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Dossier
par Eric Bouliere

Bassines #5 : du rôle et de la fonction des politiques.

La réponse des élus est-elle à la hauteur du réchauffement climatique ?

Certaines visées très écologiques s’assortissent parfois d’une destinée très politicienne. En ce qui concerne le partage de l’eau, les élus de terrain ne sont pas tous en phase avec les hautes instances. Chers collègues ouvrons la séance : qui est pour, qui est contre les bassines ?

L’État, la région et le département face aux bassines… - capture écran

Au regard d’enjeux économiques considérables et face aux déclarations officielles d’un ministre ou d’un président de région, il semble difficile de formuler son opposition aux réserves de substitution sans prendre le risque de passer pour un pénible contestataire. Si une politique globale se conçoit volontiers autour de la bien-pensance des Pour-Contre et des Contre-Pour, les convictions marquées semblent a priori moins bien acceptées. En conséquence de quoi certains élus de terrain préfèrent se retrancher derrière un élan mou et informel plutôt que de se faire cataloguer tel un verdoyant forcené…

On reproche en effet souvent aux écologistes de toutes confessions de ne rien comprendre au fond du problème du stockage de l’eau. Ceux-là sont même parfois assimilés à des « escrologistes » prêts à tout pour se faire entendre. De leur point de vue les réserves de substitutions ne seraient qu’un pis-aller face aux problèmes rencontrés par les agriculteurs. Ont-ils tort, ont-ils raison ? L’histoire et le climat jugeront, mais force est de reconnaître que le parti des verts est dans son rôle et sa fonction naturelle.

Pour mieux juger des avis et de la connaissance des dossiers liés aux réserves d’eau, Reflets s’est rapproché de plusieurs édiles concernés par cette affaire. Toutes couleurs politiques confondues, ils arborent l’écharpe tricolore et portent un mandat électif, tous ont un rapport direct avec l’eau, la santé ou l’environnement en général, mais tous n’ont apparemment pas la même liberté de ton. Certains refuseront même à s'exprimer ouvertement sur la question. Avant de prendre connaissance de leur témoignage, il est bon d’élargir le champ pour surligner les tendances hautes du débat.

Dans les couloirs du ministère…

Dans l’ordre d’apparition à l’écran des pouvoirs, nous trouvons un ministre de la transition écologique qui n’aura pas manqué de se positionner sur la construction des bassines. Il est ainsi venu confirmer « qu’il n’y a pas d’agriculture sans eau », puis s’est chargé de rassurer le clan des Pour : « Je ne vois pas les raisons pour lesquelles je serais contre un projet légal, soutenu par les élus, et pour lequel les scientifiques disent qu’il va dans le bon sens ». La voie royale semblait toute tracée.

Trois mois plus tard, en janvier 2023, le ministre semble pourtant souscrire aux arguments de l’équipe des Contre : « Après, la question des bassines dépend des territoires, quand on prélève sans se poser de questions, c’est un problème…  ». Mais à mieux y réfléchir, il ajoute aussitôt : « Quand on cherche à maintenir une capacité à nourrir des animaux et des hommes, cela peut avoir une vertu ». On apprend au passage que les bienfaits d’une bassine seraient variables selon les territoires et que le bon sens se situerait peut-être de ce côté-ci. Qu’à cela ne tienne, dirigeons-nous vers la plus grande région de France, la Nouvelle-Aquitaine.

Et le travail ne manque pas dans cette ancienne région du Poitou-Charentes où l’on estime à près d’une centaine le nombre de futures bassines à construire. Les manifestations qui se sont tenues à Poitiers (86), à Sainte-Soline et Mauzé-sur-le-Mignon (79) ou à Cramchaban (17) résonnent encore de l’ampleur des contestations menées sur ce territoire. Trois préfets furent envoyés au charbon pour calmer le jeu : Emmanuelle Dubée, la préfète des Deux-Sèvres, Jean Marie Girier dans la Vienne ou Nicolas Basselier en Charente-Maritime.

Étrangement le sujet ne semble plus tout à fait porté par les politiques, mais par des préfets qui, par prédisposition étatique, usent moins du débat public que des forces de l’ordre pour résoudre les conflits lorsque la situation s’envenime. Une sorte de premier rempart vient incidemment de s’élever entre le pouvoir des bassines et le vouloir des élus…

Les légions des régions

La Nouvelle-Aquitaine, 12 départements, un conseil de 183 élus et un président en acier forgé, Alain Rousset, qui enchainent les mandats depuis les années 2000. Cette armée de terrain doit forcément éclairer les bassines qui jalonnent ce fief régional d’une expertise fine et circonstanciée. Si fait, le président Rousset à l’image du ministre sait se saisir de l’essentiel : « On ne peut pas faire une agriculture sans eau ! ». Compte tenu de la platitude de son territoire, il constate : « On ne peut pas faire des lacs collinaires. Alors il nous faudra des réserves de substitution ».

Comme Christophe Béchu, et faute à une météo peu conciliante, Alain Rousset en viendra lui aussi à moduler son propos : « Au vu des prédictions des météorologistes, c’est un devoir de dire aux agriculteurs qu’on doit les accompagner à la production d’autres cultures ». En termes moins élégants : stop à la culture intensive du maïs. S’affirmant davantage à travers des vœux en faveur d'une gestion publique et démocratique de la ressource en eau, le conseil régional renvoie la balle du côté de l’Élysée : « Nous demandons au Gouvernement que soient réexaminés les projets de stockage d’eau de type réserves de substitution, que soit mis en place une réelle concertation, préalable à toute validation de projet, prenant en compte les observations des acteurs territoriaux de l’eau et l’ouverture de débats publics… ». Une simple interrogation : une région, quand bien même serait-elle la plus grande de France, n’aurait donc aucun pouvoir décisionnaire sur son territoire ?

On s’étonne alors de découvrir que ce même conseil régional puisse subventionner de son propre chef, et à hauteur de 20.000 €, un projet de construction de plusieurs bassines. La Région rapporte ainsi que : « La société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres (Coop 79), dans le cadre de son projet de création de 16 réserves de substitution, a souhaité mettre en place un dispositif pour mesurer l’impact des évolutions de pratiques des exploitations agricoles sur la biodiversité ; il est proposé d’accompagner l’étude définissant la méthodologie et réalisant l’état des lieux de la biodiversité, sur le périmètre concerné par la création des 4 premières réserves financées par l’Agence de l’eau et l’État ». Mais après tout, que sont ces 20.000 € en comparaison des 60 millions initialement dévolus à la réalisation de l’intégralité d’un tel projet ?

Des petites, et pas des grandes, et c’est l’Europe qui décide… - Capture d'écran
Des petites, et pas des grandes, et c’est l’Europe qui décide… - Capture d'écran

Nicolas Gamache, conseiller régional et maire de la commune Les Châteliers, s’emportera à l’encontre ce coup de pouce financier : « La Coop de l’eau va ainsi être aidée par la Région pour étudier les dégâts qu’elle va elle-même occasionner sur la biodiversité… ». Précautionneuse dans les faits et dans les termes, la commission indique doctement que « la Région privilégie les projets permettant de réduire la pression sur les ressources en période d’étiage (réserves de substitution) et accompagne la création de retenues de petites tailles et faibles volumes portés par des agriculteurs qui répondent aux exigences du règlement européen et aux critères de sélection régionaux ». Mais curieusement rien, ni de la taille ni des volumes, n’est ici clairement précisé.

Dans son souci de bien faire la région se donne vaille que vaille les moyens d’agir : « Les élus de Nouvelle-Aquitaine réunis en séance plénière ont adopté la feuille de route régionale dédiée à la transition énergétique et écologique -Néo Terra-. Elle se fixe des ambitions, accompagnées d’engagements chiffrés et d’actions concrètes. L’objectif est d’accompagner l’effort de transition en termes énergétique, écologique et agricole à l’horizon 2030 ». Comment ne pas comprendre que l'ambition et les objectifs sont ici des spécialités régionales...

Sur les grandes départementales

Une vision plus ferme et définitive sur le fond est peut-être à rechercher du côté des départements. Par exemple dans la Vienne qui vient d’accueillir son nouveau préfet, Jean-Marie Girier. Ce haut fonctionnaire connait parfaitement les rouages étatiques pour avoir été le directeur de campagne d’Emmanuel Macron. Dès son arrivée il s’est employé à officialiser la signature du protocole du Clain afin de valider un projet de construction de 30 bassines. Rôdé aux exigences de la préfectorale il a de suite pressenti que « Reporter cet événement aurait donné raison à ceux qui emploient la violence ». Satisfait d’avoir obtenu un consensus entre toutes les parties, il assure: « Le protocole du Clain permettra la construction de 30 bassines dont la plupart disposent des autorisations de l’administration, et soulagera les milieux en période estivale en substituant plus de 8 millions de m3 d’ici 6 ans ». Enfin, un vrai Pour ! Minute, rien n’est joué...

Car en dépit des circonvolutions officielles l’usage de ces bassines reste conditionné aux résultats de rapports à venir et dont les signataires se sont gardés d’attendre la parution. Les conclusions de certaines études (HMUC : hydrologie, milieu, usage, climat) pourraient notamment venir rebattre les cartes d’un protocole si bien signé. Il apparaîtrait soudain que les nappes ne seraient pas aussi corvéables que prévu en fonction de prévisibles sécheresses hivernales. Le préfet Girier estime pour sa part que ces études complémentaires « pouvaient conclure à l'inutilité de quatre ou cinq bassines sur 30 ».

Ce genre d’études et de déclarations font l’effet d’une bombe chez les pros bassines. L’un d’eux s’en est ouvert à la presse : « Cette étude, c’est l’anéantissement du protocole du Clain. On parle de 30 bassines qui ne se feront pas, de kilomètres de haies qui ne seront pas plantées pour la biodiversité, de kilomètres de restructuration de cours d’eau abandonnés, pareil pour les aménagements de zones humides (…) voter une telle étude, c’est voter un grand plan de licenciement au-delà de ce que le territoire du département a déjà connu, dans nos fermes, mais faut penser aussi aux usines et nos coopératives (…) La prise en compte de ces résultats pourra avoir pour conséquence une révision du nombre de retenues et du volume planifié au travers des actes réglementaires concernés ».

Le protocole du Clain : sur le papier tout paraissait simple… - Capture d'écran
Le protocole du Clain : sur le papier tout paraissait simple… - Capture d'écran

Autre département, autres considérations premières. Nous sommes en décembre 2022 au conseil départemental de la Charente-Maritime où Marc Maigné, maire de Nieul-sur-mer, tente d'apporter son éclairage de médecin de santé publique sur une situation sanitaire qu’il juge très préoccupante. Après avoir signalé que la population des Maritimes était vieillissante, « 34,9 % des habitants ont 60 ans et plus contre 26,8 en moyenne nationale », après avoir rappelé que l’offre de soin n’était plus suffisante « 60.000 personnes n’ont pas de médecin traitant », il s’alarme d’une surmortalité par cancer, « on ne peut pas s‘empêcher de penser aux pesticides et la pollution de l’air et de l’eau et donc à celle de notre alimentation ».

Attentive au poids de ses inquiétudes, Sylvie Marsilly, la présidente du département, trouvera les mots pour le rassurer : « On est quand même… pas trop mal en Charente-Maritime, sinon mis à part tout ça, monsieur Maigné, n’est-ce pas ? ». Un ange passe… Continuons notre route sur les bassines du département.

Un projet de six bassines en Charente-Maritime - Capture d'écran
Un projet de six bassines en Charente-Maritime - Capture d'écran

Car oui, la Charente-Maritime n’est pas en reste côté bassines puisque la question s'y posait déjà en 2018 avec un projet de création de six ouvrages. Une enquête publique fut ouverte pour recueillir les avis de tous. Et parmi ce recueil d’approbation et de désapprobations, nous avons retrouvé une délibération du conseil municipal de La Rochelle porteuse d’une grande et sincère inquiétude : « Les conditions de remplissage, insuffisamment restrictives, pourraient entraîner des étiages plus précoces et présenter un risque non seulement sur la quantité des eaux disponibles en alimentation des eaux potables, mais aussi sur la qualité de ces eaux ».

Quand certains conseillers municipaux s’inquiètent… - Capture d'écran
Quand certains conseillers municipaux s’inquiètent… - Capture d'écran

Brigitte Desveaux, ex-conseillère municipale devenue à présent conseillère départementale, avait pris part au vote de cette délibération. Elle se souvient encore : « La ville de La Rochelle s’est positionnée contre les réserves de substitution. Une Motion a été votée à une grande majorité, et on s’est assez fait engueuler par les gens de l’agglo qui nous ont reproché de nous positionner comme ça…  »

Cette alarme portée par la ville sur le registre de l’enquête publique sera balayée d’un revers par les porteurs du projet : « Il est important de rappeler que la Ville de La Rochelle est membre du Comité de pilotage du contrat territorial de gestion quantitative du bassin du Curé depuis 2012 et qu'elle a pleinement participé, avec l'ensemble des représentants des acteurs concernés du territoire à l'élaboration du contrat territorial. À notre connaissance, les différents comptes-rendus des réunions n'ont jamais fait état de remarques négatives de la Ville de La Rochelle sur la stratégie d'actions ou le contenu du Contrat ».

Les commissaires, trois officiers de gendarmerie en retraite, missionnés pour rendre un avis personnel en fin d’enquête décerneront un avis favorable au projet non sans avoir eux-mêmes relevé que : « La ville de La Rochelle a participé au comité de pilotage et il est surprenant de trouver un avis réservé émis pour ce projet alors que comme indiqué par le pétitionnaire lors des diverses réunions aucune remarque négative n’avait été émise ».

Pour info, rappelons qu'aux commandes du projet en question on trouve le Syres 17 (syndicat mixte des réserves de substitution de Charente-Maritime) dont la présidente, Françoise de Roffignac, est également la vice-présidente du conseil départemental en charge de l’eau, de l’environnement, de la mer et du littoral. Guillaume Krabal, en responsabilité de l’eau au sein de la communauté d’agglo Rochelaise apparait lui aussi sur la liste des membres du comité syndical du Syres dont l’objet statutaire est : « la création, l’exploitation et l’entretien des réserves de substitution ».

Le Syres, porteur des projets de bassines dans le département - Capture d'écran
Le Syres, porteur des projets de bassines dans le département - Capture d'écran

Martine Villenave, conseillère départementale à cette époque, nous confiera ses préoccupations d’alors : « Quand on votait pour les réserves de substitution, les subventions étaient souvent noyées avec d’autres programmes. J’ai réclamé des éclaircissements, on m’a proposé de faire un débat commun avec la Communauté d’agglomération. Je ne suis jamais vraiment parvenue à lancer la discussion avec la Cda, on sentait que tout le monde marchait sur des œufs. Tout ce que j’ai réussi à obtenir ce fut une présentation du Syres 17, devant très peu d’élus, qui a fait le bilan de ce qui se passait » .

Quelles subventions pour quelles réserves de substitution... - Capture d'écran
Quelles subventions pour quelles réserves de substitution... - Capture d'écran

On peut en effet trouver trace de subventions allouées par le département dont les sommes varient selon les délibérations. Les montants atteignent ou dépassent les 600 000 € et sont imputés sans davantage de précision sur une ligne « retenues de substitution ».

Au final, en 2020, sous les recours répétées et déposés par une Association environnementale (NE17) le tribunal administratif de Poitiers annulera les arrêtés préfectoraux autorisant la création de réserves du bassin du Curé. Sur les termes de ce jugement, Nature Environnement 17 souligne « en premier lieu que le Syres 17, porteur du projet, n’est en réalité pas compétent pour solliciter une déclaration d’intérêt général. Par ailleurs, les juges ont constaté que les modalités d’entretien et d’exploitation des ouvrages, tout comme la répartition des dépenses, étaient trop imprécises alors que le coût de l’opération est de plus de 9 millions d’euros, financés à 70 % par de l’argent public ».

La fin du projet sur le bassin versant du Curé ? - Capture d'écran
La fin du projet sur le bassin versant du Curé ? - Capture d'écran

Par ailleurs, et toujours sous l’impulsion de l’association NE17, le Conseil d’État vient récemment de rejeter le pourvoi des irrigants concernant le remplissage de cinq autres bassines en Charente-Maritime (La Laigne, Cramchaban, la Grève-sur-le-Mignon).

Ces déboires judiciaires à répétition n’empêchent pas la Coop de l’eau 79 de communiquer dans la foulée sur le remplissage de la réserve SEV 17 de Mauzé-sur-le-Migon, à raison d’un stockage de 241 000 m3 d’eau. Après deux mois de pompage, la Coop se félicite « des conditions hydrologiques locales favorables ». Son président informe que « cette opération respecte strictement l’ensemble des prescriptions réglementaires, notamment le suivi quotidien des niveaux de la rivière et des nappes phréatiques superficielles ».

Les agriculteurs irrigants réclament de l’eau à Mont-de-Marsan - Capture d'écran
Les agriculteurs irrigants réclament de l’eau à Mont-de-Marsan - Capture d'écran

D'autres voix se sont simultanément élevées à Mont-de-Marsan lors d’une manifestation organisée par la FNSEA des Landes et la JA (Jeunes Agriculteurs) et où les irrigants ont exprimé leur colère face aux restrictions d’eau que leur imposent les autorités environnementales. François Lesparre, président de la FDSEA 40, déclare: « Il y a une ambiance négative autour de l'eau, ce sera bientôt un péché d'irriguer ». Pour Christian Fourcade, le porte-parole des Hautes-Pyrénées : « 2022 a été une révélation sur le fait qu'on manquait d'eau mais la seule variable d'ajustement choisie c'est de baisser les quotas (…) il n’y a pas eu de construction d'ouvrage pour le stockage d'eau depuis 1830 ».

Et, selon la formule désormais consacrée, dans le même temps le ministre Béchu déclare que la France est en état d’alerte. Il annonce ce 23 février vouloir présider le comité d’anticipation de sécheresse avec tous les préfets coordinateurs de bassin afin de « commencer à regarder territoire par territoire ou nous en sommes, afin de prendre des mesures soft de restrictions d’eau dès le mois de mars ».

Et toujours dans le même temps, Météo France précise que février 2023 apparait comme le mois le plus sec jamais atteint depuis 1959.

Que dit la météo pour demain… - Capture d'écran
Que dit la météo pour demain… - Capture d'écran

Voici donc pour l’état des lieux en région Nouvelle-Aquitaine ; il est temps d’écouter les déclarations de ces élus qui, en fonction de leurs charges et de leurs attributions, ont accepté de répondre à nos différentes questions.

Les interviews : À l’eau les élus, vous êtes sérieux ou quoi ?

Guillaume KRABAL • Maire de Dompierre-sur-Mer • Conseiller départemental • Vice-président du conseil communautaire de la Rochelle (Eau potable - Gestion des eaux pluviales urbaines et de ruissellement, Inondation, ruissellement et remontée de nappe - Gestion des milieux aquatiques- Axe « Carbone bleu » du projet La Rochelle Territoire Zéro Carbone) • Membre du comité syndical du Syres 17

Reflets : En tant qu’élu responsable des affaires de l’eau et membre du Syres 17, pouvez-vous nous parler des bassines ?

G.K : « N’attendez pas de moi de vous faire une analyse scientifique et administrative des bassines, par contre en matière de gestion de l’eau j’ai quelques idées et quelques façons de voir, mais je ne pourrais pas être l’expert es-bassines » .

Une question facile pour commencer, êtes-vous pour ou contre les réserves de substitution ?

« Si la réponse était aussi simple que cela. Je pense qu’il y a une vision simpliste de voir les choses. Il y a effectivement deux groupes qui s’opposent, les pour et les contre, et que l’on n’essaie pas de travailler sur la question primordiale qui est de savoir comment faire pour vivre aujourd’hui avec la quantité et les besoins d’eau que nous avons. Nous sommes en train de nous opposer mutuellement…  ».

Mais plus précisément sur les réserves de substitution ?

« Alors c’est quoi une réserve de substitution, c’est aussi la grande question, une bassine, une réserve de substitution, une méga bassine ? Une méga bassine comme elle est présentée aujourd’hui au Sud de Sèvres et au nord de la Charente-Maritime, je serais plutôt contre. Par contre des réflexions autour de capter l’eau et la, et la, et comment dire… la stocker quelque part, je suis plutôt, enfin, je suis plutôt porté à y réfléchir. Mais ce n’est pas aussi binaire que ça… ».

Quelle issue proposeriez-vous à ces deux groupes qui s’opposent ?

« Moi ma mission et ma fonction aujourd’hui c’est d’essayer de construire une politique de l’eau différente sur La Rochelle, qui évite d’opposer les gens les uns aux autres et puis de travailler sur le thème d’une ressource partagée, nécessaire pour l’agriculture, nécessaire pour la vie. Sur le conflit en tant que tel, qui touche les méga bassines, là ils sont rentrés dans un débat et dans un bras de fer et je ne suis pas sûr qu’ils en sortent ni l’un ni l’autre, ou cela va être encore très long ».

Quelle est la portée des décisions que vous pourriez prendre à propos de la construction des bassines ?

NDLR (1): Soucieux d’étendre le débat sur la gestion de l’eau, Guillaume Krabal nous fera ici une longue réponse portant sur la nécessité de repenser les villes et l’utilisation de la ressource. Autant d’informations complexes et instructives, mais nous l’inviterons à se recentrer sur l’objet principal de la question.

Combien de bassines se sont construites sur votre département ?

« Je… je ne vais même pas pouvoir vous répondre  ».

Voyez-vous un lien entre une bonne gestion de l’eau, la construction de bassines et le succès du projet du Zéro carbone qui est engagé sur le territoire Rochelais ?

« Si on décidait de faire des grandes bassines et qu’il faut pour cela pomper de l’eau dans la nappe, la sortir de la nappe, la dégrader, et ensuite pouvoir la retraiter pour l’acheminer en eau potable, nous serions à l’opposé du projet de territoire zéro carbone. Cela nécessiterait à la fois de l’énergie pour sortir l’eau des nappes, cela nécessiterait une double énergie pour l’acheminer jusqu’au lieu d’utilisation, et cela nécessiterait un traitement de l’eau supplémentaire puisqu’en pompant les eaux des nappes on les aurait dégradées…Pour moi tout ceci est peu conforme avec l’idée que je me fais d’un territoire zéro carbone ».

Marc MAIGNÉ • Maire de Nieul-sur-Mer • Conseiller départemental • Conseiller communautaire délégué (Coordination des politiques de santé environnementale sur le territoire de l'Agglomération)

Reflets : Vous déplorez la pollution de l’eau due à l’usage de pesticides agricoles, vous serait-il possible de nous parler des réserves de substitution ?

M.M : « Non pas vraiment…moi si vous me parlez santé, si vous me parlez politique, là je peux vous en parler toute la soirée, mais les réserves je ne connais pas le sujet, franchement je ne cherche pas à esquiver. Celui qui connaît bien le sujet ce n’est pas moi, c’est Guillaume Krabal, la gestion de l’eau c’est lui qui s’occupe de ça ».

Merci de votre franchise, mais peut-être un simple avis alors ?

« J’aurais une réponse de Normand, qu’est-ce-que je pense des réserves d’eau ? Je pense que sûrement, quelque part, s’il y a des réserves d’eau c’est qu’il y a une nécessité à les faire. Après c’est toujours pareil il ne faut pas en abuser, il faut rester raisonnable, mais une fois que j’ai dit ça… Je suis quelqu’un de très pragmatique, s’il faut faire des réserves d’eau, un peu, faisons-en. Mais il ne faut pas qu’elles soient faites dans des proportions déraisonnables. Mais je n’ai pas les connaissances techniques et suffisantes sur le dossier de la gestion de l’eau, et suffisantes pour avoir un avis autorisé ».

Marie LIGONNIERE • Mairesse de Périgny • Vice-présidente du conseil communautaire de La Rochelle (Participation citoyenne - Conseil de développement - Accompagnement aux transitions) • Conseillère départementale

Reflets : Les réserves de substitutions, qu’en pensez-vous ?

M.L : « Les réserves de substitutions ? Que qualifiez-vous de réserves de substitution ?  »

Les bassines…

« Que l’on aborde bien le même sujet… Sur les bassines, grand, grand sujet, je pense que se focaliser sur les bassines c’est oublier le problème d’ensemble, la façon dont l’agriculture est engagée ».

Mais vous seriez plutôt pour ou contre ?

« Contre les bassines bien sûr, par principe, parce qu’effectivement c’est un système qui n’a plus de sens et qui vient appauvrir nos ressources en eau, et qui est mortifère pour tout le monde. Avec des contraintes pour les agriculteurs d’avoir toujours de l’eau forcément, mais c’est un modèle qui est à repenser, à revoir totalement. On ne peut pas dire pour ou contre sans repenser tout le modèle de l’agriculture ».

Contre par principe, pouvez-vous préciser le pourquoi d’une position aussi tranchée ?

« C’est précisément la question du partage de la ressource en eau qui s’appauvrit dont il s’agit. Alors oui par principe, concentrer cette eau pour un type d’agriculture cela me pose une difficulté parce que je ne suis pas pour cette agriculture-là. L’empiètement de l’urbanisation sur les terres agricoles est un problème, en tant qu’élus nous devons produire du logement et pourtant on nous dit n’empiétez surtout pas sur les terres agricoles, on nous dit préservez la ressource en eau, mais on nous dit aussi qu’il faut de l’eau pour l’agriculture… Alors il existe peut-être des alternatives à cette agriculture qui demande beaucoup d’eau, mais pour ça il faut un modèle économique derrière. Ce que je veux dire c‘est qu’on arrive vraiment en bout de course de ces modèles ».

Avez-vous l’impression que les élus dans leur ensemble maitrisent le sujet ?

« Nous avons parfois un manque de connaissance sur certains sujets, le problème des élus est de travailler de façon cloisonnée. Nous avons tous des délégations, si vous interrogez le vice-président en charge de l’eau (NDLR : Guillaume Krabal) il aura certainement une position beaucoup plus fine sur le sujet des bassines que moi ; et pourtant toutes les décisions prises par les délégations sont liées… »

Jean-Marc SOUBESTE • Conseiller communautaire de l'Agglomération • Conseiller municipal de la ville de La Rochelle • Conseiller départemental

Reflets : Vous êtes un militant vert de longue date : les écolos sont-ils devenus la bête noire des agriculteurs ?

JM.S : « Non, ce n’est absolument pas le combat des écolos contre l’agriculture ou les agriculteurs ; sur la question des bassines on retrouve des paysans qui se disent que ce modèle est absurde et confiscatoire de la ressource, des scientifiques qui pensent que pomper de l’eau dans les nappes pour arroser du maïs durant la saison estivale c’est absurde, des citoyens de tous bords qui trouvent que le modèle qu’on leur présente est absurde… Bien sûr, les écologistes sont souvent à l’initiative des réflexions sur ce sujet, ils recueillent les contestations, des plaintes d’associations militantes de terrain, mais ce n’est en rien une opposition entre les méchants écolos et les bons agriculteurs. Cela n’a rien à voir ».

Les élus cernent-ils bien la réalité du stockage de l’eau en bassines ?

« Cela dépend, c’est très parcellaire, nous avons posé la question au niveau du conseil départemental, tous les élus sont demandeurs de formations, d’informations. Mais il y a une vraie méconnaissance aujourd’hui sur le sujet de la gestion de l’eau ».

Savez-vous combien de bassines sont actuellement en service sur le département et avez-vous en tête un volume global de m3 d’eau à stocker ?

« Je crois qu’en fonctionnement il y a les bassines qui sont sur le bassin du Curé, peut-être 4 ou 5, et qui sont d’ailleurs considérées comme illégales par le tribunal de Poitiers, il me semble qu’il y en a 4 ou 5 autres en prévisions, et puis il y aurait des interrogations pour éventuellement en construire d’autres dans le sud en Saintonge. En terme de volumes je n’ai pas d’idées ».

D’une autorité à l’autre, d’une préfecture à l’autre, les avis divergent souvent, cela vous interpelle ?

« Ce qui m’interpelle surtout, et on le voit à Poitiers, ce sont des préfets qui outrepassent l’intérêt général. Ils ne sont plus au service de l’intérêt général, ils se mettent au service d’intérêts privés en défendant des bassines dont personne ne veut. Quel lobby défendent-ils ? Là, je m’interroge vraiment sur le rôle de ces représentants de l’État ».

Benoît BITEAU • Député européen (Vice-président commission de l'agriculture et du développement rural - Membre délégation à l'Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE- Membre suppléant commission du développement et Commission de la pêche)

Reflets : Les réserves de substitution, est-ce un vrai sujet au niveau européen ?

B.B : « Les sécheresses successives 2021/2022 ont même accéléré le débat. J’ai demandé à ce qu’une conférence européenne sur l’eau et le stockage soit inscrite à l’agenda du parlement. Le sujet est dans les radars, car la PAC 2023 (politique agricole commune) présente des lignes d’investissement tournées vers les réserves de substitution. Pour les obtenir, il y aura des contreparties strictes à tenir en lien avec la DCE (directive-cadre sur l’eau). Ces aides doivent coïncider avec une réduction de la consommation d’eau d’au moins 15 %. Et pas seulement en été, mais aussi sur les prélèvements hivernaux destinés à remplir les bassines. C’est l’un des écueils des méga bassines sur le marais poitevin où l’on n’a pas observé de telles réductions. C’est un vrai télescopage avec les règles de la PAC, et c’est aussi la raison pour laquelle certains se sont précipités à vouloir arbitrer les financements de sorte de ne pas valider cette règle des 15 % avant le premier janvier 2023, date d’entrée en vigueur de la nouvelle PAC » .

Vous êtes ingénieur agronome, vous exploitez une ferme en agriculture durable, vous défendez l’agroforesterie, vous êtes un anti-bassine convaincu ?

« Mais non, je suis dogmatiquement ni contre l’irrigation, surtout pas d’ailleurs, ni contre le stockage de l’eau, c’est la manière dont on réalise les opérations qui pose problème. En 2010, je deviens vice-président de la région Poitou-Charentes. Dès octobre 2011, suite à la sécheresse de printemps, j’ai posé les bases d’un -Règlement d’intervention- qui vise justement à pouvoir financer des bassines, sous conditions bien sûr. Alors voyez l’anti-bassine que je suis… ».

Que reprochez-vous aux irrigants qui ont besoin des bassines pour faire fonctionner leur exploitation ?

« Ceux qui réclament aujourd’hui, à cor et à cri de l’agent public pour financer leurs bassines, se sont comportés hier comme des pompiers pyromanes. Ce sont historiquement et précisément les mêmes, qui ont créé les conditions pour que l’eau parte à la mer le plus vite possible. Ils ont effacé les méandres des cours d’eau, retourné les prairies pour les drainer, arraché les arbres, dénaturé les zones d’épandages de crues, créé des autoroutes de l’eau pour quelle s’échappe le plus vite afin de libérer des espaces pour planter du maïs… alors que la priorité est justement de conserver l’eau dans les sols ».

Selon-vous la culture du maïs est-elle définitivement à proscrire ?

« Un chiffre : 50 % des volumes d’eau prélevés arrosent du maïs ! Mais le véritable nœud de tout ça c’est la culture du maïs –irrigué-. L’alternative existe avec le maïs –population- qui pousse sans recours à l’irrigation, en culture sèche. En 2021 et 2022, les récoltes ont été remarquables et même supérieures à celles effectuées en maïs hybride très affecté par la sécheresse. Le maïs population est plus riche en protéines et quand on le destine à élevage des animaux il réclame un moindre ajout de soja pour être complémenté. Mais on touche là, aux intérêts des grands semenciers comme Maïsadour, Pioneer, Limagrain… avec le maïs population les paysans ressèment leurs propres grains et n’ont plus besoin de cette économie-là ».

70 % public, 30 % pour le public, comment se répartissent les clefs de répartition du financement des bassines ?

NDLR (2) : Soucieux d’étendre le débat sur le financement, Benoît Biteau nous fera ici une longue réponse sur la façon dont l’argent public ou privé est employé. Autant d’informations complexes et instructives, mais nous l’inviterons à se recentrer sur l’objet principal de la question.

Etes-vous contre le financement public des réserves de substitution ?

« Mais pas du tout ! Si l’on suit le chemin de décision du -Règlement d’intervention- actualisé avec les modalités du plan de développement régional, je propose un financement des retenues de substitution par 100 % d’argent public. Attention, avec un objectif très clair et très simple qui consiste à dire que si on finance à 100 % ces équipements, alors on exige, je répète, on exige, une gestion publique de l’eau. N’oublions pas que le premier article de la DCE stipule que l’eau est un patrimoine commun ».

La France présente-t-elle un particularisme en matière de gestion de l’eau ?

B.B : « La Commission européenne nous a présenté des résultats en fonction de la directive-cadre qui date de 2000 : le bilan est absolument consternant sur ces vingt dernières années. Tous les états membres sont défaillants dans les objectifs et les ambitions fixés, et parmi les plus mauvais élèves, l’Espagne et la France sont aux premiers rangs. N’oublions pas que le Marais poitevin est la deuxième zone humide de France ».

Il se dit qu’un petit maraîcher non connecté à une bassine n’aurait plus droit à l’eau s’il refuse de participer aux frais des bassines, c’est vrai ?

« Bien sûr c’est vrai ! Et cela tient d’arrangements passés entre l’État et la Coop de l’eau. Pour imposer la stratégie du stockage de l’eau, le deal consiste à dire qu’en réduisant les prélèvements d’été on obtient un effet bénéfique sur le milieu grâce aux bassines. Et c’est à l’aune de cette « solidarité » que sont attribués les volumes prélevables. Tous les irrigants d’un bassin versant doivent obligatoirement cotiser à l’investissement pour se voir attribuer un volume, qu’ils soient connectés ou pas à une bassine. Tous les ans un agriculteur reçoit un quota conditionné à son acceptation de participer au financement des réserves. Cela vient de loin, en 2005 pour encourager les agriculteurs à adhérer à cette démarche collective et solidaire, l’État leur attribuait une augmentation de 15 % par rapport à leur consommation historique. Alors même que les volumes attribués étaient déjà complètement décalés par rapport aux ressources disponibles et que des arrêtés préfectoraux limitaient les prélèvements ».

De qui dépend vraiment l’avenir des bassines ?

« De l’État, c’est l’État qui pose les autorisations, c’est l’État qui est en charge de faire respecter les lois, c’est l’État qui préside les conseils d’administration des agences de l’eau qui valident les enveloppes de financement. Le seul grain de sable possible c’est l‘intervention de la commission qui pourrait instituer un contentieux Européen contre la France pour non-respect d’une directive-cadre validée par tous les membres. Ce qui a déjà eu lieu dans les années 90 sur le marais poitevin et qui se traduirait aujourd’hui par une astreinte quotidienne de 160.000 € ».

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