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par Rédaction

On achète bien les journalistes...

Le shopping parfait selon le lobbyiste Duthion

France Inter, France TV, Paris Match, Le Figaro, BFMTV… Selon ses propres déclarations, le lobbyiste Jean-Pierre Duthion, au cœur d’une enquête sur l’influence du Qatar, a rémunéré ou vu passer des rémunérations de journalistes français. Il en dresse la liste dans des conversations auxquelles Reflets a eu accès.

Musée de l'art islamique du Qatar - RAS_RNS - Pixabay

Il dit les avoir rémunérés, ou avoir vu passer leurs factures : le lobbyiste Jean-Pierre Duthion fait preuve d’un vrai « amour vache » pour les journalistes. D’un côté il dit se servir d’eux pour le compte de ses clients, contre espèces sonnantes et trébuchantes, de l’autre, il dit les « détester ». Dans des enregistrements auxquels Reflets a eu accès, Jean-Pierre Duthion livre des noms de journalistes qui auraient profité des largesses du Qatar. Parmi eux, Régis Le Sommier, Léa Salamé, Renaud Girard, Ulysse Gosset et un mystérieux « directeur d’un journal ». Ceux qui ont accepté de répondre à nos questions démentent.

Régis Le Sommier - Youtube - Copie d'écran
Régis Le Sommier - Youtube - Copie d'écran

Dans ces nouvelles conversations auxquelles nous avons eu accès, Jean-Pierre Duthion évoque des milliers d’euros payés à Régis Le Sommier. A une époque où celui-ci travaillait pour Paris Match. Il est désormais le fondateur d’un journal classé à l’extrême-droite : Omerta. Déjà contacté lors de notre précédent article, Régis Le Sommier a démenti catégoriquement les déclarations du lobbyiste qui lui, ne manque pas de dire qu’il « déteste » ce journaliste.

Léa Salamé - France TV - Copie d'écran
Léa Salamé - France TV - Copie d'écran

Tout comme il dit « détester » Léa Salamé. Selon lui, Léa Salamé et son compagnon Raphaël Glucksmann (qu’il appelle Patrick) ont bénéficié d’un séjour au Qatar tous frais payés. Contactée, Léa Salamé dément : « jamais je n’ai mis les pieds au Qatar, pas plus que mon compagnon. Je ne connais pas ce monsieur et il ment ».

Renaud Girard - Didier-CTP  - Wikipedia - CC BY-SA 4.0
Renaud Girard - Didier-CTP - Wikipedia - CC BY-SA 4.0

Jean-Pierre Duthion ne déteste pas Renaud Girard, grand reporter international au Figaro. Il le trouve juste un peu cher. Selon lui, ce n’est même pas la peine de l’appeler pour une prestation si l'on est pas prêt à débourser au moins 50.000 euros. Et puis Jean-Pierre Duthion le trouve quand même un peu raciste. « Il dit nègre pour noir », explique-t-il en rigolant. « tu diras à ton nègre que Renaud Girard est d'accord pour le voir dimanche », lui aurait dit le journaliste du Figaro alors que le lobbyiste lui parlait d’un ministre d’un pays africain client de ses services. « Tintin au Congo ! », conclut Jean-Pierre Duthion.

Ulysse Gosset - BFMTV - Copie d'écran
Ulysse Gosset - BFMTV - Copie d'écran

Alors que Forbidden Stories avait révélé la supposée implication de Rachid M’Bakri de BFMTV, Jean-Pierre Duthion met clairement en cause un nouveau journaliste de la chaîne : l’éditorialiste de politique étrangère Ulysse Gosset. « C’est mon plus gros créancier », dit-il. Il semble déplorer que le journaliste soit contraint par la chaîne. Contacté à plusieurs reprises, Ulysse Gosset n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Enfin, le lobbyiste raconte sans le nommer comment un directeur de journal s’est fait payer sa cuisine par ses clients. Selon Jean-Pierre Duthion, le directeur du journal aurait demandé s’il était possible d’obtenir un prêt de 200.000 euros pour acheter un appartement à Paris. Tout en espérant que ses « amis ne croient pas qu'ils m'ont acheté pour une cuisine ».

Quelle idée !

Jean-Pierre Duthion est un lobbyiste qui travaille principalement pour le Qatar, mais aussi pour l’Érythrée, le, Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Burkina Fasso, le Togo, le Niger ou L’Arabie saoudite…

L’homme est irritant. Il a le tutoiement facile et vous appelle « frère » en quelques minutes. Il se veut enjôleur. Volubile, il a le débit saccadé et raconte des histoires qui semblent parfois abracadabrantes. La justice s’est intéressée récemment à ses activités. Début septembre, Il a été placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête sur des soupçons de corruption et de trafic d’influence. Une enquête préliminaire a été ouverte par le Parquet national financier (PNF) après une plainte de BFMTV et un article du Monde et de Forbidden Stories qui exposait les liens supposés entre le journaliste de BFM Rachid M’Barki et Jean-Pierre Duthion. L’information judiciaire porte sur des faits de « corruption active et passive d’une personne privée » ; « corruption et trafic d’influence, actifs et passifs, en bande organisée, d’un élu public » ; « abus de confiance, blanchiment, blanchiment de fraude fiscale, non-respect par un représentant d’intérêt de ses obligations de communication à la HATVP, travail dissimulé ». Jean-Pierre Duthion a été placé sous contrôle judiciaire à l’issue de sa garde à vue et Nabil Ennasri, son commanditaire présumé, a quant à lui été écroué.

Jean-Pierre Duthion sur son site Internet - Copie d'écran
Jean-Pierre Duthion sur son site Internet - Copie d'écran

Altice (voir notre dossier Altice au pays des pirates), maison mère de BFMTV, avait licencié pour faute grave le journaliste Rachid M’Barki, qui est soupçonné d’avoir fait passer des sujets en dehors de toute validation de la rédaction en chef, pour le compte de Jean-Pierre Duthion.

Seule la justice pourrait démêler les fils dans les déclarations parfois lapidaires ou brouillonnes de Jean-Pierre Duthion auxquelles nous avons eu accès. Et ce ne serait pas un luxe, car dans une période de perte de confiance du public dans la parole des organes de presse, ces nouvelles accusations sont un problème pour la profession.

De même, dans un précédent article, nous révélions que Jean-Pierre Duthion disait payer des conseillers du président Emmanuel Macron afin qu’ils organisent des repas à l’Élysée en dehors de tout cadre officiel. Les conseillers n’ont jamais pris la peine de répondre à nos questions ou à notre article après sa parution. Pas plus que l’Élysée.

C'est sans doute un signe que tout cela n'est pas très important...

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