Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Dossier
par Eric Bouliere

Bassines #8 : La justice d’aujourd’hui sera-t-elle l’injustice de demain…

Le porte-parole du collectif Bassine non merci placé en garde à vue

Venues s’intercaler entre deux journées de grève contre la réforme des retraites, les manifestations annoncées pour les 25 et 26 mars par les opposants aux bassines semblent irriter tout autant les instances dirigeantes. Mais qui va se charger d’éteindre ce départ de feu là : l’Élysée, l’intérieur, la justice, les préfectures, ou les quatre à la fois ?

Une convocation officielle ou un jeu de rôle ministériel ? - Reflets

Julien Le Guet, le porte-parole de collectif ne retient plus ses mots : « Une fois de plus la préfète, en accord et en collusion avec le procureur, monte des opérations qui visent à nous intimider ; les faits qui me sont reprochés datent de six mois et on me convoque une semaine avant la grande manifestation…  ». Retour sur cette journée du 17 mars durant laquelle l’ordre judiciaire s’est passablement paré des attributs d’une justice de maintien de l’ordre.

9 h : J. Le Guet est attendu à la gendarmerie de Niort - Reflets
9 h : J. Le Guet est attendu à la gendarmerie de Niort - Reflets

Tout à débuté à 9HOO, devant les bâtiments de la gendarmerie de Niort où J. Le Guet était convoqué pour répondre des accusations de : « Participation à un groupement formé en vue de la préparation de violence contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens - Dégradation ou détérioration du bien d’autrui commise en réunion  ». Les faits qui lui sont reprochés remontent au mois d’octobre 2022, soit environ cinq mois auparavant. Cette convocation posée à quelques jours seulement de trois manifestations internationales frôle le coup de théâtre, sinon le coup de com’ à peine dissimulé. Autant dire que cette procédure semble davantage tenir de la mise au pas des réfractaires que d’un simple hasard du calendrier.

Un comité de soutien s’organise devant la gendarmerie. - Reflets
Un comité de soutien s’organise devant la gendarmerie. - Reflets

Et les grandes manœuvres commencent ! Julien le Guet est tout de suite placé en garde à vue dans le cadre de l’enquête en cours, il s’est ensuite vu déféré devant un magistrat pour lui signifier une comparution au tribunal en date du 8 septembre prochain. Dans l’attente de cette décision de justice, le juge des libertés et de la détention a pris une mesure de contrôle judiciaire statuant d’une interdiction de territoire. C’est ainsi que Julien Le Guet à interdiction de se rendre et de se déplacer sur les communes de Sainte-Soline et de Mauzé-sur-le-Mignon. Là où devaient précisément se dérouler les manifestations du 25/26 mars prochains.

17 h 30, Niort : la sortie ordinaire d’un tribunal ordinaire…  - Reflets
17 h 30, Niort : la sortie ordinaire d’un tribunal ordinaire… - Reflets

En quittant l’enceinte du tribunal Julien Le Guet s’étonne de la nature de certaines preuves fournies à son encontre : « Ce matin on m’a fait une présentation de photos, la principale source des gendarmes c’est BFM, c’était là le gros de leurs preuves ». Mais il s’étonne surtout de la concomitance de cette convocation et des mouvements de contestation à venir.

Au terme d’une journée d’audition passée entre les locaux de gendarmerie et le tribunal judiciaire de Niort, il en vient à conclure : « C’est bien un procès politique qui s’annonce ! ».

Et dans le même temps...

Ce même jour, et en parallèle de cette opération judiciaire, la préfète des deux sèvres, Emmanuelle Dubée, est venue fermer le ban en interdisant toute forme de manifestation autour des deux bassines en question. Trois arrêtés ont été publiés en ce sens : interdiction de manifestation et d’attroupement, interdiction du port et transport d’armes, interdiction de vente et de transport d’artifice de divertissement, de carburant au détail, d’acide et produits chimiques ou explosifs. La portée de ces arrêtés couvre 17 communes des Deux-Sèvres. Le préfet voisin, Nicolas Basselier, s’est aussitôt chargé de boucler son territoire en incluant 18 autres villages de Charente-Maritime dans le périmètre interdit. On n’est jamais trop prudent, quand on est dépositaire de l’autorité de l’État.

Une avalanche d’arrêtés préfectoraux - Reflets
Une avalanche d’arrêtés préfectoraux - Reflets

Quel est donc le profil de cette préfète si prompte à rétablir l’ordre : énarque de formation madame Dubée fait partie de la même promo qu’un certain Emmanuel Macron ; au détour de ses fonctions, elle a travaillé pour Nicolas Sarkozy à l’Élysée, Michèle Alliot-Marie place Beauvau et Éric Woerth au ministère du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique. En poste à Lyon comme préfète déléguée à la défense et à la sécurité de la zone Sud-Est, elle reconnait « y avoir beaucoup appris sur le maintien de l'ordre, c'était en milieu urbain, mais cela donne une bonne assise ». Une expérience sans doute utile pour celle qui déclarait, dès sa prise de fonction et après s’être rendue sur le site de la bassine de Mauzé, s’attendre à des manifestations qui « potentiellement peuvent être très violentes ». Enfin avant d’être nommée Préfète des Deux-Sèvres en 2022 elle fut aussi directrice adjointe au cabinet de Gérald Darmanin. Compte tenu de l’épaisseur d’un tel CV, il semble évident que cette préfète tout terrain peut assurément se prévaloir d’un certain savoir-faire en matière de tenue des mauvaises troupes.

Une préfète à poigne et à Légion d’honneur - Capture d'écran
Une préfète à poigne et à Légion d’honneur - Capture d'écran

Les mots pour mal le dire…

L’ordre c’est l’ordre et dura lex sed lex mais le libellé des différents arrêtés préfectoraux peut toutefois surprendre. Si tant est que l’on considère ce message comme une déclaration officielle, et non comme l’expression d’une combative surexcitation de cour de recrée censée allumer la mèche. Certains passages semblent en effet avoir été rédigés par un spécialiste de la discorde, expert en science de bataille organisée. Quelques lignes parmi d’autres : « Julien Le Guet en présence de la confédération paysanne à répliqué que les manifestations auraient bien lieu à Sainte-Soline et à Mauzé… les forces de l’ordre seront débordées, le but reste d’arrêter le chantier de Sainte-Soline ; que les organisateurs ont également diffusé des consignes permettant aux manifestants de s’équiper, et de se constituer en groupe dans un but d’affrontement avec les forces de l’ordre » .

Et si cela ne suffisait pas, « il est également établi, compte tenu de la communication annonçant la manifestation et des appels des organisateurs à commettre des destructions et des dégradations de bien, et à affronter les forces de l’ordre, comme cela fut le cas ultérieurement, que l’objet même du rassemblement envisagé constitue une provocation à commettre des délits ».

Enfin dans un souci d’apaisement des parties on y précise : « Que cette mobilisation fait également naître un risque important d’affrontement avec des agriculteurs, lassés des appels à la destruction des réserves de substitution, qui souhaitent protéger leur outil de travail et également d’affrontements violents avec les forces de l’ordre ». Nul doute qu’à la lecture d’un tel scénario, l’envie viendrait presque à n’importe quel grand sage de taper sur tout ce qui bouge. Au passage, la légitime défense d'agriculteurs malmenés dans leurs biens se voit quasi-justifiée. Cette force de détails violents était-elle administrativement indispensable pour signifier une interdiction dans toute son autorité?

De l’huile, du feu, et des bassines

Bassine de Mauzé : prêt pour la guerre de l’eau, barbelés compris - Reflets
Bassine de Mauzé : prêt pour la guerre de l’eau, barbelés compris - Reflets

Les rebondissements judiciaires étaient de mise ce 17 mars puisque les dirigeants de Coop de l’eau 79 ont également décidé de se faire entendre. Cette société qui porte les projets de 16 réserves s’inquiète dans un communiqué : « Nous sommes très inquiets des risques qu’un tel rassemblement fait peser sur nos outils de travail. Nous en avons fait les frais lors de précédentes manifestations qui se sont soldées par des scènes de violence insupportables de la manifestation du 25 mars ». Raison pour laquelle le président de la Coop, Thierry Boudaud, précise que deux plaintes ont été déposées cette semaine. L’une déposée par la Coop 79 viserait directement les organisateurs de ces rassemblements, l’autre émanant d’agriculteurs « victimes de harcèlement moral, notamment sur les réseaux sociaux ».

Chacun son camp, chacun ses plaintes - Reflets
Chacun son camp, chacun ses plaintes - Reflets

Et on ne se plaint pas !

En marge de ces longues enquêtes de polices ou de ces décisions de justice fermes et définitives, il est des plaintes qui reçoivent nettement moins l’oreille de la magistrature. Et notamment celle de Lisa Belluco, députée de la Vienne, qui dénonçait des violences policières à son encontre lors de la manifestation (non autorisée) anti-bassines du samedi 29 octobre 2022 à Sainte-Soline. Dans les rangs de l’assemblée la question s’est immédiatement posée de la place d’un élu sur le terrain d’une manifestation. Pour certains, et qu’importent les blessures constatées, rien ne justifiait la présence de la députée face aux cordons de CRS. Une justification dont s’est pourtant exonéré Gérald Darmanin, le 19 mai 2021, après avoir lui-même participé au cortège d’une manifestation policière (autorisée cette fois-ci…). Il est vrai que les revendications étaient-là bien plus anodines puisque les manifestants en tenue s’accordaient simplement à dénoncer que, je cite : « Le problème de la police, c’est la justice  »… Toujours est-il que la plainte de la députée Bellucco vient d’être classée sans suite.

Députée ou pas, le débat du coup de baton… - Capture d'écran
Députée ou pas, le débat du coup de baton… - Capture d'écran

Nul doute qu’une médiation est impérative pour réconcilier deux clans qui s’opposent à qui mieux mieux sur la notion du partage de l’eau. Pourtant les craintes et les douleurs des uns rejoignent celles des autres sur bien des points. Mais qui détient la vérité aujourd’hui, et qui aura raison demain ? Cette justice d’aujourd’hui sera t-elle conforme à la réalité de demain ? Entre ces agriculteurs qui souhaitent coûte que coûte préserver leurs cultures et ces opposants aux réserves de substitution qui veulent dès à présent restreindre la consommation, comment faire pour éviter que le manque d’eau ne conduise à l’extinction de l’espèce humaine.

Qui peut jurer qu’une intervention préfectorale ainsi menée soit la réponse la plus judicieuse pour répondre à toutes ces inquiétudes. Et en ce qui concerne les prochaines manifestations que fera la police ? Sur le terrain elle fera ce qu’on lui demandera de faire, mais dans cette affaire que fait la justice, sinon apparemment répondre sur commande aux inquiétudes politiques. Le sujet des réserves de substitution est à ce point devenu incontournable pour le gouvernement que Gérald Darmanin, interrogé sur l’âpreté de la réponse policière face aux manifestations parisiennes contre la réforme des retraites, évoque sans distinction « les événements qui risquent d’être extrêmement difficiles à Sainte-Solline ». Il semblerait d'ailleurs que toute la communauté du renseignement de l’État soit sur le coup pour contrer cette menace de soulèvement territorial. Le ministre de l’Intérieur tient à rappeler que « le nouveau schéma de maintien de l’ordre que j’ai élaboré et qui a été validé par le Conseil d’État prévoit que les préfets ont la possibilité d’appliquer ce schéma du maintien de l’ordre ». Laissant entendre que madame Dubée et le corps préfectoral dans son ensemble ont les mains libres. Face à ces errements politico-juridico-climatiques, le réchauffement à probablement encore de beaux jours autour des bassines.

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée