Plongée dans l’histoire de l’apnée
Mais depuis combien de temps les humains tentent-ils de repartir sous l’eau ?
Partir à l’attaque des 30 mètres en apnée ne peut se faire sans se retourner et regarder qui nous a précédé. L’humain ne vient-il pas de la mer ? Tentons-nous en fait des retours maladroits vers nos origines ? Qui sont les figures tutélaires de la discipline ?
La théorie selon laquelle la Terre a été « colonisée » par des animaux marins qui sont peu à peu sortis de l’eau tient la corde. Nous aurions donc un passé lointain d’habitants des mers. Et puis, ne passons-nous pas nos neuf premiers moins dans un élément liquide ? Cela ne peut que laisser quelques traces. Est-ce en souvenir de tout cela, comme une sorte de nostalgie prégnante, que certains d’entre nous tentent ce qui est physiquement impossible : descendre sous l’eau sans moyen de respirer ?
Respirer... Le souffle. On a tendance à l’oublier, surtout dans un monde stressé comme le nôtre. Pourtant, c’est le cœur de la vie. La respiration est un acte naturel, quasiment involontaire. Nous ne nous appliquons pas à respirer, cela se fait sans que nous ayons à y penser. Et pourtant, si l’on commence à y réfléchir, on s’enfonce dans un espace sans limites. Les grands pratiquants de yoga le savent. Mais pas seulement eux. Tous les grands sportifs travaillent leur souffle, c’est-à-dire la manière dont ils respirent. Les boxeurs, les pratiquants d’arts martiaux apprennent à maîtriser leur respiration. C’est absolument essentiel pour remporter un combat. De fait, lors d’un combat, le « réflexe » de l’apnée arrive tout de suite chez les débutants.
Je me souviens d’un exercice que nous avait fait pratiquer mon maître d’arts martiaux. Il nous avait mis par paires dans un coin d’une pièce, dos aux deux murs face à notre opposant. L’opposant devait nous frapper pendant deux minutes et nous ne pouvions que parer, pas riposter. Nombreux sont ceux qui ont fini en apnée, à genoux. L’un des élèves a même quitté le groupe à cette occasion, pensant sans doute que nous étions fous. Je pense que c’est l’exercice le plus enrichissant en enseignements auquel j’ai été confronté.
La respiration est contrôlée par plusieurs parties du corps et il est utile de savoir agir sur ces parties en fonction des besoins spécifiques que l’on rencontre. Il y a le diaphragme, les muscles de la cage thoracique, le cerveau qui contrôle tout cela. Il y a aussi la possibilité de respirer « par le ventre » ou « par les poumons »… Tout cela est bien plus complexe qu’il n’y paraît.
L'apnée des cavernes ?
La liste des animaux capables de « retenir leur respiration » pour aller faire des incursions sous l’eau est très longue. Les mammifères, les insectes, les oiseaux… Les serpents, les rats… Et les humains bien entendu. Nous ne sommes pas les plus efficaces, si l’on se compare aux baleines ou aux dauphins, mais nous nous améliorons avec le temps. Pour tous, un élément commun qui préserve la vie : l’oxygène. Sans oxygène (anaérobie), c’est la mort assurée. Nous pouvons survivre un temps en « hypoxie » (très – trop peu d’oxygène).
Il est probable que les premiers humains aient tenté de regarder ce qu’il y avait sous l’eau. Nous sommes des animaux curieux. Si l’on en croit le livre Homo Delphinus de Jacques Mayol, les premiers plongeurs dont on trouve une trace historique sont des habitants du Nord de l’Europe, il y a entre sept et dix-mille ans. Jacques Mayol souligne que l’on a découvert en Mésopotamie des objets décorés avec des perles provenant d’huitres perlières, datant de 4.500 ans. Il fallait bien plonger pour aller chercher ces perles.
Plus proche de nous, Jacques Mayol rapporte les propos d’« Hérodote, premier des historiens classiques, qui nous parle déjà des exploits d'un plongeur, Scyllias de Scione, et de sa fille qui s'illustrèrent en allant sous l'eau couper les amarres de la flotte de Xerxès », le conquérant Perse.
Et ce n’est pas tout : « Hérodote raconte aussi comment des plongeurs apnéistes détruisirent la flotte de Serse, voilà 3.500 ans. Tucidide décrit comment, durant le siège de Syracuse en l'an 415 avant Jésus-Christ, des combattants sous-marins athéniens réussirent à scier les pieux des barrages anti-débarquement des Siracusiens. Aristode raconte aussi comment les plongeurs grecs réussirent à en faire autant, durant le siège du port de Tyr. Héraclide donna à l'homme-grenouille de l'Antiquité le nom de "skaphe andros". C'est de ce mot que le terme scaphandre (voulant dire homme barque) tire son étymologie. Alexandre Le Grand avait, au IVe siècle avant l'ère chrétienne, des "corps expéditionnaires" qui disposaient de détachements "d'ultriculaires" ou nageurs-plongeurs. Ces véritables "nageurs de combat" ». Les Ama, au Japon, plongent depuis des millénaires également. Des lunettes fabriquées avec du bois et des écailles de tortues polies existent depuis des milliers d’années. Voilà pour le passé lointain.
La plongée en apnée comme « sport » est plus récente. Jusque-là il s’agissait plutôt de combat ou de subsistance, avec la pêche.
C’est au début du siècle dernier qu’arrivent sur le marché des lunettes et des palmes. Tout cela était déjà utilisé depuis des milliers d’années à différents endroits sur la planète mais il s’agit là de la première « vente » de produits permettant de pratiquer une forme rudimentaire de plongée en apnée avec des aides appropriées.
Yves Le Prieur, officier de marine et inventeur prolifique, met au point l'ancêtre de la bouteille de plongée en 1926. Un autre monde s’ouvre alors, les humains pouvant évoluer sous l’eau pendant un temps bien plus long que celui permis par l’apnée. Les informaticiens diraient que s’opère ici un « fork ».

Il y a dès lors ceux qui plongent en apnée pour la chasse sous-marine. Et ceux qui partent en exploration en bouteilles. Il y aura bien une période mixte (bouteilles et chasse) mais seulement dans certains pays et, pour les véritables chasseurs sous-marins, ce n’était pas une pratique honorable.
Dans son livre, Jacques Mayol date le début des plongées (sportives) profondes en apnée (à 30 mètres) en 1949 avec l'italien Raimondo Bucher, un pilote de l’aéro-navale. Il faut toutefois noter que depuis que la chasse sous-marine existe, dans toute la Méditerranée, des chasseurs de mérous sont descendus à ces profondeurs. Mais il n’y avait personne pour raconter leurs exploits ou mesurer les profondeurs atteintes.
Une compétition s’engage entre Raimondo Bucher, Ennio Falco et Alberto Novelli. On est en 1953 et les ces hommes dépassent tout juste les 40 mètres.
Enter Enzo and Jacques...!
Un fameux pêcheur sous-marin va entrer dans la danse. Il est italien. Son nom ? Enzo Maiorca. En 1969, celui-ci atteint les 49 mètres. En 1965, Jacques Mayol, un français, le rejoint à petits pas dans la course.
La barre des 50 mètres semble un objectif fou. De fait, les spécialistes, dont le docteur Cabarrou, ancien médecin-chef du Groupe d'études et de recherches sous-marines de la marine nationale (G.E.R.S.), annoncent une mort assurée à qui franchirait cette profondeur.
Le 15 août 1961, Enzo Maiorca atteint 50 mètre, réduisant à néant les prédictions des médecins. En 1966, il est à 54 mètres.
S’engage alors le duel mythique entre Enzo Maiorca et Jacques Mayol qui sera popularisé - mais si mal décrit- par le film de Luc Besson, Le grand bleu (nous y reviendrons). Alors que ce « duel » avance, la recherche du record pour le record s’amenuise. Les deux hommes ouvrent un champ de recherche, notamment médicale. On commence grâce à eux à comprendre les effets morphologiques liés à cette pratique. Plusieurs expériences médicales sont menées sur Jacques Mayol : on fait des radios de sa cage thoracique sous l'eau, on mesure son rythme cardiaque, on lui insère des sondes et autres cathéters jusqu'à la veine cave supérieure...
En janvier 1968, Mayol atteint les 70 mètres et 40 centimètres. Toutes ces plongées se font à l’aide d’une gueuse, un poids très lourd qui glisse le long d’un câble. Mayol dessine les premiers modèles.

Les deux hommes vont se ravir les records l'un à l'autre au fil des ans. Mayol cherchera de plus en plus à explorer scientifiquement l’apnée. Les différentes méthodes de plongée vont être définies. Poids variable, poids constant ou « no limit ».
En novembre 1976, Jacques Mayol atteint 100 mètres en poids variable et finira à 105 mètres en octobre 1983 et à 61 mètres en poids constant.
Le record est désormais détenu par Alexey Molchanov qui a plongé à une profondeur de 125 mètres en 4 minutes et 32 seconde avec des palmes (il existe désormais des sous-catégories avec des monopalmes par exemple).
En « no limit », la profondeur de 253,2 mètres a été atteinte par l’autrichien Herbert Nitsch en 2012 au prix d’un accident vasculaire cérébral qui empêche l’homologation de ce record.
On est loin des performances des pionniers du milieu du siècle dernier. Qui sait ce que nous réserve l’avenir de cette discipline ?
Mais bien au-delà de la quête sportive, il y a au cœur de cette pratique l’essence même de ce qui nous relie à la vie : le souffle. Sa maîtrise est un voyage initiatique difficile à décrire. Umberto Pelizzari qui a brisé la barre des 150 mètres en « no limit » en 1999, a pu dire lors d’une interview que décrire les plongées en apnée profondes, c’est comme essayer d’expliquer à quelqu’un qui n’en a jamais goûté ce qu’est le goût du chocolat.
Interview d'Umberto Pelizzari - Archives INA - Thierry Ardisson
Personnellement, c’est le gout du chocolat et non pas le chiffre ou le record qui m’attire dans cette discipline. L’expérience de la descente. L’instant du demi-tour, la vision du panorama au début de la remontée… Les quelques mètres qui séparent de la surface, les traits de lumière formés par le soleil dans l’eau ou les bulles d’air. Ces bulles qui remontent à nos côtés. Et le silence qui n’en est pas vraiment un.