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Dossier
par Eric Bouliere

Baignade interdite à Aytré #4 : tous à la plage !

Selon le dernier guide pratique de la ville, cette plage naturelle est idéale pour les familles…

Un rivage pollué en profondeur durant les précédentes décennies, une contamination fécale de l’eau de mer actée depuis 2013, une interdiction de baignade ferme et définitive déclarée en 2018, telle est l’envers de la carte postale de la plage d’Aytré. Mais quand le tourisme va, tout baigne.

Un extrait du guide pratique de la ville, distribué en ville - @ Reflets

La baignade est ici officiellement interdite pour raison sanitaire depuis des lustres. Le taux d’Escherichia coli et d’entérocoque s’est régulièrement avéré supérieur aux normes admises. Plusieurs articles relatant les faits ont déjà été publiés par la rédaction (toute notre enquête ici #1, #2 , #3 ). Aux premiers beaux jours de juin, nous nous sommes rendus sur place pour apprécier la situation à l’ouverture de la saison estivale.

Surprise : l’arrêté d’interdiction de baignade n’apparait pas aux différentes entrées de plage et le drapeau rouge/violet (baignade non autorisée/pollution) n’est même plus hissé en haut de son mât. Des usages légaux et un dispositif d’alerte pourtant obligatoires. Disparu également l’arrêté municipal du 3 mai 2022 qui interdisait la présence des chevaux et des animaux domestiques sur la plage. Cette mesure considérée comme essentielle fut initialement prise « de manière à poursuivre les investigations sur les sources de contamination ».

Tout va bien, la saison 2023 est ouverte à Aytré… - @ Reflets
Tout va bien, la saison 2023 est ouverte à Aytré… - @ Reflets

3 km de plage : un seul et unique mât sans drapeaux… - @ Reflets
3 km de plage : un seul et unique mât sans drapeaux… - @ Reflets

Certains accès à la plage sans aucun dispositif d’affichage - @ Reflets
Certains accès à la plage sans aucun dispositif d’affichage - @ Reflets

Pourtant les touristes sont déjà là, et en bordure de mer, là où le taux de bactéries est le plus élevé, un bébé s’égaille sous l’œil protecteur de ses parents en faisant des bulles dans une eau potentiellement contaminée par des bactéries fécales.

Pas d’interdiction ? Tous à l’eau, bébé compris ! - @ Reflets
Pas d’interdiction ? Tous à l’eau, bébé compris ! - @ Reflets

Non averti du risque encouru et furieux d’apprendre les causes de cette interdiction de baignade, un couple de vacanciers nous exprimera son souhait de déposer plainte. Porter plainte, oui, mais où, pour quoi et contre qui ?

C’est le débat que nous avons porté aux oreilles du préfet de Nouvelle-Aquitaine, du directeur de l’ARS (agence régionale de santé) et du président de la communauté d’agglomération rochelaise. Par chance, tous trois étaient présents pour assister à la signature du contrat local de santé (CLS) dans la grande salle des fêtes de l’Hôtel de Ville de La Rochelle. Un moment solennel engageant tous les élus et acteurs locaux. Il était en effet question de s’enquérir des préoccupations territoriales et du bien-être en Aquitaine afin de préserver la qualité de l’air, de la terre ou de la mer. C’est important la santé.

Un chouette contrat à la santé de la santé ! - @ Reflets
Un chouette contrat à la santé de la santé ! - @ Reflets

Entre le discours et les petits fours, l’endroit semblait approprié pour évoquer les problèmes de la baie d’Aytré avec les trois plus hauts responsables locaux. Interrogés sur la gestion chaotique de la pollution en baie d’Aytré, leur réponse fut instinctive, courte et succincte :

De Nicolas Basselier, Préfet de Nouvelle-Aquitaine : « C’est quoi le problème avec la baie d’Aytré ? »

De Laurent Flament, directeur de la délégation départementale de Charente-Maritime : « Je n’ai pas eu de retour de mes services, envoyez-moi un mail, je vais me renseigner et je reviens vers vous »

De Jean François Fountaine, maire de La Rochelle et président de la communauté d’agglomération : « Mais ce n’est pas chez nous nous çà, c’est le problème d’Aytré… j’ai crû entendre que la pollution était due aux fientes des oiseaux marins, non ? »

De gauche à droite : JF Fountaine, N. Basselier, L. Flament - @ Reflets
De gauche à droite : JF Fountaine, N. Basselier, L. Flament - @ Reflets

La situation nous paraissant ici parfaitement sous contrôle, nous sommes partis prendre attache avec les élus de la commune d’Aytré. Le maire, Tony Loisel, et son adjoint en charge de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et de l’écologie, Pierre Cuchet, nous avaient par le passé reçus très cordialement lors de nos enquêtes précédentes. L’adjoint désigné nous recevra donc de nouveau pour nous confier sa version des choses sans détour ni retenue.

Reflets : La plage d’Aytré est-elle à ce jour toujours interdite à la baignade ?

Pierre Cuchet : « Bien sûr… en dépit des bons résultats enregistrés au mois de mai ! »

Comme le déclarera ci après Mr Cuchet une seule et unique analyse satisfaisante ne suffit pas à faire ré-ouvrir la plage : 3 années de bons résultats s’avèrent nécessaires. - @ Reflets
Comme le déclarera ci après Mr Cuchet une seule et unique analyse satisfaisante ne suffit pas à faire ré-ouvrir la plage : 3 années de bons résultats s’avèrent nécessaires. - @ Reflets

La saison estivale a débuté, cette semaine il n’y avait sur place ni affichage ni drapeau rouge signifiant l’interdiction. Est-ce bien normal ?

P.C : « C’est une bonne question. Moi je n’y suis pas passé. Mais je ne suis pas en charge des indications sur la plage, donc je ne sais pas. Je ne me défausse pas en disant ça, je dis simplement, pour moi il y a un drapeau qui indique… il devrait y avoir un drapeau qui indique baignade interdite. Ou s’il n’y pas de drapeau, peut-être qu’il n’a pas encore été mis, je ne sais pas… Il faut que je voie ça avec les services techniques et/ou la communication ».

Dans l’équipe municipale on vous désigne comme l’interlocuteur privilégié, or vous nous dites que vous ne seriez pas responsable des problèmes d’affichage sur la plage.

P.C : « Moi je veux bien engager ma responsabilité ce n’est pas le problème, je n’étais simplement pas avisé qu’il n’y avait pas de drapeau, normalement il y aurait dû avoir un drapeau, je ne peux pas vous en dire plus ».

Le préfet et le directeur de l’ARS rencontrés ce matin ne semblent pas être au fait de ce qui se passe sur la plage d’Aytré. Qu’en pensez-vous ?

P.C : « Que voulez-vous que je vous dise, si le préfet dit qu’il n’est pas au courant… ça me fait sourire. Et que vous a dit monsieur Flament de l’ARS ? ».

Le directeur de l’ARS indique ne pas avoir eu de retour de ses services.

P.C : « Si vous voulez, je vous imprime le résultat des analyses effectuées par l’ARS qui date du 23 mai. Ils sont bons. Donc moi je veux bien que personne ne soit responsable… Mais vous pourrez rassurer les parents avec le petit qui a pris de l’eau dans sa bouche. Peut-être que l’eau était bonne ? Je n’en sais rien ! ».

De l'arrêté édité le 27 avril 2018 à la réalité du 4 juin 2023... - @ Reflets
De l'arrêté édité le 27 avril 2018 à la réalité du 4 juin 2023... - @ Reflets

Ces résultats du suivi sanitaire de la qualité de l’eau sont-ils accessibles au public ?

P.C : « C’est indiqué sur le site de la mairie d’Aytré normalement » (NDLR: rien de disponible à ce propos sur le site municipal).

Combien d’analyses ont été réalisées pour 2023 ?

P.C : « Là c’est le premier de l’année. Mais je vous rappelle que l’an passé nous avions relancé des analyses, des expertises, autour du canal de Vuhé, sauf que le canal était à sec tout le temps. Là, il a un peu d’eau, mais malheureusement avec ce temps-là… Il y a eu une analyse qui a été faite, d’autres seront faites, et donc je ne sais pas ce qui va se passer ».

Qui a décidé d’effectuer ces analyses, la mairie ou l’ARS ?

P.C : « C’est l’ARS en lien avec le département et la commune ».

Pourquoi la municipalité d’Aytré a-t-elle décidé de laisser les gens se baigner en ce début de saison balnéaire ?

P.C : « Vous ne pouvez pas le dire comme ça ».

Disons-le-autrement : pourquoi la municipalité ne s’est-elle pas préoccupée de veiller au respect de l’affichage obligatoire avant le début de la saison balnéaire ?

P.C : « Je n’ai pas de réponse ».

A l’évidence certaines normes n’ont pas été respectées

P.C : « Visiblement si vous dites que nous ne sommes pas aux normes, je veux bien vous croire, je ne mets pas votre parole en doute. Je vous signale que depuis 2/3 ans que nous sommes élus, je ne sais pas si avant c’était le même problème, nous avons mis des autocollants et systématiquement les autocollants étaient arrachés ».

Les derniers résultats obtenus permettent-ils de réhabiliter la plage ?

P.C : « Non. Je crois qu’il faut trois ans de prélèvements continus et de bonne qualité pour que l’on puisse la ré-ouvrir. Vous le savez bien vous l’avez déjà écrit l’année dernière… ».

Pourquoi la question se repose t-elle cette année encore ?

P.C : « Parce que rien n’a bougé vraiment, voilà, je ne vais pas dire le contraire… ».

Ces échanges furent donc francs, courtois, voire teintés de cordialité et d’humour. Mais ça, c’était avant, avant que nous avisions les hauts responsables de santé sur l’éventualité d’une plainte portée par ces contrariants vacanciers. Car l’après, semble avoir quelque peu dégradé nos relations avec la mairie d’Aytré. Le ton nous fut donné le lendemain même via un mail assassin de l’agréable adjoint :

« Pour votre information, le drapeau manquant sur la plage a été posé hier dans la journée et les affichages précisant "baignade interdite" sont, comme je vous l'ai expliqué, en cours de réinstallation. Cependant, les informations relatives à l'interdiction de la baignade sont sur le site de la ville d'Aytré (Aytré, ma ville/Développement durable/qualité de l'air et de l'eau). Enfin, comme je pense que votre futur papier sera encore une fois à charge (j'ai repensé à la façon dont vous avez suggéré à la famille présente sur la plage de déposer plainte contre la municipalité!!!), j'estime peu utile de nous revoir ».

Retenons de ce tumultueux revers qu’il convient de se connecter au site Internet de la ville avant d’enfiler son maillot de bain, puis de cliquer 3 fois dans les menus pour apprendre que : « Face aux résultats des prélèvements effectués régulièrement dans la baie et par principe de précaution, la plage d’Aytré sera temporairement consacrée aux jeux de plage et autres activités nautiques. Sans oublier la bronzette pour les adeptes du farniente… La qualité de l’eau étant jugée insuffisante, un arrêté du Maire interdit jusqu’à nouvel ordre la baignade ».

Aurions-nous donc si mal jugé de la situation pour ainsi déclencher les foudres de la municipalité d’Aytré ? Car après cette fin de « non-nous-revoir » de l’adjoint, le maire d’Aytré en personne nous gratifiera lui aussi d’une reconnaissance éternelle : « Je me suis renseigné sur vous, vous êtes blacklisté dans toute l’agglo, je ne vous parlerais plus, je ne vous dirais plus rien, écrivez ce que vous voulez ! ».

De son côté le directeur de l’ARS nous adressera un courriel des plus respectueux pour se concentrer sur l’essentiel du débat. Quand bien même les questions précises que nous lui avons adressées resteront sans réponse, le fond de son discours tend à prouver que nos enquêtes s’avèrent plus réalistes et objectives que certains le pensent.

Bonjour monsieur, Suite à notre rencontre lors de la signature du CLS de l’agglo rochelaise, j’ai pu partager votre questionnement auprès de l’équipe santé environnement de la délégation. Le sujet est toujours suivi et une rencontre a eu lieu avec la collectivité dernièrement. Il a été rappelé la nécessité d’améliorer nettement les affichages, pictogrammes, drapeaux (et explications des drapeaux) pour que la population sache que la baignade est interdite. La commune prend cela en charge. Bien à vous. Laurent FLAMENT, Directeur de la délégation départementale de la Charente-Maritime.

Et s’il était encore question d’évoquer le manque de sérieux de nos papiers « à charge », rappelons la précédente réponse de Laurent Flament obtenue en 2022:

« Un courrier a bien été adressé par l'ARS au Maire d'Aytré, suite à plusieurs signalements. Le 23 août, des agents de l'ARS se sont déplacés sur le site et ont constaté l'absence d'affichage pour prévenir les vacanciers que la baignade était interdite. Ils ont interrogé quelques touristes qui ignoraient l'interdiction de baignade. Le site internet de la mairie ne le précisait pas, non plus ( ….) Des photos ont été prises pour confirmer l'absence d'affichage. Le courrier demandait au maire de se mettre en conformité avec les dispositions de l'article D1332-32 et d'assurer une information appropriée et réglementaire au public. ».

C’est la fête à la plage !

Mais puisque l’heure était à la bonne humeur, nous avons tenté vaille que vaille de renouer le dialogue avec le maire d’Aytré lors de l’inauguration d’une nouvelle piste cyclable construite en bordure du littoral. Incroyable, la fête et le buffet se sont justement tenus aux abords de la plage interdite à la baignade…

Le maire d’Aytré en séance de com’ avec la presse locale. - @ Reflets
Le maire d’Aytré en séance de com’ avec la presse locale. - @ Reflets

La baie d'Aytré; d'un côté la mairie, de l'autre la marée... - @ Reflets
La baie d'Aytré; d'un côté la mairie, de l'autre la marée... - @ Reflets

Les élus au buffet : si proche de la mer, si loin du problème… - @ Reflets
Les élus au buffet : si proche de la mer, si loin du problème… - @ Reflets

À cette occasion nous avons posé la question qui fâche à quelques élus présents à cette saine manifestation…

À Jacques Garel, actuel élu de l’opposition et ex-adjoint du maire précédent.

Savez-vous qu’en ce moment même des enfants se baignent et que l’arrêté d’interdiction n’est pas affiché à l’entrée principale de la plage ?

J.G : « Faut demander ça au maire moi je ne suis pas de la majorité, je suis élu de l’opposition. Normalement, si elle est polluée, il doit y avoir un arrêté, mais rien ne vous interdit d’aller vous baigner. La problématique, comme dans le temps, c’est du boulot, car ça fait au moins dix-huit ans qu’on travaille là-dessus, qu’est-ce qui pollue la plage..? Moi je me suis baigné l’année dernière avec ma petite fille, mais bon… ».

À Gérard-François Bournet, conseiller municipal, Membre de la commission aménagement du territoire, de l’écologie et de l’Urbanisme.

Si je vous dis qu’en ce moment des enfants sont dans l’eau et que l’interdiction de baignade n’est pas signalée, que pourriez-vous faire, quelles actions avez-vous en tête en tant qu’élu ?

GF.B: « C’était signalé, on n’arrête pas d’en remettre. Mais on a du vandalisme plus vite qu’on répare, Monsieur. Je ne fais rien, on les informera si on les voit. Mais c’est signalé sur les sites internet, c’est signalé partout Monsieur, et quand on le signale aux gens si on n’y va pas avec les forces publiques on risque de se faire casser la gueule. Nous les élus on ne peut pas intervenir aujourd’hui, la critique est facile… Je vous invite à aller leur dire, et je regarderai, et on rigolera. Je suis un ancien militaire, avant j’intervenais, je n’interviens plus, j’appelle ma police municipale et je leur demande d’intervenir. S’ils sont là, car normalement on devrait avoir 10 policiers municipaux on en a que quatre. Il faut savoir faire des choix dans la vie Monsieur ».

À Marie-Christine Millaud, 1ere adjointe, chargée des solidarités et du logement social.

Savez-vous que des enfants sont dans l’eau et que l’interdiction n’apparait pas aux entrées de plages. En tant qu’élu avez-vous un moyen de faire quelque chose ?

MC.M: « Mais si, il y a tous les panneaux, il y a le drapeau rouge ; si les gens s’amusent à les arracher… Nous on les met parce que c’est réglementaire. Je ne peux pas être là 24 heures sur 24 à surveiller les gens. Voyez avec mes collègues, avec la police municipale s’ils peuvent faire quelque chose, moi en tant qu’élue je ne peux pas mettre un lit de camp sur la plage… ».

À Tony Loisel, maire d’Aytré

Que diriez-vous si on vous signalait qu’actuellement des enfants se baignent et qu’à cet instant l’interdiction n’est pas signalée sur place ?

T.L : « Je dirais que vous mentez !  ».

Enfin Camille Lagrange, chargé de la Culture, de la Communication et de l’information préférera nous souffler hors micro et caméra : « Pffffff… je vous ai déjà vu il y a six mois vous disiez la même chose… on tourne en boucle, je peux comprendre que la plage d’Aytré soit votre cheval de bataille, mais bon…. Pffffff….. il n’y a pas que le problème de la plage non plus ».

le 18/06/23: il n'y a pas que la plage bien sûr, il y a la plage aussi... - @ Reflets
le 18/06/23: il n'y a pas que la plage bien sûr, il y a la plage aussi... - @ Reflets

Quitte à faire mentir quelqu’un ou quelque chose, souhaitons que la fatalité ignore la finalité du jeu de la roulette russe. Car comme le soulignait l’an passé la doctorante en charge de l’enquête ICOMABIO : « Pour moi en fait, la plage n’est pas baignable. Il y a un risque réel de santé publique lorsque l'on se baigne en période de contamination». Risque d’autant plus inacceptable que certains élus n’hésitent pas à jouer avec la santé des autres en tenant le pistolet d’une main tout en signant un mirifique contrat local de l’autre.

Apparemment les jeux sont faits cette année encore : bienvenue à Aytré plage.

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