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Dossier
par Ricardo Parreira

Panzer incarcéré, focus sur le numéro deux de la Division Aryenne Française

Zic semble avoir échappé au coup de filet contre le Terrorgram français

La brutalité sémantique et idéologique de « Panzer » n’est que la pointe de l’iceberg d’un réseau de radicalisation néonazie en pleine expansion. L'administrateur de la Division Aryenne Française s'appuyait par exemple sur ZIC, co-administrateur de la Division Aryenne Française et créateur du canal Privacy & OPSec. Ce dernier donnait des consignes aux militants sur la manière de protéger leur anonymat lorsqu'ils propageaient de la haine, incitaient à la radicalisation et aux actions violentes.

ZIC et Panzer, les deux administrateurs du canal Telegram Division Aryenne Française - © Reflets
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Accusé de diffusion de « procédés permettant la fabrication d’engin de destruction », « menace de mort en raison de l’origine, la race, l’ethnie, la nation ou la religion » et « provocation publique et directe non suivie d’effet à commettre un crime ou délit », Théo M., surnommé Panzer, interpellé mercredi dernier 17 juillet en Alsace, est désormais en prison.

Le Tribunal de Paris l’a condamné à deux ans de prison ferme avec mandat de dépôt. Panzer a été jugé dans la foulée de sa garde à vue en comparution immédiate. Selon Le Parisien, en mai dernier, Théo aurait appelé à commettre des violences envers Minima Gesté, queer qui a porté la flamme olympique à Paris. Dans le dossier de la Sous-Direction Anti-terroriste (SDAT), d'autres faits lui sont aussi imputés : appels aux ratonnades, diffusion de messages haineux, menaces, projets terroristes, etc.

Dans un des derniers messages postés sur Telegram, celui qui s’est lui-même qualifié de néonazi devant le tribunal, parlait de la création d’une nouvelle division dénommée Mercure, où il se vante de son intention d'apprendre à « fabriquer des engins explosifs, comme des bombes artisanales, chez soi » aux membres de la DAF. « Vous êtes prêts à prendre les armes ? Alors rejoignez-nous ». Théo boucle le message avec un « La Victoire ou la Mort ».

Captures d'écran d’un message de Théo M. (Panzer), 13 julliet 2024. - © Reflets
Captures d'écran d’un message de Théo M. (Panzer), 13 julliet 2024. - © Reflets

Pendant sa garde à vue, rapporte Le Monde, Théo n’a pas caché son admiration pour Adolf Hitler ou ses convictions suprémacistes blanches. Mais face aux juges, il finit par sortir des éléments de langage typiques dans ce genre de procès : c’était des blagues, du trolling, etc. Le procureur, qui semblait connaître ce genre de « ligne de défense » souvent employée par les groupes d’extrême droite, a tenu à affirmer que Panzer portait « un discours de radicalisation d'extrême droite avant un passage à l’acte. »

Tout laisse penser que Théo aurait accepté la comparution immédiate pour éviter d'abord le temps de prison préventive si un procès avait lieu plus tard, dans l'éventualité d'une enquête élargie si une partie des victimes - Minima Gesté et l'auteur de ces lignes - avaitent pu se constituer partie civile. La stratégie semble porter ses fruits, car, étonnamment, Minima Gesté, cité à plusieurs reprises dans les médias, n’a même pas été informé du jugement et de la possibilité de se constituer partie civile. Et l'auteur de ces lignes n'a eu connaissance de l’audience qui se tenait à 13h30 le 19 juillet au Tribunal de Paris que trois heures avant, par un mail. Il ne l’a découvert que plusieurs heures après l’audience et n’a donc pas pu se porter partie civile.

Un réseau néonazi qui fonctionne au delà de la DAF

C’est sur le canal Telegram de la Division Aryenne Française que Panzer a publié la majorité des messages d’incitation à la violence et d’apologie du terrorisme. Il a participé à au moins cinq autres groupes néonazis, dont pour certains, l'accès se fait par invitation. Avec ZIC et Arès (deux autres utilisateurs très actifs), le trio derrière la DAF a, plus que radicalisé les esprits des fascistes présents dans ces groupes. Ils ont créé des fichiers contenant des informations privées de dizaines de personnes de gauche (notamment leurs adresses), ce qui a très peu inquiété les autorités.

Appels au doxing. Captures d'écran des canaux Telegram administrés par ZIC, juillet 2024. - © Reflets
Appels au doxing. Captures d'écran des canaux Telegram administrés par ZIC, juillet 2024. - © Reflets

N'oublions pas le deuxième canal de la DAF, « Affiche ton Pédo » ou « Affiche ton gaucho », créés par ZIC, qui, lors de la soirée du jour des élections, publie des listes des manifs (trouvées sur Internet) avec le texte : « Les vendus iront manifester ce dimanche 7 juillet dans la rue pour militer pour l'importation de millions d'Africains. Ils seront armés et en groupe, faites de même. » Puis ZIC, donne des consignes très précises : pas de téléphone, être en groupe, masqué et porter des armes de catégorie D, précisément des bombes lacrymogènes et matraques télescopiques, dont le transport et le port sont interdits dans l'espace public.

Appel aux “ratonnades”. Captures d'écran du canal Telegram administré par ZIC, 7 juillet 2024. - © Reflets
Appel aux “ratonnades”. Captures d'écran du canal Telegram administré par ZIC, 7 juillet 2024. - © Reflets

Le travail de doxxing de ZIC, souvent partagé sur les canaux FrDeter, dans son aboutissement final, est aussi dangereux que les menaces et l'apologie du terrorisme professées par Panzer. Cet informaticien néonazi, dont l'identité est pour le moment inconnue, a réussi à constituer des fichiers sur des centaines de militants de gauche, mais aussi sur des journalistes et des activistes de la société civile. Le dernier fichier de doxxing de ZIC comportait plus de 1,4 gigaoctets, avec plus de 1.800 documents.

Depuis 2023, il a été possible d'identifier plusieurs comptes appartenant à ZIC, aujourd'hui supprimés. Néanmoins, certaines de ces conversations sont toujours traçables. Entre des photos de profil avec des grenouilles fascistes « Pepe the Frog » et des « mecs » aux saluts nazis, ZIC est sans doute un militant néonazi, mais aussi un informaticien bien renseigné. Sur Simplex, une messagerie chiffrée s'annonçant sans logs ni IDs d'utilisateur, ZIC apprend à des militants comment utiliser plusieurs outils pour échanger en toute sécurité. Plus banal, mais tout aussi important, il leur enseigne également comment utiliser Monero pour financer les groupuscules d’extrême droite extra-parlementaire.

Capture d'écran du fil de discussion mis en place par ZIC sur l'application Simplex, 2024. - © Reflets
Capture d'écran du fil de discussion mis en place par ZIC sur l'application Simplex, 2024. - © Reflets

En mars 2024, Zic proposait de servir de relais entre des « payeurs » et les « chasseurs » pour tabasser des « antifascistes ». Les prix, établis par lui, variaient entre les « simples » militants et les « chefs » comme Raphaël Arnault.

Capture d'écran d’un poste de ZIC sur ATA, 2024. - © Reflets
Capture d'écran d’un poste de ZIC sur ATA, 2024. - © Reflets

On parle d'un réseau de canaux Telegram où des dizaines de « turbo » néonazis participent. Ils sont générés et animés par ZIC et d'autres néonazis comme, par exemple, ToV, un individu ouvertement antisémite et administrateur d'un canal privé. Ce ToV, le 21 juillet 2024, a partagé, suite à la demande d’un membre du canal, la vidéo complète de l’attentat terroriste perpétré par le néonazi allemand Stephan Balliet, qui a tué plusieurs personnes et a été condamné à la prison à perpétuité.

Captures d'écrans d'une vingtaine de profils néonazis membres des canaux administrés par ZIC et ToV, en 2024. - © Reflets
Captures d'écrans d'une vingtaine de profils néonazis membres des canaux administrés par ZIC et ToV, en 2024. - © Reflets

Ce réseau Terrorgram français, dont fait partie la DAF (qui n’existe plus), repose sur les mêmes bases idéologiques, empruntant les mêmes moyens de propagande et d’incitation à la radicalisation. La mouvance accélérationniste cherche à toucher ce type de profils, avec déjà une prédisposition à la radicalisation, pour les recruter et les intégrer dans les groupuscules d'extrême droite extra-parlementaires. De nouveaux canaux néonazis comme NatioDeter, avec plus de 1.500 abonnés, ou des groupes plus privés où il faut passer par un système de filtrage, sont de véritables lieux numériques où la haine, le racisme et l’apologie du nazisme voire du terrorisme sont leurs piliers idéologiques.

Néonazisme, le momentum idéologique

La possibilité de la culture de la violence sur Telegram est depuis 2015 une vraie ressource pour une frange très spécifique et la plus radicale de l'extrême droite dans le monde. Lorsque les principaux réseaux sociaux, sous pression des gouvernements à partir de 2010, sont obligés d'exercer de la modération et de supprimer des contenus, Telegram, créé en 2013 par les frères russes Nikolaï et Pavel Dourov, devient un véritable outil de radicalisation et d’apologie de la haine et du terrorisme pour les néonazis. N'oublions pas que Daesh est un des premiers groupes terroristes à utiliser Telegram dès 2014. Un an plus tard, c’est au tour des terroristes néonazis américains de la Division Atomwaffen et de National Action qui, comme Daesh, en font un outil de propagande et de recrutement.

Ironmarch WebForum  - © GNET
Ironmarch WebForum - © GNET

Ces deux groupes (aujourd’hui dissous) qui étaient inspirés par l’idéologie du forum web Iron March, ont créé le réseau Terrorgram, toujours actif et se développant en France. Reflets a fait une longue enquête au cœur du Terrorgram français : Comment les fascistes et néonazis bâtissent la guerre civile, où djihad blanc et apologie du nazisme se mélangent dans une idéologie qui semble faire sens au sein de quelques groupes extraparlementaires comme le GUD et le mouvement Active Club.

Terrorgram français - © Reflets
Terrorgram français - © Reflets

Pendant de nombreuses années, le néonazisme français était plus ou moins circonscrit à des groupes de skinheads, notamment les Hammerskins, souvent liés à la scène Rock Anti-communiste (RAC) et National Socialiste Black Metal (NSBM). C'est à partir des années 2000, avec la naissance d’Internet et des instruments de radicalisation en ligne (l'extrême droite a su exploiter à merveille), que les mouvements néonazis se sont multipliés : Combat 18, Nomade 88, White Wolf Klan, Honneur et Nation, WaffenKraft, etc.

Reportage sur les premiers « chasseurs de skins nazis » parisiens. A visionner sur Youtube

Aujourd'hui, hors du Dark Web, inaccessible à la majorité des usagers, c'est sur Telegram qu'on peut observer le plus grand afflux de contenu nazi et néonazi en France. C'est à travers les attaques terroristes perpétrées par Tarrant ou Breivik et le fantasme du « grand remplacement » que les néonazis modernes banalisent le nazisme. Le plus surprenant, c'est que ces mêmes idéologies et contenus prospèrent, voire s'enracinent, dans la majorité des groupuscules d'extrême droite, tels que les identitaires, royalistes, national-révolutionnaires, etc., un sujet abordé dans notre enquête : Fachos 2.0 : les boucles brunes de Telegram.

Incitation à la haine, où est la limite ?

Dans un autre canal néonazi privé que Reflets a pu infiltrer, ZIC, administrateur du canal avec deux autres néonazis, a publié plusieurs listes de militants, politiques et activistes classés à gauche après les résultats des élections européennes dans le but de inciter au cyberharcèlement.

Mais cela ne suffisait pas. Pour que la réponse ainsi que les actions sur le terrain puissent avoir lieu, ZIC proposait des « Antennes d’information relais » afin que les militants à Strasbourg, Lyon, Rennes, Nantes et Paris puissent se renseigner sur les actions de gauche en temps réel. Objectif : organiser des ratonnades ?

Le 20 juin, il a partagé une liste des Active Clubs à rejoindre dans une dizaine de régions en France. Les membres des Active Clubs sont responsables de nombreuses actions violentes qu’ils revendiquent eux-mêmes sur les réseaux sociaux. Quelques jours plus tard, il a publié l’adresse du média StreetPress, dont l’un des rédacteurs en chef, Mathieu Molard, est régulièrement victime de cyberharcèlement de la part de l’extrême droite.

Le déferlement de haine ne s’est pas arrêté, et le jour du second tour des élections législatives, suite à un post de Gaary sur X, ZIC a publié la vidéo de Kyle Rittenhouse lorsqu'il tuait des manifestants, ajoutant la phrase suivante : « On rappelle qu’un bon antifa est un antifa mort, il n’y a qu’une solution pour cette maladie, c’est le cercueil ».

Si l'incarcération de Panzer a éloigné ZIC de la plateforme Telegram, où il ne poste plus rien depuis le 17 juillet, et a calmé certains utilisateurs qui ont supprimé leurs comptes ou changé d'adresse, la plupart des canaux Telegram qui partagent du contenu haineux, néonazi et fasciste sont toujours en activité. Sur l'un de ces canaux, les néonazis échangent plus de 1.000 messages par jour depuis depuis l'incarcération de Panzer.

Trois jours après l'incarcération de Panzer, un membre de du canal Division Aryenne Française a posté un message qui démontre que l'irruption de la justice ne les a pas calmés. Le troisième administrateur du canal Division Aryenne Française a créé un nouveau canal : DAF V.2...

Annonce de la création de DAF V.2 - © Reflets
Annonce de la création de DAF V.2 - © Reflets

Cela remet sur la table l’équilibre entre la liberté d’expression sur Telegram et la capacité des autorités à pouvoir arrêter net ce milieu de recrutement et de radicalisation vers les idéologies violentes que l'extrême droite radicale ne cesse de renforcer.

Update du 25 juillet

Mise à jour avec l'annonce de la création du canal DAF V.2

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