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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Plongée dans l’apnée : mais pourquoi diable faire cela ?

C’est quoi ce « death wish » ?

Drôle d’idée que de descendre toujours plus profond, de retenir sa respiration de plus en plus longtemps avec deux issues : parvenir à remonter ou se noyer. Qu’est-ce qui peut bien pousser autant de monde à plonger le plus loin possible sur une seule respiration ?

Personne en combinaison noire sous l'eau - Emma Li - pexels.com - CC
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Bien sûr, la pratique de l’apnée profonde peut sembler curieuse. Mais les apnéistes ne sont pas seuls dans leur pratique dangereuse. Que dire de ceux qui gravissent des falaises à mains nues, sans s’assurer, de ceux qui conduisent des bolides de Formule 1, des parapentistes, de ceux qui font du base-jump, du Parkour ? Bref… La prise de risque semble une activité humaine courante, pratiquée par des hommes comme par des femmes (on dit que les hommes sont plus inconscients) et elle est récompensée par de la dopamine. Dans le cas des apnéistes il y a sans doute autant de motivations que de pratiquants.

Comme je l’expliquais dans un précédent article, je plonge pour la sensation, pour la beauté des paysages, pour celle des jeux de lumière, pour les rencontres incongrues avec les habitants de ces lieux.

OK.

Mais pourquoi vouloir aller titiller les 30 mètres plutôt que d’évoluer – un peu plus longtemps peut-être – dans 2 ou 3 mètres ? Les deux me procurent autant de plaisir. Mais les sensations sont différentes. Avant 10 mètres, je ne ressent aucune gène, aucune sensation me disant « tu n’as rien à faire ici, remonte ! ». Au delà de 15 mètres, je dois commencer à travailler sur moi-même.

Il s’agit plus ici d’un travail d’introspection, de contrôle repris sur son corps. En règle générale, on ne s’interroge pas sur notre corps. Il fait ce que nous voulons. On marche, on saute, on s’assoie, on courre, on respire... Tout cela est réalisé plus ou moins inconsciemment.

Lorsque l’on soumet son corps à des actions très inhabituelles qui lui rendent difficile l’exécution des mouvements demandés, notre esprit à tendance à nous dire « on s’arrête maintenant ». C’est vrai si vous courrez un marathon. C’est encore plus vrai quand vous plongez vers le fond et qu’une trop grande concentration de CO2 dans votre sang vous crie « respire ! Remonte ! ». Il faut alors rationaliser, reprendre le contrôle avec le cerveau.

Au delà de cela, l’exercice du jour est insupportable pour un journaliste. Notre métier est de vulgariser, de faire vivre un événement au lecteur par procuration. Or ici, on en revient à la phrase d’Umberto Pelizzari, « c’est comme essayer d’expliquer à quelqu’un qui n’en a jamais goûté ce qu’est le goût du chocolat ». A l’impossible nul n’est tenu mais tout de même… Essayons.

Chaud devant

Vous êtes sur mon île, en Méditerranée. Le soleil est de plomb. On frise les 40 degrés. Ici l’air sent un mélange de tin, de romarin, de pins et de poussière. Vous crapahutez une grosse demi-heure pour parvenir dans un crique isolée. Une fois en bas, après avoir bu largement, vous cherchez un accès à l’eau qui soit facilement praticable. Pour descendre et pour remonter.

Le soleil est toujours de plomb. La mer est un lac. Le silence n’est brisé que par le bruit des cigales. Soudain, vous découvrez un trou dans le sol à l’une des extrémités de la crique. C’est un puits d’eau. Sombre, profond, mais il y a de la lumière au fond. Faible, mais elle est là. C’est le moment de s’équiper.

Il faut toujours prendre le temps. Bien sûr pour être certain que tout est en bon état. Mais surtout car il n’est désormais plus question de perdre la moindre bribe d’énergie pour un mouvement superflu. On enfile la combinaison doucement. Tous nos mouvement se ralentissent. C’est le début d’une parenthèse de vie en slow motion. L’apnée, c’est du « slomo ». Le fait d'être « en apesanteur » dans l'eau participe beaucoup à cette impression de mouvements au ralenti.

On se glisse lentement dans ce trou de 2 mètres de diamètre. Il faut quelques secondes pour acclimater sa vue . On vient de passer d’une lumière aveuglante de l’été méditerranéen à un puits sombre d’une quinzaine de mètres de profondeur.

En plaçant sa tête dans l’eau on passe soudain dans le monde du silence. Les cigales ont disparu. J’ai tenté une fois une plongée avec bouteilles. Je plaçais de grands espoirs dans l’idée de pouvoir « respirer » sous l’eau et de pouvoir y rester plus longtemps. Mais à ma grande surprise, j’ai été dérangé par le bruit de l’air que je respirais. Cela m’a paru assourdissant et incongru. Je n’ai plus jamais retenté l’expérience.

C’est le moment du canard. On se penche pour commencer la descente. À 7 ou 8 mètres, la lumière se révèle. Sur un côté du puits, s’ouvre une cathédrale immense d’une trentaine de mètres de long sur une dizaine de mètres de large. C’est une faille sous-marine dans la côte. Si l’on pouvait la traverser, on rejoindrait la mer à l’extérieur de la crique. Mais c’est trop long.

Où du moins, je n’ai voulu prendre ce risque. Impossible de savoir à quelle profondeur on ressort de cette cathédrale. Disons 7 mètres pour descendre, plus 30 mètres pour traverser la cathédrale, plus au moins 7 mètres pour remonter. Trop risqué. Trop d’incertitudes.

Mais le spectacle est à couper le souffle car le fond est de sable, l’eau est translucide. Vous êtes frappé par la masse d’eau qui vous entoure. C’est comme une piscine infinie.

Il faut remonter.

En chemin, on croise une murène qui s’entortille sur elle-même devant son trou. Pas très rassurant.

Revoici la surface. C’est le moment de débrieffer sur cette découverte avec Alex, mon compagnon de plongée ce jour-là, comme souvent. Il n’aime pas trop les murènes et n’a pas beaucoup apprécié la rencontre. Moi non plus. La morsure de ces bestioles est douloureuse. Les risques d’infection sont nombreux. Mais la beauté de cette cathédrale sous la mer est un souvenir incroyable qui persiste, vivide, quarante ans plus tard.

Vous ne savez peut-être toujours pas quel est le goût du chocolat parfumé à l’apnée, mais c’est sans doute pour ce genre de moments que l’on se lance dans ces descentes sous l’eau sur une seule respiration. Entre autres. N’hésitez pas à indiquer dans les commentaires si le goût du chocolat commence à devenir plus précis.

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