Aytré : quand l’arrêté d’interdiction de baignade prend l’eau
Serait-il touristiquement incorrect de fermer une plage polluée durant la saison balnéaire ?
La baie d’Aytré en Charente-Maritime souffre d’une pollution multifactorielle depuis des décennies. En 2018 la municipalité s’est résolue, contrainte et forcée, à interdire la baignade de façon permanente. Mais à l’heure où les touristes affluent, le bain de mer y semble curieusement toléré par les autorités…

Le premier volet de cette enquête date de quelques mois déjà. Reflets s’était penché sur le cas de la plage du Platin d’Aytré bien avant l’arrivée des estivants (Tout le dossier ici). A cette époque le maire de la commune se déclarait plutôt confiant pour la suite : « Les analyses de 2021 étaient plutôt bonnes, pour 2022 on va renforcer les analyses tout l’été, du mois de juin au mois de septembre, et si ces analyses sont bonnes avec les arrêtés qui ont été pris on sera forcément gagnant pour 2023 et on parie sur cette réouverture, on va mettre tous les moyens en œuvre ! ». Depuis, la saison d’été bat son plein et les vacanciers viennent par centaines se rafraîchir dans une eau impropre à la baignade. L’alerte a-t-elle seulement été signifiée à hauteur des risques encourus ? Et qu’en est-il concrètement de l’action des autorités sanitaires à moins d’un mois de la clôture officielle de la saison balnéaire ? Le point sur la situation...


Sur le papier tout va bien, mais cela se complique sur le sable. Nous avons improvisé un micro-trottoir de plage pour juger de la prise en compte du problème par les baigneurs: tous seront stupéfaits d'apprendre la mauvaise nouvelle, et tous s'étonneront du manque d'informations signifiant clairement l'interdiction de baignade .

Afin de mieux appréhender la forme et les moyens légaux à mettre en œuvre, nous avons interpellé Laurent Flament, le directeur de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Les précisions souhaitées nous sont parvenues par retour de courriel, via la directrice de communication chargée des relations avec les médias. Voici donc ci dessous l'art et la manière pour traiter (selon les termes exacts) de -l'affichage des mesures de communication à l'égard du public-.
Question : Un affichage spécifique doit-il être apparent aux abords de la plage, ou bien un drapeau rouge suffit-il à marquer une interdiction de baignade ?
Réponse : L’article D1332-32 du CSP précise que la PREB (Personne responsable des eaux de baignade) met à la disposition du public par affichage, durant la saison balnéaire, à un endroit facilement accessible et situé à proximité immédiate de chaque eau de baignade et, le cas échéant, par tout autre moyen de communication approprié, les informations suivantes (le détail ci-après), en français et éventuellement dans d'autres langues. En complément du drapeau rouge signalant que la baignade est interdite, la PREB doit apposer sur les principaux accès au site de baignade, un affichage approprié répondant aux dispositions de l’article D1332-32 précité. En cas d’interdiction ou de décision de fermeture du site durant toute une saison balnéaire au moins, un avis d’information au public expliquant le raisons pour lesquelles la zone concernée n’est plus une zone de baignade.
Le non respect de l’interdiction par les baigneurs peut-il être assimilé à une infraction verbalisable ? Et en cas de problème de santé lié à une contamination de masse, la faute sera-t-elle opposable à la PREB ?
S’il s’agit d’une baignade municipale, cette interdiction de baignade se traduit par un arrêté municipal. Le non-respect d’un arrêté municipal constitue une infraction qui peut être verbalisée par la police municipale. La seconde partie de la question relève de la responsabilité juridique et/ou pénale du maire pour laquelle mes services ne sont pas compétents.

Et pour info, voici l’intégralité des informations à produire en regard des dispositions de l’article D1332-32 :
1) Le classement de l'eau de baignade établi à la fin de la saison balnéaire précédente et, le cas échéant, tout avis déconseillant ou interdisant la baignade, au moyen d'un signe ou d'un symbole simple et clair.
2) Les résultats des analyses du dernier prélèvement accompagnés de leur interprétation sanitaire, dans les plus brefs délais.
3) Le document de synthèse donnant une description générale de l'eau de baignade et de son profil.
4) L'indication que l'eau de baignade est exposée à des pollutions à court terme, le nombre de jours pendant lesquels la baignade a été interdite au cours de la saison balnéaire précédente.
5) Des informations sur la nature et la durée prévue des situations anormales au cours de tels événements.
6) En cas d'interdiction ou de décision de fermeture du site de baignade, un avis d'information au public qui en explique les raisons.
7) En cas d'interdiction ou de décision de fermeture du site de baignade durant toute une saison balnéaire au moins, un avis d'information au public expliquant les raisons pour lesquelles la zone concernée n'est plus une eau de baignade.
On peut désormais mesurer l’écart existant entre la règlementation et la réalité du terrain. Nul doute que la fameuse PREB d’Aytré, en l’occurrence le maire Tony Loisel, devrait s’inquiéter d’une telle dérive. La non prise en compte des textes (voire leur totale méconnaissance) se vérifie pleinement au pied de la signalisation installée aux entrées du Platin. Pour s’en convaincre il suffit de rapprocher les indications fournies aux touristes sur l’une des plages de La Rochelle, ville voisine, aux familières confidences lancées à l’adresse des Aytrésiens. Chacun jugera de la pertinence des infos divulguées : d’un côté un rappel factuel de la situation, de l’autre un débat d’idée très imagé...


Au-delà de l’obligation légale d’affichage, un rappel s’impose à propos du cadre régissant la gestion et le contrôle des eaux de baignade. Le ministère de la santé rappelle à ce titre que : « Conformément à la directive n°2006/7/CE du Parlement européen, pour chaque site de baignade est établi un Profil de vulnérabilité des eaux de baignade ». Ces fameux profils, dont la municipalité d’Aytré semble faire si peu de cas, ont une importance telle que le ministère s’est fendu d’une récente instruction pour déplorer « un certain nombre de non conformités à la directive, notamment par rapport aux obligations suivantes : la réalisation et la révision des profils de baignade, la mise en œuvre de mesures de gestion à la suite d’une pollution à court terme ou d’un classement insuffisant, et l’affichage des mesures de communication à l’égard du public ». Tout est dit.
Couvrez ce profil que je ne saurais voir…
Ces profils classifiés de 1 à 3 selon les risques, servent à identifier le plus finement possible les sources de pollution. On découvre ainsi que cette connaissance de la vulnérabilité des baignades « renforce à dessein les outils de prévention à la disposition des gestionnaires, et permet de diminuer l’exposition des baigneurs à une dégradation de la qualité de l’eau ».
En se plongeant dans des archives profondes, nous tomberons sur quelques bonnes pages issues de profils rédigés en 2011 et révisés en 2017. Retenons cet extrait relevé parmi tant d’autres projections d’avenir: « Historiquement (jusque dans les années 1990) la zone d’Aytré abritait une usine de production d’engrais à partir de matières fécales et de carcasses animales. Sur la base des mécanismes de naturalisation, il est possible qu’un apport constant en matières fécales et autres sources (bactéries du tube digestif des carcasses) dans la zone où se situait l’usine ait conduit à l’installation d’une population locale de bactéries autonomes dans le sol (et toujours viables aujourd’hui). Il pourrait être intéressant de réaliser des analyses de sol sur ce site. Si une contamination bactérienne était avérée, le lien avec la zone de résurgence pourrait être à nouveau à tester ». Nul doute que ce type d’étude de vulnérabilité s’avère indispensable pour apprécier en conscience les sources historiques de pollution…

Nous noterons également cette intrigante petite phrase : « La personne responsable de la baignade est M. Le Maire de la commune d’Aytré. Pour des raisons pratiques et de commodités, il peut désigner des personnes en charge de l’application des mesures de gestion et des différents relevés nécessaires au suivi de la zone de baignade ».
On peut effectivement trouver bien pratique et fort commode le fait de pouvoir si prestement ouvrir le parapluie de la délégation des compétences et des responsabilités.
Se baigner ? C’est vous qui voyez…
Comme chaque année, la municipalité Aytrésienne à pris soin d’installer un -point info- en bordure de plage. Une équipe d’animateurs vacataires y renseigne volontiers promeneurs et touristes de passage. En bon père de famille soucieux de la santé de sa progéniture, nous nous sommes interrogés sur la qualité de l'eau. Les infos obtenues au comptoir du kiosque nous laisseront sans voix : « Alors… le drapeau est rouge parce que la qualité de l’eau est insuffisante par rapport aux normes Européennes, pas de beaucoup, mais c’est quand même insuffisant ; donc la baignade n’est pas interdite, mais elle est déconseillée aux personnes qui seraient un petit peu fragile. Voilà, après c’est vous qui voyez. Il n’y a pas de contrôle, c’est vous qui prenez la décision, tant que vous avez l’information c’est le principal ! ». Pas interdite ? Et pas de beaucoup...? Les dernières analyses de Juillet relèvent pourtant une quantité de germes bactériens à 1.930 sur un prélèvement de 100ml, alors que la qualité de l’eau est considérée moyenne à partir de 100 et déclarée mauvaise dès 370/100ml. !
Serait-il tacitement déconseillé d’interdire ?

Suite à cette surprenante recommandation nous avons cherché à obtenir un rendez-vous avec la mairie pour éclaircir l'affaire. Monsieur le maire, Tony Loisel, ne parvenant pas à se libérer de ses obligations, nous serons reçus par son homme de confiance, Pierre Cuchet, l’adjoint en charge de l’Aménagement du territoire, de l’Écologie et de l’Urbanisme qui s'occupe du dossier.
L’interview Le maire et la mer de Reflets
Reflets : La baignade sur la plage du Platin est-elle seulement déconseillée ou bien formellement interdite ?
P.Cuchet : Elle est interdite ! Mais cela reste sous la responsabilité de chacun. On ne va pas mettre un policier devant la mer pour interdire la baignade…
L’affichage mis en place vous semble t-il correct et suffisant pour informer les touristes du risque sanitaire?
Je crois que nous sommes en règle à ce niveau. Nous nous sommes mis aux normes Européennes en ajoutant un drapeau violet sous le drapeau rouge d’interdiction pour préciser le risque de pollution.

Comment voyez-vous la suite des événements pour améliorer la qualité de l’eau de la baie ?
Lors de la dernière réunion qui s’est tenue avec l’ARS, le département, la CDA, le laboratoire Qualyse, la doctorante du projet ICOMABIO et l’université de La Rochelle, nous avons décidé de continuer les investigations à travers un plan d’action en 8 points. Ce plan, non communicable à ce jour, consiste à élargir la zone d’étude autour du centre équestre, du lieu de rassemblement des gens du voyage, du réseau des eaux fluviales, de l’assainissement non collectif… Nous balaierons l’impact des marais du bassin versant et nous étudierons l’influence possible des boues de dragage du port des Mimines. Nous rechercherons aussi les éventuels problèmes de pollution des bassins de décantation des exploitations ostréicoles. Tout cela pourrait nous préciser un peu les choses.

Cette étude ICOMABIO, menée sur 3 années et dont le coût s’est élevé à près de 400.000 €, a-t-elle apporté une aide décisive pour l’équipe municipale d’Aytré ?
Non. Maintenant, nous nous appuierons sur ces résultats pour mettre en place notre nouveau plan.

En mai dernier, le maire Tony Loisel prenait le pari d’une réouverture de la plage pour la saison 2023, qu’en est-il aujourd’hui de cette possibilité ?
On s’en éloigne. A partir du moment où les résultats des analyses sont défavorables on s’en éloigne… A ma connaissance il faudrait 3 ans de bons résultats, mais si on met en place un nouveau protocole qui permet de satisfaire l’ARS, et dans l’hypothèse ou les analyses seraient bonnes, on pourrait réouvrir la plage avant…
Et à propos des pollutions d’origine animale, les études menées sur les oiseaux, les chiens et dernièrement les chevaux, ont-elles été concluantes ?
J’ai demandé à ce que soit procédé des analyses en amont et en aval d’un centre équestre proche de la plage. Le propriétaire nous a expliqué la façon dont il gère son stock de fumier et de purin, le fonctionnement de son réseau d’évacuation des eaux usées… et nous pensons qu’il pourrait y avoir des axes d’amélioration. Il y a aussi une autre cause qui est avancée, sauf que cela ne ressortait pas dans les dernières analyses, ce sont les bactéries porcines. Il semblerait que la présence d’une harde de sangliers importante, d’environ 20 à 25 bêtes, puissent augmenter la pollution…

Le bestiaire d’Aytré vient donc de s’étoffer d’un possible et nouveau pollueur à quatre pattes. Le propriétaire du Centre équestre visité, que nous avions déjà rencontré lors de notre précédente enquête, pose, lui, un regard amusé sur la situation : « Aujourd'hui le canal de Vuhé qui entoure mes installations est complètement à sec, des prélèvements viennent d’être réalisés dans des mares d’eau dormantes. A quoi cela peut-il bien servir? Je peux vous prédire qu’on doit trouver un beau condensé de déjections dans ces flaques là : il y a une grosse colonie de ragondins qui vivent sur les berges et les sangliers viennent bauger dedans la nuit. Mais bon, j’attends les résultats, on verra bien »

Retour au point zéro, tout reste à faire pour comprendre et traiter les sources de cette terrible pollution chronique. Ou bien alors, comme le préconise notre cavalier désabusé, attendre et voir… Mais si possible après la fin des vacances et le passage des touristes !