Plongée dans l’apnée : alors, ces 30 mètres ?
Le pari était, pour un amateur, de « passer ce mur »
Quand un champion du monde d’apnée sort : je suis sûr que tu peux atteindre les 30 mètres, on se dit… pourquoi pas. En plus, en tant que journaliste, cela donne des idées d’articles. Et voilà, après un stage d’une semaine c’est le moment du bilan. Ai-je fait mentir Umberto Pelizzari, ou pas ?
Sur le papier, je peux aller à 30 mètres. C’est un ratio que l’on peut calculer en fonction de mon apnée statique. Mais la plongée n’est pas une chose totalement mathématique pour laquelle un seul paramètre serait déterminant. Il faut prendre en compte une palanquée de trucs. Est-ce que l’on est capable de compenser au fur et à mesure que l’on descend ? Est-ce que l’on est suffisamment relaxé ? La peur est-elle en train de monter au fur et à mesure que l’on descend ? Quelles sont les conditions de la mer ? A-t-on bien préparé la descente en surface avant le plongeon ?
Je me suis présenté au stage avec beaucoup de certitudes et une série de questionnements.
Mes certitudes, je les tiens d’une pratique de l’apnée qui remonte à l'enfance. D’abord avec la chasse sous-marine. Ensuite simplement avec des descentes pour le plaisir. Le plaisir de pratiquer, le plaisir des paysages. Dans mon île, je plonge souvent seul, depuis de nombreuses années, dans des profondeurs allant de 7 à 12 mètres. Tout ce que je sais de l’apnée, je l’ai appris seul et empiriquement. Je sais éviter d’avoir mal aux oreilles en descendant (compenser). Point. Je sais à peu près quelles sont mes limites en profondeur et en temps.
Mais vaguement. Je n’ai jamais pratiqué l’apnée statique. C’est-à-dire en piscine, la tête dans l’eau, sans bouger, pour voir combien de temps on peut tenir. Umberto Pelizzari tient plus de 7 minutes. Moi, un peu moins de 4 minutes (à peu près rien donc). Et encore, après plusieurs jours d’entraînement.
Pour la profondeur, je savais qu’à vingt ans, j’étais descendu à 21 mètres et demi en me lestant d’un poids lâché au fond. En décembre dernier, j’avais atteint le fond de la fosse à 20 mètres en piscine, à la force de la palme. Mais c’est bien plus facile qu’en mer.
En décembre, lors du stage en piscine avec Umberto Pelizzari, j’ai découvert ce qu’était la « charge ». Enfin… je croyais l’avoir découvert… Explications.
Au fur et à mesure que l’on descend, dès les premiers centimètres, la pression augmente. Cela a un effet sur nos tympans. Comme lorsque l’on prend l’avion ou que l’on va en montagne. Pour éviter cette douleur qui s’installe, il faut « compenser ». On utilise alors l’air que l’on a gardé dans la zone buccale. Par exemple en bouchant son nez et en soufflant (avec la glotte fermée). Cela marche très bien mais en même temps que l’on descend, l’air emprisonné dans la zone de la bouche est comprimé. Advient le moment où il n’y a plus assez de volume d’air pour l’envoyer vers les tympans et compenser. C’est là qu’intervient la « charge ». Il faut aller chercher de l’air dans les poumons et le renvoyer vers la zone buccale. Plus on descend, plus on est obligé de répéter cette opération.
Mais, surprise… vient un moment où l’air contenu dans les poumons est tellement compressé, qu’il devient impossible d’en faire remonter une petite partie vers la zone buccale.
C’est là que l’on atteint le volume résiduel. Sur terre, vous pouvez reproduire cet instant : expirez ce que vous pensez être la totalité de l’air que vous avez dans vos poumons. Vous avez atteint le volume résiduel. Il vous reste un litre, un litre et demi d’air dans les poumons.
Il vous faut aussi compenser le masque. Au fur et à mesure que vous descendez, le masque se plaque sur votre visage. Pour éviter que les yeux soient aspirés vers l’extérieur des orbites, il est préférable de souffler délicatement dans le masque pour rétablir la pression.
Résumons… Il faut « charger », « compenser », « compenser » le masque, re-« charger », re-« compenser », et ainsi de suite. Tout en étant totalement relaxé. Et tout en gardant à l’esprit qu’il faudra bien s’arrêter de descendre parce qu’il y a une remontée après et que le décollage du fond va demander un gros effort. Plus important que celui dépensé pour descendre. Simple, hein ?
Le touriste de l'apnée
Les certitudes, j’en avais pas mal. Je suis un touriste de l’apnée. J’en fais au mieux une fois par an et pas pour établir des records. Pour le plaisir de chaque sortie en mer uniquement. Je ne m’impose rien. Ni entraînement (à Paris c’est compliqué), ni profondeurs à atteindre, ni durée statique à atteindre.
Lors du stage de décembre, j’avais expliqué à Umberto Pelizzari que même en essayant de reproduire la « charge » en la conscientisant, je n’y parvenais pas. Il m’avait répondu de ne pas trop m’inquiéter puisque lorsqu’il était descendu à 150 mètres, personne ne savait ce qu’était la « charge », même pas lui. Je savais que je chargeais instinctivement (sans quoi je ne serais jamais arrivé à 20 mètres). Mais je ne savais pas ce que je faisais. Et charger pour aller à 15 ou 20 mètres, ce n’est pas charger pour aller à 30. Cela ne suffira pas.
Cette fois, dès les premières plongées j’ai pu prendre conscience de cette fameuse charge. Mais je restais coincé vers les 21 mètres en atteignant le fameux volume résiduel. Impossible de refaire une « charge ». Impossible de « compenser » à nouveau. Fin du voyage. Adieu certitudes... Ce n'est pas parce que l'on sait faire ce qu'il faut pour descendre à 20 mètres, que l'on sait faire pour aller plus loin.
Grâce aux bons conseils d’Umberto Pelizzari, sur terre et sous l’eau, à ceux des autres instructeurs, j’ai amélioré l’espacement de mes charges. Les exercices spécifiques en piscine (la « chauve-souris » - je vous épargne la description de cette torture) m’ont permis ce bond technique. Il faut trois composantes essentielles pour descendre correctement : « charger », détendre les abdos, « compenser ». Il faut aussi espacer correctement ses charges. Il me manquait principalement la détende des abdos, qui permet de multiplier les charges. Et un espacement correct.
Bon alors, ces 30 mètres ?
OK, le stage est fini, j’ai appris des trucs, mais est-ce que cela m’a permis d’atteindre les 30 mètres ? Oui. Et non.
C’est pas un peu fini ce suspens à deux centimes ?
Premier point, je me répète, je suis un touriste de l’apnée. Je ne me pose pas de défis dans cette pratique que je sais être à haut risque. Surtout à mon âge et dans mon état de santé qui n’est plus aussi parfait qu’à vingt ans.
J’avais pris au mot Umberto Pelizzari parce que cela m’imposait d’aller plus loin dans ma pratique, d’apprendre de nouvelles choses et que cela me donnait une occasion de parler de ce sport. Ou tout au moins de ma pratique de ce sport. Les 30 mètres étaient pour moi une cerise sur le gâteau : découvrir les effets à cette profondeur.
Évidemment, rien ne s’est passé comme je l’avais prévu.
L’environnement d’abord. L’endroit était merveilleux mais les fonds très différents de ceux auxquels je suis habitué. Sur mon île, il est très fréquent que je plonge dans une piscine sans fin. Un peu comme dans un lagon. Il existe d’énormes fonds de sable blanc. On a une visibilité qui atteint à peu près 20 mètres. L’eau y est à peu près cristalline. À Cala Montjoi où se déroulait le stage, la visibilité ne dépasse pas 10 mètres. Après, c’est le noir. Nous plongions avec un peu plus de 40 mètres sous les pieds. Cela veut dire que même en arrivant à 20 mètres, on ne voit toujours pas le fond. Il y a aussi des courants. Quelque chose auquel je ne suis pas très habitué.
Le manque de visibilité du fonds trouble mes perceptions sensorielles. Cela me désoriente. Il reste que le câble, ce repère essentiel. Descendre le long du câble, remonter le long du câble…
Passée l’appréhension du grand bleu très foncé, passé les premières plongées d’adaptation à ces conditions, j’ai pu dépasser un peu les 20 mètres. Restait à faire le bond qui me ferait passer d’un immeuble d’à peu près 6 étages à un immeuble de 10 étages.
Nous avons pratiqué de trois manières différentes.
Tout d’abord des plongées en « free immersion ». On tire sur câble avec les bras et on remonte avec les bras également. C’est moins fatiguant qu’à la palme. On consomme donc moins d’oxygène. Les problèmes de « charge » et de « compensation » restent les mêmes.
Nous avons également plongé en poids constant, c’est-à-dire à la palme.
Enfin, nous avons utilisé une gueuse (comme ce que l’on voit dans Le Grand Bleu). En clair, un gros poids nous tire vers le bas et nous remontons avec un ballon gonflé d’air.
Je m’étais fixé 30 mètres en poids constant comme objectif. Descendre et remonter avec la force des palmes. Il n’est pas atteint. Je suis descendu à 25,5 mètres.
Avec la gueuse, ce qui est plus facile (il reste tout de même les problèmes de « charge » et de « compensation » qui ne sont pas simples à gérer), je suis descendu à 35,8 mètres.
Bilan ? Je pense que les 30 mètres en poids constant sont un objectif atteignable avec de l’entraînement. Mais j’ai surtout découvert que dans ces profondeurs, il y a plongée et plongée. Passé les 20 mètres, certaines sont très « agréables ». Sans stress. On fait corps avec l’élément. Le besoin de respirer, les sensations d’écrasement des poumons avec la pression sont moins palpables. D’autres sont plus « dures ». Cela démontre pour moi (ressenti personnel) qu’il y a des descentes réalisées avec plus ou moins de maîtrise technique et mentale. Et qu'il est difficile d'être constant.
Ce stage a été un voyage mental passionnant et un accélérateur fabuleux en matière de technique. Il faudra sans doute le renouveler pour atteindre ces 30 mètres en poids constant… ou pas.