcade fracturée ».

Suite aux violences entre les deux groupes, dont la vidéo a largement circulé sur les réseaux sociaux, le discours officiel de la police est resté : « Quand le groupe a été dispersé et que la manifestation a repris, la dizaine d’individus d’extrême droite a été contrôlée par la police et leurs identités relevées. Il n’y a pas eu d’interpellation car la police était en effectif réduit. »
Sur le déroulement des violences, Bernard explique à Reflets : « Quand je suis arrivé au croisement des rues d’Amerval et Callot, j’ai vu une quinzaine de mecs qui attendaient en bas de la rue. En fait, j’étais en avance sur le cortège, qui se dirigeait vers la Grande Rue. L’endroit où ils s’étaient positionnés est juste en face de la librairie Les Deux Cités, une librairie d’extrême droite connue pour avoir accueilli Eric Zemmour et, en off, des réunions de l’Action Française, comme la commémoration de Charles Maurras, par exemple. ».

Il faut comprendre, continue Bernard, « Cet affrontement, il s’inscrit dans un contexte de développement des groupuscules violents d’extrême droite à Nancy avec l’Action Française et les milieux hooligans, qui se sont alliés en ces périodes électorales. La région a toujours eu un passif avec l’extrême-droite mais depuis deux ans et notamment depuis le mouvement des retraites, ce développement s’est accéléré, notamment avec la création d’une section de l’Action Française à Nancy en 2021, et d’Aurora à Metz en 2022 ».
Une deuxième altercation a lieu
Plusieurs témoignages rapportés à Reflets affirment que si une quinzaine de militants d'extrême droite ont participé aux violences contre les manifestants dans la Grande Rue, ils étaient en réalité une vingtaine et se promenaient autour de la place Stanislas depuis le début du rassemblement.
Après avoir été repoussés par les forces de police, les manifestants se replient vers la rue d’Amerval et poursuivent leur manifestation vers la place Stanislas. Sur place, deux militants fascistes interpellent les manifestant·es et commencent à crier « Vive Bardella ». Quelques manifestants s'en approchent et des coups sont échangés. L’incident semble clos, et il n'y aura plus d'autres confrontations entre fascistes et manifestants ce jour-là.
Quelques semaines plus tard, plus précisément les 25 et 28 juin, trois militant·es des mouvements sociaux ont été convoqué·es et placé·es en garde à vue, une première fois pendant environ quatre heures, puis toute une journée, au terme de laquelle ils se sont retrouvés devant un juge des libertés et de la détention (JLD) qui a renvoyé leur procès au 13 décembre 2024. Pour Reflets, Kevin Grillot, l'un des convoqué·es par les services de police, ne cache pas sa surprise face à cette convocation, et encore plus face à un procès, car pour lui, l'affaire était dérisoire : juste une petite rixe avec des fascistes « venus pour provoquer » les manifestant·es.
Librairie Les Deux Cités, un lieu de propagande fasciste à Nancy
Alors que la police nationale de Nancy affirme qu’elle n'était pas là pour protéger la librairie fasciste, il suffit de consulter le canal Telegram de la librairie Les Deux Cités pour se rendre compte que des policiers ont à plusieurs reprises été détachés pour protéger ce magasin d’extrême droite. D’autre part, comme le montrent son compte Telegram, cette librairie fasciste a accueilli l’antisémite Pierre Hillard et vend toujours ses livres**. Elle relaie également de la propagande pro-russe, parle de "transgenrisme" alors que la transphobie est un délit, publie des photos avec le drapeau des Falanges libanaises, et a accueilli le multi-condamné Eric Zemmour.

Pour les militants sur place, qui luttent depuis octobre 2020 pour la fermeture de ladite librairie fasciste, il est « évident que les policiers étaient là pour protéger la librairie ». Cette lutte est suivie par le média participatif Manif-Est.Info, qui, dans un article datant de 2022, explique que ses fondateurs, Alexis Forget et Sylvain Durain, définissent le lieu « comme une "simple" librairie proposant une littérature "enracinée" », mais qu’en réalité, Les Deux Cités est devenu un « véritable espace politique » relayé par la fachosphère. Dans les rayonnages de la librairie, on trouve Éric Zemmour, Charles Maurras, Alain de Benoist, Maurice Barrès, Eugénie Bastié, Mathieu Bock-Côté, Laurent Obertone… Enfin, même si cette librairie radicale est régulièrement vandalisée, d’ailleurs, cela a conduit à l’interpellation de plusieurs personnes, Les Deux Cités n'est pas vraiment inquiétée par les autorités françaises.
Hooligans et royalistes unis dans la haine et la violence
Reflets a pu identifier plusieurs membres de l'extrême droite qui ont participé aux violences du 11 juin. Parmi eux, des hooligans de Brizak Nancy, également membres de la tribune Saturday FC Nancy, ainsi que des militants de l'Action Française Nancy, dont un « chef » poursuivi en justice. Les fascistes de ces deux groupes, ainsi que de manière occasionnelle, des militants de Metz (AF et Aurora), s'organisent sporadiquement depuis au moins 2022 pour mener des actions haineuses, voire des descentes, au nom de la « protection de leur quartier contre des envahisseurs et des gauchistes », écrivent-ils dans un canal néonazi sur Telegram.
Ces groupes fascistes du Grand-Est, auxquels on pourrait également ajouter les hooligans des Strasbourg Offenders, ont chacun pour objectif de servir de vitrine aux idéologies d'extrême droite les plus radicales dans la région : bagarres organisées entre hooligans d'extrême droite, banderoles LGBTphobes lors de la Marche des Fiertés LGBTI+ en 2023, mobilisations contre les migrants à Jarville-la-Malgrange, fêtes identitaires, etc. Toutes ces actions sont « fièrement » partagées sur les réseaux sociaux.

Les militants d'extrême droite sont à l’origine des violences du 11 juin 2024 (ceux-ci bloquaient la route avec la complicité implicite de la police). Ces militants semblent avoir non seulement un goût pour la violence¬ mais certains d'entre eux ont également reçu un entraînement militaire. Romain C., ancien militaire, était cagoulé et utilisait sa ceinture pour frapper lorsque les militants ont refusé de se laisser faire et ont forcé le barrage. Un autre militant, Hugo H., qui portait un sweat « Sale môme » (Brizak en patois lorrain), semble être un « ex-militaire », selon une source locale. Comme le montrent les images réalisées par Le Pavé Lorrain, il frappe également une personne. Reflets a aussi identifié un certain Tom S. et Alexandre T. (membres SFCN, voire les Brizak Nancy), le militant qui a fracturé l’arcade d’une manifestante avec sa ceinture.

Reflets a par ailleurs pu identifier plusieurs membres de l’Action Française Nancy : Enzo S. Alex T. ainsi qu'un certain Jordan D., l'une des têtes du groupuscule, qui est poursuivi par la justice. Quelques détails sur l'affaire : en janvier 2023, jour d'examen à la faculté de médecine, il s'est introduit avec sept militants de l'AF dans les couloirs et a jeté de la farine sur un étudiant soupçonné de projet terroriste. En 2023, le même groupuscule, lorsque le multi-condamné Éric Zemmour fait des dédicaces dans la librairie fasciste, les pro-zemmour, membres de l’Action Française, protégés par un cordon de policiers, chantent l'hymne collaborationniste « Maréchal, nous voilà ! ».

Certes, cette répression qui touche les militant·es résulte d’une plainte qui a amené le procureur de Nancy à constater une infraction caractérisée méritant des suites.
Néanmoins, ce qui est étonnant, c'est qu’aucun des militants d’extrême droite identifiés le 11 juin n’ait été convoqué à leur tour, alors qu'il est évident qu’ils étaient à l’origine des violences et de l’intervention des forces de l’ordre. De plus, ces mêmes personnes, contrôlées en juin par la police, ont mené plusieurs descentes en ville ces derniers mois, terrorisant les passants par leur violence, leurs slogans xénophobes et nationalistes.
Making off
- Les prénoms ont été modifiés.
- Contacté, le procureur de Nancy n’a pas répondu à nos questions.
- Alors que nous nous apprêtions à publier cet article, nous avons appris que la librairie fasciste Les Deux Cités venait de fermer ses portes.