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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Il faut appeler un chat, un État policier !

La bascule est effective

Quand la population a peur de sa police, peut-on encore parler de Démocratie ? Ou a-t-on basculé dans un État policier. Si nous y sommes, quelle est l'étape d'après ? Il faut bien se résoudre à nommer les choses et à prévoir l'avenir pour conjurer l'inacceptable.

Gendarmes et CRS devant le Conseil Constitutionnel, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites le 13 avril 2023 - © Stephane Mahe - Reuters

Cela fait un petit moment que des Français se posent la question : vit-on désormais dans un État policier ? Depuis la violente répression des manifestations contre la Loi travail , la brutalité à laquelle se confronte toute forme d'opposition aux décisions gouvernementales n'a fait que s'aggraver. Cette violence a culminé avec la mort de Rémi Fraisse et avec les tués, blessés et mutilés parmi les Gilets Jaunes. Alors que l'assassinat de Malik Oussekine, un jeune étudiant par la police était tout simplement inacceptable pour la population il y a encore 37 ans, la mort et la mutilation sont devenu notre quotidien sans que cela ne provoque grande réaction. Il y a comme une sorte d'accoutumance qui s'est déployée dans ce pays.

Toute manifestation peut désormais être accompagnée d'une répression violente, souvent aveugle, ne faisant plus le tri entre manifestants pacifiques, simple passants et groupes violents. Comme une sorte d'évidence. A tel point que lorsque Zineb Redouane, une octogénaire, est tuée par l'explosion d'une grenade lancée par les forces de l'ordre... Il ne se passe... Rien. Même pas une démission symbolique d'un ministre. Au contraire, ceux-ci apportent régulièrement et inlassablement leur « soutien indéfectible aux forces de l'ordre  », de Christophe Castaner à Gérald Darmanin.

Les sites répertoriant les violences policières se multiplient. Après Allo Place Beauvau du journaliste David Dufresne, ViolencesPolicieres.fr a pris le relai d'une forme de témoignage qui était déjà porté par Desarmons-les.

Le concept d'État policier est une construction intellectuelle de l'esprit humain qui repose sur un observation des faits. Mais évidemment, ceux qui bénéficient de cet état de fait (l'exécutif et une frange de la population) nieront que le gouvernement a instauré un État policier. A l'inverse, ceux qui pâtissent de cet état de fait le dénonceront.

Wikipedia définit ainsi un État policier :

Un État policier est un gouvernement qui exerce son pouvoir de manière autoritaire et arbitraire, par le biais des forces policières. Les habitants d'un État policier sont limités dans leur liberté d'expression et leur liberté de circulation, et peuvent faire l'objet de diverses coercitions, de tortures, être soumis à de la propagande, de la manipulation mentale, ou encore une surveillance de masse par un État, sous la menace de forces policières.

Dire que l'on vit désormais en France dans un État policier est le fruit d'une analyse philosophique et politique. Certains diront que oui, d'autres que non. Dans le cas où nous serions désormais dans le cadre d'un État policier, cela inviterait irrémédiablement à réfléchir à l'étape suivante. Qu'est-ce qui vient après un État policier et dans quel contexte ? Un État de plus en plus violent à l'encontre de sa population qui culmine avec une dictature.

Si la réponse à la question était oui, il conviendrait donc de lutter avec toutes les forces démocratiques contre le gouvernement qui nous emmènerait dans cette direction.

Les différents gouvernements mis en place sous Emmanuel Macron, dont on nous disait qu'ils étaient là pour « faire barrage » à l'extrême-droite ne perçoivent les Français qui s'opposent à leur vision du monde que comme des ennemis. Cela s'illustre notamment lorsqu'un préfet (Didier Lallement) répond à une femme qui l'interpelle, qu'il n'est pas « dans le même camp » qu'elle. Sous entendu, il y a le camp du gouvernement, celui de l'autorité, et un autre camp qui sont irréconciliables au point de ne même pas vouloir se parler. C'est donc tout l'inverse de la Démocratie, de l'idée d'un gouvernement pour le peuple, par le peuple.

Dans la droite ligne d'un tel raisonnement, les violences policières ne peuvent que s'étendre. Car la police projetée contre les « opposants politiques » qui osent manifester ne peuvent que les considérer que comme des ennemis. Et donc, entrer dans une logique d'affrontement, de violence et finalement de combat. Étant entendu que la police est largement plus équipée (armes et protections) que les manifestants, le bilan d'un tel affrontement ne peut être que terrible.

Il faut un degré certain de (au choix) mauvaise foi, de cécité, de dogmatisme pour nier les violences policières qui ont émaillé les mouvement de contestation sociale de ces dernières années. Reflets s'en était l'écho, notamment pendant les manifestations des gilets jaunes. Nous avions notamment publié l'un des premiers articles sur les blessés graves en leur donnant la parole. Ils nous avaient confié leurs photos. Nous avions enchaîné avec une longue période d'enquête sur le LBD et la manière dont les policiers français l'utilisent. Il ressortait que le gouvernement avait choisi d'utiliser des munitions fabriquées par Alsetex. Ce qui, selon le fabricant expliquerait la violence des blessures. Mais également que les blessés à la tête et donc, les éborgnés, ne l'étaient pas hasard. Car le tir avec un LBD est très précis contrairement à ce que les forces de l'ordre avaient initialement tenté de laisser croire. D'autant que ces armes sont équipées d'un viseur holographique qui permet d'obtenir un tir très précis. Point visé, point touché...

Liste des blessures durant les manifestations des gilets jaunes dressée par David Dufresne - Allô place Beauvau - David Dufresne
Liste des blessures durant les manifestations des gilets jaunes dressée par David Dufresne - Allô place Beauvau - David Dufresne

Le rétablissement par l'exécutif, sous le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, des voltigeurs sous la forme des BRAV-M (lire le rapport de l'Observatoire parisien des libertés publiques sur cette brigade) est un signe fort. Les voltigeurs s'étaient illustrés en tuant Malik Oussekine, un jeune qui rentrait chez lui après une soirée dans un club de jazz. Ils l'avaient poursuivi à pied (comme les règles d'engagement de la BRAV-M le recommandent) et l'avaient roué de coups dans un hall d'immeuble où il s'était réfugié, affolé par la violence de ces équipages. Comme un air de déjà vu pour toute personne ayant vu œuvrer les BRAV-M dans les rues de Paris. Une arrivée tonitruante, une violence très peu contrôlée, un virilisme qui ne peut que mener à la violence, une culture de l'impunité (cagoules pourtant interdites et rarement un RIO), des arrestations souvent parfaitement arbitraires (on travaille au chalut).

Instiller la peur de la police dans la population, est un marqueur important d'un État policier. La violence est un bon moyen pour y parvenir. Or, selon sondage mené par YouGov pour Le HuffPost au début du mois d’avril, un Français sur deux (53 %) dit avoir « peur » de se rendre dans les défilés syndicaux et d’y être « victime de violence. »

Dans l'Espagne de Francisco Franco (le dictateur est mort en 1975), les enfants savaient de quels policiers (en fonction de la couleur de leur uniforme), il ne fallait pas s'approcher au risque de prendre des coups.

Les récentes déclarations du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, appuyées par celles de la première ministre Elisabeth Borne sur la Ligue des droits de l'Homme posent également question. Lorsque la Russie assimile les ONG à des « agents de l'étranger », à peu près tout le monde s'offusque. Comment ne pas s'étrangler lorsque deux ministre de haut rang, dans une démocratie comme la France, s'en prennent à une ONG qui contient dans son intitulé même « Droits de l'Homme », créée à l'occasion de l'Affaire Dreyfus et persécutée par le régime de Vichy. N'est-ce pas un signe extrêmement sombre ? Emmanuel Macron et ses ministres ont visiblement un problème avec les Droits de l'Homme...

Mais c'est tout à fait cohérent avec l'idée que ce Président a fini d'instaurer un État policier...

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