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Dossier
par Eric Bouliere

Bassines #9 : Sainte-Soline, et avant ?

Ecrire le scénario du pire et s’émouvoir de la fin de l’histoire…

Énorme, par le nombre de participants. Terrible, en regard de celui des blessés. La manifestation du 25 mars s’est déroulée comme prévu, très mal. Pouvait-il en être autrement alors que les plaies des précédents affrontements sont restées béantes.

Le 25 mars 2023, surtout ne rien lâcher. - Reflets

Flash-back dans les Deux-Sèvres. Nous sommes en octobre 2022, plusieurs milliers d’opposants dénoncent le projet de construction d’une réserve de substitution à Sainte-Soline. 1.700 policiers et gendarmes sont dépêchés sur place pour défendre le pourtour de quelques hectares de plein champ. Le Bilan de la rencontre est catastrophique : de nombreux blessés de part et d’autre et la promesse des manifestants d’y revenir, plus nombreux encore. Les leaders du mouvement s’insurgent et appellent à la désobéissance civile, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’offusque et parle-lui d’écoterrorisme. La mèche vient d’être allumée.

Cinq mois plus tard, entre réforme des retraites et plan sécheresse, le sujet de la bassine de Sainte-Soline s’invite brutalement à l’Élysée. Pourtant depuis des années le dossier était posé sur un coin table, ou plus précisément sur un coin de territoire, comme laissé aux bons soins et à l’appréciation d’autorités locales. De sorte que Paris ne soit pas obligé de trop se prononcer dans ces affaires de partage de l’eau. Alors en régions, les bassines c’est parfois oui, ou parfois non.

Les choix des uns contredisent les décisions des autres et les autorisations de construire une réserve s’opposent aux interdictions de stockage de l’eau. Présent sur place lors des affrontements, le député européen Benoit Biteau dénonce une non-prise en compte des problèmes par le gouvernement : « J’ai commencé à m’exprimer sur le côté inopérant des bassines en 1999. Cela fait 24 ans que j’explique que ce sujet n’est pas attrapé par le bon bout, et si nous en sommes là aujourd’hui, avec des violences des deux côtés, et même avec des groupuscules violents dans le cortège on les a vus c’est incontestable, si on a cette montée de tension c’est parce que l’État a été défaillant… ».

Au fil des années, des clans se sont formés en fonction d’intérêts corporatifs ou de convictions intimes. Sur le terrain on assiste à des combats où chaque partie savoure sa victoire du jour avant de maudire la défaite du lendemain. Pour le ministre de la transition écologique, tout ceci relèverait d’un faux débat. Ainsi Christophe Béchu estime que rien n’empêche de creuser une bassine d’abord, pour s’attacher ensuite à réfléchir sur l’utilité du gros trou. Quitte à en interdire le remplissage hivernal en cas de sécheresse avérée, via un arrêté préfectoral de dernière minute. La région a décidément bien du talent…

À Sainte-Soline, en amont de la manifestation, les désaccords s’affichent à l’énoncé des premiers chiffres de participation : 6.000 manifestants selon la police, 30.000 personnes pour les organisateurs de l’événement. Des flashs-infos informent régulièrement qu’environ 3.000 black blocs, ou un peu plus, ou beaucoup moins, seraient déjà sur place pour « casser du flic ». Le ton médiatique est donné, la République est en danger. Pour la sécurité de tous, l’honnête citoyen est même invité « à ne pas se rendre sur lieux ». Au fil des heures une vague d’opposition citoyenne se forme pourtant et il devient difficile d’ignorer ou d’invisibiliser l’ampleur d’un si large mouvement de foule.

Un nombre impressionnant de participants… - Reflets
Un nombre impressionnant de participants… - Reflets

Rappelons que ce rassemblement se tient autour d’une zone de travaux en cours et non aux abords d’un ouvrage fonctionnel. Le calme semble toutefois réclamé sur l’emprise du chantier de cette bassine (identifiée SEV 15) dont le fond affleure la nappe superficielle. Un rapport indique que : « Le fond des futures réserves SEV2 et SEV15 affecte la partie supérieure de la nappe en période de hautes eaux. Il convient d’abaisser localement le niveau de la nappe. Le dispositif technique mis en œuvre doit permettre de garantir la sécurité de l’ouvrage avec le respect des normes et de la règlementation en vigueur (… ) Afin de sécuriser le chantier, il conviendra donc de réaliser un système de drainage ainsi qu’un pompage de rabattement de nappe durant les travaux, en fond de fouille ». Ce qui prête à penser que le trou des bassines a été creusé profond, que celle-ci servira de bouchon artificiel, ou qu’il convient de réguler le niveau d’eau de la nappe phréatique pour éviter que la bassine ne s’effondre dedans…. Cela donnerait presque l'envie de manifester de l’inquiétude. Mais sur le papier tout va bien.

Au loin, le mur de la bassine de Sainte-Soline - Reflets
Au loin, le mur de la bassine de Sainte-Soline - Reflets

Sur le terrain peu de matériel à défendre sinon des choix et des idées. Et c’est bien ça le pire. Car le fantôme de Notre-Dame-des-Landes plane au-dessus de la réserve de Sainte-Soline ; le risque de voir une ZAD s’installer électrise le gouvernement. Raison pour laquelle le ministre de l’Intérieur a décidé d’envoyer 3.000 gendarmes et 200 policiers avec mission de tenir les positions. Les consignes ministérielles sont alors formelles, il faut sécuriser l’endroit quoi qu’il en coûte.

D’un côté, des forces de l’ordre en grand nombre, de l’autre des manifestants prêts à en découdre. Et parmi eux les leaders du jour, Léna Lazare (Soulèvement de la terre) et Julien Le Guet (Bassines non merci) qui militent depuis des années contre les bassines. Que pensent-ils de cette débauche de moyens de la part du gouvernement et jusqu’où sont-ils prêts à aller pour se faire entendre ?

L’interview Reflets : Désobéir, jusqu’où ?

Julien Le Guet (Bassine non Merci)
Julien Le Guet (Bassine non Merci)

Reflets : Les interdictions préfectorales sont-elles de nature à entraver le déroulement de la manifestation ?

J.LL : « La préfète joue son jeu de blocage systématique avec ses outils sans faire preuve d’une grande imagination. Ce qu’elle n’anticipe pas c’est que la bassine va être réellement submergée, et si toute le monde n’arrive pas à destination il y aura des manifestations spontanées un peu partout… ».

La désobéissance civile, demain, sur le terrain comment va-t-elle se traduire ?

J.LL : « Plus que de désobéissance civile, et le terme est à prendre dans toute sa plénitude, c’est de résistance dont il faut parler. Résistance face à un gouvernement qui n’est pas à la hauteur, un gouvernement qui croit que l’on résout les conflits sociaux et environnementaux par des jets de grenades lacrymos, et face à des citoyens qui juste défendent l’intérêt général… alors on résistera ! ».

Léna Lazare (Soulèvement de la terre) - Reflets
Léna Lazare (Soulèvement de la terre) - Reflets

Reflets : Pour votre mouvement comment se traduit en idées et en actes la désobéissance civile ?

L.L : « Ce qui est sûr c’est que nous on va mener des actions de désobéissance civile demain, et curieusement la première sera de se rassembler puisque la manifestation est interdite alors que c’est un droit fondamental ».

La présence des forces de l’ordre autour de la bassine vous fait réfléchir sur les conséquences probables ?

L.L : « Bien entendu le fait qu’il y ait 3.200 policiers n’arrange pas les choses, mais cela ne touche pas du tout à notre détermination d’effectuer les actions qui étaient prévues ; il y aura des actions impactantes, matériellement parlant, envers des chantiers de méga-bassines. Depuis plusieurs mois le mot d’ordre de notre mobilisation c’est : pas une bassine de plus. On se bat contre le protocole de mise en place de 16 bassines dans les Deux-Sèvres, malheureusement une première a été construite à Mauzé et la deuxième, c’est Sainte-Soline. Nous tenons à montrer notre détermination à stopper ce chantier ».

Peu après la manifestation de Sainte-Soline, nous apprenions que le ministre de l’Intérieur voulait dissoudre le « Soulèvement de la terre » telle une association sectaire et dangereuse. Etrange et maladroit car avant d’être une association, SLT est aussi un mouvement de pensée. Dans l’absolu, souhaiter dissoudre de la sorte et sur l'instant cette entité reviendrait à vouloir interdire toutes pensées contraires à celle d’une autorité en place. Et comment dissoudre officiellement un mouvement qui regroupe des dizaines d’associations comme la Confédération paysanne, les altermondialistes d’Attac et d’Alternatiba, Les Amis de la Terre… Cet excès d’autoritarisme de Gérald Darmanin ne va-t-il pas finir par faire « pschitt », comme avec les dissolutions avortées du média Nantes Révoltée et du GALE (Groupe Antifa Lyon et Environs). La pratique du blackblocage prends parfois des formes multiples….

Sainte-Soline avant, et pendant

Voici maintenant un résumé du déroulé de ces deux terribles journées comme nous les avons vécu sur place. Dans un soucis de porter un large éclairage sur la situation, Reflets vous propose une description chronologique de faits survenus en amont de la manifestation

Le silence du 27 février…

Le 27 février, la retransmission vidéo du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine s’interrompt brusquement. Les débats portaient sur la feuille de route 2023-2028 en matière de politique de santé. Que s’est-il donc passé ? Cinq personnes se réclamant du mouvement Extinction-rébellion (membre solidaire du SLT) ont eu l’audace de vouloir prendre la parole pour rappeler l’urgence climatique dénoncée par le GIEC. Ils seront expulsés manu militari sans davantage pouvoir s’exprimer.

Coupez ces mots que la Nouvelle Aquitaine ne saurait entendre… - Reflets
Coupez ces mots que la Nouvelle Aquitaine ne saurait entendre… - Reflets

17 mars, une garde à vue préméditée ?

Le 17 mars Julien Le Guet, le charismatique leader du collectif Bassines non merci est placé en garde à vue : une interdiction de territoire sur tout le périmètre de la manifestation lui est signifiée. Les premiers arrêtés tombent, la préfète des Deux Sèvres interdit tout ce qui touche de près ou de loin à la manifestation.

Le 21 mars, le président de la Coop 79, l’opérateur en titre du projet de construction des 16 bassines des Deux-Sèvres, invite la presse à se rendre chez un éleveur de la région. Un appel au calme est souhaité. Plusieurs acteurs du milieu agricole font état de leur mal-être au travail et des attaques qu’ils subissent au quotidien. Ils rappellent que sans bassines, ils risquent de perdre leur exploitation. Et pour mieux signifier cette tentative de conciliation, ils jugent utile de déposer plainte pour harcèlement et dégradation de leurs outils de travail.

Oui il faut que cela cesse, mais par où commencer… - Reflets
Oui il faut que cela cesse, mais par où commencer… - Reflets

Le 22 mars, on se calme pas…

Le 22 mars, au lendemain de l’appel au calme prononcé par la Coop 79, la FNSEA, la JA (Jeunes agriculteurs) et l’association d’irrigants Aquanide 17 appellent la profession à déverser leur colère devant la direction des territoires et de mer de Charente-Maritime. Des montagnes de vieux pneus et de purin sont laissées sur place. Leurs diverses revendications sont on ne peut plus claires : « les pros c’est nous… Pas d’avenir sans eau… Laissez-nous tranquilles ».

Quand la FNSEA manque d’eau… - Reflets
Quand la FNSEA manque d’eau… - Reflets

Le 22 mars toujours, une conférence de presse s’ouvre à La Rochelle. Le président des 28 communes de la communauté d’agglo s’étonne, amusé, de la présence matinale de nombreux tracteurs en ville. Mais l’essentiel est ailleurs, car il s’agit d’annoncer, dégustation à l’appui, « la nouvelle marque de l’eau publique rochelaise ».

Des élus locaux attentifs et soucieux des problèmes de l’eau potable - Reflets
Des élus locaux attentifs et soucieux des problèmes de l’eau potable - Reflets

Le 22 mars encore, la manifestation matinale des agriculteurs se termine au domicile du coordinateur d’une association environnementale (NE 17) portant des recours juridiques contre les bassines : son épouse est menacée, sa maison saccagée. Pourtant pas un seul black bloc à l’horizon. Le maire de Nieul sur mer et son confrère de l’Houmeau, tous deux investis dans les problèmes des pesticides liés à l’agriculture intensive, seront également vertement interpellés à cette occasion. Jean François Fountaine, le président de l’agglo déplore ces agissements et dénonce les faits dans un communiqué officiel. Toujours pas de black bloc en vue…

De la violence et de la peur autour du manquer d’eau. - Capture d'écran
De la violence et de la peur autour du manquer d’eau. - Capture d'écran

Le 23 mars la ville de La Rochelle manifeste son opposition à la réforme des retraites. La colère n’est pas aussi fracassante qu’à Paris, mais une telle agitation n’est pas coutumière dans la capitale de l’Aunis. Sur le parcours de la manifestation, on pouvait remarquer de nombreux tracts appelant au rassemblement des opposants aux bassines. Les rangs grossissent sans que la contestation ne soit réellement entendue et prise en compte par les politiques locaux.

Des manifestants s’élèvent contre la surdité généralisée des élus - Reflets
Des manifestants s’élèvent contre la surdité généralisée des élus - Reflets

Le 24 mars, tout s’accélère

À la veille de la manifestation interdite, des contrôles routiers s’opèrent déjà sur tous les axes menant aux bassines de la région. Située à 70 km de Sainte-Soline, la réserve de Mauzé-sur-le-Mignon, théâtre d’une précédente manifestation, prend l’apparence d’un camp fortifié.

Des barrages et des accès subitement interdits aux tracteurs… - Reflets
Des barrages et des accès subitement interdits aux tracteurs… - Reflets

Grosse pression autour du site de la bassine de Mauzé (79)  - Reflets
Grosse pression autour du site de la bassine de Mauzé (79) - Reflets

Le camp éphémère s’installe

Toute la journée, des convois convergent vers le campement. L’ambiance se veut festive et l’organisation est digne du meilleur camping : cantine, sanitaire, salle de presse, points d’information. Pourtant on devine une véritable tension sur le camp. Aucun contrôle policier n’est effectué sur place, mais les plaques d’immatriculation des véhicules garés sur place sont masquées. Le site est placé sous haute surveillance : des hélicoptères survolent le camp et se rapprochent au moindre mouvement de foule.

Des conducteurs prudents : la manifestation est interdite - Reflets
Des conducteurs prudents : la manifestation est interdite - Reflets

On peut rire de tout quand la poésie s’en mêle… - Reflets
On peut rire de tout quand la poésie s’en mêle… - Reflets

Au camp éphémère les manifestants s’organisent - Reflets
Au camp éphémère les manifestants s’organisent - Reflets

Un symbole : l’Outarde canepetière en voie d’extinction - Reflets
Un symbole : l’Outarde canepetière en voie d’extinction - Reflets

Le camp sous surveillance aérienne constante - Reflets
Le camp sous surveillance aérienne constante - Reflets

Quand les « black » se concertent, la presse n’est pas conviée - Reflets
Quand les « black » se concertent, la presse n’est pas conviée - Reflets

Melle, un petit village médiéval des Deux-Sèvres. La salle des fêtes est mise à disposition des opposants aux bassines par le maire lui-même. Sylvain Griffault condamne les violences, mais il évoque un combat nécessaire : « Les faits donnent raison aux opposants ». Plusieurs conférences y seront organisées durant lesquelles des intervenants venus d’Afrique, du Canada, du Chili, du Kurdistan, viendront exposer les problèmes de l’eau au niveau planétaire.

Un public nombreux à la recherche d’informations sur l’eau - Reflets
Un public nombreux à la recherche d’informations sur l’eau - Reflets

Le 25 mars : la marche sur la bassine

Jour J. Des convois en partance de plusieurs grandes villes environnantes sont interceptés par les forces de l’ordre. Les opérations de contrôle (identités, coffres des véhicules, sacs à dos…) ralentissent la progression des manifestants souhaitant se rendre à Sainte-Soline. Au camp de base, le top départ est donné vers 11 h. Un cortège de milliers de personnes se dirige vers la bassine en empruntant différents itinéraires. Sur le chemin qui sillonne à travers champs, il devient impossible d’apercevoir le début ou la fin d’une longue cordée de manifestants.

Un convoi stoppé au départ de La Rochelle - Reflets
Un convoi stoppé au départ de La Rochelle - Reflets

L’unité paysanne internationale -Via Campesina- s’engage  - Reflets
L’unité paysanne internationale -Via Campesina- s’engage - Reflets

À travers champs, le cortège s’étend à perte de vue - Reflets
À travers champs, le cortège s’étend à perte de vue - Reflets

Des manifestants décidés dans une ambiance cordiale.  - @ Reflets
Des manifestants décidés dans une ambiance cordiale. - @ Reflets

Sur le chemin nous croisons trois des observateurs mandatés par la ligue de droits de l’Homme (LDH). Ils n’ont aucun pouvoir sur les événements, mais sont chargés de constater les faits. Leur présence, visible, est de nature à modérer les excès en tous genres. Nous les questionnons sur leur nombre durant la manifestation : « Je ne sais pas trop, environ une quinzaine… ». Selon la LDH l’effectif exact serait de 18 observateurs sur le terrain (et 4 dans le PC central). Soit 22 en tout pour 3.200 policiers et gendarmes et des dizaines de milliers de manifestants.

La ligue de droits de l’homme s’affiche dans le cortège - Reflets
La ligue de droits de l’homme s’affiche dans le cortège - Reflets

La confédération paysanne plante une rangée d’arbres… - Reflets
La confédération paysanne plante une rangée d’arbres… - Reflets

Ici ou là, quelques visages connus de l’univers politique - Reflets
Ici ou là, quelques visages connus de l’univers politique - Reflets

Des troupes en continu sur tout le pourtour de la bassine… - Reflets
Des troupes en continu sur tout le pourtour de la bassine… - Reflets

Alors qu’un cortège de manifestants s’approchent des forces de l’ordre, on pressent que l’inévitable est en passe de se produire. Derrière l’écran blanc des lacrymogènes qui s’élève, on se questionne déjà sur les responsabilités des uns ou des autres. Qui a tiré le premier ? Qui va répondre à la provocation ? Quelle troupe sera la plus fidèle à ses engagements, celle qui se doit de ne pas reculer d’un pouce ou celle qui s’autorise à avancer en dépit de tout ? Autant de questions qui ont sans doute leur importance, mais les réponses si elles existent, ne résoudront rien au désastre qui s’annonce.

Jusqu’ici tout va bien… - Reflets
Jusqu’ici tout va bien… - Reflets

La fureur s’empare des esprits et soudain tout le monde déteste tout le monde. Les dérives s’additionnent autour de calculs morbides : combien de blessés, combien de balles de LBD tirées sans discernement depuis le siège arrière d’un quad roulant à pleine allure, combien de pavés lancés avec la même application en direction des forces de l’ordre, combien d’images sanguinolentes à publier sur les réseaux sociaux… Un chantier, toujours, mais un chantier politique sur lequel il s’avère très dangereux de s’aventurer.

Derrière le symbole de ce rassemblement festif et joyeux, nous avons aussi pu juger des fortes tensions qui s’installaient en marge de l’organisation officielle. Cette violence crue considérée comme étrangère aux débats n’explique pas tout, car la fureur était largement disponible sur place, ici même, dans les Deux-Sèvres, en Vienne ou en Charente-Maritime, terres d'accueil de nombreuses futures bassines. Non, la présence de blacks bloc comme décrite par le gouvernement n'explique pas tout. La colère est ici multiple, disciplinée et locale.

Un black-bloc se forme, signe que la situation va se tendre - Reflets
Un black-bloc se forme, signe que la situation va se tendre - Reflets

Le black bloc se forme et passe à l’attaque. Quatre véhicules de gendarmerie sont très vite en flamme. Une lutte sans merci s’engage. Des grenades explosives et de désencerclement fusent en nombre, des tirs de LBD se font entendre. Des quads interagissent dans la foulée, façon Brav-M. Des blessés sont aussitôt écartés de la zone sensible, pour certains le pronostic vital est engagé. Des élus locaux et quelques députés tentent de sécuriser comme ils le peuvent une infirmerie de campagne improvisée. Sur place, on demande à plusieurs reprises aux manifestants de libérer une voie carrossable pour faciliter le passage aux ambulances. Pourtant les secours n’arrivent pas. Pourquoi ?

Nous apprenons que l’arrivée des secours « serait » retardée par les autorités. Dans leur première synthèse, les observateurs de la LDH viendront confirmer cette opinion : « Nous avons constaté plusieurs cas d’entraves par les forces de l’ordre à l’intervention des secours, tant Samu que pompiers. Le Samu a indiqué ne pouvoir intervenir pour secourir un blessé en état d’urgence vitale dès lors que le commandement avait donné l’ordre de ne pas le faire, dans une conversation téléphonique à laquelle ont assisté trois avocats de la LDH » .

Affolement généralisé, mauvaise décision ou mauvaise volonté, il paraît bien difficile de juger de cela à cet instant. Trois jours plus tard, un article du journal Le Monde rapporte des conversions qui se sont tenues entre un médecin urgentiste, l’avocat de la LDH et le personnel du Samu. Encore faut-il bien garder en tête que nous ne parlons pas ici d’un pays en guerre mais de scènes d’une manifestation qui dérape. De fait, et compte tenu d’une situation critique largement anticipée, il semblerait que l’évacuation des blessés n’ait pas été considérée comme une démarche essentielle et première par les autorités en place.

La LDH s’inquiète de façon générale : « En amont des observations, le 22 mars 2023, la préfète des Deux-Sèvres avait notifié à la LDH que les observateurs et observatrices présents sur les lieux seraient assimilés à des personnes manifestantes et devraient se conformer aux ordres de dispersion, leur déniant la protection que leur reconnaît le droit international et en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d’État. Le matériel d’observation d’une équipe a été confisqué » .

Instant de répit : une chaîne humaine pour ceinturer la bassine - Reflets
Instant de répit : une chaîne humaine pour ceinturer la bassine - Reflets

En dépit d’une très violente charge opérée par des membres du black-bloc, la bassine reste imprenable. Des manifestants, paisibles et sans haine particulière, tentent de ceinturer le chantier en formant un cordon humain. Une pluie de bombes lacrymogènes vient aussitôt contrarier la manœuvre.

Les grenades tombées du ciel sont étouffées à terre - Reflets
Les grenades tombées du ciel sont étouffées à terre - Reflets

Une ultime tentative de percée, toujours violente et musclée, s’effectue là où le bouclier policier paraît moins solide. Des mortiers d’artifice et des jets de pierres font reculer les hommes du peloton de CRS qui se réfugient à la hâte derrière un véhicule.

Un rideau de lacrymogène contre la cohorte des manifestants  - Reflets
Un rideau de lacrymogène contre la cohorte des manifestants - Reflets

Sidérée, une jeune femme à l’air grave se murmure à elle-même : « Quand même, quelle humiliation… » . Elle n’a pas tort, la réponse des humiliés ne tarde pas, une brigade plus nombreuse revient instantanément à la charge en repoussant toujours plus violemment l’assaut. Ici ou là on signale la présence de nouveaux blessés en hurlant « Medic, medic !! ». Les manifestants reculent et la tension retombe.

les manifestants sont appelés à reculer - Reflets
les manifestants sont appelés à reculer - Reflets

Un organisateur appelle au calme via son mégaphone et propose de faire une pause casse-croûte en attendant la suite. La scène devient surréaliste ; certains improvisent une partie de pique-nique de crise. Une dernière « surprise » est promise avant de quitter le site : non protégé par les forces de l’ordre le réseau d’alimentation en eau de la bassine est mis hors service. Fin de partie. La violence légitime et républicaine pourrait se targuer d’avoir gagné. Est-ce vraiment là une saine victoire…

À défaut d’atteindre la bassine, le réseau d’alimentation en eau est coupé.  - Reflets
À défaut d’atteindre la bassine, le réseau d’alimentation en eau est coupé. - Reflets

Et maintenant, quel après ?

Le 25 mars, Sainte-Soline a explosé son drame à la face de toute la France. Pour éviter cela il aurait probablement été souhaitable de s’intéresser à l’avant plutôt qu’à l’après. Mais trop tard, à défaut d’être attendu le désastre était annoncé. Reste à souhaiter que des autorités aveugles et sourdes ne soient pas déjà en train de réfléchir sur les conséquences programmées d’un Sainte-Soline 3…

Le spectacle désolant d’une fin ordonnée… - Reflets
Le spectacle désolant d’une fin ordonnée… - Reflets

Le 30 mars le président Macron délaisse l’agitation parisienne et la réforme des retraites pour aller s’inquiéter de la baisse du niveau d’eau du lac de Serre-Ponçon. En direct de Savines-le-Lac, il commente les événements du week-end : « Vous avez des milliers de gens qui étaient venus pour simplement faire la guerre, c’est inacceptable ! Et donc je réaffirme mon soutien aux élus et aux forces de l’ordre, cela montre bien qu’il y a, chez certains, une forme d’habitude de la violence qui s’installe et qu’il faut combattre avec beaucoup de fermeté… ». Violence, combat, fermeté, c’est très exactement ce qui s’est passé ce 25 mars à Sainte-Soline, mais aussi à La Rochelle le 22 et le 23 mars dernier. Peut-être serait-il temps de réfléchir à d'autres solutions pour avancer. Car oui monsieur le Président, ce jour à Sainte-Soline, en France, des armes de guerre ont bel et bien été utilisées contre la foule. Bien fou serait celui qui chercherait à en justifier mathématiquement l'usage. Les textes anciens nous ont appris que tout grand pouvoir réclamait une grande responsabilité. La votre nous semble être très sérieusement engagée dans cette affaire de violence acceptée.

(Remerciements à notre photographe du jour, M.Torrent, qui est venue nous épauler pour illustrer ce reportage. Son aide précieuse nous a permis de nous focaliser sur l’évènement.)

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