Plongée dans l’apnée : un long processus qui démarre en Méditerranée
Les pieds dans l’eau avec les hippies au mitan des années 70
Mais comment attrape-t-on le virus de la plongée en apnée, au point d’avoir comme projet d’aller titiller les 30 mètres de profondeur, c’est à dire la hauteur d’un immeuble de dix étages ? Chacun son histoire. La mienne commence au milieu des années 70 sur une petite île de Méditerranée.
Flash-back. Au début des années 70 je déménage.
Un peu loin.
Je viens de finir mon année de CP sous la grisaille parisienne. Me voilà téléporté sur une petite île de Méditerranée. C’est la grande époque de hippies. Mais pas seulement. L’île est encore complètement sauvage. Il y a quelques routes goudronnées mais le pays est encore sous la coupe de Franco et très peu développé. Les plages sont désertes, à perte de vue. Les criques se comptent par milliers. On part facilement à l’aventure toute la journée sur des petits rafiots pour atteindre des eaux cristallines qui ne dépareraient pas à Bora-Bora. Très vite on met un masque et l’on barbote.

Puis vient le temps de l’exploration. C’est bien beau de regarder les poissons d’en haut, de les voir entrer dans des trous, mais ça donne envie de les suivre et d’aller voir ce qu’ils font au fond. Les choses s’enchaînent et voilà que l’on dépasse les 2 mètres, puis les 3, puis…
Avec l’âge, vient l’envie de chasser. Il est assez courant que les apnéistes soient passés par une étape de chasse, ou même qu’ils continuent, en parallèle à leur activité de pure descente. Je ne suis qu’un touriste de ces activités, mais il me semble que la chasse est un très bon entraînement.
C’est un peu comme M. Jourdain qui fait de la prose sans le savoir, pratiquer la chasse sous-marine oblige à réaliser de nombreuses plongées - entrecoupées de repos - à des profondeurs différentes, mais avec des durées souvent longues. Bref, on fait un programme d’entraînement sans même le savoir.
Mais revenons à mon île. J’ai toujours mangé ce que je pêchais, ce qui impliquait de pratiquer une pêche raisonnable. Avec le temps, j’ai acquis des fusils plus performants, plus longs, du matériel plus sérieux. La combinaison permet par exemple de rester bien plus longtemps à l’eau sans s’épuiser. Les palmes longues favorisent une descente en douceur.
Pour descendre, ce sont les 7 ou 8 premiers mètres qui demandent un effort. On « pédale » pour atteindre cette profondeur. Ensuite, entre 10 et 15 mètres, le point de flottabilité neutre est atteint et la chute devient naturelle. C’est ce que l’on appelle le « free fall ». Le poids du corps nous entraîne vers le fond. Pour la remontée, l’effet inverse se produit. Il faut un effort pour remonter, qui s’atténue à mesure que l’on se rapproche de la surface. Les 10 derniers mètres, il semble que l’on vole, que l’on est propulsé vers la surface par une force invisible.
De la chasse au freediving
Certaines eaux cristallines de mon île offrent des paysages sous-marins incroyables. Sur le sable, il n’y a rien à chasser à part quelques poissons plats, comme des soles ou des raies. Quelques rougets aussi. Mais la beauté de l’environnement et la lumière font vite oublier la chasse. Est-ce cela qui m’a éloigné de cette pratique ? L’impression d’être dans une piscine sans fin, suivre les bulles lors de la remontée, s’arrêter pour jouer avec un petit poisson attiré par ces bulles ?
La descente est une expérience complexe. Il y a comme un appel du fond. L’envie de descendre et le passage du point de flottabilité neutre sont générateurs de sensations positives. Mais la pression sur le corps, qui augmente, a des effets compliqués et pas très agréables qu’il faut gérer avec l’esprit. En surface, la pression est de 1 bar. Nos poumons contiennent à peu près 6 litres d’air. À 10 mètres, la pression est de deux bars et le volume de nos poumons est réduit à 3 litres. À 20 mètres, la pression est de 3 bars et nos poumons sont réduits à 2 litres. À 30 mètres, on atteint 4 bars et 1,5 litres. Les poumons sont alors 4 fois plus petits qu’à la surface.
Lutter contre soi-même avec son esprit
Dans mon cas, des contractions diaphragmatiques commencent à devenir importantes autour des 20 mètres. Ce « besoin » de respirer est généré par la concentration de CO2 dans le sang. C’est pour moi le moment compliqué. Le corps m’envoie des milliards d’informations pour me dire : « tu DOIS respirer ». Or c’est évidemment impossible et il me reste 20 mètres à remonter pour pouvoir respirer. C’est ici que l’esprit doit entrer en ligne. Et prendre le dessus pour dire au corps : « ne t’inquiète pas, il y a encore des réserves, même si tu penses que tout a été épuisé. Détends-toi et sois patient. » La méditation ou la capacité à contrôler chaque muscle de son corps mentalement pour leur intimer de se détendre peuvent aider. Ce n’est pas pour rien que les grands apnéistes pratiquent aussi le yoga.

Je devais avoir à peu près 18 ans, toujours sur mon île, quand Any, la mère de l’un de mes meilleurs amis d’enfance, m’a donné une séance d’initiation au yoga. Il s’agissait d’apprendre (réapprendre) à respirer par le ventre, à ralentir son rythme cardiaque par la respiration, à visualiser mentalement les muscles du corps et leur intimer de se mettre au repos. Ce fut une révélation. Par la suite je me suis beaucoup servi de ses conseils pour m’aider à plonger ou... pour trouver le sommeil.
Les bébés respirent par le ventre. Ils sont la plupart du temps très détendus. Les adultes respirent par la cage thoracique et sont souvent tendus, stressés. La respiration par le ventre apaise, ralentit le rythme de la respiration et peut aussi jouer sur celui du coeur. L’utilisation des deux techniques est un atout pour le plongeur en apnée.
Il faut bien remonter...
Après la descente vient la remontée. Il se passe ici des choses intrigantes qui restent mystérieuses pour moi, même après toutes ces années de pratique. Par exemple, avant chaque plongée, je me mentalise pour « profiter » visuellement de ce que je vais voir en descendant, mais surtout en remontant. Or à chaque fois, une fois en haut, je me rends compte que j’ai comme des absences mémorielles. Je n’ai pas souvenir de l’ensemble de ma plongée. Juste des moments. Ces jeux avec les bulles, le moment où je ralentis ma remontée autour des 7 mètres, des rais de lumière… Ce sont des instants de grand bonheur. De plénitude. En tout cas pour moi.
J’ai bien entendu plongé ailleurs que dans les eaux de mon île méditerranéenne, en Corse, en Nouvelle-Calédonie, en Indonésie, mais cette pratique est pour moi profondément, intrinsèquement, liée à cette île. Je l’ai pratiquée avec de nombreux amis et principalement Alex et Igor, deux personnes avec lesquelles j’ai grandi. Quand je pense à la plongée en apnée, je vois leurs sourires. Ils sont là, en face de moi, debout, dans l’eau cristalline jusqu'à la taille, sur l’île d’en face, où nous allions camper.