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par Rédaction

Extrême-droite et manifestants contre Emmanuel Macron : deux poids-deux mesures

Plusieurs centaines de néofascistes défilaient à Paris ce samedi avec une présence policière minimaliste

Cinq ou six policiers à vélo pour « faire la circulation » ont encadré une marche du Comité du 9-Mai (C9M) qui regroupe les plus radicaux des membres de groupuscules d'extrême-droite. Un dispositif qui contraste terriblement avec ceux mis en place lors des manifestations de gilets jaunes ou de personnes opposées à la réforme du régime des retraites.

Depuis des semaines, les affiches appelant au rassemblement sont collées à Paris et dans plusieurs villes de province.

C'est aux cris de « Europe jeunesse Révolution » et en brandissant des croix celtiques qu'ont défilé dans les rues de Paris environ 300 néofascistes samedi 6 mai 2023, à l'appel du Comité du 9-Mai (C9M). Ils entendaient commémorer la mort en 1994 de Sebastien Deyzieu, un militant pétainiste de l’Oeuvre française, tombé d'un toit en fuyant la police. Libération avait publié samedi matin un « avant-papier » qui décrit ce qu'est ce groupuscule rassemblant des militants d'extrême-droite radicale. Initialement, le Comité du 9-Mai a été fondé par le Front National de la Jeunesse (Rassemblement national période Jean-Marie Le Pen).

La préfecture de police de Paris avait précisé à Libération qu’un « dispositif de sécurité adapté sera mis en place. ».

Elle avait également publié un communiqué de presse annonçant l'utilisation de drones pour surveiller les manifestants.

En fait de dispositif adapté, la préfecture avait délégué cinq ou six policiers à vélo. « Nous sommes là pour faire la circulation, pas le maintient de l'ordre », indiquait l'un d'entre eux. Mais il y a des policiers quelque part pour faire du maintien de l'ordre, demande-t-on ? « Oui, plus loin sur le boulevard ». C'est un peu différent des manifestations contre la réforme des retraites comme démarche de maintien de l'ordre fait remarquer l'un des rares journalistes présents. « C'est comme ça, ce sont les ordres qui viennent d'en haut », commente ce policier qui semble totalement dépité.

L'ensemble du dispositif policier aux abords de la manifestation - © Reflets
L'ensemble du dispositif policier aux abords de la manifestation - © Reflets

On a beau regarder dans toutes les rues adjacentes, pas l'ombre d'un camion de police.

Au bout de cette rue, dans la perpendiculaire, finira la manif. - © Reflets
Au bout de cette rue, dans la perpendiculaire, finira la manif. - © Reflets

Là non plus, pas de camions de police... - © Reflets
Là non plus, pas de camions de police... - © Reflets

Là non plus...  - © Reflets
Là non plus... - © Reflets

Ici non plus. Décidément, la préfecture et le ministre ne sont pas inquiets.  - © Reflets
Ici non plus. Décidément, la préfecture et le ministre ne sont pas inquiets. - © Reflets

Quelques personnes d'un certain âge sont à l'écart, près de l'une de ces artères. « Tu ne nous prends pas en photo, sinon on te démonte », nous apostrophe l'une d'elles.

Ambiance.

Retour au départ de la manifestation. Sur cette petite place à l'angle de la rue d'Assas. Quelques manifestants cagoulés s'approchent des journalistes en train de discuter avec les forces de l'ordre. Ils demandent à la police de faire évacuer la presse qui « n'a pas déposé de demande à la préfecture ». Les concepts juridiques sont visiblement pas tout à fait assimilés. Ce qu'explique un policer. Voie publique, liberté de la presse... « C'est mieux qu'ils restent à l'écart, derrière vous parce que nous on ne peut pas garantir leur sécurité si des manifestants s'énervent ». Toujours la bonne ambiance.

Le point de ralliement à Port Royal  - © Reflets
Le point de ralliement à Port Royal - © Reflets

Le cortège finit par s'ébranler. Une voiture de police ouvre la voie. Deux policiers filment les manifestants. À l'arrière du cortège, une autre voiture de police et nos braves policiers à vélo.

Au fond à droite, les policiers à vélo dépêchés par la préfecture pour encadrer quelques centaines de néofascistes. - © Reflets
Au fond à droite, les policiers à vélo dépêchés par la préfecture pour encadrer quelques centaines de néofascistes. - © Reflets

Les manifestants vont ainsi parader quelques heures dans le quartier et finir leur manifestation rue des Chartreux, devant l'immeuble où est mort Sebastien Deyzieu en formant une haie avec des torches.

Le cortège en marche - © Reflets
Le cortège en marche - © Reflets

Bien loin du parcours de la manifestation, on découvre par hasard le gros des forces de police déployées par la préfecture.

Environ douze cars de police pour plusieurs centaines de néofascistes. - © Reflets
Environ douze cars de police pour plusieurs centaines de néofascistes. - © Reflets

Un policier nous confirme être là pour le défilé des « identitaires » mais il n'a aucune idée de l'endroit où ils se trouvent. Selon lui, le rassemblement était prévu à l'angle du boulevard Montparnasse et de la rue de Rennes où il se trouve.

Deux poids deux mesures

Rien à signaler, il n'y a eu aucune vitrine cassée ni de forces de l'ordre attaquée, commentait un sympathisant sur Twitter. Ceci expliquerait le ridicule déploiement de forces de l'ordre.

Oui. Mais non.

Combien de dizaines de manifestations des gilets jaunes ont été encadrées totalement de part en part (devant, sur les côtés et derrière) par une rempart de CRS qui accompagnaient toute la marche ? Combien de rues transversales ou parallèles occupées par des dizaines et des dizaines de cars de policers et gendarmes au cours des manifestations contre la réforme des retraites ? Combien de charges sur des banderoles de tête de cortèges arrachées par la police lors de manifestations non violentes, comme une sorte de ridicule trophée ?

Pour le premier mai, par exemple, le discours politique de Gérald Darmanin et de la préfecture était tout autre. On « anticipait » la présence d'« éléments radicaux » d'extrême-gauche.

À Nantes, par exemple, les fameuses « sources policières » qui alimentent le journalisme de préfecture évoquaient environ 800 black blocs, « nombre jamais vu ».

À Paris, « selon une source policière à l'AFP », les autorités s'attendaient à la mobilisation de 80.000 à 100.000 personnes, « dont 1.500 à 3.000 Gilets jaunes et 1.000 à 2.000 individus "à risque" (dont 400 de l'ultragauche), selon la même source ».

Ces 400 individus de l'« ultragauche », c'est à peu près le même nombre de personnes que ceux qui ont défilé à l'appel du Comité du 9-Mai. Et si dans ces 400 individus de l'« ultragauche », rien ne permet de dire quelle proportion est adepte de méthodes violentes, dans les quelques centaines de néofascistes qui défilaient samedi 6 mai, cette proportion était à l'évidence énorme. Et là, il ne s'agit pas de vitrines brisées mais d'individus qui sont visés.

Or pour les 400 individus de l'« ultragauche », Gérald Darmanin avait décidé de déployer 12.000 policiers et gendarmes en France, dont 5.000 à Paris.

Peu après la manifestation du 1er mai, le ministre qui a publié quelques articles dans un journal liée à l'Action Française (voir cet article de Politis ou celui-ci de Révolution Permanente) s'est exprimé au micro de RMC. Extraits : « je voudrais dire encore une fois, parce que l’on ne l’a pas beaucoup entendu et j'ai bien regardé vos plateaux de télévision hier soir, les condamnations, notamment venant de l'extrême-gauche, venant de la France insoumise, venant de monsieur Mélenchon, qui lui appelle quasiment à la sédition… [...] monsieur Mélenchon, monsieur Mélenchon, il va à la télévision, il a été candidat à l’élection présidentielle, il dit, il excite tout le monde, on l’a vu en direct sur vos plateaux de télévision, " à bas la mauvaise République ", voilà quand même des propos extrêmement dérangeants, extrêmement dérangeants… [...] Il y avait 20.000 personnes dans le pré-cortège, il y avait 2.000 éléments radicaux, il y avait des gens, on les a vus, grimés, avec des parapluies, [...] on n'est jamais loin d'un drame. Il y a eu 14 journées de manifestations contre les retraites, à chaque fois c'est toujours la même chose, c'est la même chose, c'est toujours l'ultragauche qui est au rendez-vous »

Il y a donc pour le ministre de l'Intérieur deux type de militants radicaux. Ils sont tous vêtus de noir, armés de parapluies et cagoulés. Les uns sont de l'« ultragauche » et ils vont probablement tuer des gens (souvent des policiers alors que les statistiques montrent qu'il n'y a pas eu un mort chez les forces de l'ordre en maintien de l'ordre depuis 30 ans). Pour ceux-là, qui selon Gérald Darmanin, comme « Monsieur Mélenchon » parlent de « mauvaise république » et appellent « quasiment à la sédition », on déploie 5.000 policiers. Et puis il y a les autres.

Les autres sont couverts de tatouages avec des symboles suprémacistes blancs rappelant le nazisme, une idéologie qui a mené le monde à la plus grande de ses tragédies, la Shoah, ils paradent dans Paris, mais aussi dans toutes les villes de France, sans être inquiétés le moins du monde, ni même encadrés par des forces de police. Il y a comme deux poids, deux mesures, comme une sorte de laisser-faire qui interroge.

N'a-ton rien appris ? Le fascisme, on sait exactement où cela commence et exactement comment cela finit.

Insurrection du ghetto de Varsovie, avril-mai 1943. Photographie extraite du rapport de mai 1943 de Jürgen Stroop à Himmler.  - Wikipedia
Insurrection du ghetto de Varsovie, avril-mai 1943. Photographie extraite du rapport de mai 1943 de Jürgen Stroop à Himmler. - Wikipedia

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