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Dossier
par Eric Bouliere

Bassines #3 : des voix d’eau qui portent

L’interview croisée de deux figures du milieu

Ces deux hommes sont intarissables sur le sujet des bassines. Ils ont toutefois un avis aussi contraire que l’eau et le feu. Nous leur avons posé les mêmes questions pour mieux entendre leurs divergences : deux mondes, pour un seul réchauffement climatique…

A gauche Luc Servant, à droite Julien Le Guet, deux meneurs de débats - Reflets

L’un et l’autre sont des personnages connus et reconnus sur le territoire du Sud-Ouest. Lorsqu’ils apparaissent, les micros se tendent pour cueillir une phrase, un avis, un bilan. Mais ces deux voix là portent un discours qui ne s’adresse pas tout à fait au même auditoire.

Ils défendent leurs idées avec conviction et force de persuasion. Comment écouter l’un sans froisser l’autre, sinon de les faire parler par ordre alphabétique. Ce sera donc au tour de M. Le Guet d’ouvrir l’interview avant de laisser M. Servant s’exprimer ensuite. Avant d’entendre les arguments de l'un et de l'autre, une petite présentation rapide s’impose afin de mieux cerner le profil des débatteurs.

Les cartes de visite express

Luc Servant, un pro bassine très actif - Capture d'écran
Luc Servant, un pro bassine très actif - Capture d'écran

Selon les informations disponibles Luc Servant est installé en agriculture depuis 1991 à Benon (17), il est à la tête d’une exploitation de 183 hectares plantés en céréales et protéagineux. Il est adhérent à la FNSEA. Au rang de ses mandats professionnels il aura occupé les fonctions de :

  • Président de la Coopérative de Courçon
  • Président de la Chambre d’agriculture de Charente-Maritime
  • Président de la Chambre régionale d’agriculture de Poitou-Charentes
  • 1er vice-président de la Chambre régionale d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine
  • Vice-Président, membre du Bureau et Président de la Commission Economie de l’APCA
  • Depuis 2020, il a été élu Président de la Chambre d’agriculture régional de Nouvelle-Aquitaine.

Julien Le Guet un anti-bassine très actif - Capture d'écran
Julien Le Guet un anti-bassine très actif - Capture d'écran

Selon les informations disponibles Julien Le Guet est installé en tant qu’éducateur en biodiversité depuis 1990 dans le Marais Poitevin. Il est à la tête d’un statut de batelier indépendant. Il n’est ni encarté, ni syndiqué. Au rang de ses mandats occasionnels, il occupe les fonctions de :

  • Porte-parole du collectif -Bassines non merci-
  • Premier rôle du film: Julien, le marais et la libellule

L’interview au fil de l’eau

Reflets : En vertu de vos attributions ou de votre statut, vous êtes un acteur incontournable sur les dossiers de l’eau. Comment gérez-vous ce rôle de porte-parole naturel ?

Julien Le Guet

« J’essaie, de gérer… Mais je constate que la lutte a pris une dimension nationale depuis environ un an et demi, ce qui correspond au démarrage des travaux d’une bassine à Mauzé sur le Mignon. Le fait est, le collectif BNM est une alliance qui s’est élargie de nombreuses entités, associations, partis, élus. Cela donne une résonance bien plus large à notre action. C’est vrai qu’aujourd’hui je suis un peu devenu un personnage public ; le fait que mon nom soit cité dans les colonnes du -Canard Enchaîné- donne une plus grande résonance à notre action, à la vision que le groupe a de la gestion de l’eau et du modèle agricole que nous défendons ».

Luc Servant

« Je pense pouvoir le gérer puisque justement le fait d’être irriguant permet de savoir ce que peut apporter l’irrigation, -sur des terres comme j’ai ou sur des plus petites terres-, et de voir la sécurisation de la production, la diversité des cultures que l’on peut faire, -ce que je fais sur mon exploitation-, et par rapport aux enjeux qui se présentent et aux défis, avec de l’eau on peut répondre justement à ces enjeux. Je peux faire sur mon exploitation une dizaine de production quand les non irrigants ne peuvent en faire que 3 ou 4 ; on peut mieux sécuriser sa production et mieux gérer ce qu’on va apporter, les engrais… ce genre de chose… Moi cela me parait plutôt compatible justement ».

Que pensez-vous de la diversité de position des élus vis-à-vis de l’implantation des bassines ?

J.LG

« De base, le partage de l’eau est un débat où se heurte différentes visions du développement de la société. J’y vois un révélateur de la façon dont les acteurs, partis, élus hiérarchisent les problèmes entre eau potable, préservation de la nature et économie. Tout cela est très lisible, mais finalement il n’y a pas tant de diversité que ça. Il y a un camp qui pense que l’eau doit être partagée, la priorité étant la potabilité pour tous et la préservation des milieux naturels, et puis un autre, à l’image de ce qu’est le Varenne de l’eau, qui souhaite une exploitation économique débridée de l’eau, façon Uber ».

L.S

« Qu’il y ait une diversité, çà je le comprends tout a fait parce qu’il y a des élus qui se posent plus de questions sur certains territoires, ils n’ont peut-être pas toute l’approche ou tous les échanges que d’autres possèdent ; il y a effectivement des élus qui ont un historique et plus de connaissance, après c’est pour ça que l’on demande à ce que les élus s’impliquent. il faut donc qu'on les implique dans les projets, la question de l’eau ce n’est pas seulement dans le monde agricole aujourd’hui, c’est la question de l’eau potable, c’est la question des eaux usées, du développement de l’urbanisation, et ça, les élus doivent s’impliquer dedans, c’est pour ça que les projets de territoire comme on les porte de plus en plus dans les textes, c’est avec les élus, et je pense que lorsque le gouvernement annonce des mesures sur la gouvernance de l’eau, c’est aussi impliquer davantage les élus, après c’est à eux de s’intéresser à l’ensemble des usages de l’eau ».

Les élus locaux sont-ils suffisamment au fait des problèmes, ont-ils de vraies connaissances sur le sujet des bassines ?

J.LG

« Que dire… Est-ce que les élus locaux sont formés aux enjeux du réchauffement climatique, sont-ils formés d’une manière générale à la problématique de l’environnement…? Moi mon métier de base c’est batelier, mais par extension c’est éducateur à l’environnement. J’ai passé une partie de ma carrière à sensibiliser des enfants, des ados, des adultes, et je me demande si mon rôle ne serait pas d’emmener des élus sur le terrain pour leur faire découvrir la réalité du terrain. Je me suis encore aperçu tout récemment, suite à la venue dans le Marais d’un haut dirigeant politique, que la notion de bassins versants n’était pas tout à fait claire dans les esprits ».

L.S

« Non, je pense que là dessus il y a encore des choses à faire mais cela se comprend, chaque élu ne peut pas maitriser l’ensemble des dossiers, chacun a son histoire, son métier, ses connaissances. On le voit bien aujourd’hui, pourquoi la question de l’eau prend autant d’ampleur ? Parce que la question concerne de plus en plus de monde, et les élus, on le voit aussi, cherchent l’information. Certains viennent nous voir en disant -pourquoi finalement cela fait autant de discussion, pourquoi il y a autant de diversité d’approche sur la question de l’eau ?-. Parce qu’ils n’ont pas toute la connaissance, ils n’ont pas toute l’information aussi, ça c’est à nous de le faire, on crée des comités de pilotage pour mettre en place un projet de territoire, toute la phase locale c’est une montée en compétence. Cette montée en compétence de tout le monde, cela veut dire qu’il faut apporter l’information pour que tout le monde soit en capacité de prendre une décision ».

Les modifications intervenant sur des projets en cours, nombre de bassines, capacité de remplissage, cela vous étonne ?

J.LG

« Bah non… cela prouve surtout une absence de sérieux. Quand en cours de projet on fait des ajustements de cet ordre là, cela veut simplement dire que les bases n’étaient vraiment pas solides. Et pour cause, les études scientifiques HMUC (Hydrologie, milieux, usage, climat) qui sont censées encadrer ces réflexions arrivent tard, bien trop tard, et elles modifient en profondeur les projets puisqu’elles signalent que les volumes prélevables sur notre territoire sont limités. Quand je vois un préfet Girier qui, trois jours après les heurts à Sainte-Soline, fait signer un protocole pour 30 bassines dans la Vienne et qui, quelques semaines plus tard en recevant les études HMUC, déclare qu’on ne pourra pas en remplir que 5, et que les autres ne le seront peut-être pas tous les ans… Et la même sur la Sèvre-Niortaise avec le tribunal administratif de Bordeaux qui a reconnu qu’au moins 9 des 16 bassines sont surdimensionnées. Pas étonnant, ça pilote à vue ».

L.S

« Oui, ça peut peut-être étonner parce qu’il y a des projets qui ont un historique d’étude de recherche qui ont 15 ou 20 ans. Là on se dit, quand même, il y a eu un tel travail, ils sont arrivés à des conclusions, pourquoi tout ça est remis en cause ? Après on sait que le changement climatique inquiète beaucoup et depuis 2/3 ans on voit que les choses vont très vite. Ce que l’on voit aussi clairement c’est qu’un projet où il n’y a pas eu suffisamment de gens installés autour de la table, parce que ce sont des projets anciens, -et il y en a encore beaucoup chez nous c’étaient des projets plutôt agricoles dans un premier temps-, et bien justement aujourd’hui comme tout le monde veut être présent sur ces dossiers et s’approprier le sujet, alors ils arrivent dans un sujet qui est déjà ancien et ils disent -hop-hop-hop- on fait une pause pour l’instant et on se remet autour de la table. Cela se comprend, mais on a l’impression de prendre du retard, et que des projets qui étaient partis s’arrêtent, peut-être le regrettera-t-on dans quelques années, en tout cas le temps passe vite et on approche de certaines échéances ».

Lorsque l’on interdit de remplir une bassine parce que les niveaux de la nappe sont trop bas, cela vous fait dire quoi ?

J.LG

« Deux réactions. Déjà cela montre la fragilité du raisonnement. En fait le climat change et on commence à vire les premières sécheresses hivernales, comme en Espagne, comme en Californie. Et donc le principe de la substitution où l’on prend l’eau en hiver pour la consommer l’été se trouve sérieusement égratigné. Mais ce qui me choque encore plus ce sont ces interdictions de remplissage qui ne sont absolument pas en adéquation avec les réserves réelles de la nappe, et sans davantage tenir compte du bon état écologique des rivières qui se trouvent en contrebas. Un exemple : à partir du 15 janvier on pourrait encore remplir la bassine de Mauzé (79) alors que les seuils d’alerte minimums de la nappe sont fixés à des niveaux jamais atteints depuis 20 ans ! En fait les arrêtés préfectoraux, donc l’État, autorisent un véritable pillage de la nappe ».

L.S

« D’une part ce n’est pas parce que l’on ne remplira pas certains hivers… est-ce que pour autant il ne faut rien faire, c’est une question ! Nous ce que l’on dit, c’est que même si l’hiver ce n’est pas rempli, on sait le volume qu’on aura, la connaissance du volume est importante pour nous parce que derrière on peut mettre des choses en place ; même si le volume est réduit au moins on le sait dès le mois de mars et donc on va mettre nos cultures en place. Et après c’est une question de priorité dans les usages à donner. Aujourd’hui la priorité c’est le milieu ; il nous faut des volumes importants l’hiver parce qu’il faut des crues, la production agricole doit aussi être quand même une priorité et l’impact que cela peut avoir l’hiver faut le mesurer, il est quand même parfois très faible parce que le volume prélevé est quand même très faible. Est-ce que cet impact faible l’hiver est acceptable, ou pas, vis-à-vis d’enjeux de solution agricole, de sécurité ou de production locale ou de diversité ».

Julien Le Guet sous l'oeil direct de la gendarmerie… - Reflets
Julien Le Guet sous l'oeil direct de la gendarmerie… - Reflets

Selon le dernier protocole du Clain dans la Vienne, on parle de 9 millions de m3 d’eau à stocker, Est-ce un volume d'importance ?

J.LG

« _Comment se rendre compte des superficies ou des volumes…. Et bien c’est comme l’argent, passé un certain montant ça ne parle plus beaucoup au commun des mortels. Mais bien évidemment c’est beaucoup, à titre de comparaison vous pouvez considérer que la consommation humaine moyenne est estimée à 150 l d’eau par jour et par habitant. On pourrait faire la conversion… _ ». (NDLR : 9 millions de m3, soit la consommation annuelle en eau de 164.383 personnes)

L.S

« Oui, alors après il faut tout mettre sur la table, enfin, 9 millions de m3 c’est ce qui sortait la semaine dernière en une journée à l’embouchure de la Sèvres Niortaise en 24h. Quand on répartit un peu ça, quand on regarde ce qui peut passer l’hiver, la part de prélèvement que ça peut être… voilà c’est pour ça qu’il y a nécessité de partager, d’échanger je crois, de montrer ce que représentent les chiffres, cela parait beaucoup mais en même temps sur ce qui tombe, ce qui circule, est-ce que c’est beaucoup ? Et encore si c’est pour dire on sécurise, parce que là on a toujours un peu l’impression dans ces règlements que l’agriculture elle prendra à la fin, s’il en reste, et peut-être… Et de toute façon elle n’en prendra plus l’été, peut-être l’hiver…. Quelle place donne-t-on à l’agriculture et à la sécurité alimentaire ? C’est ce que l’on dit toujours mais on importe de plus en plus de pays qui ont moins d’eau que nous, donc... ».

Le plan sécheresse du gouvernement ?

J.LG

« On a bien vu la semaine dernière la difficulté du gouvernement à communiquer la dessus, ils avaient prévu une grande opération de communication au forum des métiers de l’eau à Rennes ; et puis finalement Béchu (Ndlr le ministre de la transition énergétique) n’est pas venu parce que l’annonce consiste à dire qu’il faut diminuer de 10% la consommation d’eau avant la fin du mandat, et de 25% à échéance de quinze ans. Donc échec et mat en ce qui concerne les objectifs futurs des bassines ! ».

L.S

« S’il est certain que cela aboutisse à quelque chose, il n’y pas de problèmes, nous sommes prêts à faire un plan, mais de toute façon, des sécheresses il y a en aura de plus en plus. On sait que l’on va sur des sécheresses de plus en plus marquées, ca va toucher de plus en plus l’agriculture, donc il faut bien que, nous, on trouve des solutions. Après les solutions… il y a une volonté de dire… on trouve localement quand c’est possible… alors la réutilisation des eaux usées ce serait quand même pas mal, le stockage, le stockage en nappe, enfin on voit aujourd’hui qu’il y a différentes solutions, il n’y a pas que le stockage des eaux d’hiver, mais l’agriculture a besoin de réponses rapidement parce que le changement climatique va très vite aussi ».

La réutilisation des eaux usées traitée (REUT), vous voyez cela pour quand ? Que sait-on de la qualité de l’eau rejetée aujourd’hui ?

J.LG

« Penser que l’on va régler les problèmes de gestion de l’eau avec ça, c’est une illusion totale. Les volumes correspondraient aux volumes d’eaux domestiques réaffectés à d’autres usages, du type usage agricole. Grosso-modo on se félicite déjà que l’eau des stations d’épuration puisse être redirigé vers un usage économique. Ça pose tout de suite plein de questions, ça veut dire que cette eau qui normalement passait en station d’épuration pour ensuite être restituée au milieu naturel, repasserait avant par une nouvelle étape. Sur la rivière du Mignon, en été, le seul débit est celui qui provient du flux des stations d’épuration qui se trouvent en amont. Mais il y a quelque chose qui m’effraie avec ce principe de réutilisation, on parle de réinjecter cette eau directement dans le sol pour réalimenter les nappes. Au secours ! Mais au secours… si on se dirige vers cela c’est une catastrophe, nous n’avons aucun recul sur le devenir des métaux lourds, sur les effets d’une irrigation en eaux usées »

L.S

« Cela peut aller assez vite. Aujourd’hui si on a un cadre réglementaire qui permet d’évoluer on sait qu’il y a une volonté d’avancer de la part des élus. On le voit bien sur la côte, parce qu’ils rejettent de l’eau en mer, et que finalement, est-ce que cette eau ne serait pas mieux utilisée ailleurs, alors qu’il y en a besoin pour l’agriculture ? Mais il faut qu’on retravaille le cadre réglementaire, parce qu’il y a des pays européens qui sont très largement en avance sur nous. Après ce sont des investissements derrière, pour l’instant les gros investissements n’ont pas été faits avec cet objectif, alors que si cela avait été fait dans l’objectif d’une réutilisation pour l’agriculture les choses auraient été faites différemment ».

La violence qui monte durant les manifestations qui se tiennent autour des bassines, cela vous inquiète, c’est l’affaire de la police ?

J.LG

« C’est toujours l’État qui définit le niveau de violence, c’est toujours l’état qui tire le premier, quitte a s’affranchir des protocoles d’interventions en autorisant des tirs tendus de LBD, en envoyant des bombes de désencerclement à des centaines de mètre sur une foule bigarrée et non menaçante. Il y a trois niveaux de violence autour de ces manifestations : celle qui est portée par les institutions et qui nient la démocratie en tronquant le débat autour de l’eau, celle des habitants qui vont opposer une résistance pour se faire entendre, et celle, physique, qui vient en réponse à cette résistance. A Sainte-Soline des ordres ont été donné qui auraient pu aboutir à la mort de l’un de nos camarades touché par un engin explosif, et qui se retrouve avec un hématome intracrânien suite à une fracture de la tempe. Nous avons un ministre de l’intérieur qui est prêt à assumer des événements comme ceux de Notre dame des Landes qui ont conduit au décès de Remi Fraisse, comment ne pas être inquiet ».

L.S

« Je pense qu’il faut quand même arriver à trouver… à un moment donné… je ne sais pas si c’est de rediscuter, mais que chacun présente ses éléments, ses arguments, si il y a des gens opposés qu’ils présentent leurs arguments, mais il faut aller jusqu’au bout parce que parfois on a l’impression, -nous on nous le dit : vous êtes pour mais c’est pour faire quoi ? –, alors peut-être qu’il y a des oppositions pour dire : vous êtes contre mais pourquoi ? A un moment donné il faut quand même… là je pense que c’est le rôle de l’État à un moment donné, de dire pourquoi il y a des pour et pourquoi il y a des contres, et est-ce que tous les arguments sont tous valables, se valent ou pas ».

Luc Servant lors d'une réunion sur l’utilisation des pesticides… - Reflets
Luc Servant lors d'une réunion sur l’utilisation des pesticides… - Reflets

Quelle issue voyez-vous dans cet affrontement d’idées entre opposants et agriculteurs irrigants ?

J.LG

« Attention, même chez les irrigants, les bassines ne font pas l’unanimité. Il y aujourd’hui des irrigants qui ne sont pas connectés aux bassines et qui sont en train de bien comprendre dans quelle mesure le remplissage des bassines jusqu’au printemps pourrait impacter leur propre irrigation au niveau des captages dans le milieu naturel. La sortie par le haut qui serait à espérer, et qui agite pas mal le président Burlot, (ndlr : Thierry Burlot président du comité de bassin Loire-Bretagne) ne peut évidemment passer que par le débat, la discussion, les négociations, et par une reprise démocratique, là où il s’était arrêté quand l’État crû bon de dire qu’il n’y aura pas de négociations possibles ».

L.S

« Sur ces projets plus anciens… effectivement il y a la question du cadre du projet de territoires qui aujourd’hui semble plutôt défini pour des projets qui arrivent, -de mettre tout le monde autour de la table-, là je pense qu’il faut peut-être plus expliquer les projets, montrer le contenu, les présenter aux élus aussi, car il y a des élus qui ont peut-être du mal à se prononcer parce qu’ils ne connaissent pas le projet, quand ils le connaitront ils rendront un avis en propre mais il n’y a pas toujours la connaissance complète des projets. En présentant le projet, -il est bien ou pas-, on donne les arguments pour expliquer le positionnement. Alors que parfois les gens se déclarent pour ou contre mais sans avoir l’info ».

La population est-elle suffisamment informée de l’intérêt des bassines ?

J.LG

« Ah… les gens... Sur notre territoire, le dossier des bassines est tellement chaud qu’il est très bien connu des habitants. C’est le résultat de nombreux articles de la presse locale qui ont fait écho des problèmes. Ce que l’on note, nous, c’est qu’à la moindre réunion publique qui parle d’eau, partout en France, on fait salle comble. On remplit des salles de 200/300 places. Il y a un véritable intérêt de la société, de la part des habitants et des citoyens qui ont compris, -depuis la sécheresse 2022- qu’il y a un enjeu sociétal majeur. Je ne tomberais pas dans le truc du genre -les gens ne savent pas, ils ne s’intéressent pas-, non quand on donne les informations aux gens il savent. Et très clairement c’est notre collectif qui a fait ce travail parce que les institutions et l’état sont largement défaillants ».

L.S

« Je pense que si on demande au quidam faut il prendre de l’eau quand il y en a pour l’utiliser l’été, tout le monde dit oui, c’est du bon sens, après le mode d’organisation, le fait que cela représente des gros volumes lorsqu’on l’affiche comme ça, alors que le même volume stocké en montagne dans des barrages ça ne représente pas grand-chose… Mais il faut expliquer que si on veut de l’eau ici, on a pas beaucoup de solutions parce que le terrain est plat et qu’on ne peut pas faire autrement, c’est plus facile quand on a des montagnes en amont et que l’eau descend. C’est aussi là des explications à apporter, nous on le sent bien et on nous le dit –exprimez-vous plus sur ce qu’est un stockage, pourquoi c’est comme ça, pourquoi vous le faites-, parce que celui qui connait pas il s’interroge ».

Certaines réserves collinaires serviraient à faire de la neige artificielle en montagne. C’est une solution envisageable ?

J.LG

« C’est tenir coûte que coûte des modèles qui pénalisent le milieu et qui auront des conséquences environnementales. Ce sont bien sûr des modèles qui ont été des ressources de richesses, mais qui aujourd’hui sont condamnés. Enfin, maintenir de la neige à basse altitude pour maintenir sous perfusion une économie qui à terme sera moribonde…? Je compare souvent le -Toutski- à la montagne avec la culture du maïs, monoculture de neige ou de maïs, c’est simplement de la mal adaptation, c’est ça vouloir chercher des solutions au travers de moyens technologiques qui n’en sont pas une ».

L.S

« Là, cela sort de mon domaine de compétence, comme je dis qu’il est difficile de porter un jugement quand on n’a pas tous les éléments… Sur ce point je ne sais pas les conséquences que cela peut avoir, les conséquences économiques, les conséquences sur l’environnement. Je ne prendrais pas une position comme ça, parce que cela irait à l’encontre de ce que je pense à propos de l’agriculture ».

Bassines, éoliennes, les hommes se cherchent des solutions... - Capture d'écran
Bassines, éoliennes, les hommes se cherchent des solutions... - Capture d'écran

Bonne nouvelle, les voici tous deux d'accord sur un point: il faut relancer les débats et réinstaurer le dialogue. Pas facile, car le camp des -Contre- semble de plus en plus opposé à la construction d'une seule bassine, quand celui des -Pour- s’y accroche comme à une planche de salut

Encore faut-il constater que parler ne veut pas forcément dire écouter. Les premiers ne l’ont pas été suffisamment alors qu’ils dénonçaient de criantes vérités sur le terrain. Faut-il s’étonner que la hache de guerre soit aujourd’hui déterrées de leur côté. Et les seconds se sont refusés à entendre certaines règles et précautions élémentaires après s‘être engagés sur la piste des réserves d’eau tête baissée. Il en est ainsi pour l’un des ouvrages sur lequel Luc Servant s’est raccordé pour irriguer ses terres, et qui, après des dizaines d’années de tergiversations juridico-théâtrales, reste encore à ce jour frappé d’une interdiction d’usage.

Selon Patrick PICAUD, Coordonnateur de Nature Environnement 17, on en arrive ici à « pomper l’eau dans la nappe en été afin de pouvoir arroser durant l’étiage, ce qui est tout à fait légal, mais en passant par le circuit d’une bassine qui devrait se remplir l’hiver… ». Un fonctionnement contraire au principe de substitution qui semble absolument fou quand on sait la connaissance du sujet et la haute représentativité de celui qui préside la chambre d’agriculture de Nouvelle-aquitaine.

Ne serait-ce donc pas aux « autorités suprêmes » d’écouter, enfin et vraiment, l’argumentaire des uns et des autres pour statuer, enfin et vraiment. Le caractère non-négociable de l’arrivée des bassines ne suffira pas à calmer la violence qui s’installe de part et d’autre. Ces précautions et ces règles dont nous parlons ne furent assurément pas rappelées à temps, de sorte que chacun a fait comme cela l’arrangeait bien. Est-ce le fait d’incompétence, de négligence, d’inconséquence, ou d’intérêt de la part des hauts décisionnaires? Toujours est-il qu’après des années et des années d’errances juridiques, le conseil d’État vient de rejeter un pourvoi porté par l’ASAI des Roches (l’Association syndicale autorisée d’irrigation), confirmant de la sorte un arrêt prononcé en mai 2022 par la cour administrative d’appel de Bordeaux. Ainsi le remplissage de 5 bassines gérées par l’ASAI se voit une nouvelle fois contrarié par une décision de justice. Comment s’étonner que la hache de guerre ne soit aussi déterrée de côté-ci…

N’oublions pas que si la nature s'installe autour de la table, le sort des bassines pourrait être scellé sans attendre que raison revienne à l'esprit des hommes: les sécheresses hivernales peuvent vite décider à leur place. Ils devront alors se trouver un beau-frère sympa dans le BTP pour s'orienter vers une solution raisonnablement économique qui consisterait à reboucher les gros troutrous d'ex-bassines. Ce monde est-il bien sérieux…

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