Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Dossier
par Eric Bouliere

Bassines #1 : mode d’emploi

Un abécédaire pour mieux comprendre les maux de l’eau

Les opposants aux réserves d’eau parlent de cratères à ciel ouvert. L’image pourrait paraître excessive à qui n’a jamais approché une bassine. Mesurés de plus près, les surfaces et les volumes donnent pourtant le vertige.

Un rapport d’échelle qui donne la mesure… - capture écran

A comme agriculture

Le discours de Christophe Béchu, l’actuel ministre de la transition écologique, ne surprendra personne : « Il n’y a pas d’agriculture sans eau… ». Bien sûr, mais le bon sens paysan d’autrefois doit désormais composer avec d’autres évidences : « La question n’est plus de savoir s’il y aura des sécheresses, mais quand… ». Ce constat plus étayé émane du président du Comité national de l’eau (CNE) dont la charge consiste à alimenter la réflexion du gouvernement sur la politique de l’eau.

Panne sèche : où se trouve la station d’eau SVP ? - Capture d'écran
Panne sèche : où se trouve la station d’eau SVP ? - Capture d'écran

Du côté du Sénat on préfère se montrer rassurant : « Le tableau n’est en rien apocalyptique, la France reste un pays bien doté en eau et devrait pouvoir la gérer en bonne intelligence, mais à la condition de porter un regard lucide sur les changements qui nous attendent ». Cette commission sénatoriale s’est accompagnée d’un rapport ouvrant sur une curieuse question : « Les utilisateurs de l’eau vont-ils pouvoir apprendre à s’en passer ? ». Ou comment traiter du manque en s’occupant de la gestion du manque…

Mais qui sont ces utilisateurs dont parlent les sénateurs et à qui il conviendrait d’apprendre à se passer de l’indispensable ? Le rapport d’information précise « l’effort de sobriété pèsera principalement sur l’agriculture, qui représente les deux tiers de la consommation d’eau ». L’avenir et les enjeux y sont clairement exposés : « Des actions de perfectionnement technique peuvent encore être menées mais pour avoir un impact fort, il faut changer de systèmes de culture, ce qui n’est pas toujours économiquement viable ».

En conclusion, et parmi les 8 recommandations proposées, les rapporteurs préconisent de « permettre la construction de nouvelles retenues d’eau, de préférence multi-usages, lorsque le service environnemental et économique rendu est positif ». Et c’est ainsi que des projets de réserves de substitution apparaissent un peu partout en France et notamment en Vienne, dans les Deux-Sèvres ou en Charente-Maritime.

Pas le choix, c’est pas de chance… - Capture d'écran
Pas le choix, c’est pas de chance… - Capture d'écran

Dans sa présentation du plan sécheresse, Christophe Béchu se désole et regrette que « la nature ne nous laisse pas le choix ». L’inverse serait-il envisageable, la nature serait-elle en droit de décider de ce qui est meilleur pour l’humanité ? A priori non, ou oui, enfin peut-être, mais ça dépend quand même, car « après, la question des bassines dépend des territoires, quand on prélève sans se poser de questions, c’est un problème, quand on cherche à maintenir une capacité à nourrir des animaux et des hommes cela peut avoir une vertu ». On en sait déjà nettement plus sur les besoins en eau de la chèvre et des choux.

B comme bassine

Ni barrages, ni grands lacs, il s’agit de réserves d’eau aux contours bien délimités et dont l’emprise au sol est couverte d’une bâche d’étanchéité. Quelques présentations trop rapides, mal renseignées ou trop partisanes ont laissé entendre que ces bassines s’autoalimentaient en captant l’eau de pluie tombée du ciel. Il n'en est rien. Si le remplissage d’une réserve de substitution a bien lieu en période hivernale, la collecte s’effectue en priorité par pompage direct dans les nappes phréatiques.

Soucieux des termes à employer en commission, le rapporteur du sénat s’obligera à signifier : « En préambule, il convient de noter que le terme bassine est un terme journalistique et non juridique, qui désigne des retenues d’eau artificielles destinées principalement à l’irrigation agricole, construites en terrain plat ». Officiellement il est donc recommandé de parler de réserve de substitution. Cette appellation rapidement dévoyée s’est aussitôt traduite en Bassine ou Méga-bassine. Pour le collectif -Bassines non merci- le superlatif s’impose au-delà d’une contenance de 100 000 m3 et d’une surface de plus d’un hectare.

Sur le papier le vœu reste pieux puisqu’il s’agit de stocker l’eau en hiver en prévision des périodes de sécheresse estivales. Ce principe se voit toutefois sérieusement remis en cause face à un réchauffement de plus en plus marqué en période hivernale : les assecs se multiplient en surface alors que les nappes souterraines peinent à retrouver leur niveau normal. Selon les critiques relevées par le Sénat, ces sécheresses longues, phénomène nouveau en France mais déjà connu aux États-Unis (assèchement du lac Mead), iraient jusqu’à rendre inopérantes les retenues de substitution qui ne pourraient alors plus être remplies.

C comme collinaire

Retenue collinaire : nécessité climatique ou besoin de neige artificielle ? - Capture d'écran
Retenue collinaire : nécessité climatique ou besoin de neige artificielle ? - Capture d'écran

Les retenues dites –collinaires- se seraient couvertes de vertus qu’ignoreraient les bassines de substitution. Le rapport sénatorial précité se risque à une explication : « Si les retenues collinaires sont globalement mieux acceptées que les retenues en plaine, qualifiées de bassines, dans la mesure où les premières sont alimentées exclusivement par le ruissellement quand les secondes le sont par pompage, les deux modalités, parfois confondues dans le langage courant, se heurtent à des oppositions de principe exprimées fortement par les associations environnementales, notamment en réaction aux conclusions du Varenne de l'eau début 2022 ». En cas de doute, relisez le tout lentement…

Précisons que ce qui tombe du ciel et ruisselle dans les cours d’eau peut également être collecté par pompage dans le cas d’une retenue collinaire. Et si cette eau providentielle est jugée excédentaire et libre de droits par certains, d’autres la considèrent comme un apport essentiel au grand cycle de l’eau. Les membres de La coordination Rurale 17, syndicat favorable aux réserves, ont un avis tranché sur le sujet : « Il n’y a pas de vie dans les déserts parce qu’il n’y a pas d’eau. Les réserves collinaires sont des zones humides (…) les réserves collinaires captent les ruissellements de surface, toute l’eau qui coule en amont des sources et des rivières, qui n’entrent pas dans la réglementation des rivières et qui sont libres d’utilisation ».

Ce type de retenues paraît à ce point particulier qu’on lui découvre une utilité et des usages sans rapport avec les besoins des agriculteurs. Ainsi la bassine collinaire du plateau de Beauregard, située à 1.741 mètres d’altitude, se voue à alimenter les canons à neige artificielle de la station de ski de la Clusaz (74). L’élu de la commune assure qu’il lui semble impossible de se défaire d’une telle rentrée d’argent ; « Nous n’avons pas la capacité financière pour changer d’activité du jour au lendemain… ». Plusieurs chantiers de ce type sont en cours, comme au col de la Loze sur les hauteurs de Courchevel. Là-bas, une retenue sise à 2.500 mètres d’altitude se destine à garantir l’enneigement de la station en prévision des Championnats du monde de ski en 2023. Bref, collinaires ou de substitutions, ces réserves font tout autant débat.

D comme dimensionnel

Pour infos, le SOS mesure 7 m de haut, la pelleteuse pèse des dizaines de tonnes - Capture d'écran
Pour infos, le SOS mesure 7 m de haut, la pelleteuse pèse des dizaines de tonnes - Capture d'écran

1 m3 d’eau on se doute, 1000 m3 on imagine encore, mais passé 850 000 m3 il devient nécessaire de le voir pour le croire. Les contenances et dimensions de certaines bassines ne s’apprécient pleinement qu’en vue aérienne. Pour donner un sens aux chiffres, certains comptent alors en terrains de foots, d’autres en volume de piscines olympiques. Pour la réserve de Sainte-Soline (79), avec ses 720.000 m3 et 16 hectares, ce sera donc environ 22 pelouses ou 192 piscines olympiques, de 3 mètres de profondeur. Les digues cerclant les bassines s’élèvent parfois à plus de 12 mètres de hauteur.

L’image présentée ci-dessus (Langon, en Vendée) illustre le rapport dimensionnel existant entre un chantier en construction et cette minuscule pelleteuse de plusieurs dizaines de tonnes. Ce gigantisme échappe à la vue des curieux car les réserves sont situées loin des regards, et leurs accès se trouvent réglementés ou protégés.

E comme évaporation

L’évaporation de l’eau : phénomène physique ou vue de l’esprit ? - Capture d'écran
L’évaporation de l’eau : phénomène physique ou vue de l’esprit ? - Capture d'écran

Lorsque tout manque, tout compte, et à la goutte près. Pour les anti- bassines l’évaporation est un phénomène naturel et obligé qui n’irait pas dans le sens d’un stockage de l’eau à ciel ouvert. Selon Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS et spécialiste en hydrobiologie, les pertes dans ce type d’ouvrages seraient estimées entre 20 et 60 % de la ressource en eau durant les étés ensoleillés. Du côté de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) on estimerait plutôt cette perte par évaporation à environ 7% des volumes stockés.

Cet argument se voit scientifiquement réfuté par la direction départementale des Deux-Sèvres : « Il n’existe pas, à notre connaissance, d’études proposant un calcul de l’évaporation dans ce bassin versant et compte tenu des conditions climatiques. Les volumes en jeu sont cependant très faibles, quelques milliers de m3 annuel par réserve à comparer au volume de stockage, et compensés par la pluviométrie annuelle ».

Pourtant le ministre Christophe Béchu, inévitablement au fait des choses, précise en aval du plan sécheresse que « La meilleure retenue d’eau c’est la nappe phréatique, naturelle, et sans évaporation d’eau ».

Mais décidément lorsque tout manque, tout compte, et au kilowatt/heure près aussi. Il faut noter que les pompes d’aspiration, de la nappe à la bassine et de la bassine aux systèmes d’irrigation, peuvent fonctionner 24/24 pendant plus d’un mois. Une consommation d’énergie à multiplier par le nombre de réserves construites, ou en passe de l’être, sur tout le territoire.

F comme financement

Soutenus par les agences de l’eau locales, les aides européennes et l’État français, ces ouvrages se voient financés à hauteur de 70 % par des fonds publics. Le reste à charge étant du ressort des agriculteurs affiliés à un organisme de gestion collective sous forme de coopérative ou d’association syndicale autorisée d’irrigation. À titre d’exemple, le coût du projet des 16 bassines à bâtir dans les Deux-Sèvres était initialement évalué à 60 millions d’euros.

Ce montant semble fluctuer au fil du temps et en fonction de la hausse des prix de l’énergie, des tarifs de main-d’œuvre et des matériaux, des frais de gardiennage des chantiers… Selon François Pétorin, l’administrateur de la Coop en charge du dossier, le coût global du projet serait désormais estimé à 76 millions d’euros. Il précise que la construction de la réserve de Mauzé-sur-le-Mignon a coûté 3 millions d’euros, et que celle de Sainte-Soline devrait en coûter 7. De quoi réfléchir à deux fois sur l’intérêt de tels projets avant de s’apercevoir en cours de réalisation de leur illégalité administrative ou de leur inacceptation sociétale.

Cette forme de financement basé sur de l’argent public passe mal, d’autant plus que ces bassines ne serviraient localement qu’à un petit nombre d’irrigants. Sur 15 bassines référencées par la COOP de l’eau 79, la moyenne d’agriculteurs raccordés s’établit à 6.1 par site. Certains dénoncent une privatisation de la ressource en eau à l’avantage d’une agriculture intensive pratiquée par quelques grands exploitants. De leur côté, les bénéficiaires raccordés aux bassines affirment être contraints de devoir répondre aux impératifs d’une production promise et destinée à une large collectivité.

G comme guerre

Des Escrolos pour les pro-bassines, un crime pour les anti-bassines - Capture d'écran
Des Escrolos pour les pro-bassines, un crime pour les anti-bassines - Capture d'écran

Du refus des bassines à la bataille de mots il n’y avait qu’un pas, et des insultes aux coups moins de distance encore. La guerre de l’eau est déclarée. Dégradation du matériel, affrontement avec les forces de l’ordre, procès, manifestations interdites, tir de LBD contre jets de pierre, bastonnade en règle, menaces de mort, toutes les barrières sont franchies. Les raisons des uns font très mauvais ménage avec les convictions des autres et chaque camp se renvoie la faute.

Pour les pro-bassines, les –Escrologistes- sont pointés du doigt comme les responsables politiques du chaos. Sur chaque rive se trouvent pourtant des maraîchers, des éleveurs ou des exploitants jaune, vert ou bleu, des paysans confédérés, des altermondialistes, des scientifiques, des particuliers, tous ne votent pas écolos mais tous sont soucieux des paysages et de la biodiversité, et tous émettent un avis en propre sur la politique agricole.

Un reportage réalisé sous anonymat et recueillant les confidences d’un agriculteur reflète les tensions qui se sont créées dans le milieu : « Se positionner ouvertement c’est un coup à ne plus avoir de terres. On sait qui est contre, mais on n’en parle jamais, c’est tabou ». La majorité des exploitants préfèreraient garder le silence : « S’ils faisaient un référendum à bulletin secret chez tous les agriculteurs des Deux-Sèvres, il y aurait des surprises… ».

H comme hier

Le temps passe, les problèmes restent. - Capture d'écran
Le temps passe, les problèmes restent. - Capture d'écran

Les réserves de substitution n’ont rien inventé de la sécheresse ; les retenues d’eau sont apparues dès les années 70. Vers la fin des années 60, un certain René Dumont, candidat à la présidentielle de 1974, déclarait : « Nous manquerons d’eau en 2050 du fait de l’augmentation constante de l’utilisation urbaine qui ne sera pas sans conséquences graves sur l’avenir du monde, vous savez ce qu’il va se passer ? Avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera... ».

57 ans plus tard, la question n’est plus de savoir ce qui va se passer mais de répondre à cette dérisoire interrogation : « Les utilisateurs de l’eau vont-ils pouvoir apprendre à s’en passer ? ». L’histoire se souviendra, peut-être, qu’en 2022, lors des dernières directives du -Varenne agricole de l’eau- , un gouvernement s’est déclaré favorable à la généralisation des bassines sur l’ensemble du territoire. À l’occasion du Varenne, l’OFB (Office français de la biodiversité) s’est davantage inquiété du faux sentiment de sécurité que pourrait engendrer un stockage de l’eau dans les situations de pénurie. En ce sens il préconisera de prioriser la sobriété plutôt que la création de retenues supplémentaires.

I comme indépendance

Officiellement les projets de bassine sont portés par les responsables de coopératives ou de syndicats ayant valeur de DSP (délégation de service public). Mais derrière le rideau on avoue plus discrètement que les dossiers passent de mains en mains entre adhérents, actionnaires, porte-paroles, et élus de toutes confessions. Bref autant de personnes qui, pour une raison ou une autre, ont avantage à faire valoir un avis qui pèse.

La neutralité de certaines communes accueillant une bassine est parfois sévèrement remise en cause. Ainsi à Mauzé sur le Mignon (79) le 1er et 5e adjoint au maire sont également des agriculteurs irrigants ; idem au sein du conseil municipal de la mairie d’Amuré. Parfois nécessité fait loi, comme sur ce terrain légalement préempté par la coopérative et où se creuse une future bassine qui se situe sur les terres de l’un des agriculteurs intéressés par l’opération.

Profit collectif et intérêt personnel se confondent trop souvent à l’envi. Sur le bassin de la Sèvres-Niortaise plusieurs agriculteurs inféodés aux bassines occupent des places très importantes de décideurs locaux. De manière non exhaustive : Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA ; Jean-Marc Renaudeau, le président de la chambre d’agriculture 17 et 79 ; ou bien Luc Servant, le président de la chambre d’agriculture de Nouvelle -Aquitaine.

Il va de soi que ceux qui connaissent le mieux les règles du monde agricole puissent faire entendre leur voix. Mais il serait bon de se protéger plus sûrement d’éventuels conflits d’usage. Le projet de 16 réserves réparties sur 14 communes doit permettre de stocker 7 millions de m3 d’ici 2025. Les opposants aux bassines de la Sèvres-Niortaise soulèvent le fait que très peu d’agriculteurs profiteront de cet apport en eau. Selon la Coop de l’eau 79, quelques 220 exploitations sont engagées dans le projet sur les 300 exploitations existantes. Mais on rapporte aussi qu’il y aurait près de 5.000 exploitations agricoles dans tout le département des Deux-Sèvres.

Mathématiquement, c’est donc 5 % seulement des exploitations qui bénéficieraient des bassines. Raison pour laquelle la Confédération paysanne, syndicat agricole opposé aux bassines, s’offusque de la vidéo auto-promotionnelle d’un « agri-manager qui s’accapare un million de m3 d’eau ». Thierry Bouret, l’exploitant en question à la tête d'une entreprise de plus de 1.000 hectares, tient à préciser : « Dans notre région, les besoins en irrigation représentent 1 % de la pluviométrie annuelle et les projets de réserve ont pour but de stocker 50 % des besoins, soit 0,5 %. Pourquoi tant de tensions pour 0,5 % de la pluviométrie par an ? ».

J comme jargonner

Selon l’AELB, pour être financée une RS doit s’inscrire dans un PTGE accepté par le PCB, encadré dans un CT et en faveur d’un OUGC. Traduction : selon l’agence de l’eau Loire-Bretagne, une réserve de substitution doit s’inscrire dans un projet de territoire pour la gestion de l’eau accepté par le préfet coordinateur de bassin encadré par un contrat territorial et sur demande d’un organisme unique à gestion collective.

Au droit de ces éclaircissements, la question s’est d’ailleurs posée : « Le DOE peut-il être comparé au DSA et au DCR ? ». La réponse issue du guide HMUC (hydrologie-Milieu -Usage -Climat) est formelle : « DSA et DCR sont des notions tout à fait différentes, la fixation du DOE se rapporte au régime d’étiage général… Les DSA et DCR, comme leur nom l’indique clairement, sont en revanche des seuils pour la gestion de crise ». Que faire alors avec tous ces Débits d’objectif, de crise ou d’alerte, jardiner ou jargonner ?

K comme KGB

Une surveillance extérieure supportées par l’Intérieur. - Capture d'écran
Une surveillance extérieure supportées par l’Intérieur. - Capture d'écran

Le sujet des bassines devient tellement épineux que les autorités n’hésitent plus à recourir à des méthodes de surveillance dignes d’un scénario de vieux films d’espionnage moscovites. C’est ainsi qu’une caméra dissimulée sous une résille de camouflage a été enfouie devant le domicile du père de Julien Le Guet, le porte-parole du mouvement « Bassine non merci ». Après quelques jours de flottement, la préfecture des Deux-Sèvres s’est résolue à publier le communiqué suivant:

À la suite de la découverte de moyens de captation d’images appartenant à la police nationale sur la voie publique à proximité d’un lieu de réunion du collectif BNM, la préfecture a été informée ce jour qu’il s’agissait d’une installation déployée par les services de la police nationale afin de préparer la sécurisation de la manifestation des 25, 26 et 27 mars prochains. Ce dispositif, par ailleurs posé dans le strict respect du cadre légal, a été rendu nécessaire par l’implication du collectif BNM dans l’organisation de manifestations ayant entraîné de graves troubles à l’ordre public ces derniers mois dans le département des Deux-Sèvres et dans les départements voisins .

Il s’agirait d’une opération mandatée par la cellule Déméter (du nom de la déesse de l’agriculture et des moissons), une entité de la gendarmerie nationale lancée en 2019 par Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur de l’époque. La députée des Deux-Sèvres, Delphine Batho, a rappelé à cette occasion qu'elle avait déjà réclamé la dissolution de cette formation. Le tribunal administratif de Paris avait conclu en février 2022 que le « suivi d'actions de nature idéologique ne pouvait relever des missions de la gendarmerie ».

Interpellés sur cette affaire, Gérald Darmanin et le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie ont pour leur part salué la mission de cette unité de gendarmes. Mission qui sera «précisée et cadrée dans un nouveau texte d’organisation interne».

Tous deux ont confirmé l’efficacité de la cellule qui a permis « d’obtenir de très bons résultats, les vols de véhicules dans les exploitations agricoles en 2021 ont reculé de 8 % et les dégradations de 7 %, par rapport à 2020 ». Soit, mais dans le cas qui concerne cette affaire, il est assez troublant d’apprendre que cette cellule de choc ait pour partenaire particulier la FNSEA, le puissant syndicat qui milite en faveur des bassines.

La cellule Déméter, un partenaire particulier de la FNSEA - Capture d'écran
La cellule Déméter, un partenaire particulier de la FNSEA - Capture d'écran

La découverte de cette mise sous surveillance de la vie privée de Julien Le Guet date de mars 2022. Mais l’affaire vient de rebondir le 19 janvier dernier lorsqu'il découvre un traceur GPS installé sous le châssis de son véhicule personnel. Dépité il conclue : « Cela témoigne une fois de plus du deux poids, deux mesures en termes de moyens policiers pour traiter les différents aspects de ce conflit. D'un côté, la Grosse Bertha pour surveiller les bassines, les engins, les militants, les procès expéditifs avec onze militants traduits en justice ces derniers mois ; et de l'autre, toutes nos plaintes qui restent lettre morte. Pas d'investigation suite au passage à tabac de mon neveu, juste un rendez-vous pour faire un portrait-robot un mois après les faits… ».

L comme LOL

Quand on sait pas, on ferme les robinets… - Capture d'écran
Quand on sait pas, on ferme les robinets… - Capture d'écran

Dans l’ordre d’arrivée et départ du gouvernement, les trois ministres de l’agriculture surpris en plein exercice d’éléments de langage. On aurait apprécié en apprendre davantage, mais Oup’s, LOL, quand l’heure est grave on peut rire de tout.

De Didier Guillaume en 2019, sur l’eau qui se perd : « On ne peut pas regarder pendant six mois tomber l’eau du ciel et la chercher les six autres mois ! »

De Julien Denormadie en 2021, sur l’eau en plus : « Cette eau-là, cette eau en plus, des pluies diluviennes à de multiples reprises, de manière assurée, elle ne revient pas dans la nappe phréatique, de manière assurée ! »

De Marc Fesneau en 2022, sur l’eau de trop : « L’eau superficielle qui vient en trop de pluie… »

M comme manifestation

Cela commence à faire du monde… - Capture d'écran
Cela commence à faire du monde… - Capture d'écran

Si les manifestations des anti-bassines sont annoncées festives et citoyennes, il est évident que la tension monte au fil des rencontres. Tant du côté des opposants que des forces de l’ordre dont le commandement se montre d’une extrême fermeté. Sans présager des suites et au vu du nombre grandissant de participants sur le terrain, des altercations de plus en plus violentes sont immanquablement à craindre. À défaut d’un retour au dialogue concerté, les autorités gouvernementales semblent jusqu’à présent se satisfaire d’un rempart policier pour endiguer la fronde, et du glaive de la justice pour lui faire entendre raison.

Mauzé sur le Mignon : des gestes réflexes de plus en plus musclés  - Capture d'écran
Mauzé sur le Mignon : des gestes réflexes de plus en plus musclés - Capture d'écran

La manifestation de Sainte-Soline d’octobre 2022 s’est ouverte sur un énorme rassemblement d’opposants aux bassines. Les consignes émanant du ministère et des autorités locales étaient claires : éviter coûte que coûte l’embrasement. Raté. La manifestation a viré au pire de l’affrontement.

On dénombre une soixantaine de blessés du côté de la police. Idem chez les manifestants dont certains gravement touchés au visage seront évacués vers un hôpital. Présente sur place, Lisa Belluco la députée EELV de la Vienne s’indignera d’avoir reçu d’inutiles coups de matraque. Des voix sans doute peu sensibles au statut d’un État de droit se sont enflammées en déplorant la présence d’un élu de la République sur les lieux d’une manifestation interdite. A croire qu'il deviendrait un peu risqué de vivre en démocratie... Heureusement il reste toujours cette possibilité de réfléchir plus calmement aux conséquences et aux causes de ces multiples colères.

Bras en l’air, la députée Lisa Belluco durement repoussée - Capture d'écran
Bras en l’air, la députée Lisa Belluco durement repoussée - Capture d'écran

La préfecture constate : «Les gendarmes ont dû faire face à des individus violents, qui les ont agressés au moyen de tirs de mortiers, de cocktails Molotov et de jets de projectiles divers ». François Pétorin, l’un des administrateurs de la COOP de l’eau, s’étonne : « C’est quand même un peu violent de voir des gens qui arrivent cagoulés et masqués pour casser des barrières sur un chantier, et saccager les cultures des collègues en marchant dessus ».

Et les opposants scandent : « eau Voleurs ! »

N comme nappe

Ah bon… ? - Capture d'écran
Ah bon… ? - Capture d'écran

Qu’elles soient superficielles ou profondes, l’important est de laisser les nappes se remplir suffisamment avant d’en puiser la richesse. Les seuils d’alerte qui visent à interdire le pompage des nappes phréatiques sont parfois jugés trop laxistes. Certaines bassines ont ainsi continué à se remplir alors que les cours d’eau voisins étaient asséchés.

En juin 2022, Violaine Bault, hydrogéologue, indiquait : « Les niveaux des nappes sont historiquement bas. On a déjà connu des sécheresses de nappes aussi précoces, mais c’était localisé. Cette année, c’est généralisé à quasiment l’ensemble de la France ».

En janvier 2023 les nouvelles ne sont guère plus enthousiasmantes : « La recharge des nappes phréatiques reste peu intense. Plus des trois quarts des nappes demeurent sous les normales mensuelles. Les niveaux sont nettement inférieurs à ceux de décembre 2021 ».

Le Mignon de la Venise verte d’hier et le Mignon à sec d’aujourd’hui - Capture d'écran
Le Mignon de la Venise verte d’hier et le Mignon à sec d’aujourd’hui - Capture d'écran

Les adeptes du système assurent que les bassines se remplissent du trop-plein hivernal du sous-sol. Or il faut tenir compte que cette « eau en trop » alimente les ruisseaux, là où se niche une grande biodiversité animale et végétale. Rappelons que les tourbières du Marais poitevin sont des éponges qui réclament et se gonflent d’une humidité constante. Là se trouve justement le secret de cet écosystème qui forme une zone humide d’intérêt international. Sans captage cette eau déclarée perdue, une hérésie pour certains, ira courir jusqu’à la mer. Les ostréiculteurs ont appris des biologistes que le plancton nécessaire à l’élevage de leurs huitres profite des particules issues de la sédimentation des terres.

O comme opaque

Alors que le sujet des bassines devient une préoccupation centrale, on s’aperçoit que le gouvernement ne semble pas avoir réellement pris la mesure des problèmes. La frontière est ténue entre une assourdissante négligence administrative et une volontaire opacité de retranscription des décisions prises. Les bons conseils pleuvent d’en haut, mais les outils de réflexion et d’études manquent en bas. Un seul point de détail, il n’existe pas à ce jour de recensement officiel et sérieux du nombre et de l’état des bassines de substitution.

En 2016 l’INRAE (institut national de recherche agriculture, alimentation, environnement) s’inquiétait déjà ouvertement des limites et du peu de savoir des autorités : « Toute construction d’une nouvelle retenue nécessite une déclaration ou la sollicitation d’une autorisation auprès des services de l’État, ce qui implique de réaliser une étude d’impact environnemental du projet. Depuis 2010 (Grenelle 2), une telle étude doit également évaluer les effets cumulés de ce projet avec les autres ouvrages équivalents connus. L’expertise a mis en évidence la faiblesse des connaissances sur l’effet environnemental cumulé des retenues d’eau. Les bureaux d’étude et services de l’État en charge de l’instruction opérationnelle de tels projets font ainsi face à un manque d’outils opérationnels ».

Le rapport de juillet 2022 du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) est venu à point pour statuer de l’impact des réserves de substitution dans le bassin de la Sèvre niortaise : négligeable en hiver et positif l’été. Encore faut-il retenir certains termes de cette étude qui a consisté « à faire tourner le modèle jurassique sur la période 2000-2011 comme si le projet de la coopérative, à savoir des substitutions de prélèvements en été et des prélèvements pour le remplissage des retenues en hiver, avait été mis en place ».

Ce –comme si- fut largement commenté par nombres d’hydrogéologues peu convaincus des conclusions d’un rapport basées sur des chiffres de plus de 20 ans. La compétence des scientifiques du BRGM n’est certes pas à remettre en cause mais on peut s’étonner qu’un bilan si peu actualisé soit retenu comme une littérature de référence par les autorités. Ces travaux furent à ce point considérés par le ministre Christophe Béchu qu’il se réjouira d’une étude « venue dire à quel point le projet n’avait pas de conséquences négatives pour les nappes ».

N’oublions pourtant pas que les responsables du rapport en question avaient préfacé ce document d'un : « La Coopérative de l’eau s’est rapprochée du BRGM pour simuler le projet élaboré sur le bassin de la Sèvre Niortais ». Coop de l’eau qui se trouve être à l'origine des projets de construction des réserves.

Le rapport du BRGM scientifiquement contesté - Capture d'écran
Le rapport du BRGM scientifiquement contesté - Capture d'écran

Les réflexions du BRGM sont devenus la cible de plusieurs scientifiques qui contestent les bases même de l'étude. Pour Anne-Morwenn Pastier (Chercheuse-géomorphologue), Magali Reghezza (Géographe et membre du Haut Conseil pour le climat) et Florence Habets (Directrice de recherche CNRS en hydrométéorologie), ce travail présente de trop nombreux biais pour faire autorité. Les marges d’erreur des hauteurs d’eau, estimées à 2 cm par le BRGM, sont fondamentalement critiquées par AM. Pastier: « Si je dois donner une valeur d’incertitude indicative, elle serait entre 1,20 et 2,2 mètres ». Et si on faisait –comme si- …

P comme pollution

Non, aucun risque de se mouiller pour l’ARS - Capture d'écran
Non, aucun risque de se mouiller pour l’ARS - Capture d'écran

Le phénomène d’eutrophisation est une pollution naturelle de l’eau qui se produit lorsque « le milieu reçoit trop de matières nutritives assimilables par les algues et que celles-ci prolifèrent. Cela s’observe surtout dans les écosystèmes dont les eaux se renouvellent lentement ». Cette dégradation de la qualité de l’eau touche également les bassines dont les eaux sont exposées au plein soleil.

La couleur verte fluo que l’on aperçoit parfois sur les contours des réserves signe l’apparition de cyanobactéries reconnues dangereuse pour la santé humaine. De fait, certains scientifiques s’interrogent de possibles répercussions sanitaires sur les récoltes et les terres aspergées par une eau contaminée.

Un petit vert d’eau pour la soif ? - Capture d'écran
Un petit vert d’eau pour la soif ? - Capture d'écran

Interrogé sur le sujet le directeur de l’ARS Nouvelle-Aquitaine, Laurent Flament, à fait part de ses certitudes aux journalistes de la Nouvelle République : « Oui, l’eau de ces réserves pourra contenir des cyanobactéries ou des légionelles. C’est normal, mais cette eau n’est pas destinée à une consommation humaine. Pour qu’il y ait contact avec une légionelle il faudrait que quelqu’un passe sous un jet d’eau durant l’irrigation. Cela ne se produira pas ».

Quant à savoir si les agriculteurs irrigants ou les agents d’entretien pourraient courir un risque : « Il n’est pas prévu, que je sache, que les agriculteurs se douchent ou se baignent dans ces réserves… ». Sûr de son fait il confirme : « Je veux bien entendre cette hypothèse mais l’existence de ces bassines, dans des champs irrigués, date. Ce n’est pas nouveau. Et on n’a jamais eu de problème sanitaire ». Y’en a qu’ont essayé ?

Q comme quantité

Dans l’euphorie d’avoir de l’eau à disposition, ou poussés par la peur d’en manquer, beaucoup ont accueilli favorablement les grands projets de stockage. Les bassines devenaient alors des Open-bar sans alcool en pleine prohibition. Sauf que les quantités d’eau distribuées ne sont pas sans limites et qu’elles doivent encore répondre à certains quotas règlementaires. Le pompage des nappes et du remplissage des bassines doit s’effectuer en dehors des périodes de basses eaux. La durée maximale de l’opération ne peut réglementairement dépasser cinq mois. Le stockage doit ainsi être effectué entre les mois de novembre et mars de l’année. Mais le doute s’installe dès lors que la réalité reprend la main sur ce qu’ont imaginé les patrons de bars.

Récemment, en Vienne, le préfet Girier et 41 acteurs de l’eau (sur 54 participants) ont signé le protocole du Clain (un sous-affluent de la Loire). Il s’agissait là d’autoriser la construction de 30 bassines entre 2023 et 2026. Autant dire tout de suite. La quantité d’eau à consigner dans ces ouvrages avoisine les 9 millions de m3. Bertrand Lamarche, le Président de Rés'eau Clain se félicite de cette décision : « Cela va être le départ d'une nouvelle aventure (...) En espérant que les opposants ne soient pas aussi virulents qu'à Sainte-Soline, parce que c'est la plus grande peur de nos adhérents ».

Mais quelques mois à peine plus tard, le même Préfet Girier ne semble plus aussi affirmatif sur les possibles quantités d’eau à prélever dans la nappe. Au micro de la Nouvelle République il reconnaît qu'il n'y aura peut-être pas autant d’eau que prévu pour les trente bassines : « Il faut déjà 70 à 150 mm de pluie pour que le sol se recharge (…) On a démarré la recharge des nappes début décembre avec deux mois de retard. Il faudrait encore un mois de pluie pour que les nappes reviennent au plus haut niveau ». Et sur la base des dernières analyses HMUC (Hydrologie-Milieux-Usage-Climat) sur la ressource en eau, on commence à comprendre qu’il sera impossible de construire, ou de remplir, autant de réserves de substitution.

Soudain, le principe de profusion « d’eau d’hiver » mise à disposition l’été s’effondre en partie. Contactées par le journal Le Monde la préfecture de la Vienne avoue désormais : « Même si nous sommes entrés en période hivernale, les réserves de stockage déjà existantes ne peuvent pas, à ce jour, être remplies à la suite de la sécheresse sévère connue cette année ». Le ministre Christophe Béchu s’est emparé de sa calculette de transition écologique pour spécifier que le gouvernement désirait: « diminuer d’un peu plus de 10 % le volume prélevé dans nos sous-sols d’ici la fin du quinquennat ».

R comme recours

De nombreuses associations se sont opposées à la construction ou la mise en eau de plusieurs bassines. L’exemple de la bassine de Cram-Chaban (17) est à ce titre un triste cas d’école. En 2008, le préfet de Charente-Maritime, Henri Massé, accorde un permis de construire aux 13 agriculteurs membres d’une Association syndicale autorisée d’irrigation (ASAI des Roches), et ce pour les cinq réserves du bassin du Mignon. Dans la foulée l’Association Nature Environnement 17 attaque aussitôt cet arrêté en justice. La suite ne sera qu’un impensable imbroglio juridique où les arrêtés préfectoraux vont s’entrechoquer avec les décisions du tribunal administratif de Poitiers ou de la Cour d’appel de Bordeaux.

Quand la préfecture autorise, la justice s’interroge et réclame qu’une étude d’impact sérieuse soit ajoutée au projet initial. Une requête qui, selon l’enquêtrice en charge de l’instruction du dossier, ne sera pas suivie d’effets. La décision préfectorale se voit alors mise en porte-à-faux mais les travaux sont eux déjà bien avancés. Et pendant que les autorités se renvoient au visage les codes de l'urbanisme ou de l'environnement, les plaignants découvrent que leurs recours ne sont pas suspensifs vis-à-vis des autorisations précédemment accordées.

Les membres de l’ASAI entrevoient dans ces déclarations contradictoires la possibilité d’utiliser –un peu- leurs ouvrages. En clair, en dépit du verdict des tribunaux, une bassine continue de fonctionner, augmentant de fait la colère des opposants. L’un des irrigants, financièrement aux abois, confiera : « Si je n’avais pas pu irriguer, j’aurais fait faillite ! ». Après quatorze ans de tergiversation malsaines, c’est surtout de la faillite de l‘administration qu’il conviendrait de se protéger. Ces errances juridico-politiques ont conduites à des exaspérations partagées que la justice peine à calmer (voir bassines #2 - Au tribunal des actes et des idées).

S comme substitution

Pour le collectif BNM la substitution est un leurre - Capture d'écran
Pour le collectif BNM la substitution est un leurre - Capture d'écran

La finalité est de puiser dans le stock des réserves pour irriguer en période de déficit hydrique (l’étiage). La substitution consiste à se servir du stock des bassines en remplacement des volumes puisés dans les nappes en été. Il est écrit que ce procédé doit concourir à réduire l’importance des volumes initialement autorisés. Les anti-bassines s’insurgent contre ce report temporel et ne croient pas aux économies promises.

Pour Julien Le Guet, le porte parole du collectif -Bassines non merci- tout cela est « du Robin des bois à l’envers, ce sont les plus petits irrigants qui payent les bassines des gros sans en profiter. Comme les grands exploitants sont servis en premier en hiver, ils impacteraient moins sur la ressource en été… ».

D’un exemple de calcul rapide il dresse la façon dont les chiffres lui semblent truqués : « Sur un volume autorisé de 100.000 m3, on nous dit que seuls 70.000 m3 d’eau -d’hiver- sortiront des bassines, mais on oublie de comptabiliser les 50.000 m3 qui seront légalement prélevés dans la nappe en été, faites l’addition des deux volumes… ».

Plus que jamais la culture du maïs se voit remise en cause par les anti-bassines qui préféreraient que le terme de substitution soit appliqué sur le choix des semences. En cause, le maïs qui réclame énormément d’eau durant les périodes chaudes. Récolte en grain pour la consommation, ou ensilage et fourrage à destination des animaux, cette production fait le lit des grands producteurs et de l’agriculture intensive.

Il se dit qu’en 1940 le maïs couvrait 300.000 hectares, en 2021 cette surface serait estimée à environ 3 millions d’hectares. Les autorités ont incité les agriculteurs à en planter toujours et encore pour freiner l’importation. En 1992, les aides prévues par la PAC (Politique Agricole Commune) pour une prairie laissée au repos s’évaluaient à 1.200 francs à l’hectare, la même parcelle plantée de maïs pouvait rapporter jusqu’à 4.200 francs. Le calcul fut vite fait par nombres d’exploitants.

La demande internationale en maïs est là, tout comme les besoins en eau qui vont avec. Dès lors, les autorisations d’irrigation délivrées induisent un retour sur investissement : la production se doit d’être pleine et régulière. Cette course aux résultats s’assujettit à l’emploi d’herbicides et de pesticides qui, un jour ou l’autre, viendront échouer dans les nappes souterraines. La boucle est bouclée quand on apprend qu’une partie de ce maïs pourrait servir à alimenter les méthaniseurs censés apporter un plus en termes d’énergie propre.

T comme tribunaux

Près de 7.000 contestataires à Sainte-Soline : ouvrez les tribunaux ! - Capture d'écran
Près de 7.000 contestataires à Sainte-Soline : ouvrez les tribunaux ! - Capture d'écran

Le garde des Sceaux a récemment adressé un manuel de -bien juger- à tous les magistrats. Quelques jours seulement après la manifestation de Sainte-Soline, où des milliers de manifestants se sont rassemblés, Eric Dupont-Moretti à tenu à sonner le rappel dans les tribunaux. Cette circulaire ministérielle relative « au traitement judiciaire des infractions commises dans le cadre de contestations de projets d'aménagement du territoire » permettait donc sans doute aux magistrats de ne pas se tromper de cases.

Après leur avoir rappelé les bons articles du Code pénal à utiliser, le ministre à vivement souhaité « pouvoir compter sur votre engagement dans la conduite de l’action publique envers les auteurs de ces infractions qui contribuent à porter atteinte à l’autorité de l’État ». Cette incitation à « procéder à une évaluation rapide et globale de la situation de manière à pouvoir apporter une réponse pénale réactive aux faits le justifiant » aura sans doute eu de l’écho dans les coursives du tribunal correctionnel de La Rochelle et de Niort. Rapide et globale a t-on dit...

U comme urgence

L’urgence climatique et l’urgence d’agir conduisent parfois à enrichir le débat. Le principe de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) apparaît actuellement comme une solution. La France est alors pointée du doigt pour son retard en la matière et l’on s’étonne de voir l'eau s'échapper des stations d'épuration pour filer à l’anglaise dans le milieu naturel. Les rapports et les constats s’avèrent soudainement plus formels que jamais : « La REUT est très peu développée en France, où moins de 1 % des eaux récupérées en sortie des stations d'épuration sont exploitées, à l'inverse de l'Italie, l'Espagne ou encore Israël, où le taux de réutilisation atteint respectivement 8 %, 15 % et 90 % ».

Le Sénat spécifie « qu’en mars 2022, un décret a été pris pour permettre de nouveaux usages des eaux usées traitées, auparavant interdits, notamment pour les usages urbains comme le lavage de voirie, l'hydrocurage des réseaux ou pour la recharge de nappe ». Les projets de ce type ne seraient toutefois autorisés que pour une durée limitée à cinq ans, ce qui semble « trop court pour amortir les investissements et pourrait freiner l'expérimentation ». L'argent et l'eau ne font que rarement bon ménage.

Le propos glisse inévitablement vers le sort des bassines : « Il serait certes inacceptable de favoriser des retenues dégradant la capacité de recharge des nappes ou asséchant les cours d'eau avoisinants. Mais il serait tout aussi inacceptable de refuser de créer des retenues vertueuses, qui pourraient alléger la pression sur les nappes et les eaux de surface pendant la période d'étiage, en plus de sécuriser l'approvisionnement en eau de ses utilisateurs, en particulier les agriculteurs ».

Mais en dépit de toutes ces urgences « Il convient toutefois de s'assurer qu'en ne rejetant plus les eaux usées traitées dans le milieu naturel, on ne dégrade pas de trop les étiages des cours d'eau, pour lesquels le rejet des stations d'épuration peut représenter une partie significative du débit ». Pour Julien Le Guet, cette potentialité serait déjà une réalité perceptible sur certains ruisseaux du marais du poitevin : « Les nappes superficielles sont tellement impactées que ce qui coule aujourd’hui dans Le Mignon n’est plus que la somme des eaux rejetées par les stations d’épurations ». Avant que les eaux usées ne soient prescrites sur ordonnance, il semblerait donc encore une fois préférable de bien étudier la question.

V comme vision

L’arrosage des golfs et des stades… un avantage d'avenir? - Capture d'écran
L’arrosage des golfs et des stades… un avantage d'avenir? - Capture d'écran

Ce débat sur les bassines a mis en évidence de notables différences de point de vue. Plus que le oui ou le non, c’est surtout du pourquoi et du comment dont il est question. En haut lieu on commencerait presque à s’interroger à demi-mots sur l’efficacité réelle des réserves de substitution. Il apparaitrait que ce dispositif soit davantage considéré comme un palliatif plutôt que comme une véritable solution pérenne. Et quand certains maraîchers de proximité ne jugent de leur besoin en eaux qu’à travers une production directe et locale, d’autres voient les avantages des bassines sous un angle bien plus large.

Le site de la Coop des eaux 79 présente ainsi les multiples raisons de tirer parti d’une réserve de substitution. Outre la notion première concernant l’écologie, les avantages retenus seraient aussi d’ordre économique « pour l’irrigant. Il va ainsi mieux gérer son irrigation et donc optimiser sa production. Une façon pour les agriculteurs de lisser leurs revenus ».

Mais aussi d’ordre sécuritaire, car « les communes peuvent utiliser les réserves d’eau en cas d’incendies importants. À l’avenir, les ouvrages répondront à de multiples usages, irrigation des cultures, arrosage des espaces verts, golfs, stades ». Des arrosages prioritaires en effet.

WXYZ comme… les maux qui comptent triple

Le manque d’eau est là. Il faudrait être aveugle, sourd, et Trumpiste, pour ne pas s’en apercevoir. L’affaire concerne l’entièreté de la planète et il ne s’agit plus de discourir sur la profondeur du puits de mamie Jeanne avec l'espoir de profiter de la dernière goutte de la dernière nappe.

L’avenir des bassines semble assez mal défini, et surtout il diffère selon les vœux des uns et des autres : celui-là tente de sauver son exploitation, celui-ci tente de sauver la biodiversité, ce politique tente de sauver la face, ces scientifiques tentent de sauver les meubles, et la planète tente de nous avertir de lendemains qui déchantent.

Qui a tort, qui à raison, les bassines sont-elles un remède à tous les maux, ou faut-il les considérer comme des pansements sur une jambe de bois…?

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