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Dossier
par Eric Bouliere

Pollution à Aytré #3: l’Agence Régionale de Santé dénonce

Ministres, députés, préfets, maires, auriez-vous vraiment si peur de vous mouiller ?

La Bretagne a sa pollution au lisier, les côtes atlantiques ses soucis avec les algues vertes, à Aytré, c'est une pollution bactériologique qui stagne depuis plus de vingt ans. Cette année encore, privés d'informations, des milliers de vacanciers se sont jetés à l’eau. En cette fin de saison balnéaire, la direction de l’ARS sort enfin de sa réserve...

Baignade interdite pour raison sanitaire... - Reflets

Depuis bientôt deux ans Reflets alerte les autorités locales sur la contamination de la plage d’Aytré cette seconde ville de la communauté d’agglomération, voisine immédiate de La Rochelle et berceau historique de l’industrie ferroviaire d’Alstom. Très sévèrement polluée depuis des années, la plage du Platin d'Aytré se voit aussi officiellement fermée à la baignade depuis 2018. En plein cœur de l’été, les autorités locales ont pourtant fait preuve d’un étrange laxisme vis-à-vis de ce désastre sanitaire annoncé. (toute l'enquête ici et ici)

Durant toute la saison estivale des centaines de vacanciers sont ainsi venus faire trempette sans s’inquiéter de la qualité de l’eau d’un aussi joli rivage. Hélas, c’est bien de dangereuses bactéries fécales dont il s’agit, et deux fois hélas c’est aussi d'une invisible interdiction de baignade dont il faudrait s'occuper.

Sur place, la signalisation spécifique à une telle situation fait gravement défaut. Aucun affichage réglementaire pour avertir du risque aux entrées de plage, et un seul et unique mat de drapeaux de baignade pour une étendue sableuse de près de trois kilomètres. Il serait bien temps de s‘enquérir sérieusement du qui-fait-quoi-comment-et-quand…

Et puisque rien ne bouge vraiment, nous avons cherché à définir les responsabilités en matière de bonne et pleine application de la loi. Quelles autorités, quels services, quels élus doivent alerter le public pour une interdiction de baignade ? Est-il possible de faire tout et n’importe quoi en fonction de l’avis de l’un ou des préférences de l’autre ?

Qui veut prendre la parole ?

Nous constaterons, effarés, que certains élus ignorent absolument tout des procédures, quand d’autres fuient leurs responsabilités ou tentent de s’extraire de la sale affaire par tous les moyens possibles. Il est surprenant d’observer la réaction de responsables, censés maitriser le problème, qui partent soudain à la pêche aux renseignements auprès de leurs services. A croire que le dossier des règles communes et le b.a.-ba d’une procédure d’interdiction de baignade se trouve au dessous de la pile. Rappelons que la pollution que nous évoquons ici remonte au moins à vingt ans.

L'Agence régionale de la santé, régulièrement sollicitée, s’est enfin manifestée. Et cette fois-ci l’ARS tient à clarifier les choses. La démarche est à saluer, même si l’agence n’avait plus guère d’échappatoire vu la teneur de notre dernier courriel :

Quelle serait la position de l’ARS, de la commune, de la préfecture, en cas de Toxi-infection de masse sur une population d’enfants en bas-âge ? Il est peut-être bon de rappeler que des milliers de touristes se sont baignés, sans le savoir, tout l'été, dans une eau potentiellement dangereuse.

En ce sens permettez-moi de m’enquérir du rôle, de l’autorité, et de la responsabilité de ces trois acteurs d’Etat.

Puis-je espérer une réponse de la part des autorités de l'ARS Nouvelle-Aquitaine, ou bien dois-je acter ce non-retour d'infos comme un refus de communiquer sur le sujet?

La réponse des responsables de la direction régionale de l’ARS confirme toutes les errances règlementaires pointées depuis des mois. Il semblerait bien, et c’est tant mieux, que notre dernier papier du 18 août -Quand l’interdiction de baignade prend l’eau-, ait fortement contribué à faire sortir les agents de l’ARS du bois... le 23 août dernier. Toujours est-il que les choses sont désormais actées au plus haut niveau des services de santé. A partir de cette date, chacun pourra légitimement s’étonner de la non-réalisation des vœux pieux de l’ARS. Ci dessous le retour de mail en question:

Voici la réponse de notre délégation de Charente-Maritime.

Un courrier a bien été adressé par l'ARS au Maire d'Aytré, suite à plusieurs signalements. Le 23 août, des agents de l'ARS se sont déplacés sur le site et ont constaté l'absence d'affichage pour prévenir les vacanciers que la baignade était interdite. Ils ont interrogé quelques touristes qui ignoraient l'interdiction de baignade. Le site internet de la mairie ne le précisait pas, non plus. Apparemment, seules les personnes du Point info, installé à proximité de la plage, donnaient l'information s'ils étaient interrogés par les vacanciers. Des photos ont été prises pour confirmer l'absence d'affichage. Le courrier demandait au maire de se mettre en conformité avec les dispositions de l'article D1332-32 et d'assurer une information appropriée et réglementaire au public. Bien à vous.

Pour rappel, le personnel du fameux Point-Info en question nous avait précisément indiqué que « la baignade n’est pas interdite, mais elle est déconseillée aux personnes qui seraient un petit peu fragiles. Voilà, après c’est vous qui voyez. Il n’y a pas de contrôle, c’est vous qui prenez la décision, tant que vous avez l’information c’est le principal ». Qu’importe le passé, aujourd’hui le cadre est posé. Le maire de la ville est donc désigné par l’ARS comme le maillon faible dans cette affaire de santé publique. Tony Loisel, autorité municipale en place depuis les dernières élections, s’estime de son côté protégé par un constat de police actant que de petites affichettes autocollantes signifiant l’interdiction furent tour à tour décollées par malveillance. Peut-être. Mais c’est oublier que tout doit être fait pour garantir la sécurité et la bonne santé de la population. L’ensemble des autorités rochelaises devraient pour le moins s'entraider pour offrir cette élémentaire précaution à tous .

L’exemple douloureux et dramatique survenu sur l’Ile d’Oléron à Saint-Trojan-les-bains devrait également les inciter à reprendre les choses en main. Sur le cas de la plage Oléronaise la justice à justement statué sur le manque d'informations d'interdiction de baignade. La municipalité en cause a été condamnée en conséquence au titre du préjudice moral et affectif.

Sans commune mesure avec cet épisode tragique, l’exemple d’Aytré s’en rapproche néanmoins dangereusement. Souvenons-nous que certaines bactéries présentes dans l’eau peuvent s’avérer mortelles. Et retenons que la nouvelle concession de plage, réclamée et obtenue par les élus d’Aytré, se destine à accueillir les touristes au bord de l'eau. De la restauration autorisée à la baignade interdite, il n'y a qu'un pas que les visiteurs en mal de fraicheur n'hésitent pas à faire. En toute logique, et surtout en toute légalité, la zone devrait être jalonnée d’une signalisation d’interdiction de baignade digne de ce nom.

Question pour un ministre…

Reste à s’assurer que les déclarations factuelles de l’ARS soient entendues dans les hautes sphères politiques. Pas si simple, car aborder les poids-lourds du gouvernement sur un sujet qui fâche s’avère aussi périlleux pour la presse indépendante que de traverser l’Atlantique en pédalo un jour de tempête. Notre dernière tentative pour interpeller Annick Girardin, ex-ministre de la mer en visite sur les lieux même de la contamination, s’était soldée par un contrôle en règle de nos identités, ponctué par une agréable séance photo de nos cartes de presse.

La ministre de la mer et le maire d’Aytré à la plage  - Reflets
La ministre de la mer et le maire d’Aytré à la plage - Reflets

Le récent pèlerinage de Christophe Béchu, le ministre de la transition écologique, venu lui aussi s’émerveiller de la renaturation des marais Rochelo/Aytrésien, s’est assurément mieux déroulé. Cette fois-ci, nous avons seulement été invités à quitter sur le champ le cortège ministériel, et cordialement conviés à adresser un mail à la directrice de communication du ministre… Qui, bien sûr, ne manquera pas de nous répondre au plus vite.

A l’occasion de cette balade écologique, Jean François Fountaine, le maire de La Rochelle et président de la communauté d’agglomération nous informera d'une phrase que tous ces problèmes d’eaux de mer relèvent d’une manière globale des compétences de l’État.

Quand un ministre se gare entre piste cyclable et site naturel…  - Reflets
Quand un ministre se gare entre piste cyclable et site naturel… - Reflets

Abaissant nos prétentions ministérielles, nous avons questionné les responsables locaux qui ont davantage l’occasion de connaître ou de traiter les dossiers. Certains d’entre eux furent interpellés sur le vif, d’autres ont été contactés par mail avec la possibilité d’argumenter plus sereinement. Enfin, les plus prudents ont préféré fermer les volets après avoir débranché le téléphone. Voici donc l’avis des uns et des autres sur la question des devoirs et de la responsabilité des élus ou de l’État.

La connaissance et l’intérêt que chacun de ces responsables locaux portent sur la question est fort intéressante. On s’aperçoit au fil des réponses qu’il est surtout urgent d’attendre en espérant que le voisin fasse le boulot…

Aytré sur maires, et autres personnalités

Jean François Foutaine, Christophe Béchu, Nicolas Basselier, et Sylvie Marcilly  - Reflets
Jean François Foutaine, Christophe Béchu, Nicolas Basselier, et Sylvie Marcilly - Reflets

Les questions qui fâchent en direct

À Sylvie Marcilly : Présidente du département de Charente–maritime.

Reflets : Compte-tenu de votre fonction, avez-vous reçu des remontées d’informations à propos de la qualité de l’eau de baignade sur la baie d’Aytré ?

S. Marcilly : « C’est une compétence municipale, et avec l’ARS , moi je n’ai rien à voir la dedans. Après nous avons un labo, qui s’appelle Qualyse, qui est financé par les collectivités, et qui est un outil à la disposition des communes pour analyser l’eau, donc il y a Qualyse et il y a l’ARS. »

Selon vous, quelle autorité est hiérarchiquement en charge de s’assurer du respect des règles en la matière?

« Et bien, l’ARS c’est la préfecture, bien sûr… après vous savez toutes les choses sont bien calées parce qu’il y a à la fois les contrôles en matière de raccordements sanitaires, donc ça c’est de l’autorité du maire ; après il y a des concessionnaires qui gèrent, type la RESE ou d’autres, qui gèrent pour le compte -de- , vous voyez, alors il y a soit des régimes municipaux, soit le syndicat Eau 17, donc là c’est le cas pour d’autres communes, et donc la RESE par exemple agit pour le compte d’Eau 17 sur des communes, et donc est chargé avec l’autorité municipale de faire des contrôles, des contrôles à la fumée sur des mauvais raccordements… Voilà, c’est intéressant ces questions… »

À Mickaël Vallet, sénateur de la Charente-Maritime maritime et conseiller départemental

Reflets: La qualité des eaux de baignade dans la baie d’’Aytré cela vous parle ? Avez-vous eu des remontées d’informations à ce propos ?

M. Vallet : « Oui ça me parle mais je connais mal le sujet. Ce que je sais c’est qu’ils n’arrivent pas à en trouver ni l’origine, ni la cause, ce qui rend la baignade impossible, enfin ce n’est pas admissible en fonction des taux relevés ; Il y a d’autres endroits où les taux commencent à fleureter alors ils cherchent, ils cherchent, ils cherchent, et quand ils sont persuadés d’avoir trouvé, parce qu’une conduite, parce qu’un problème d’assainissement pas réglé, alors on met des centaines de mille d’euros pour régler le problème d’assainissement, et vous avez encore le problème derrière, c’est souvent dû au réseau pluvial. Mais à Aytré je n’en sais pas plus » .

Si les principes de prévention n’étaient pas respectés sur une plage où la baignade est interdite, est-ce pour vous envisageable que les gens se baignent et qu’une saison balnéaire s’écoule tout à fait normalement ?

« Si un responsable public, quel que soit son niveau, je ne vois pas ce qu’il y a derrière votre question mais je me doute, a connaissance factuellement de taux non respectés, il a l’obligation de le faire savoir aux autorités sanitaires compétentes. Mais pourquoi il y a eu un problème ?? Je n’ai pas vu passer ça » .

Les questions qui fâchent par mail

Toujours sur le même thème, nous avons interrogé via un courriel les principaux responsables politiques capables d'avoir une action sur la situation. Voyez ci dessous le retour de silence obtenu...

Mail adressé à Christophe Béchu. Ministre de la transition écologique.

Aucun retour à ce jour.

Mail adressé à Nicolas Basselier. Préfet de la Charente-Maritime.

Aucun retour à ce jour.

Mail adressé à Guillaume Krabal. Maire de Dompierre-sur-mer, vice président de la communauté d’agglo, conseiller départemental, en charge des dossiers sur l’eau.

Dans une première et immédiate réponse, M. Krabal nous a spécifié devoir contacter les services concernés. Aucun retour depuis ce jour.

Les questions qui fâchent mais n’intéressent pas

Ils ne se prononcent pas après avoir été sollicité individuellement et/ou par l’intermédiaire de leur attaché parlementaire :

  • Anne laure Babault : Députée de la 2eme circonscription de la Charente maritime, canton d’Aytré.

  • Olivier Falorni : Député de la 1ere circonscription de la Charente maritime, canton de La Rochelle.

Réal’Pollution VS Festival de la fiction

Aytré en plein été, et sa longue plage interdite de baignade…  - Reflets
Aytré en plein été, et sa longue plage interdite de baignade… - Reflets

Pas si simple, donc, de faire parler les élites. Raison pour laquelle nous nous sommes dirigés vers les véritables comédiens en titre... Étonnant ? Pas tant que cela car loin des problèmes d’eau potable ou d’eau de mer, protégé des soucis de sous-sol pollué et d’air vicié à coup de pesticides ou de Prosulfocarbe, se tenait le festival de fiction à La Rochelle.

La rencontre de la fiction et du réel devenait même inévitable puisque Sylvie Marcilly, présidente du département, et Jean François Fountaine, président de la communauté d’agglomération, tous deux précédemment interrogés, ont l’un et l’autre préfacé le catalogue de présentation du festival de fiction. Mieux encore les organisateurs de la fête se sont engagés pour plus de responsabilité et de durabilité en signant le niveau 2 de la Charte des Événements rochelais Éco-Responsables. Il s’agit là, mais diable quelle louable perspective, de respecter la faune et la flore locale.

Enfin une table ronde était planifiée par le médiaClub’Green « autour des premiers acteurs du secteur à mettre en place des actions responsables et à penser sobriété ». Bref, que du vert et des paillettes! Et cerise sur le gâteau, parmi les 41 fictions en compétition, un film dont le titre résonnait étrangement avec l’actualité sociétale : L’Attaque des déchets ! On aurait voulu le faire exprès…

Parmi tous les nominés, un titre plus qu’évocateur…  - Reflets
Parmi tous les nominés, un titre plus qu’évocateur… - Reflets

Dans la pénombre administrative, des préfets et des autorités locales, sous les lumières du festival, des célébrités et des stars du cinéma. Deux mondes, mais un seul très mauvais scénario : ici la mer est polluée depuis 2013 et la baignade interdite depuis 2018.

Affliction ou réalité ?

Autour des répliques drôles et sucrées d’un trio de jeunes acteurs (Roxane Bret, Omar Mebrouk et Charly Fournier), se tisse une réflexion profonde et acide sur la façon dont l’humanité se soucie du bien être de la planète. Ce scénario bien senti fait la part belle aux réactions de déchets devenus fous furieux. En bref, la Terre se venge : les poubelles deviennent des chars d’assaut et le moindre rebut fait office d’arme de guerre. Non primé lors de la remise des prix, ce film aura reçu une très belle ovation du public lors de sa projection. L’attaque des déchets , aucun titre ne pouvait mieux illustrer le combat que semble livrer la nature aux baigneurs de la baie d’Aytré.

Notre idée, toute bête et sans prétentions, était la suivante : présenter l’ébauche d’un pitch et demander aux actrices et acteurs de passage d’en imaginer le final, sur le pouce et en quelques mots seulement. Nous avons interpellé l’héroïne principale du film « L’Attaque des déchets » pour lui soumettre notre scénario fiction. C’est en toute simplicité et avec une extrême gentillesse qu’elle nous a confié son point de vue, et son engagement pour la cause écologique. Ci dessous de la main et sur une idée originale de Roxane Bret …

Roxane Bret, actrice et ambassadrice du film L’attaque des déchets - Reflets
Roxane Bret, actrice et ambassadrice du film L’attaque des déchets - Reflets

« Ne rien faire comme d’habitude », ce pourrait être hélas l'épouvantable illustration de ce que nous vivons aujourd’hui en baie d’Aytré, comme partout ailleurs en France où la pollution qu'on cache fait rage sur les côtes qu'on montre.

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