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Dossier
par Eric Bouliere

Bassines #6 : Le rapport du BRGM de moins en moins crédible ?

Le climat c’est comme les vérités scientifiques, ça va, ça vient…

En juin 2022 le Bureau de Recherches Géologiques et Minières statuait de la quasi-innocuité des réserves de substitution sur le cycle naturel de l’eau dans le marais Poitevin. Un pas en avant, deux pas en arrière, le bureau précise aujourd’hui que les vérités de son étude ne seraient pas à prendre au pied de la lettre.

Le BRGM s’explique par voie de presse - capture écran

Ce rapport du BRGM est passé de main en main pour rapidement atterrir sur le bureau de Christophe Béchu. Le ministre de la transition s’était aussitôt réjoui d'une étude « venue dire à quel point le projet n’avait pas de conséquences négatives pour les nappes ». Heureux de pouvoir s’appuyer sur des conclusions aussi tangibles il ne voyait donc pas les raisons pour lesquelles il serait « contre un projet légal, soutenu par les élus, et pour lequel les scientifiques disent qu’il va dans le bon sens ».

Un rapport très favorable à l’arrivée des bassines.  - Capture d'écran
Un rapport très favorable à l’arrivée des bassines. - Capture d'écran

Ce constat très scientifique fût accueilli comme un blanc seing en faveur du projet de construction de seize réserves d’eau. Telle une étude d’impact, ce rapport attestait noir sur blanc des avantages et du bien fondé des prélèvements hivernaux pour remplir les bassines. Thierry Boudaud, président de la Coop-79, commanditaire de cette étude et porteur du projet, en sera lui aussi convaincu : « Ces résultats sont sans appel ». Minute ! Le BRGM n’avait peut-être pas tout dit…

En effet le bureau d'études vient de se fendre d’un communiqué après qu’une scientifique indépendante soit venue disséquer le rapport par le menu. Comme nous l’avions précédemment écrit, Anne Morwenn Pastier, docteur en science de la terre, s’est étranglée en se penchant sur ces travaux. Selon elle tout est à revoir, tant sur le fond, l’essentiel bien sûr, que sur la forme. Il est vrai que la visualisation des hauteurs d’eau relève parfois de l’exercice d’optique…

Pratique : 5 m d’écart entre blanc/vert, vert pâle, vert clair ou vert… - Capture d'écran
Pratique : 5 m d’écart entre blanc/vert, vert pâle, vert clair ou vert… - Capture d'écran

A l’occasion de réunions publiques et en partenariat avec le collectif -Bassines Non Merci- elle fait ouvertement part de son malaise quant aux conclusions d’une étude jugée insuffisamment complète. Ses nombreuses interrogations furent portées à la connaissance des dirigeants du BRGM et de la Coop de l’eau. Une réponse lui est parvenue par la bande, via un communiqué de presse générique et général.

Rappelons que le BRGM est le Service géologique national, organe de référence placé sous la tutelle du ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, du ministre de la Transition écologique, du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance. Il ne fait aucun doute que les « 1 047 Personnes travaillant au BRGM dont plus de 700 ingénieurs et chercheurs » possèdent des compétences scientifiques avérées. Mais son statut d’EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) l’autorise aussi à vendre son savoir et ses études à qui lui passe commande.

Vous pouvez répéter la question…?

Les chercheurs du BRGM ont-ils été trop vite en besogne, emportés par l’ampleur de la tâche, ont-ils manqué de prudence dans la formulation de leurs conclusions, ont-ils été surpris par toutes ces déclarations officielles immédiatement suivies d’effets et d'avis si décisifs ? Les désidérata du porteur-payeur du projet étaient-ils conciliables avec les outils scientifiques mis à disposition des chercheurs du BRGM ? Autant de thèmes que nous aurions souhaité aborder avec les responsables du bureau si l’occasion nous avait été donnée.

Mais la réponse du service de communication n’ira pas en ce sens : « Ah vous demandez une réaction à la réaction qui a été faite… c’est surtout qu’on n’a pas le temps, les gens travaillent au BRGM, s’il faut qu’on réagisse au communiqué du communiqué… Pffff on va transmettre, mais il y a un moment où on ne va pas réagir systématiquement à toutes les réactions…  ». Et de conclure de ne pas comprendre ni le sens, ni le pourquoi de nos questions puisque tout était déjà longuement précisé dans la note d’information à la presse. Dommage. Car il ne s’agissait nullement d’attaquer un savoir faire internationalement reconnu, mais bien de comprendre pourquoi ce rapport du BRGM semble localement connaître d’aussi sérieuses remises en cause.

Nous nous sommes donc tournés vers madame Pastier qui, elle, a compris nos questions et s'est prêtée plus volontiers à l’interview. Avant de formuler ses réponses, nous vous communiquons malgré tout quelques extraits commentés du communiqué que le BRGM ne souhaite plus commenter dans un autre communiqué. C’est toujours un peu compliqué, la science.

Le communiqué du BRGM en bref

Le BRGM déclare : « Cette expertise a été demandée et financée en 2021 par la Société Coopérative Anonyme de l’eau des Deux-Sèvres (ou COOP 79), maître d’ouvrage des projets de création de réserves de substitution sur le bassin de la Sèvre-Niortaise-Mignon. L’objectif était de simuler les effets d’un nouveau scénario de prélèvement proposé par la COOP 79. L’étude a été effectuée avec pour objectif à terme, d’alimenter une étude d’impact ».

Oui ce rapport a été demandé et financé par le porteur du projet. Si le non initié peut s’en étonner, c'est toutefois le fonctionnement en propre d’un EPIC. Le BRGM signale qu’à terme, cette étude pourrait alimenter une étude d’impact. A ce propos le ministère de la transition écologique à mis en place une charte d’engagement des bureaux d’études dans le domaine de l’évaluation environnementale. On y précise là que : « Le bureau d’études indique les limites de validité des résultats obtenus en fonction des difficultés scientifiques et techniques rencontrées et de la fiabilité des techniques mises en œuvre. Ces limites sont clairement indiquées dès le début de l’évaluation et au besoin réévaluées ou ré exprimées lors de la remise du livrable ».

C’est ici que le bât blesse, car le BRGM s’est peut-être montré un peu trop laxiste sur la question. Dans la synthèse d'avant propos, le rapport signale simplement que « l'étude consiste à faire tourner le modèle Jurassique sur la période 2000-2011, comme si le projet de la coopérative, à savoir des substitutions de prélèvement en été et des prélèvements pour le remplissage des retenues en hiver, avait été mis en place ».

Donc, puisque l’on a fait « comme si », il aurait été préférable de surligner en rouge la virtualité des résultats. Et pourtant : « La comparaison entre la simulation de référence sur 2000-2011 et la simulation de la coopérative permet d’évaluer l’impact positif ou négatif du projet sur les débits des cours d’eau et les piézomètres ». Tout est dit, car pour qui n’y accorde davantage d’attention il s’agit bien d’une étude d’impact ponctuée d’un avis scientifique favorable. Rappelons que la piézométrie est la mesure de profondeur de la surface de la nappe d’eau souterraine.

Le BRGM déclare : « L’expertise réalisée par le BRGM n’est pas une étude approfondie, ni une étude d’impact de toutes les conséquences possibles des prélèvements d’eau envisagés ».

Changement de ton, le communiqué assure maintenant qu’il ne s’agit ni d’une étude d’impact, ni d’une étude approfondie. Cela devient de moins en moins clair : à quoi peut bien servir une expertise qui s’exonèrerait de certaines « conséquences possibles » ?

Le BRGM déclare : « Le modèle de gestion hydrodynamique maillé réalisé sur la nappe du Jurassique est calé sur la période 2000-2011. En toute rigueur, cette période de référence ne permet pas de prendre en compte les conditions météorologiques récentes et encore moins futures. Mais elle permet d’évaluer ce qui se serait passé si les réserves de substitution avaient été mises en place au cours des années 2000-2011…  ».

Une seule question : face à tant d’incertitude et compte tenu d’un futur climatique toujours plus concret, fallait-il accepter de vendre une telle étude scientifique sans la couvrir dès le départ de très sérieuses réserves ?

Le BRGM déclare : « Les résultats attendus étaient uniquement focalisés sur l’identification de l’incidence de ces prélèvements pour stockage, sur les niveaux de nappes, les échanges nappes/rivières et le débit des cours d’eau. Le devenir de l’eau dans les réserves (utilisation, évaporation…) est hors du périmètre de la simulation actuelle et ne faisait pas partie des questions posées au BRGM ».

Alors bien sûr, si toutes les questions ne furent pas posées par le porteur de projet dans le cadre d’une étude non approfondie, on comprend mieux pourquoi le BRGM fut contraint d’observer la science et le marais Poitevin par le petit bout de la lorgnette. On remarquera toutefois que le BRGM se posait les bonnes questions sur le niveau des nappes en hiver dès 2012 à travers une étude à destination du ministère de l’écologie (Explore 2070).

Dix années plus tôt, et déjà d’excellentes questions… - Capture d'écran
Dix années plus tôt, et déjà d’excellentes questions… - Capture d'écran

L’interview d’A.M Pastier : et scientifiquement parlant ?

Anne Morwenn Pastier - Reflets
Anne Morwenn Pastier - Reflets

Reflets : ce communiqué du BRGM apporte t’il des réponses à vos interrogations ?

AM.Pastier : « Très très peu ! Il y a une première partie qui est presque un copier-coller de certaine partie du rapport. Je savais déjà le contexte de l’étude, je savais que le BRGM n’était pas à l’origine de cette étude, mais ils ne m’ont pas retranscrit la demande exacte formulée par le porteur du projet, celle qui a servi de base de recherches ».

Que retenez-vous sur l’ensemble de ces informations ?

« En fait la moitié du communiqué ne porte absolument pas sur les questions que je leur pose… et dans la seconde partie ils ne répondent absolument pas sur l’incertitude du modèle et sur la différence significative, ils ont essayé de nous faire un petit cours sur la modélisation numérique, je suppose. Ils maintiennent leurs valeurs de 2 cm pour une différence significative entre deux simulations de niveaux piézométriques, en spécifiant que c’est une valeur calculée –empiriquement-, mais ils n’expliquent toujours pas comment cette valeur se voit empiriquement déterminée ».

Avez-vous eu depuis des conversations avec d’autres collègues à ce sujet ?

« Dans la communauté scientifique, les gens avec qui j’ai pu discuter partagent mon avis. Effectivement l’incertitude d’un modèle ce n’est pas l’erreur, mais quand on a une erreur qui est a peu près 100 fois plus importante que les différences observées entre deux simulations, et bien on doit scientifiquement en conclure que les résultats obtenus ne sont pas significatifs ».

Votre approche du rapport n’a donc pas évolué en fonction de ce communiqué ?

« J’apprécie leur correction lorsqu’ils disent que l’étude ne regarde pas les effets très locaux. Il y avait une zone de floue, notamment sur la non prise en compte des petits ruisseaux, et ils précisent aujourd’hui que ces résultats n’étaient pas fermes et définitifs, et en tout cas pas des affirmations, contrairement au ton employé dans le rapport. Nous aurions donc là des tendances à manier avec précaution. Çà, je peux l’entendre, mais si les résultats sont une tendance sur l’amélioration de quelques centimètres des nappes, et qu’il faut en plus prendre tout cela avec précaution, cela ressemble à un pari très hasardeux sur l’avenir des bassines… ».

Comment comprendre cette phrase issue du communiqué : « Il ne s’agit pas non plus d’un article de recherche scientifique soumis à l’évaluation de la communauté scientifique. Il s’agit d’une étude répondant à une commande précise, donnant lieu à un rapport technique permettant de répondre aux questions posées avec les limites associées » .

« Il y a une culture différente selon que l’on se situe du côté ingénieur ou du côté universitaire. Les rapports de bureau d’étude ne sont relus qu’en interne, alors que les articles scientifiques publiés par les membres de la communauté universitaire sont soumis à un comité de lecture. Si j’écris un article, il sera envoyé à d’autres scientifiques qui vont y apporter des corrections, majeurs ou mineures, avant que cet article soit publié. C’est exceptionnel qu’un article soit publié d’office. C’est pourquoi j’ai proposé une relecture au BRGM, et du coup peut-être s’en défendent-ils en déclarant que ce rapport émane d’un bureau d’étude et que, chez eux, cela ne marche pas comme ça ».

Votre avis de scientifique sur cette autre remarque : « Si les résultats sont discutés sur les piézomètres, c’est que ce sont les seuls points mesurés qui permettent une visualisation temporelle des résultats » ?

« Mais je n’ai même pas compris ce qu’ils ont voulu dire par là ! Je ne sais pas pourquoi ils argumentent cela, je pense qu’il y a un point très peu clair dans leur rapport sur la validité des résultats obtenus sur une maille (NDLR : surface d’étude d‘1km2) en fonction de mesures relevées par certains piézomètres ».

Vous travaillez encore sur le rapport ?

« Oui, c’est un gros boulot, je souhaite faire une relecture plus complète et j’apporterais sûrement de nouveaux éléments par la suite ».

Le climat, c'est de l'argent...

La science aurait-elle fait des économies sur la fiabilité des résultats? Le BRGM argue que l'actuation du modèle n'était pas du ressort et de la coop et aurait necessité : « des moyens conséquents qui n’ont pas pu être mis en œuvre ces dernières années ».

Toujours est-il que le BRGM annonce aujourd’hui avoir utilisé un modèle numérique qui ne concordait plus avec la réalité du moment. Le bureau signale : « À partir de financements publics décidés en 2021, cette actualisation couvrant la période 2000-2020 est désormais en cours et devrait aboutir fin 2024. En fonction des besoins exprimés, elle pourrait permettre le cas échéant d’envisager de nouvelles simulations incluant des scénarios d’impact du changement climatique tel que prédit ». Une sage précaution à prendre en effet. Oui, mais un peu tard. Car le mal est fait tant du côté des opposants aux bassines, que du côté des agriculteurs irrigants qui ne savent définitivement plus vers quelles vérités se tourner.

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