JO : tapis rouge pour les industriels de la sécurité et terrain d’expérimentations #3
Quelque 21,5 millions ont été débloqués via France Relance
Emmanuel Macron célèbre dès qu’il le peut les valeurs sportives et la beauté des JO. Mais derrière la com’ et le décorum, c’est l’industrie française de la sécurité qui est boostée avec pour objectif, une amélioration de la balance commerciale…
Si L’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques vous semble acrobatique, celle mise en place pour déployer des « innovations » techno-sécuritaires s’est quant à elle déroulée avec maîtrise et discrétion. Il faut dire que la vitrine offerte aux industriels de la sécurité urbaine par l’un des plus grands évènements planétaire représente avant tout une fantastique opportunité commerciale pour exporter leur savoir-faire.
Créés en 2010 à l’initiative du Premier ministre François Fillon, les Comités stratégiques de filières (CSF) se divisent en 19 catégories, chacune étant composée d’un groupement d’entreprises privées et spécialisées dans un domaine d’activité industrielle ou numérique. Les CSF dépendent directement du Conseil national de l’industrie (CNI), avec à sa tête un comité exécutif composé de 17 personnes, dont Gabriel Attal en tant que Premier ministre, Bruno Lemaire ministre de l’Économie, Patrice Caine (P.-D.G. de Thales) et Éric Trappier (P.-D.G. de Dassault Aviation). En se réunissant tous les trimestres, les industriels ont l’opportunité de « conseiller et éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux de l’industrie française » au plus haut niveau. C’est également l’occasion d’assurer le suivi et la bonne application de contrats de filières signés entre les groupements d’entreprises (CSF) et l’État.

C’est dans le contrat de filière des industries de sécurité que le programme d’expérimentation des technologies de contrôle et de surveillance en vue des JO 2024 a vu le jour. Dans ce document signé le 29 janvier 2020 par le ministre de l’Intérieur de l’époque Christophe Castaner et Marc Darmon, président de la filière, mais surtout directeur général adjoint de Thales que l’on découvre les cinq grands projets structurants menés pour développer l’industrie de sécurité et ses 130.000 emplois. L’un de ces projets se nomme « Grands événements et Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024 ». Son objectif est de positionner « une offre française sur le marché international pour la sécurité des grands événements » en s’appuyant sur l’« opportunité exceptionnelle » que représentent les Jeux olympiques et paralympiques. Ces derniers devront servir de « vitrine à l’international des solutions françaises ; les territoires de confiance ou safe cities, dont le but est d’assurer la sécurité des villes intelligentes connectées à venir ».
Une croissance annuelle de 6%
Pour les 4.000 entreprises de la filière — qui surfent sur une croissance annuelle remarquable de 6 % (1) —, il s’agit d’augmenter leurs parts de marché sur l’Hexagone (la France accueille régulièrement de grands événements internationaux : G7, festival d’Avignon, fête nationale, futurs JO d’hiver, Euro de football, coupe du monde rugby, etc.), mais aussi d’augmenter la part de leurs exportations, qui totalisent 51 % de leur chiffre d’affaires (2).
Le contrat de filière contraint l’État à honorer deux principaux engagements. Le premier consiste à construire main dans la main avec les industriels, une « offre globale robuste assurant sur le terrain en 2024 la meilleure sécurité des JO » dans laquelle les forces de sécurité pourront piocher. Quant au second engagement, il s’agit de solliciter de l’argent public afin de « financer l'expérimentation des technologies de sécurité choisies et leur déploiement opérationnel ».
D’après le délégué ministériel aux partenariats, aux stratégies et aux industries de sécurité, Olivier de Mazières, un budget de 21,5 millions d’euros — issu du plan d’investissement France Relance — a été débloqué pour organiser les expérimentations et ainsi permettre d’« indemniser » les industriels. Il précise également que les directions métier du ministère de l’Intérieur ont déjà programmé des achats pour un montant supérieur à 60 millions. Feu vert pour tester et améliorer leurs produits sur le terrain, collaboration directe avec les forces de sécurité intérieure, indemnisation de leurs investissements… Les industriels ne pouvaient pas rêver mieux.
Le programme d’expérimentation est dirigé par trois entités. La première englobe les acteurs institutionnels (notamment la gendarmerie, la préfecture de police, et le ministère de l’Intérieur), dont l’une des tâches principales sera d’exprimer leurs besoins opérationnels, notamment par le biais d’appels à manifestation d’intérêt (3). Ce processus a permis de retenir 700 solutions issues de 171 sociétés, donnant par la même occasion une petite idée de l’effervescence technique produite par l’activité sécuritaire française.
La seconde entité regroupe les principaux mastodontes de l’industrie sécuritaire, avec l’infatigable Thales, mais aussi Idemia (spécialiste de l’identité numérique), Orange, Atos, Bertin Technologies ou encore Airbus.
Ce à quoi il faut ajouter les principaux groupements de lobbying du secteur, tels l’Association nationale de la Vidéosurveillance (AN2V), l'Alliance pour la Confiance Numérique (ACN), le Groupement des Industries françaises de Défense et de Sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT), et Hexatrust (cloud et cybersécurité). Cette entité s’est chargée de sélectionner 192 solutions (sur les 700) et 89 sociétés, et supervise les tests menés dans le cadre du programme d’expérimentation (dont les opérations ont été lancées en 2022) de leurs produits technosécuritaires.
La troisième et dernière entité n’est autre qu’un groupe mixte — composé des représentants de deux premières entités — censé effectuer des « ateliers de design thinking », ou autrement dit évaluer les besoins et les évolutions des dispositifs de sécurité déployés.
Pour garder la mainmise, le secteur industriel a positionné deux de ses influents représentants pour piloter l’expérimentation. Il s’agit de Daniel Le Coguic — 29 années passées chez Bull, à présent senior vice-président chez Atos, mais aussi président de l'Alliance pour la Confiance Numérique — et de Philippe Demigné, cofondateur de Bertin Technologies et actuel président d’une société de conseil dans le domaine Défense & Aérospace, Sécurité, et Nucléaire.
Le programme d’expérimentation se répartit en plusieurs blocs fonctionnels. Quelque 52 solutions sont expérimentées dans le domaine « moyens de commandement et supervision », 23 pour la « vidéoprotection » (vidéosurveillance en français), 43 pour le bloc « cyber », 20 dans le contrôle aérien et la surveillance aéroportée, 23 dans le domaine nautique, 17 dans la gestion des foules et des flux, et enfin 14 dans le domaine NRBC-E (nucléaire, radiologique, biologique, chimique, explosifs). Nous aborderons dans le prochain épisode l’activité et le savoir-faire des sociétés qui composent chacun de ces blocs.

(1) Observatoire de la filière, CoFIS, résultats 2016.
(2) DOSSIER DE PRESSE —Signature du contrat stratégique de filière Industries de sécurité. 29 janvier 2020.
(3) L’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) est une procédure ad hoc non prévue par le Code de la commande publique, permettant à une personne publique de solliciter l’initiative privée pour favoriser l’émergence de projets dans lesquels elle trouve certes un intérêt, sans pour autant que le besoin soit parfaitement exprimé. Le but de l’AMI est d’identifier les opérateurs économiques susceptibles de proposer une solution répondant à un besoin et d’entamer avec eux un dialogue technique ou simplement sourcer les solutions disponibles.