Journal d'investigation en ligne
Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Apnée : « Il y a sûrement une limite, mais laquelle ? »

Entretien avec Umberto Pelizzari, champion du monde d’apnée

En douze ans de compétition, Umberto Pelizzari a marqué l’histoire de la plongée en apnée. Il a atteint 80 mètres à la palme, 130 mètres en poids variable et 150 mètres en catégorie « no limit ».

Umberto Pelizzari en juillet 2025, en train de d'aider un apnéiste à corriger ses erreurs. - © Reflets
Vous lisez un article réservé aux abonnés.

Reflets : Tu avais une phobie de l'eau au départ. Cela montre que rien n'est perdu pour ceux qui veulent essayer l'apnée...

Umberto Pelizzari : C’est sûr. Au début, j’ai pensé à tout sauf à devenir un apnéiste. J’avais une vraie peur de l’eau. Ma mère en a eu assez de me courir derrière quand je fuyais la douche… Elle m’a inscrit à la piscine et m’y a envoyé quel que soit l’époque de l’année, quel que soit mon état de santé. Elle me disait que le chlore était un bon médicament contre le rhume. Rapidement j’ai fait des compétitions.

Comment passe-t-on du gamin qui fait des compétitions de natation à apnéiste ?

Au début, je me cachais sous l’échelle de la piscine pour sauter des tours d’entrainement. J’attendais que les copains aient fait des longueurs. Après c’est vite devenu des challenges avec les amis.

Bon, sérieusement... Il y a la technique, l'entraînement massif typique des grands champions. Il y a les rencontres que tu as faites. Jacques Mayol, Enzo Maiorca, Andrea Zuccari pour des points techniques précis comme la « charge » et la « compensation » (des oreilles)... Mais il y a autre chose. Ces profondeurs, elles ne sont atteintes que par des humains à part. Vous n'êtes pas des dauphins, mais il y a un truc en plus non ? Pour toi, qu'est-ce que c'est ?

Dans tous les sports, pour être un athlète de très haut niveau, il y a un don de la nature qui vient s’ajouter à un entrainement, un sacrifice personnel, des personnes qui comprennent comment « travailler » avec toi, comment te préparer. Mais, bien sûr, il doit y avoir certaines personnes pour qui l’eau est un élément « amical », qui ont une musculature qui consomme moins d’oxygène dans cette pratique où c’est essentiel.

Le bond en avant entre la barrière des 50 m passée par Maiorca et ce que l'on on voit aujourd'hui est énorme. Tu penses que l'on va arriver à combien ?

J’ai arrêté de faire ce genre de prédiction parce que à chaque fois, quelqu’un la faisait tomber deux semaines plus tard. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’à l’époque de Jacques Mayol, d’Enzo Maiorca, ou même quand j’ai fait mes records, on ne savait pas ce qu’était la compensation. Comme eux, je suis descendu en faisant des choses de manière intuitive, automatique. Aujourd’hui, on sait ce qu’est la « charge » : faire monter de l’air, depuis les poumons jusqu'a la zone de la bouche, pour « compenser » la pression sur les tympans. Parce que les tympans sont « écrasés » par la pression et il faut les remettre en permanence dans leur position naturelle*. Aujourd’hui, la médecine est bien plus précise dans le domaine de l'apnée. Elle ne pose plus les limites arbitraires de l’époque (Enzo Maiorca a passé les 50 mètre alors que les médecins annonçaient une mort certaine à cette profondeur – NDLR). Il y a encore plein de choses à améliorer. Il y a surement une limite. Nous ne sommes pas faits pour survivre sous l’eau. Mais avec de l’entraînement, l’homme s’adapte à ces conditions. Avec le mental, la médecine et l’entraiment, on a repoussé les limites et cela va encore probablement continuer.

One breath : descendre sur une respiration. OK. Mais comment on explique aux autres, ceux qui ne font pas d'apnée, que des gens prennent plaisir à descendre dans les profondeurs sur une seule respiration ? Au lieu par exemple de prendre des bouteilles ?

C’est en effet contre-intuitif. On peut survivre des jours sans boire ou manger. Pas sans respirer. Là on parle de minutes. Alors prendre du plaisir avec quelque chose qui n’est pas naturel… Mais c’est peut-être justement là qu’est la beauté de la chose.Tu sais que tu dois respirer mais tu es conscient de ce que tu es en train de faire et tu es relaxé, tu es « bien », tu prends plaisir à faire ce que tu fais. Vingt ans après avoir arrêté la compétition, je prends encore du plaisir quand je me mets à l’eau.

Quelques informations techniques

Il y a différentes méthodes pour pratiquer dont les plus connues sont :

Les compétitions d'apnée se pratiquent de différentes manières :

  • Il est possible de descendre en poids constant, c'est à dire à l'aide des palmes et de remonter de la même manière.

  • Il est possible de descendre en poids variable. Cette fois, on s'aide d'un poids, une gueuse et l'on remonte à la force des palmes.

  • On peut aussi choisir le « no limit » en utilisant une gueuse pour la descente et s'aider d'un parachute gonflé d'air pour la remontée. Le record dans cette discipline est de 253 mètres mais Herbert Nitsch a eu un accident après la remontée.


  • Lorsque l'on descend, la pression de l'eau appuie sur les tympans. Cela provoque une douleur. Si rien n'est fait, les tympans se brisent. Pour éviter cela, on compense. Comme en avion... Pour cela, on envoie de l'air pris dans la bouche vers les typans qui se remenntent dans une bonne position. Mais avec la pression de l'eau, l'air que l'on a dans la bouche devient si petit qu'il ne permet plus de compenser la pression sur les tympans. Il faut alors (re) « charger ». On prend un peu d'air des poumons et on le fait remonter vers la zone de la bouche pour compenser la pression sur les tympans. Cela marche jusqu'à une certaine profondeur. Soudain, il n'est plus possible de renvoyer de l'air vers la bouche car celui qui se trouve dans les poumons est lui aussi trop compressé. Il ne reste dans les poumons que ce que l'on appelle le « volume résiduel ». Vous pouvez vous faire unee idée en expirant (vraiment) tout l'air que vous avez dans les poumons. Il vous reste de l'air : le volume résiduel.

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée