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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Vous préférez un État policier ou l'extrême-droite ?

Les élections approchent, il va falloir choisir...

C'est une course à l'échalote. Qui d'Emmanuel Macron, de Gérald Darmanin, d'Olivier Faure ou du fantôme Manuel Valls, parviendra à flatter au mieux l'électorat d'extrême-droite. L'urgence électorale de 2022 va-t-elle précipiter la construction d'un État policier ?

Des hordes de sauvages fondent sur la Démocratie. Sont-ils ceux que l'on croit ? - D.R.

Les plus anciens se souviennent de Papy Voise. La droitisation des discours, la « sécurité » imposée par les politiques et les médias, dans une danse infernale, comme nouveau paradigme, ce n'est pas nouveau. Combien de temps a duré, depuis la dernière guerre mondiale, la période pendant laquelle les politiques ont privilégié l'amélioration des conditions de vie, le rêve d'une société plus juste, plus égalitaire, l'espoir d'un système économique qui ne privilégie pas 1% de la population et les entreprises ? En étant réalistes, on devrait pouvoir tabler sur deux années. Rien ne change, donc mais l'on assiste à une accélération du délire sécuritaire, au détriment de la démocratie qui n'en est plus tout à fait une.

Plus de bleu. L'essentiel est que ce ne soit pas du noir...
Plus de bleu. L'essentiel est que ce ne soit pas du noir...

D'Éric Ciotti, hystérique de la « sécurité » à Didier Lallemant, heureux papa d'une nouvelle équipe de voltigeurs en passant par François Rebsamen à gauche qui a armé sa police municipale à Dijon, tout le spectre politique rivalise de propositions pour militariser, pour étendre les capacités de la police, comme si du jour au lendemain, nous avions été plongés dans un univers à la Mad Max. Comme si la démocratie était en péril, livrée à une horde de sauvages faisant fi de toutes les lois.

La militarisation des forces de l'ordre est ancienne également. Entre un CRS en combinaison bleue, sans autres protection que son bouclier et son casque dans les années 90 et les CRS équipés d'une sorte d'armure aujourd'hui, il y a un monde. Les armes ont également évolué. Après avoir testé le LBD dans les banlieues défavorisées, l'État a décidé de l'utiliser pour la répression des manifestations. Le lanceur de balles de défense à fait une apparition violente lors de la répression des manifestations contre la loi Travail. Mais c'est le mouvement des gilets jaunes qui a été ravagé par cette arme (plus de 300 signalements).

Nombre de tirs de balles de défense (LBD) - Copie d'écran
Nombre de tirs de balles de défense (LBD) - Copie d'écran

Viser la tête comme dans un jeu vidéo

Dès le début du mouvement des gilets jaunes, nous avions enquêté sur le LBD. Alors que les policiers et les autorités parlaient d'une arme imprécise, notre enquête démontrait que l'arme était au contraire très précise, surtout à courte distance. Mais également, que les viseurs holographiques utilisés apportaient une précision dans les tirs qui excluait, pour la majeur partie des cas, un « accident ».

Un journaliste de Reflets dans le viseur EOTech à 25 mètres - © Reflets
Un journaliste de Reflets dans le viseur EOTech à 25 mètres - © Reflets

En d'autres termes, c'est bien la tête qui était visée la plupart du temps. Cela traduisait déjà une dérive terrible de la part des forces de l'ordre, principalement la police, en roue libre et sans crainte des conséquences de leurs actions. Dans le cadre d'un tir qui a éborgné un jeune homme, Adnane Nassih, à Brunoy, dans l'Essonne, Libération rapporte que les supérieurs du tireur évoquent en ces termes l'incident : « par contre les mecs, voilà, on est parti un petit peu sur des bases, c’est devenu un jeu de Counter-Strike là. (...) Maintenant qu’il y a des caméras partout, il y a des, et voilà quoi c’est, on peut plus quoi, on peut plus jouer, c’est terminé ».

Le choix d'un État policier ?

La manifestation des policiers le 19 mai devant l'Assemblée nationale, symbole de la République en cela que les députés sont les représentants du peuple souverain, a pétrifié les démocrates de tous bords.

Durant cette manifestation à laquelle des politiques de gauche, de droite et de EELV se sont pressés, validant de facto les revendications des syndicats policiers, on a pu entendre le patron du Parti socialiste, Olivier Faure revendiquer un « droit de regard » de la police sur les peines et les aménagements de peines. Une manière de piétiner en quelques mots le principe de séparation des pouvoirs, de conférer à la police des pouvoirs qui ne sont pas les siens et qui ne devraient jamais l'être, sauf à vouloir mettre en place un État policier.

Comme le rappelle Wikipedia, pour le juriste français Raymond Carré de Malberg, « L’État de police est celui dans lequel l'autorité administrative peut, d'une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins complète, appliquer aux citoyens toutes les mesures dont elle juge utile de prendre par elle-même l’initiative, en vue de faire face aux circonstances et d'atteindre à chaque moment les fins qu’elle se propose : ce régime de police est fondé sur l’idée que la fin suffit à justifier les moyens. À l’État de police s’oppose l’État de droit... »

Comme nous l'indiquions dans notre article rendant compte de cette manifestation, le Syndicat de la magistrature s'interrogeait : « La concurrence est rude, pour obtenir le label de premier flic de France mais le nouvel horizon que dessinent nos ministres et élus en participant à cette manifestation et en s’associant ainsi aux revendications policières, est celui d’une société dans laquelle la police devient une puissance autonome au lieu d’être une force publique au service des citoyens, dictant à l’exécutif la définition de la politique pénale, au Parlement le contenu des lois, et revendiquant une indispensable impunité pour elle-même - puisqu'elle est la seule à pouvoir sauver la collectivité de l’anarchie. Quel est le nom d’un tel régime ? ».

Le nom de ce régime est un État policier. Il s'installe doucement depuis des années mais il y a une forme d'accélération. Et ce n'est pas un régime politique apaisé...

Pour justifier cette transformation à la manière de la fable de la grenouille, il faut des arguments, lorsque les démocrates se rebellent.

Évidement, il y a le terrorisme, que l'on mettra à toutes les sauces. Bien sûr, le terrorisme ne date pas d'hier et quelles que soient les lois votées pour lutter contre, il existera toujours. Mais qui se soucie de ce détail. Année après année, le prétexte de la lutte contre le terrorisme pose les fondations d'un État policier. Chaque loi assoit le pouvoir futur d'un gouvernement d'extrême-droite qui ne manquera pas d'arriver par les urnes. Les politiques d'aujourd'hui se tirent une balle dans le pied en instaurant des outils de surveillance généralisée qui se retournera contre eux lorsque le RN sera au pouvoir. Ils se tirent une balle dans le pied en mettant en oeuvre des outils leur permettant d'interdire telle ou telle manifestation, tel ou tel rassemblement politique au nom de la « sécurité ». Tout cela aussi se retournera contre eux et le RN aura beau jeu de dire : « mais enfin... Nous sommes des démocrates, nous appliquons la loi que vous avez fait voter... ».

Et puis il y a désormais ce concept abstrait, plus global : « la sécurité ». Les politiques et les médias montent en sauce un concept flou et finissent par dessiner une réalité nouvelle dans laquelle ce serait la première préoccupation des Français. Adieu la pandémie. De toutes façons, le président de la République a décrété qu'elle était derrière nous, que les terrasses des bars pouvaient rouvrir. Adieu le chômage puisque la pandémie n'existe plus dans notre nouvelle réalité. Nous allons tous retrouver du travail, gagner tellement bien notre vie, ça va être merveilleux... Les Français ont peur pour leur sécurité. Pas de la crise économique qui s'avance à nouveau. Pas d'un déclassement perpétuel...

Par ailleurs, lorsque des politiques comme Gérald Darmanin, Yannick Jadot ou Olivier Faure sont présents à la manifestation des policiers du 19 mai, ils entérinent de fait les revendications des syndicats policiers. Or, il faut écouter avec précision le discours de ces syndicats.

« Nul doute que si cette mobilisation s'avère très efficace et très forte aujourd'hui, les digues céderont, les digues, c'est à dire les contraintes de la Constitution, les contraintes de la loi... Nous sommes ici devant le Parlement, devant l'Assemblée nationale car nous savons très bien que ce sont les parlementaires qui pourront amender la loi existante... »

Quand un policier, secrétaire départemental d'un syndicat (SGP Police) exprime clairement que la Constitution est une digue à faire sauter, c'est qu'il y a un problème grave.

Le Larousse définit une digue ainsi : « obstacle destiné à contenir l'action d'une force quelconque, dans l'ordre naturel, moral, psychologique ou social ». La Constitution est donc un rempart contre quelque chose. Mais quoi ? Il faudrait interroger des juristes... La faire sauter, laisserait libre court à autre chose. Mais à quoi ? Là encore, l'avis de juristes serait essentiel... Ou pas. Que répond Emmanuel Macron à ces policiers factieux, lui qui est le garant du respect de la Constitution, selon son article 5 ?

Rien...

Les fossoyeurs de la démocratie sont à l’œuvre, ils ont, pour les uns, la légitimité des urnes avec eux, le bon sens du boucher-charcutier de Tourcoing pour les autres, pour de nombreux citoyens, la peur... et enfin, pour les dernier, la furieuse envie de revenir au pouvoir, quel qu'en soit le coût. C'est à ce demander ce qu'il y a de si intéressant dans ce fameux « pouvoir ».

La peur valide tous les comportements, même les pires. - CC
La peur valide tous les comportements, même les pires. - CC

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