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Dossier
par Eric Bouliere

Charente-Maritime: Aytré, les deux pieds dans la mer…

Escherichia coli : bactérie qui réside dans le tube digestif de l’homme et des animaux à sang chaud (institut Pasteur)

L’une des plus agréables plages de la côte Rochelaise subit une contamination fécale depuis plusieurs décennies. Sur place, le problème se résume volontiers à une interdiction de baignade signifiée en 2018. Aux dernières nouvelles, tout devrait pouvoir rentrer dans l’ordre pour la saison 2023. Et si tout cela se jouait à pile ou face ?

Soleil couchant sur la baie d’Aytré - © Reflets

Ce pronostic bienveillant émane du maire d’Aytré lui même: « les analyses de 2021 étaient plutôt bonnes, en 2022 nous allons renforcer les analyses tout l’été, du mois de juin au mois de septembre. Si ces analyses sont bonnes avec les arrêtés qui ont été pris on sera forcément gagnant pour 2023, on parie sur cette réouverture, on va mettre tous les moyens en œuvre ! ».

Ce bel élan d’optimisme surprend alors qu’aucun résultat tangible ne prédispose vraiment à se réjouir de la situation actuelle.

Le maire Tony Loisel, prend la parole. Confiant, vraiment..?  - © Reflets
Le maire Tony Loisel, prend la parole. Confiant, vraiment..? - © Reflets

La fonction aura sans doute obligé le discours tant ce dossier pèse lourd dans les tiroirs de la municipalité. Au fil des mandatures les élus se sont suivis à Aytré, tous concernés par ce même mal chronique, et tous contraints d’admettre qu’une carte postale s’avère plus attractive qu’un résultat d’analyse pour attirer le touriste.

Les couvertures d’été du magazine d’Aytré de 2017 à 2021 - © Reflets
Les couvertures d’été du magazine d’Aytré de 2017 à 2021 - © Reflets

Le sujet brûlant se voit périodiquement évoqué, mais du bout des lèvres. Comme pour justifier d’une prise en compte des problèmes ou du bien fondé des actions qui sont, vont être, ou auraient déjà été menées. En 2018, le responsable du pôle public et santé environnementale de l'Agence régionale de santé à La Rochelle, Frédéric Le Rallier, le rappelait à la presse : « La qualité des eaux de baignade est suivie depuis les années 1980, à Aytré comme ailleurs, mais Aytré est la seule commune de Charente-Maritime à avoir encore des problèmes ». Et si l’inquiétude se portait sur la consommation des huîtres et coquillages il précisait alors: « Nous n’avons reçu aucune alerte des services vétérinaires ».

Interrogé sur les origines de cette contamination, Pierre Garnier, le premier magistrat d’Aytré en 1989, nous confiera : « Nous avons travaillé là-dessus puisqu’on avait découvert des rejets sauvages, nous avons supprimé tous les rejets, créé un bassin de lagunage, et puis on a jamais rien trouvé quoi ! Rien ne venait apparemment de la terre à la mer, à l’époque la direction des affaires sanitaires nous donnait des conseils, mais elle n’a jamais trouvé la raison de cette pollution… ».

Tony Loisel, l’actuel maire, connaît bien le lourd passé de la ville: « il faut savoir que vers 1985, toutes les eaux des fossés d’Aytré et toutes les eaux des marais venaient se déverser sur la plage ».

Faites le compte, nous parlons là de faits et de pratiques remontant à plus de 30 ans…

Jamais rien trouvé, ni de solution, ni de cause, et ce malgré les budgets colossaux investis dans des travaux d’amélioration du réseau d’assainissement. Ainsi cette région si prompte à relever des défis planétaires, ce territoire qui se destine à atteindre le zéro-carbone en 2040, ne parviendrait même pas à s’expliquer la contamination de son petit jardin d’éden. La source du mal est-elle à ce point impénétrable, ou bien est-ce la crainte de découvrir, qui empêcherait d’avancer?

Reflets s’est penché sur ces questions. Les réponses existent, mais elles s’écrivent à l’encre sympathique ou s’expriment d’un filet de voix. Il y a des intérêts, personnels, politiques, financiers, qui sont autant de contraintes avec lesquelles la nature doit composer. Finalement le sujet s’avère complexe et dérangeant, pour tous. Un avant-propos s’impose pour saisir tous les enjeux de cette affaire. L’occasion de poser un regard circulaire sur les à-côtés d’Aytré.

Aytré, une brave fille de La Rochelle

La Rochelle, ville-capitale, est le centre névralgique d’un département financièrement tourné vers l’océan et ses richesses : commerce maritime, pêche, navigation de plaisance, et bien sûr tourisme de masse. Ici les intérêts se sont imbriqués aux raisons depuis tant et tant d’années qu’il s’avère difficile d’y voir clair dans ces histoires de socio-pollution en chaîne. A l’évidence l’impérieuse réalité économique du territoire aura souvent pris l’ascendant sur la nécessité écologique du trait de côte.

La Rochelle, c’est aussi une puissante communauté d’agglomération de 28 communes, parmi lesquelles se trouve Aytré, seconde ville de l’alliance en termes de nombre d’habitants et berceau historique de l’industrie ferroviaire d’Alstom. Aytré et son fier passé ouvrier, mais Aytré qui tente aujourd’hui d’associer cette image laborieuse à d’autres qualités. Son atout principal, l’anse de Godechaud et sa longue plage du Platin. Une baie splendide, des kilomètres de sable, un horizon qui s’ouvre sur l’infini de l’Atlantique, des couchers de soleil à tomber…

La plage d’Aytré abordée façon carte postale - © Reflets
La plage d’Aytré abordée façon carte postale - © Reflets

La photo est belle mais contrairement aux apparences et aux coutumes locales la baignade s’y trouve interdite pour raison sanitaire. Si certains s’adonnent ici aux plaisirs du bain de mer c’est juste par habitude ou par acceptation du risque. Pour ces habitués la chose est établie : une gastroentérite à Escherichia coli entérohémorragique n’arrive qu’aux autres ! Fort de cette réalité scientifique, le mauvais procès ne serait plus à faire autour d’un site présenté par l’office de tourisme Rochelais comme incontournable.

La plage d’Aytré décrite par l’office du tourisme  - © Reflets
La plage d’Aytré décrite par l’office du tourisme - © Reflets

Chacun y allant à sa façon pour promouvoir les lieux, on pouvait même trouver sur les réseaux sociaux, en plein mois de juillet 2021, un étonnant appel du pied pour venir faire trempette à Aytré. Ainsi un adjoint de l’ex-maire Alain Tuilière (2012), aujourd’hui conseiller d’opposition et membre de la commission communication et information, s’est-il présenté sur sa page Facebook sandales à la main et pieds dans l’eau. La démarche, effectuée sur l’envie et sans intention particulière, dénote bien la dualité des discours en ce qui concerne l'interdiction de baignade. De la part d’un élu, cet élan du cœur reste toutefois assez maladroit. Il s’en justifiera en ces termes : « il faut respecter la loi de toutes les façons, même si on peut être critique il faut respecter la loi, point. J’ai mis les pieds l’eau, c’est vrai, je n’ai pas… il y a quand même des incohérences aussi parce des gens font des sports de glisse, ils sont donc forcément immergés et eux ont le droit alors qu’ils sont peut être plus sujets à avoir du contact avec l’eau… ».

Un signal à éviter en tant qu'élu - Capture d'écran
Un signal à éviter en tant qu'élu - Capture d'écran

Car oui, c’est vrai, et cette fois-ci cela confine à l’invraisemblable, le versant sud de la plage reste accessible aux sportifs. Il est donc possible de pratiquer le kitesurf, la planche à voile, bref toutes activités nautiques, sauf la baignade bien sûr... C’est ce que le maire désigne régulièrement comme faisant partie des: « paradoxes de la réglementation». A chacun d’y entendre là une explication plausible selon son propre niveau de sportivité politique. Mais tous les baigneurs ne sont pas des risque-tout ou des Aytrésiens avertis, la plupart d’entre eux viennent d’ailleurs pour profiter de la plage, et ce en totale méconnaissance du problème.

Vous avez dit… paradoxes de la règlementation??! - © Reflets
Vous avez dit… paradoxes de la règlementation??! - © Reflets

Entre La Rochelle et Aytré il n’y a qu’un pas, ou plutôt qu’un port, les Minimes, 70 hectares de pontons et plus de 5000 anneaux à quais, la plus grande résidence de plaisance d’Europe. Une remarquable structure nautique édifiée dans les années 70 sous la houlette du maire et « père » fondateur de la ville, le député Michel Crépeau. Le port s’articule autour de plusieurs bassins, certains sont gravement pollués par des années d’activités portuaires, d’autres naturellement envasés sous le flux et le reflux des vagues. On en drague régulièrement les fonds avant de rejeter des tonnes de boues au large. Durant la manœuvre, le limon vaseux reçoit l’ordre formel de ne jamais revenir vers la côte aux prochaines marées! La consigne n’est hélas jamais respectée…

Le vieux port de La Rochelle à marée basse - © Reflets
Le vieux port de La Rochelle à marée basse - © Reflets

Dans les années 2000, un imposant document rédigé par l’IFREMER dressait un bilan de la situation environnementale du littoral de la mer des Pertuis. Quelques lignes à retenir issues de cet ouvrage signé, entre autres participants, de l'université de La Rochelle:

  • La contamination microbienne du milieu marin résulte d'une manière générale des apports des activités terrestres vers le milieu marin (rejets urbains, industriels ou agricoles)

  • L'existence de zones portuaires (ports de pêche, de plaisance) peut aussi entraîner une contamination microbienne des gisements naturels voisins, de par le caractère confiné de ces bassins portuaires et leur concentration de population, mais aussi par leurs activités spécifiques.

  • 38 % seulement des prélèvements effectués dans les ports de Charente-Maritime dénotent d'une bonne qualité. Parmi les ports les plus contaminés en germes fécaux, citons le Vieux-Port de la Rochelle. Le point de prélèvement situé au niveau de la Tour Richelieu à la Rochelle présente les teneurs les plus élevées en germes fécaux.

Après tout, seuls les imbéciles ne changent pas d’avis mais ce qui semblait faire partie des évidences d’hier n’est plus à considérer aujourd’hui. Le PLUi (Plan local d’urbanisme) approuvé en 2017 par la Communauté d’agglomération (CdA), abordait pourtant ces sujets avec une grande conviction (ci-dessous)

Rien n’est figé avec l’urbanisme galopant… - Capture d'écran
Rien n’est figé avec l’urbanisme galopant… - Capture d'écran

Entre les deux communes voisines serpente un sentier littoral protégé. Annick Girardin, la ministre de la mer, s’y est d’ailleurs rendue à l’occasion d’une visite officielle à La Rochelle. La ville a été choisie pour accueillir le sommet ministériel de la mer dans le cadre de la présidence Européenne. Cet évènement aura notamment permis de présenter les actions menées localement pour orienter les jeunes et les demandeurs d’emploi vers les métiers maritimes et portuaires.

Après avoir souscrit aux célébrations rochelaises, la ministre est venue planter un -clou- sur les rives du Platin. Cette médaille, symbole de l’opération France vue sur mer, récompense et ambitionne d’accélérer « la création de portions de sentier, en réduisant les discontinuités et en participant à la restauration des espaces là où ils sont dégradés et très peu sécurisés. Au travers de ces actions de valorisation, il s’agira aussi d’en améliorer la qualité et l’attractivité ». Mais ce jour là, la qualité de l’eau d’Aytré n’était pas au centre des débats : pas un mot sur la contamination de la baie.

Une ministre qui sait planter un clou à la mode de chez nous… - Capture d'écran
Une ministre qui sait planter un clou à la mode de chez nous… - Capture d'écran

Aussi sommes-nous partis fureter sur ce sentier littoral à la recherche d’éventuels problèmes ayant lien avec la pollution. Chemin faisant, nous avons quitté le port (1, voir illustration ci-après) pour emprunter ce petit chemin qui sent bon la noisette et l’enfouissement de matières toxiques (2).

Nous avons ensuite crocheté vers le petit lac urbain des Galiotes (3), là où une désinfection totale est conseillée en cas de chute malencontreuse dans le bassin.

Au gré de notre balade nous avons rejoint la zone de l’ancien champ de tir (4), où un équipage de jeunes pêcheurs ramassait des kilos de vieux plomb pour s’en faire une dalle de jeu de palets. C’est heureux, car c’est autant de particules nocives qui ne partiront pas à la mer.

Bientôt nous croiserons quelques habitations dotées d’une admirable France vue sur mer : celle-ci (5), classées en -zone noire- depuis la tempête Xynthia, serait parait-il à démolir depuis 2010. Cette autre (6), plus confortable et mieux protégée des tempêtes et des bulldozers, n’aurait pas eu besoin de permis de construire pour se refaire une beauté. Pas d’inquiétude à avoir non plus pour ce chantier en cours : la maison édifiée sur une falaise rongée par les vagues disparaitra sans doute d’elle-même (7).

Et puis nous sommes passés, émerveillés, devant ces carrelets et autres entreprises d’ostréiculture où les patrons pêcheurs se voient contraints d’affiner les huitres dans des claires de décantation alimentées par la bonne eau salée d’Aytré. Ces délicieux fruits de mer feront assurément la joie des vacanciers qui viendront s’installer aux tables des paillotes de la future concession de plage du Platin (8).

Rassurés, nous le seront aussi en avisant ce panneau interdisant les dépôts domestiques autour des remblais sauvages de la voie ferrée longeant à la plage (9). Enfin, un peu plus loin, nous pourront admirer ce hangar désaffecté qui fait aujourd’hui office de musée des horreurs (10). Vraiment, une sacrée belle balade en dehors du clou.

Pour illustrer au mieux notre parcours fléché, voici un petit portfolio de ces scènes de vie croisées sur le sentier « Girardin ».

La nature est un tout ; il est souvent bon d’élargir le champ de vision pour constater les dégâts et juger de la façon dont une région maritime considère, gère, et assure la protection de son littoral, en général. Voici donc Aytré, vue d'en haut...

1) Le port SVP ? Au fond à droite…

Les Minimes - © Reflets
Les Minimes - © Reflets

Le port des Minimes : une armada de plus de 5.000 navires de toutes tailles et conditions. Certains marins d’ici estiment que le temps annuel de sortie en mer ne dépasse pas 8 heures en moyenne par bateaux. Le reste du temps, on flâne sur les embarcations en regardant les gros poissons qui rôdent sous les carènes. Et si les plus belles unités de plaisance sont munies de cuves à eaux noires et de toilettes oligarchiques, les capitaines d’esquifs moins chics avouent nourrir plus directement le merlu familier…

2) Un parcours très difficile

L'ancien site Delfau - © Reflets
L'ancien site Delfau - © Reflets

De terribles traces du passé subsistent sur le parcours littoral. Ici les vestiges abandonnés d’une ancienne zone de stockage : métaux lourds, huile de vidange, curage de citernes et souvenirs des ateliers d’équarrissage en prime. Que du bon jus profondément enfoui qui s’écoule potentiellement dans les sous-sols en direction de la mer. Trop onéreux à dépolluer en profondeur, les responsables réfléchissent à une solution de végétalisation de surface.

3) Le lac de tous les dangers

Le lac des Galiotes - © Reflets
Le lac des Galiotes - © Reflets

Un conseil qui se veut rassurant… Encore faut-il noter que les eaux du lac des Galiotes, chargées des liquides de ruissèlement pluvial, cheminent via un petit bras de fuite jusqu'au marais adjacent au bord de mer. Un curage en profondeur vient certes d’y être opéré, mais qu’en sera-t-il de nouveau demain…

4) Avoir du plomb dans le talus

Souvenir de l'ancien champ de tir - © Reflets
Souvenir de l'ancien champ de tir - © Reflets

Compte tenu du très mauvais état de la signalisation sur le sentier, on perd facilement le nord entre le chemin piétonnier, interdit aux cyclistes, et la piste autorisée de la Vélodyssée. Heureusement ça ne canarde plus au niveau de la butte de l’ancien champ de tir, mais les balles perdues qui jadis sont passées au dessus s’y ramassent encore à la pelle. A marée basse, sur les rochers de la plage, on découvre du plomb sous toutes ses formes balistiques. En incrustation voici la bonne pêche de nos cueilleurs d'ogives: 17 kilos de matière nocive récoltés en à peine deux heures...

5) Maison de maçon

Zone sous expulsion... - © Reflets
Zone sous expulsion... - © Reflets

En vertu des dégâts causés par la tempête Xynthia la mairie assure être en droit d’expulser le propriétaire de cette bâtisse située en ZDS (Zone de solidarité). Ne manquerait que l’ordre express de la préfecture. L’affaire dure depuis 2010, mais à ce jour le maître des lieux et sa famille y sont toujours domiciliés. Il n’entend pas quitter l’endroit sans obtenir le meilleur prix pour le terrain et pour « l’impayable » vue sur mer de sa frêle habitation. L’estimation de 550.000 euros qui lui a été faite par l’administration est restée jusqu’à présent lettre morte.

6) Maison de grande maison

Zone sous influence - © Reflets
Zone sous influence - © Reflets

Même endroit, même panorama d’exception, autre jugement de cour. A quelques centaines de mètres à peine de la précédente habitation, cette demeure se protège de l’océan et des regards derrière un haut mur. Les uns dénoncent ouvertement le fait que cette bâtisse construite sans aucune autorisation municipale appartenait à un conseiller de l’équipe municipale de Michel Crépeau, les autres déclarent n’avoir jamais remarqué la présence en bord de mer de cette somptueuse propriété de quelques 5.000 m2. Jaillie de nulle part dans les années 70, la maison fut rachetée par un notable ayant pignon sur rue et entreprises sur tout le département. Le sujet du permis de construire fantôme dérange : « il y a eu un ravalement de façade de déclaré officiellement, et en fait Il y a eu un peu plus de 150 m2 de construis hors-la-loi, en plus, là récemment, ces quelques derniers mois. Sans permis de construire bien sûr, dans cette zone là il ne peut pas y en avoir, donc il y a eu une déclaration de ravalement de façade et en fait ils ont remblayé je ne sais combien de mètres de terre, tout un tas de chose, on nous l’a signalé, donc nous avons fait vérifier par la police municipale, et ensuite nous avons fait un signalement auprès du procureur de la république. Pour l’instant le dossier est en cours… », estime le maire d'Aytré.

7) Maison de carton ?

Plus fort que la mer! - © Reflets
Plus fort que la mer! - © Reflets

Plus au Sud d'Aytré, sur le versant de la pointe du Chay d'Angoulins sur mer, une maison s’enracine sur une dalle de béton. Autour d’elle la falaise calcaire s’effondre par pan entier alors qu’un enrochement ponctuel tente d’en ralentir l’érosion. La loi Littoral interdit en principe toute nouvelle construction en zone protégée, mais celle-ci semble bénéficier d'un joker : un permis de construire déposé en 2013 pour - un réaménagement d'une habitation suite à la tempête Xynthia -. On peut ainsi lire sur ce document que « Conformément à l’article R424-17 du code de l’urbanisme le permis est périmé si les travaux ne sont pas réalisés dans un délai de deux ans, ou si les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à un an » . Les textes législatifs ont par la suite étendu cette durée de validité à trois ans avec une prorogation possible de deux fois un an, soit cinq ans au total. Contacté à ce propos, jean-Pierre Nivet, le maire d’Angoulins, nous confirmera la parfaite légalité du permis, la prorogation accordée, et donc le bon droit du propriétaire à faire élever une maison de carton à flanc de falaise. Un autre paradoxe de la réglementation sans doute. Le climat tranchera puisque de telles blagues ont déjà fait rire jaune plus d’un assuré : accroche-toi au plafond, je retire la falaise...

8) Savoir faire des concessions

Une nouvelle concession de plage - Capture d'écran
Une nouvelle concession de plage - Capture d'écran

Qu’importe l’ordre des choses de la contamination, la mairie d’Aytré souhaite attirer du monde sur le Platin : buvette et sandwich tout l’été ! A cette fin une demande de concession vient d’être déposée dans le but d’aménager des paillotes sur les abords de la plage. Le commissaire en charge d’une enquête publique vient de rendre un avis favorable au projet tout en précisant: « qu’il comprend à regrets que le poste de secours MNS de la baignade ne soit pas maintenu, compte tenu de la mauvaise qualité récurrente des eaux de baignade, alors que personne n’est capable d’en trouver l’origine…». Baignade et noyade interdites.

9) Regarder polluer les trains…

La voie ferrée - © Reflets
La voie ferrée - © Reflets

Des habitants forts bien renseignés nous ont confié que certaines buttes protégeant la plage des nuisances de la voie ferrée ont été très diversement remblayées; de l’ordre du dépôt sauvage qui pouvait être autrefois toléré dans le BTP lorsque le besoin de combler les trous se faisait à l’économie. Une autre époque bien sûr.

10) Du sentier littoral au chantier littéral

La beauté du laid... - DR
La beauté du laid... - DR

En longeant la côte à pied, on découvre parfois d’étonnants ateliers de mécanique. Avec sa décoration intérieure très particulière et la mer juste en face, ce street-garage mériterait de figurer dans le grand livre des sites remarquables à protéger sur le sentier littoral. Un lien direct et explicite d’une forme de transition ratée entre passé/présent et intérêts privés/communs. Hep, patronne, ne vous resterait-il pas quelques clous pour riveter mon bidon de dioxine ?

Après avoir servi la cause et favorisé l’essor de La Rochelle, Aytré la dauphine aurait bien droit à son heure de gloire. Cet Aytrésien de cœur, enfant du pays, se souvient: « Vous savez on a récupéré les marais pour faire des choses qui philosophiquement me semblaient discutables. On y a mis de la décharge pendant des années dans ces trous là, il faut savoir qu’une grosse partie du marais doux… ce ne sont que des déchets ménagers qui sont dessous ! J’étais gamin, j’avais 15 ans dans les années 80, on voyait tout ce qui se vidait là, on voyait les camions passer à longueur de journée ».

Aujourd’hui la plage du Platin devrait être la plus belle carte de visite de la ville, mais fait-on vraiment tout le nécessaire pour lui donner sa chance ?

Certaines recommandations émises sur des documents établis en 2013 indiquaient peut-être déjà le sens de l’histoire : « Les actions déterminées dans le cadre des profils de vulnérabilité de la plage du Platin (commune d’Aytré) permettront d’améliorer sensiblement la qualité bactériologique de la plage des Minimes (à La Rochelle) ». Inverser l’apport des uns et l’implication des autres serait-il désormais envisageable, Aytré reçoit-elle suffisamment d‘aide extérieure pour résoudre son problème de contamination, et qu’en est-il de la pertinence des choix et des actions menées jusqu’alors ?

Qualité des eaux de baignade : la réglementation

Depuis la saison balnéaire 2013, le suivi de la qualité des eaux de baignade doit respecter les mesures fixées par la directive 2006/7/CE. Cette réglementation européenne fixe les protocoles et informe des moyens à mettre en œuvre. Dans cadre-là deux types de bactéries sont visées : les Escherichia coli et les entérocoques intestinaux. On remarquera au passage que les médias s’alarment davantage en découvrant cette bactérie dans une pizza surgelée, plutôt qu’offerte bien fraîche à l’appétit d’un bébé-nageur.

La présence dans l'eau de ce type de contaminant confirme une origine fécale plus ou moins forte en fonction des concentrations relevées. En vertu de quoi un registre national est établi afin de déterminer la pureté des eaux de mer ou des eaux douces. La méthode permet de décerner l’une des 4 classes à être officiellement reconnues : excellente, bonne, suffisante ou insuffisante. Ce classement repose sur les analyses effectuées au cours des 4 saisons précédentes. Ainsi le premier bilan officiel s’était-il basé sur les résultats 2011, 2012, 2013 et 2014. Un site Internet du ministère chargé de la santé donne accès à cette cotation sur l’ensemble du territoire où les zones de baignade respectent cette réglementation.

Les résultats se sont enchaînés, le verdict reste identique. - Capture d'écran
Les résultats se sont enchaînés, le verdict reste identique. - Capture d'écran

Cette façon de prendre du recul sur quatre années consécutives ne semble pas avoir été parfaitement entendue par tous les responsables. On peut ainsi lire dans le dernier magazine municipal de la ville qu’après trois années de mauvais bilan la plage doit être fermée durant cinq ans. Une autre lecture des textes peut être faite : « Si des eaux de baignade sont de qualité insuffisante pendant cinq années consécutives, une interdiction permanente de baignade ou une recommandation déconseillant de façon permanente la baignade est introduite ».

Une sentence reprise et confirmée sur le site du ministère de la santé: « Si la qualité des eaux est de qualité insuffisante pendant 5 années à la suite, une interdiction ou un avis déconseillant la baignade de manière permanente doit être prononcée et il est considéré que ces eaux sont définitivement non conformes ».

Dès lors on comprend mieux l’affolement général.

Un petit raccourci de la grande directive Européenne … - Capture d'écran
Un petit raccourci de la grande directive Européenne … - Capture d'écran

En plus de décrire l’art et la façon d’opérer, la directive avance quelques arguments en termes de communication. On découvre qu'un registre doit être mis à la disposition du public en mairie afin d’encourager la participation du public, de recueillir ses suggestions, ses remarques, observations ou réclamations. La notion d’information du risque revêt ici toute son importance. Les lieux, causes, type de contamination, résultats d’analyses, sont autant de critères devant être affichés à proximité des plages concernées. Dans un souci de clarté optimale, l’archétype du modèle d’affichage se voit même proposé à titre d’exemple. Ci-dessous vous pouvez assister à la « Battle » entre le cadre vertueux et le traitement de l’information orchestré par Aytré.

A gauche l’info Aytrésienne, à droite l’information plus officielle - © Reflets
A gauche l’info Aytrésienne, à droite l’information plus officielle - © Reflets

Il est tout aussi obligatoire de signaler l’interdiction de baignade via un drapeau d’avertissement. Ce qui est écrit est fait, mais c’est une nouvelle fois le service minimum qui s’applique au Platin : un seul et unique drapeau marque l’alerte pour les presque trois kilomètres de plage. Ce mat lointain s’avère parfaitement invisible des entrées principales de la plage.

Avoir l’œil du tigre ou le feeling du golfeur… - © Reflets
Avoir l’œil du tigre ou le feeling du golfeur… - © Reflets

Qui plus est sa couleur rouge mériterait de virer au violet pour adhérer aux normes actuelles. D’autres villes côtières frappées du même mal ont déjà opté pour la nouvelle réglementation afin d’indiquer clairement les causes exactes de l’interdiction.

Rouge : interdiction de se baigner. Violet : baignade interdite/Pollution - Capture d'écran
Rouge : interdiction de se baigner. Violet : baignade interdite/Pollution - Capture d'écran

Mais quelle qu’en soit la teinte, le drapeau n’apparait plus en dehors de la saison balnéaire classique. L’alerte n’est en effet déclarée qu’en période estivale (de juin à septembre) alors que l’interdiction de baignade porte sur tous les jours de l’année. On peut s’en émouvoir sachant qu’aux premiers beaux jours les touristes de passage affluent sur le sable. Tel fut le cas ce 16 avril dernier, où nombre de jeunes enfants se sont rués dans l’eau avec la bénédiction de parents nullement avertis du risque éventuels de contamination.

Avril 2022 : pas de drapeau, pas d’affichage, tous à l’eau ! - © Reflets
Avril 2022 : pas de drapeau, pas d’affichage, tous à l’eau ! - © Reflets

Mais la science de l’affichage n’est pas la matière forte des fameuses PREB (Personnes Responsable des Eaux de Baignade) de la région. En effet la signalétique d’interdiction de baignade mise en place, qui relève de l’obligation réglementaire, passera inaperçue durant toute la saison balnéaire 2021. Outre le fait qu’un colérique et facétieux contestataire local s’ingéniait à régulièrement déchirer les affichettes dédiées, c’est surtout par le minimalisme de l’alerte que la magie s’est opérée. Tel un prospectus apposé comme une vulgaire pub (et surtout en fonction des stocks disponibles comme nous l’apprendrons incidemment) cet insignifiant petit autocollant ne pouvait aucunement interpeller les baigneurs.

Sept 2021 : Si, si, si, c’est bien indiqué ! - © Reflets
Sept 2021 : Si, si, si, c’est bien indiqué ! - © Reflets

Sans préjuger des difficultés à mettre en place ces signaux d’alerte, nous constaterons un laisser-aller permanent durant toute la saison 2021. Pour preuve, les consignes de prudence de l’ARS affichées qui informent encore du naufrage du Grande América en mars 2019, ou renseignent de l’état sanitaire des huitres de janvier 2018. Mais bien sûr, rien sur la qualité des eaux pour 2022. La plage demeure pourtant interdite pour la saison qui approche. Serait-ce alors de la faute des normes de plus en plus contraignantes, de moins en moins atteignables, comme le soupire Tony Loisel: « Les normes européennes sont de plus en plus strictes. Pour information, sept plages ont été fermées en France en 2021, ce qui illustre le niveau d’exigence attendu… ». Sept sur plus de 3300 sites répertoriés, dont près de 92% d’entres-eux ont décroché la classification bonne ou excellente. Non, assurément les raisons de la pollution microbienne de la plage d’Aytré sont à chercher ailleurs. Mais ailleurs, où, et chez qui ?

Baignade interdite: la faute aux oiseaux ?

Les mouettes d’Aytré : un traumatisme Hitchcockien  - © Reflets
Les mouettes d’Aytré : un traumatisme Hitchcockien - © Reflets

La plage du Platin porte bien son nom. La pente de la baie est si peu marquée que cela découvre un immense estran durant la basse mer. La bande sablo-vaseuse offerte vient à s’étendre sur plus d’un kilomètre en fonction du coefficient des marées. Durant cette période, d’importantes colonies d’oiseaux marins s’y réfugient pour trouver leur pitance. Et par le prodigieux miracle de la nature, ce qui rentre par le bec d’une mouette…

L’idée s’est ainsi largement répandue que les déjections des Laridés (Goélands, mouettes, sternes) pourraient être à l’origine d’une pollution sédimentaire de nature à impacter les eaux. Des recherches ont été menées en ce sens sans apparemment jamais apporter de certitudes. Seuls certains vieux Goélands se souviennent encore de certains constats issus de certaines études faisant part de certaines inquiétudes à la finalité plus qu'incertaine.

Comme celles-ci par exemple : « Il est toujours difficile d’exprimer la part de responsabilité des oiseaux de mer dans la contamination des eaux de baignade du Platin. En effet, il y a trop peu de comptages pour pouvoir confirmer cette hypothèse (14 journée sur 233). De plus, il existe de nombreux jours où il y a un dépassement des normes, mais aucun comptage. La réciproque est également vraie. Pour confirmer l’hypothèse de l’avifaune, il serait nécessaire d’augmenter la quantité d’observations et de spatialisations des oiseaux sur la baie du Platin. Il est quand même surprenant pour le cas du Platin, de voir que les pics de pollutions correspondent aux périodes de plus hautes fréquentations touristiques. Le professeur Webster souligne que même le plus propre des baigneurs a un impact sur les eaux qu’il fréquente. Un lien est-il possible ? Une réflexion est peut-être nécessaire dans ce sens... »

Afin d’en apprendre d’avantage sur la question nous avons contacté Dominique Chevillon, le vice-président de la LPO France (ligue protectrice des oiseaux).

Dominique Chevillon : le porte-parole des oiseaux  - © Reflets
Dominique Chevillon : le porte-parole des oiseaux - © Reflets

L'interview Drôles d'oiseaux de Reflets

Reflets : La piste des oiseaux marins à Aytré, qu’en pensez-vous scientifiquement parlant ?

Dominique Chevillon : Si vous me parlez de réponse scientifique c’est très simple... il n’y a jamais eu de liens de causalité prouvés entre les oiseaux de mer et la contamination de la baie d’Aytré. Des études ont été faites, ou sont toujours en cours, mais aucune conclusion scientifique sérieuse ne permet d’attester que la colonie de Laridés du Platin en soit responsable.

Le nombre important d’oiseaux se nourrissant sur site à marée basse est-il à considérer ?

Bien sûr, mais il faut savoir que cette population d’oiseaux, goélands en tête, est en nette diminution ces dernières années. Il y avait avant des décharges à ciel ouvert, sur l’ile de Ré, à Oléron à La Rochelle/Chef de baie, de gros efforts ont été faits en matière de tri des ordures. C’est pourquoi les colonies sédentarisées de goélands et de mouettes, qui se nourrissaient principalement de ces rejets, sont de moins en moins importantes. Et puis il faut aussi tenir compte du fait que les vols migratoires ont lieu avant ou après les périodes balnéaires, post période estivale de baignades. Cela réduit considérablement la pression aviaire sur le Platin.

Selon vous d’où peut provenir cette contamination ?

Les recherches n’incombent pas à la LPO, c’est aux collectivités territoriales concernées de tout mettre en œuvre, d’investir ce dossier, de trouver les raisons, mais je tiens à rappeler deux ou trois choses : nous sommes dans une zone d’activité intense, en bordure de mer, et tout le monde n’est pas raccordé au tout à l’égout dans certaines agglos ou certains villages… Les pollutions d’origines animales oiseaux et chevaux, si elles existent, ne peuvent être que très ponctuelles.

La présence des oiseaux est-elle décriée par les professionnels de la mer ?

Nous sommes ici sur des lieux de pêche historiques pour le particulier comme pour les professionnels. La région est la première zone d’Europe pour la culture des bivalves. A la LPO, nous sommes en contact à longueur d’année avec des paysans de la mer qui eux vivent en permanence avec les oiseaux ; la contamination à l’Escherichia Coli, ils connaissent, c’est leur gagne-pain qui est en jeu, si il y avait un problème avec les oiseaux, ne pensez-vous pas que cela ferait longtemps que le débat serait posé sur la table...?

La piste des oiseaux fut étudiée dès 2015. Les recherches en ce sens vont piétiner durant environ quatre années. Aucune conclusion significative ne viendra confirmer cette thèse. Les oiseaux sont bien là, ils participent sans doute à la fête, mais la chasse aux goélands n’est pas ouverte pour autant.

Baignade interdite : la faute aux chevaux ?

Patrick Pignon, Un directeur de centre équestre, perplexe… - © Reflets
Patrick Pignon, Un directeur de centre équestre, perplexe… - © Reflets

Les oiseaux à peine acquittés, les chevaux sont appelés à la barre. Deux pistes sont à suivre : le crottin des chevaux lors de leur promenade sur le sable, ou bien une pollution par le rejet de liquides souillés via le canal voisin (Canal de Vuhé). Cette possibilité vise très directement un centre équestre tout proche. Apparemment les temps et les avis changent puisque de précédentes expertises réalisées sur site en 2015 n’incitaient nullement à poursuivre en ce sens. On peut lire ainsi que les rejets du centre avaient « été étudiés » et qu’aucune des analyses n’avait « réagi aux marqueurs humains, ruminants et porcs ». C’était du reste l’une des raisons pour laquelle la piste aviaire s’était ouverte: « _La communauté d’agglo s’intéresse au plus près d’une probable contamination par oiseaux de mer et cherche à savoir si d’autres cas ont déjà été avérés dans la littérature _».

Toujours est-il que le maire vient de signer un arrêté le 3 mai 2022 interdisant l’accès à la plage aux chevaux, et à tout autre animal domestique, chien y compris. L’avis est placardé sur un coin de mur de l’annexe municipale, mais dix jours plus tard, toujours rien d’annoncé aux entrées de plage.

Nous avons donc souhaité rencontrer le responsable du manège pour entendre ses arguments. Patrick Pignon nous a ouvert les portes de ses box après avoir accepté de répondre à nos questions. Son centre parait être tenu dans un état irréprochable, ses réponses pleines de bon sens.

L’interview Quatre fers en l'air de Reflets

Reflets : Votre activité vient d’être mise en cause, quelqu’un est-il venu vous en expliquer la raison, avez-vous des contacts réguliers avec les responsables locaux ?

Patrick Pignon : Personne n’est venu me voir, j’ai appris la nouvelle dans un article de la presse locale. Sinon, à Noël on vient me demander des Poneys pour faire l’animation en ville. Il fut même un temps où l’on est venu me solliciter pour fournir des chevaux à la gendarmerie afin de patrouiller sur la plage…

Combien de chevaux vivent en permanence sur votre terrain ?

Six ou sept en box, tous les autres sont au pré. Je suis arrivé ici en 98/99, il y avait deux poneys sur le site. A cette époque on n’allait pas encore sur la plage, qui était d’ailleurs déjà polluée, j’ai eu jusqu’à 120 bêtes et cela se passait bien. Aujourd’hui il m’en reste une trentaine, et plus j’en ôte plus ça polluerait ? C’est bizarre. Lorsque les cavaliers de chez moi se promènent sur la plage c’est par groupe de quatre, et les chevaux n’y font pas systématiquement leurs besoins car ils ont largement le temps de se soulager avant d’y arriver.

D’après vous le crottin de cheval peut-il être responsable de cette pollution ?

Vous savez, je ne suis pas biologiste, mais tout ce beau fumier qu’on colle dans tous les jardins depuis des générations, si c’était aussi nuisible que ça pour les sols, il faudrait le faire savoir aux jardiniers. Bon, admettons… mais sur une masse d’eau pareille et avec une telle étendue de plage, vous pensez vraiment qu’un ou deux crottins par semaine puissent finir par polluer toute la baie ? Et puis vous savez sur l’île de Ré, à Oléron, à Marennes, les chevaux sont infiniment plus nombreux à fréquenter les plages ; là-bas le problème ne se pose pas. Vous savez je ne suis pas contre la fermeture du Platin en été pour les cavaliers, ça fait désordre le saut d’obstacles au dessus des bikinis, mais l’hiver, franchement…

Des recherches ou des analyses ont-elles déjà été effectuées dans le centre ?

Du temps de madame Suzanne Tallard (NDLR, la maire en poste en 2008) des forages avaient été effectués pour injecter du colorant afin de suivre l’écoulement des eaux et voir si cela remontait dans le canal. Il n’y a jamais eu de suites. Cela fait plus de vingt ans que je suis là, ce n’est pas la première fois qu’ils font des analyses, personne ne m’a jamais rien reproché. A mon avis s’il y avait un retour négatif ou positif, j’imagine qu’on serait venu chez moi pour me dire stop. S’il avait fallu faire quelque chose, je l’aurai fait bien sûr ! A-t-on bien fait le nécessaire pour la station d'épuration de La Jarne (commune voisine) qui déversait dans la zone de lagunage, qui elle se déverse dans le canal de Vuhé, qui lui se déverse dans la mer… ?

Cette nouvelle orientation des recherches n’est pas née du hasard. C’est ici que le laboratoire LIENSs (Littoral, Environnement et Sociétés) entre en jeu. Cette entité est une unité de recherche intégrée à l’Université de La Rochelle. Le LIENSs travaille en partenariat avec Qualyse. Qualyse est né du regroupement de plusieurs laboratoires départementaux (86, 17, 79 et 19 ) et propose ses services de sécurité sanitaire au profit des collectivités, des ministères, des entreprises et des particuliers. Le site Qualyse de La Rochelle fait lui même partie des murs de l’université. Nous apprendrons qu’on ne pénètre pas si facilement les secrets des fonds marins d’Aytré en poussant ces portes là. Bienvenue dans le monde du silence de la science !

ICOMABIO, comme…

En 2017 les élus d’Aytré retrouvent espoir avec l’arrivée d’un projet nommé ICOMABIO : Identification des sources de COntamination fécale dans un espace littoral connaissant des pratiques de tourisme et de loisir par l’utilisation combinée de MArqueurs BIOlogiques et chimiques sur l’exemple de la baie d’Aytré. Ce programme de recherches repose sur une étude de 3 ans dans le cadre d’un contrat doctoral.

Le projet est porté conjointement par le LIENSs , La Rochelle Université et le Laboratoire Qualyse (ex-LASAT – Laboratoire d’Analyses Sèvres Atlantique jusqu’en 2018). Les liens entre la Communauté d’agglomération(CdA) et l’université Rochelaise (LRU) sont très étroits. La dernière convention triennale entre LRU et la CdA fait état d’une enveloppe globale de 492 000€ pour soutenir des projets structurants. A ce titre l’université fait régulièrement appel à des étudiants en master ou prépa-doctorat pour réaliser différentes études, ce qui fut justement le cas pour ICOMABIO.

Un élu ayant eu à participer aux débats reconnaitra y avoir pressenti un bon moyen de faire avancer les recherches à moindre coût. Car à cet instant là, l’urgence était de : « discriminer les colibacilles animales et humaines afin d’identifier l’origine de pollution ». Il s’agissait bien de savoir qui des oiseaux, des chevaux, ou de l’homme devait être mis au banc des pollueurs. Un objectif qui s’est un peu égaré en chemin…

Tout était dit. Pas sûr... - Capture d'écran
Tout était dit. Pas sûr... - Capture d'écran

En 2018 une réunion est organisée avec toutes les autorités intéressées: Représentants de la mairie d’Aytré, du département, de la région Nouvelle Aquitaine, du laboratoire Qualyse et de l’Université la Rochelle/CNRS/LIENSs. Les problèmes de la baie, d'hier et d'aujourd'hui, y seront évoqués et consignés noir sur blanc. Tout y passe : les vingt années de pollution, les anciennes usines polluantes, le dragage du port des Minimes, l’envasement des parcs ostréicoles… A ce titre, il est même recommandé de prendre attache avec le doyen des ostréiculteurs locaux. Ce que nous nous sommes empressés de faire.

Armand Bernard en a vu des marées: un fort de la mer de 76 ans - © Reflets
Armand Bernard en a vu des marées: un fort de la mer de 76 ans - © Reflets

L'interview Au fil de l'eau de Reflets

Reflets : Que pouvez vous nous dire à propos de l’envasement de la baie ?

Armand Bernard : Dans les années 60 avec mon grand père, il y avait toutes sortes de poissons ici, il n’y avait pas encore le port des minimes, et il n’y avait pas autant de vase. Maintenant dans les parcs on en a jusqu'à 10 cm ! Si il y a du mauvais temps ça part, et après ça revient !

L’activité portuaire a-t-elle eu un impact sur votre activité ?

A l’époque avec le représentant du syndicat des ostréiculteurs nous sommes partis voir le Maire, Michel Crépeau, pour lui parler de l’antifouling des bateaux, il y avait là dedans du zinc, de l’arsenic, du plomb, c’était plus des huitres qu’on récoltait, c’était des hérissons ! Les huitres étaient toute frisées. De toute façon c’est une zone ostréicole qui n’a pratiquement plus d’attrait. Nous élevons nos huitres dans l’île de Ré. Ici les huitres ne sont plus ce qu’elles étaient, elles n’ont plus la même forme, plus la même coquille. Éventuellement on peut faire du demi-élevage, on amène une huitre jusqu’à un an et demi et après on l’enlève…

Vos huitres ne grandissent pas dans l’eau de la baie ?

Elles proviennent de l’île de Ré, mais bien sûr il faut quand même les mettre à dégorger quand elles arrivent ici. C’est là qu’on pompe en mer, les jours de beaux temps pour éviter d’avoir trop de vase, et on laisse l’eau décanter 48h minimum. Ensuite on re-pompe cette eau pour remplir les bassins de décantation pour les huitres. Les services vétérinaires font des prélèvements tous les deux mois environ.

Selon vous les courants marins peuvent-ils ramener des effluents dans la Baie?

Çà arrive des mimines, ça coule et ça vient se coller dans le trou de la baie, c’est pas plus compliqué que ça. Le bateau qui a dérivé de Rivedoux sur l’île de Ré, on l’a bien retrouvé sur le Platin d’Aytré…

Des responsables locaux sont-ils venus vers vous pour parler des problèmes de pollution?

Une fois, il y a très longtemps, depuis personne n’est revenu. Je ne dois pas avoir les bonnes idées qui leur convient ….

En 2021, Covid mal-aidant le planning originel, la présentation des résultats ne viendra éclairer aucune lanterne : on y apprend seulement que les analyses essentielles sont en cours et que le verdict viendra en son temps. A contrario, c’est à grand renforts d’interconnexion de réseaux sociaux que le projet ICOMABIO porte ses premiers camemberts. On connait désormais au bain de pieds près les pratiques et les envies des Aytrésiens.

Des résultats intermédiaires... intermédiaires - © Capture d'écran
Des résultats intermédiaires... intermédiaires - © Capture d'écran

Cette enquête donnera l’occasion au maire Tony Loisel de retrouver de l’espoir sur le devenir touristique de la baie. Son billet édité sur le site municipal de la ville souligne que 90% des répondants fréquentent la plage pour d’autres motifs que la baignade. Et puisque la majorité des vacanciers ne vont pas à la plage pour se baigner, la contamination de l'eau deviendrait presque anecdotique... Étonnant puisqu’en 2017 une enquête identique avait déjà été menée par un étudiant en Master 2. A cette époque, il s’avérait que 42% des personnes venaient sur la plage pour se baigner. En 2020 les chiffres estiment ce panel à 17% seulement. Bien sûr les sondages et les pratiques peuvent changer mais ne tournerait-on pas un peu en rond autour de la plage et de ses problèmes…

Mais la plus grande surprise concernera le mutisme forcené des personnes impliquées dans ce projet. Toutes nos demandes d’interviews nous serons invariablement refusés sous des prétextes étranges. L’un des plus vigilants gardiens du laboratoire Qualyse justifiera son refus systémique de communiquer par un : « Vous enregistrez là ou pas? Ben voilà, c’est ça le problème avec vous, c’est pas clair… Si vous avez des questions revenez plus tard mais laissez-nous profiter de la journée… ».

Oui, un vrai problème que de parler clairement de cette histoire de pollution. Mais fallait-il s’attendre à plus d’ouverture d’esprit alors qu’une chape de plomb avait été était posée sur le projet dès la seconde réunion. A cette époque il parut nécessaire de rappeler à tous que: « Les autres demandes de communication notamment par la presse écrite seront mises en suspens… » (déclaration ci-dessous).

Communication : aussi transparente que l’eau d’Aytré - Capture d'écran

Tony Loisel n’hésitera pas à reconnaitre ultérieurement: « On nous a demandé de ne pas communiquer dessus donc on ne communiquera pas, après si la communauté d’agglomération veut le faire parce que c’est elle qui finance en grande partie, pourquoi pas… ». Vu sous l’angle du contribuable, il devient légitime de s’intéresser au montant des coûts engagés pour financer ce projet (l’addition ci-dessous)

L’acceptation du devis par la mairie d’Aytré. - Capture d'écran
L’acceptation du devis par la mairie d’Aytré. - Capture d'écran

Le financement du projet ICOMABIO s’est adossé à une proposition établie par l’université de La Rochelle d’un montant de 452.400 € TTC. L’acceptation par la mairie d’Aytré fait état d’un coût de 359.160 € HT, sur lesquels la CDA viendra par la suite rajouter 8000 € pour prolonger le contrat doctoral de 3 mois.

Nul ne doute qu’à ce tarif là les choses devraient avancer. Alors pas de blabla inutile, pas de communication intempestive, laissons les chercheurs chercher dans le calme d’un labo d’intérêt public. Et justement en ce qui concerne Qualyse, il est bon d’écouter ceux qui en parlent le mieux.

Nous sommes le 20 décembre 2018, Dominique Bussereau, ex-ministre mais encore président du département, ouvre le rapport 204 : Il s’agit de voter une autorisation d’engagement et un crédit de paiement de 1.310.000 € au titre des actions confiées à Qualyse en 2019. Par ailleurs, la commission propose : « d'actualiser à la baisse de 239.351 euros à 185.481 euros l'autorisation d'engagement votée le 18 juin 2018 en faveur d'une action complémentaire au programme d'action de Qualyse dans le but d'identifier les sources de pollution littorale en baie d'Aytré pour intégrer la participation financière de la région Nouvelle-Aquitaine de 53.870 euros, votée le 8 octobre 2018, qui font donc la différence de notre engagement ». Le budget sera validé et le tout voté à l’unanimité, non sans que M. Bussereau donne la parole à Catherine Desprez, maire de Surgères et conseillère du département.

Conversation cordiale entre deux présidents - Capture d'écran
Conversation cordiale entre deux présidents - Capture d'écran

Mme Desprez signifiera au conseil que : « Qualyse vit sa vie, évolue. Il effectue pour nous, Département, un certain nombre de missions, l'hydrologie, la santé animale, la sécurité et la sécurité sanitaire. C'est pour nous un bras armé de nos politiques dans ces domaines. Les différents plans d'action qu'on vous demande de voter sont tout à fait justifiés. On a des plans d'action sur le Département de Charente-Maritime, des Deux-Sèvres, à peu près à quantités égales, et également sur la Vienne et la Corrèze ».

Dominique Bussereau lui renvoie joyeusement la balle à propos de futurs contrats pouvant être signés avec les départements voisins : « Vous avez une déclaration d'amour de la Creuse, pour venir.. ? ».

Réponse de la conseillère : « On commence à étudier la corbeille pour voir ce qu'on mettra dedans… Mais effectivement, on a eu des avances de la part de la Creuse ».

Dans la foulée elle aborde le sujet de l’action complémentaire au programme de soutien d'action de Qualyse : « Autrement, là, il est question d’ICOMABIO. La première réunion pour ICOMABIO pour la pollution de la baie d'Aytré a eu lieu avec les différents partenaires. La thésarde s'est engagée à faire des réunions très régulièrement pour nous tenir au courant de cette thèse qui s'étend sur trois ans ».

Et d’en finir par cette précision: « C'est Qualyse, qui est la contraction de qualité et analyse. Pour s'en rappeler… ».

On peut aussi se souvenir qu’à cette époque Catherine Desprez occupait le poste de présidente du syndicat mixte de Qualyse, ex-laboratoire LASAT. A ce jour, elle figure parmi l'équipe du labo en tant que seconde vice-présidente.

L’élue présidente du LASAT, devenu Qualyse en 2018. - Capture d'écran
L’élue présidente du LASAT, devenu Qualyse en 2018. - Capture d'écran

Et Rebelote en décembre 2021 lors du vote de La convention triennale 2022-2024 où une autorisation d’engagement de 1,487M€ sera à l’ordre du jour. Sylvie Marcilly, la nouvelle présidente du conseil départemental se tourne à nouveau vers Mme Desprez: « Nous allons passer au rapport concernant Qualyse, mais en préambule, je vais passer la parole à Mme Desprez, qui souhaite intervenir ». La maire de Surgères toujours aussi élogieuse dans son propos : « _je vais faire un bref historique, mais je vous proposerais, Mme la présidente, de recevoir le directeur de Qualyse pour qu'il puisse nous en dire plus, parce que c'est un outil extrêmement intéressant et dans lequel il y a une matière grise très importante _».

Rien de coupable dans ces échanges puisque Qualyse est un syndicat mixte, un établissement public à caractère industriel et commercial, dont la présidence du comité syndical peut être tenue par un élu. Mais quand même, souhaitons que ce trop plein d’amour départemental ne verse pas dans l’aveuglement. Une université Rochelaise, un centre de recherche Rochelais, un laboratoire Rochelais, un président Rochelais de la Communauté d’agglo de La Rochelle, ne serait-il pas utile de s’ouvrir davantage aux avis extérieurs pour ne pas s’enferrer dans un entre-soi scientifique trop… local ?

C’est vrai l’indépendance totale c’est important - Capture d'écran
C’est vrai l’indépendance totale c’est important - Capture d'écran

ICOMABIO d'abord, resto-bio ensuite

Nous sommes maintenant le 21 janvier 2022. Dans un amphi de l’université, la jeune doctorante vient soutenir ses travaux.

Dans les fauteuils ont pris place le président du jury, un co-directeur de thèse du LIENSs et deux responsables de Qualyse ; en visioconférence, trois professeurs examinateurs et une co-directrice de thèse également issue du LIENSs.

Mais pas l’ombre d’un décideur, aucun élu des municipalités environnantes n’est présent sur place. A croire que cet exposé n’intéresse que les amis, la famille, l’université et Qualyse. Il est toutefois possible d’assister aux débats à distance. Hélas, quand cela ne veut pas… En effet la technique s’est ingéniée à dysfonctionner durant de très longues minutes, perturbant de la sorte et l’étudiante en stress, les chercheurs qui devaient s’enquérir de ses travaux, et les éventuels spectateurs à distance.

Le jury dans l’amphi, mais pas l’ombre d’un seul élu local sur place - © Reflets
Le jury dans l’amphi, mais pas l’ombre d’un seul élu local sur place - © Reflets

Qu’importe ces aléas perturbateurs, puisqu’au final la jeune inscrite au doctorat obtiendra son titre. Nous profitons de cet heureux dénouement pour chercher réponse à l’une de nos interrogations : pourquoi l’étude ne s’est-elle pas davantage attachée à considérer les valeurs de seuils proposées par la directive européenne pour établir la qualité des eaux de baignades ? Car en effet les résultats des analyses effectuées par Qualyse s’appuient sur les normes AFSSET de 2007 (l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l'Environnement et du Travail est remplacée depuis 2010 par l’Anses, l’agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail). A ce titre une note d’information de la DGS (direction générale de la santé) rappelait en 2015 : « que les seuils proposés par l’AFSSET sont des seuils de gestion des risques sanitaires et que le respect de ceux-ci ne garantit pas un classement annuel suffisant au regard de la directive 2006/7/Ce. Aussi, il est fortement recommandé que les seuils visés dans les profils de baignade soient plus contraignants que les seuils AFSSET ».

Seuil AFSSET : 1000/100ml pour E.coli. Jusqu’à 19626 mesuré en 2019 - Capture d'écran
Seuil AFSSET : 1000/100ml pour E.coli. Jusqu’à 19626 mesuré en 2019 - Capture d'écran

Alors certes la directive précise que ces valeurs de seuils peuvent varier en cas de calcul d’échantillon unique, lorsque la mesure de la qualité de l’eau est effectuée à l’instant T et pour constater une pollution ponctuelle. Mais tout ceci ne correspond guère au cas présent puisqu'une pollution ponctuelle est officiellement définie comme : « _une contamination microbiologique portant sur les paramètres Escherichia coli ou entérocoques intestinaux ou sur des micro-organismes pathogènes qui a des causes aisément identifiables, qui ne devrait normalement pas affecter la qualité des eaux de baignade pendant plus de soixante douze heures environ à partir du moment où la qualité de ces eaux a commencé à être affectée _». Et de 72 heures environ à 20 années environ de pollution inquantifiable on peut s’y perdre. Les recherches et analyses présentées ne se seraient-elles pas grandies à respecter les valeurs utiles au classement officiel des eaux de baignades d’Aytré? Quelques précisions sur ce point auraient été bien utiles pour clarifier les choses. Il nous semblait logique de nous adresser à cet aréopage de scientifiques pour mieux comprendre, mais non, vraiment pas le moment…

Impossible d’avoir la moindre conversation avec qui que ce soit. Voici en vrac les diverses raisons de ce refus global : « Non, ce n’est pas le lieu… non, je ne vous ai pas répondu j’avais d’autres engagements et là ce n’est pas le moment… désolé ce n’est pas le cadre habituel, j’ai votre mail on vous tiendra au courant de la prochaine réunion ». Parfois même le rationnel viendra prendre le dessus : « Je suis attendu, j’accompagne le jury au restaurant je ne vais pas vous répondre maintenant, vous comprenez le truc, on est dans la merde (sic), on a des gens qui sont au truc, ça à merdé dans tous les sens ce matin, je vous avoue on a autre chose à foutre, je veux dire on a une réservation au restaurant je ne vais pas vous répondre maintenant… ». Et non, la faim c’est quelque chose. Après une ultime tentative je saluerais donc ces scientifiques pressés et affamés mais non dénués d’humour : « Vous êtes pire que le scotch du capitaine Haddock ! _». Bref, fin du running-gag. Mais tout ceci n’est vraiment pas à la hauteur de ce qui nous a été présenté comme _un outil extrêmement intéressant et dans lequel il y a une matière grise très importante.

La thèse: les questions des pros

Puisque les choses de la science s’adressent davantage aux scientifiques qu’aux journalistes, et comme les instances officielles se sont enfermées dans un mutisme contrarié (Allo la DGS, l’Anses, la CNDP.. ?), nous avons trouvé plus simple d’écouter les questions que les examinateurs ont eux même posées durant l’exposé de la thèse doctorale. Mais là encore, on s’interroge…

Questions de Françoise Lucas, rapporteur, UPEC Paris : Sur ton travail tu as mis en place un outil d’identification par Maldi-Tof, j’aurai aimé savoir ce que tu pensais de la faisabilité d’une appropriation par une collectivité de ce genre d’outil, et comment cet outil peut être mis à disposition après.

Réponse de la doctorante :

Cet outil nous l’avons-nous développé avec les collègues de Qualyse, qui gère notamment l’analyse des eaux de baignade au niveau de La Rochelle, donc c’est un outil qui mérite d’être –agrémenté pour rendre les industries robustes- ( ?). Mais c’est un outil qui doit être utilisé pour l’analyse… pour déterminer l’origine des différentes espèces d’origine environnementale, pour caractériser l’origine animale et la part d’origine humaine. Donc pour moi c’est un outil qui pourra être agrémenté et qui pourra en suite être développé au niveau local, notamment, pour pouvoir caractériser l’origine des contaminations fécales.

D’accord… donc du coup c’est une entreprise qui va le développer, donc ça resterait du domaine privé… c’est ça ?

C’est un laboratoire mixte le laboratoire Qualyse, et il sera développé par le laboratoire Qualyse.

Parce que si on se met à la place d’un gestionnaire, bon il y a toute la partie d’identification des sources pour faire un profil de baignade, clairement ils ont pas mal d’outils à disposition (…) si tu devais préconiser auprès du gestionnaire des outils, incluant celui là, que préconiserais-tu particulièrement en se mettant du point de vue d’un gestionnaire, qui n’a pas forcément une enveloppe budgétaire illimitée?

Concernant le budget je pense que les analyses développées avec la méthode Maldi-Tof sont moins coûteuses que les analyses effectuées par la recherche des marqueurs génétiques, sauf qu’en fait la méthode Maldi-Tof prend plus de temps à être analysée, donc pour des gestionnaires je pense qu’ils préféreraient avoir les résultats le plus rapidement possible. Donc ce serait plutôt de faire de la recherche des marqueurs génétiques d’abord, pour pouvoir appuyer ces résultats là avec une recherche Maldi-Tof, mais pour la rapidité ce serait plus de faire des analyses génétique, mais pour le moins couteux ce serait Maldi-Tof.

Dans tes résultats tu montres que les sources animales ne sont pas négligeables… Si tu dois reboucler tout ça ensemble, quelles seraient tes conclusions ?

Pour moi en fait la plage n’est pas baignable. Il y a un risque réel lorsque l’on se baigne, lorsque la contamination est présente, lorsque l’on fréquente la plage il y a un risque réel de santé publique, lorsque l’on fréquente la plage en période de contamination. Au vu de la fréquentation des animaux domestiques et sauvages, on sait qu’on a une contamination réelle d’origine fécale, donc il y a un risque réel de se baigner à Aytré.

Questions de Jean-François Humbert, rapporteur, INRAE Paris: Qu’entends-tu par prolifération des bactéries, je me suis interrogé, pendant toute la thèse tu n’arrêtes pas de nous dire finalement que ces bactéries semblent peu se multiplier dans l’environnement, ou même pas du tout, et là tu nous parles de prolifération. Peux-tu m’éclairer là-dessus ?

En fait, c’est au niveau de la biblio, où ils montrent que ces bactéries sont capables de se multiplier notamment dans les milieux d’eaux douces ; c’est la naturalisation de ces bactéries dans le milieu d’eau douce. Nous, en s’attendant à avoir ce phénomène là dans notre baie qui es très spécifique, sablo-vaseuse, et on voulait voir si on arrivait à faire le lien entre les sédiments sablo-vaseux et le niveau de contamination élevé observé au niveau de la baie. C’était vraiment pout transférer la naturalisation observée dans l’eau douce à notre baie.

Oui mais finalement est-ce que tu t’es donné les moyens d’étudier ça, parce que ton échantillonnage te permettait pas vraiment de savoir s’il y avait une prolifération dans le sédiment ?

Oui, on a pas pu, il était prévu de faire des analyses en mésocosme pour voir si on avait cette naturalisation, mais on a pas eu le temps de les faire… »

Tu parles souvent des nutriments, notamment de l’azote et du phosphore, j’ai trouvé en revanche que vous n’aviez pas montré beaucoup d’intérêt pour la matière organique sous ces différentes formes. Pourquoi ? Pourquoi tu mets l’accent surtout sur les nutriments, c'est-à-dire sur la partie minérale, en tout cas moi c’est comme ça que je l’entends, plutôt que sous la forme organique ?

C’était plus par rapport au facteur environnemental du milieu, lorsqu’on a une pluviométrie on sait qu’on aura une augmentation de ces nutriments. L’objectif était de voir si on arrivait à avoir une variation de la contamination en fonction des nutriments

Mais tes bactéries, ce qu’elles consomment c’est de la matière organique… leur source d’énergie, c’est quand même la matière organique, donc est ce que ça ne te paraitrait pas légitime de mettre un peu plus l’accent sur la fraction organique ?

Si si, oui, mais c’est vrai que là on n’a pas fait ça

On s’intéresse beaucoup au conflit d’usage sur des écosystèmes, là j’ai l’impression que sur votre écosystème vous êtes dans une situation qui est certainement proche du conflit d’usage, à savoir que vous avez une multiplicité d’usage qui va de la baignade au nautisme, aux promenades à cheval, promenades avec le chien, et vous avez des sources de contamination qui semblent être en partie des sources de contamination animales, et qui du coup gène les usage de baignade et de nautisme, alors pourquoi ce prisme de conflit d’usage vous ne l’avez pas étudié ?

-Blanc-

Peut-être Je n’ai pas été assez clair…

Si si c’est juste que je ne suis pas très a l’aise sur cette partie là, mais je pense qu’on a juste fait le choix de s’orienter sur les pratiques en fonction de l’écosystème de l’agglomération de la Rochelle en général, pour voir si on avait des pratiques qui évoluaient sur d’autres sites par rapport à la contamination de la baie d’Aytré.

Questions de Michèle Gourmelon, examinatrice, IFREMER Brest: Il y avait donc une spécificité différente entre tes marqueurs (…) C’est un peu le reproche que je fais dans l’application de la méthode. En fait, avant d’appliquer une méthode dans l’environnement il faut déjà la valider au niveau des sources. Pour moi c’est vraiment essentiel. Donc là, le marqueur humain est bien validé, mais le marqueur cheval ça ne veut rien dire (…) Tu ne peux rien dire sur le marqueur cheval que tu as pris dans ton échantillon…

Oui, oui, je suis d’accord c’est d’ailleurs ce que j’avais indiqué sur la présentation en disant que c’était le marqueur utilisé généralement mais on a vu que ce marqueur n’était pas spécifique et que ce sont des résultats à confirmer dans une recherche avec d’autres indicateurs.

Oui, mais il faut que tu fasses attention, tu ne peux pas dire que tu vas le confirmer, tu dois dire au départ, ça ne fonctionne pas, donc je ne l’utilise pas ! Faut se méfier parce que là les gens qui vont regarder tes résultats, ils vont lire marqueur cheval partout, et donc se dire c’est une contamination par les chevaux…

Ok.

Tu parles dans la partie biblio des analyses qui ont déjà été faites avec le labo Labocéa en 2015, et tu n’en reparles plus après. Cela aurait été intéressant justement de confronter ces résultats aux tiens. Et surtout tu aurais pu t’interroger un peu plus sur le marqueur cheval, eux ils ne l’ont trouvé sur aucun des échantillons, et toi tu le trouves sur presque tous ? Pour les marqueurs oiseaux vous avez des choses à peu près similaires. En fait, pour les marqueurs, pour une autre fois, il faut vraiment valider sur les sources, quand c’est validé sur les sources, on passe seulement dans l’environnement.

D’accord

Questions de Yann Héchard, Président du jury, université de Poitiers: J’avais pas mal de questions autour du tracking, de l’origine et des méthodes qui permettent vraiment de dire ça c’est une souche équine, ça c’est une souche animale, ce n’est pas un domaine que je connais très bien, donc j’avais une question un peu naïve. Je vais poser une question sur deux domaines. Le premier c’est la méthode qui est utilisée pour quantifier les entérocoques et les Escherichia coli, la méthode normée, d’ailleurs si on avait eu la directive dans le manuscrit cela aurait été pas mal je trouve, c’est peut-être très long, je ne sais pas combien de pages cela peut faire… Donc c’est une méthode qui est basée sur des NPP (Nombre le Plus Probable) et ce n’est pas une méthode qui est connue pour être la plus précise. Que penses-tu de cette méthode, existe-t-il d’autres méthodes alternatives pour quantifier E.coli et entérocoque, et penses-tu que cette méthode NPP soit valide, ou est-ce qu’il faudrait la faire évoluer pour détecter ces deux bactéries ?

Pour moi, je pense qu’il faudrait la faire évoluer pour détecter ces deux bactéries, mais pour le moment c’est la méthode qui existe, c’est la méthode normée qui existe pour la surveillance des eaux de baignade. Vu que nous étions dans ce cas là on a préféré garder la méthode qui est utilisée. Sinon il existe d’autres méthodes, qui sont plus spécifiques, elles sont actuellement utilisées par des bureaux d’études pour analyser les eaux de baignade, mais ce ne sont pas des méthodes normées…

Mais toi tu n’as pas pu comparer cette méthode avec d’autres méthodes ?

Non

Valider avec d’autres moyens ? Parce que cette quantification, toutes les décisions qui sont prises derrière sont basées la dessus, et si la méthode est un peu… problématique....

Cette dernière question n'est pas anodine...

N'oublions pas que cette méthode dite NPP, reconnue comme problématique et peu précise, se situe malgré tout au cœur d’un projet valant la somme d’environ 400 000 € TTC. D’autant qu’à relire la directive réclamée par le président du jury, on s’aperçoit justement que la méthode retenue pour qualifier la qualité des eaux de baignade au niveau national n’est pas celle-ci, mais une autre méthode dite UFC (unité formant colonie) qui, elle, de l'avis des spécialistes, permettrait un dénombrement plus exact des bactéries. Il est écrit qu’un résultat exprimé sous la forme UFC n’est pas comparable à un résultat obtenu avec une méthode NPP. Et nous voici donc encore avec une question sans réponse sur les bras…

Bien sûr, il ne s’agit nullement de remettre en cause le sérieux et l’amplitude des travaux qui furent unanimement salués par tous les examinateurs présents.

Toutefois les remarques soulevées par ces professionnels nous ont sérieusement interpellé. Compte tenu de l’importance et des enjeux directs du programme ICOMABIO, le bien-fondé d’un programme de recherche basé sur une étude doctorale nous est apparu assez discutable. Le stress d’obtenir un diplôme de ce niveau, la gestion du temps imparti pour rédiger une thèse dont la forme est structurée et très écrite, la déférence naturelle et bien compréhensible qu’un jeune étudiant portera envers une autorité qui devient son employeur, sont autant de points de pressions dont il faudrait peut-être tenir compte à l’avenir.

ICOMABIO: des perspectives futures…

Les belles perspectives d’avenir sont emplies des bonnes intentions d’hier. Ce qui paraissait être l’objet initial du projet ICOMABIO s’apparente désormais à un futur programme à mettre en place. Il suffirait donc: « d'effectuer des analyses pour démontrer le lien de contamination » . Notons qu’il reste aussi à procéder à une analyse du sable, ce qui contre toute logique n’a pas encore été fait. Un contrôle pour le moins utile puisque la plage avait ultérieurement servi de filtre à bactérie (lire ci-dessous).

1ere demande de concession refusée en 2020: sale douche froide - Capture d'écran
1ere demande de concession refusée en 2020: sale douche froide - Capture d'écran

Arrive le temps de conclure. Les oiseaux, un peu, les humains un peu, les chiens, un peu, les chevaux sûrement, mais une slide renseigne plus formellement sur l’innocuité de l’épuration des eaux usées via le quartier de Port-neuf. Ouf, on a eu peur sachant que des centaines de milliers d’euros ont été investis dans cette station afin de mieux réguler les rejets de l’agglo en mer. Idem pour le port des minimes. Dans les deux cas le verdict semble sans appel: absence de sources.

Les chevaux oui, l’homme... ça reste à prouver - © Reflets
Les chevaux oui, l’homme... ça reste à prouver - © Reflets

Absence de sources à Port-neuf, tout va bien ! - © Reflets
Absence de sources à Port-neuf, tout va bien ! - © Reflets

Le 8 mars 2022, un mois et demi plus tard, un bilan d’information se tient dans les locaux de Qualyse. Nous nous y présentons mais ne pouvons toujours pas assister à cette séance qualifié de réunion de travail. Dans une interview parue sur le site du Parisien.fr, le maire d’Aytré semble pourtant plus confiant que jamais. Il signale qu’une réouverture « pourrait être envisagée en 2023 si nous suivons un protocole précis. Par exemple, s’il y a d’importantes précipitations propices à une pollution, nous interdirons l’accès à la baignade pendant trois jours. Grâce aux travaux de recherches, nous sommes capables aujourd’hui de faire un schéma de pollution donc ça peut être une solution. Il n’est pas question de lâcher sur ce dossier ».

Des intempéries, trois jours, des schémas, des peut-être, souhaitons que ce scénario ne soit pas celui de la dernière chance pour la baie d’Aytré. Car commence à poindre une émanation de solution qui arrangerait bien les affaires de tout le monde. Il se pourrait en effet que cela soit… comme ça ! Oui comme ça ou bien de la faute de la rondeur de la terre, de la platitude du Platin, de l’échancrure de la baie, d’un crottin de grosse mouette, ou de la colère du ciel. Bref la tentation est grande de tout oublier, de faire comme si de rien, et surtout de souhaiter bon bain à tous entre deux vilaines grosses pluies.

Et ça, c’est quoi ?!

Étrange, cette plage qui année après année se couvre et se découvre contaminée par intermittence. Bizarres, ces débats qui agitent une fois les oiseaux, une fois les chiens, une fois les chevaux, rarement les hommes. Perplexes, ces étudiants, professeurs et scientifiques de haut niveau qui grattent et analysent sans jamais rien trouver de concret. Désolant, ces marins, plaisanciers, politiques qui parlent du goût et de la couleur de l’eau un jour, puis se taisent le jour suivant. Amusante, l’arrivée de cette ministre qui vient gaiement clouter le sentier avant de s’en retourner à l’Élysée. Alarmantes, ces anciennes industries polluantes qui devaient disparaître mais sont encore et toujours en place. Déroutante, cette même concession de plage refusée en 2020 mais bien accueillie en 2022… Bref, c’est quoi au juste le mystère de la plage d’Aytré ?

Et puisque nous n’avons pas avancé d’un pouce dans la résolution de cette énigme environnementale, nous poserons nos dernières questions en images. Des images toutes bêtes qui n’ont absolument rien de scientifiques. Et ça, c’est quoi …? Se pourrait-il que ces questions participent d’une manière ou d’une autre à la pollution de l’eau de baignade ? Peut-être qu’une nouvelle étude à 400.000€ trouvera les réponses.

Making-off

C’est quoi… ces tuyaux bizarres dont personne ne parle jamais, et qui sortent de nulle part mais pointent droit vers la plage ?

Côté Platin sud - © Reflets
Côté Platin sud - © Reflets

Près des stations de lagunage - © Reflets
Près des stations de lagunage - © Reflets

C’est quoi… ces stations de lagunage qui recrachent quoi, quand, comment et où vers la mer et sur le Platin ?

la station d'Angoulins sur mer - © Reflets
la station d'Angoulins sur mer - © Reflets

La station d'Aytré - © Reflets
La station d'Aytré - © Reflets

C’est quoi… ces liquides qui s’échappent des trois exutoires selon les jours et les moments, et qui s’écoulent sur l’estran du Platin?

Des ronds dans l'eau ?
Des ronds dans l'eau ?

Représentation cartographique et localisation des sites - Capture d'écran
Représentation cartographique et localisation des sites - Capture d'écran

Exutoire côté Platin sud - © Reflets
Exutoire côté Platin sud - © Reflets

Entrée principale de la plage - © Reflets
Entrée principale de la plage - © Reflets

C’est quoi… ces incroyables cyanobactéries fluorescentes qui illuminent certains jours le petit canal de Vuhé ? Et cette écluse qui au final rejette le tout vers la mer, qui ouvre, ferme, ou contrôle ce clapet de débordement automatique?

L'un des bras du canal de Vuhé - © Reflets
L'un des bras du canal de Vuhé - © Reflets

L'écluse: un accès direct vers la mer - © Reflets
L'écluse: un accès direct vers la mer - © Reflets

C’est quoi… tous ces tubes d’aspiration et de refoulement qui jonchent la partie de l’estran comme on jetterait un vieux pneu dans une décharge ?

Tubes de refoulement au niveau des cabanes d'ostréiculture  - © Reflets
Tubes de refoulement au niveau des cabanes d'ostréiculture - © Reflets

Et ça, par contre, on pense savoir ! Enfin, on se doute un peu pour avoir suivi le cours de ce petit bras qui chemine tout en secret et en beauté jusqu’à la mer. Il se pourrait bien qu’il transfère les émanations du lac des galiotes, vous savez, ce fameux petit bassin avec douche intégrale conseillée en cas de chute.

Un étrange no man's land avec accès à la mer - © Reflets
Un étrange no man's land avec accès à la mer - © Reflets

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