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Dossier
par Thomas Jusquiame

Surveillance des JO : Société Anatox ou la tentative de gestion des foules par l’odeur #7

Des produits de marquage odorants contre les manifestants

Si l’usage de grenades, balles de défense et autres canons à eau est à présent bien connu des manifestants français, d’autres dispositifs sont expérimentés pour dissuader toujours un peu plus la population de protester dans l’espace public. C’est le cas avec la société Anatox qui propose aux forces de l’ordre des innovations d’identification ou de dissuasion olfactives.

Une société spécialisée dans les produits qui puent - Copie d'écran du site Web du site Web d'Anatox
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Répugner et marquer. Deux mots qui pourraient décrire une partie de l’activité de la société Anatox, présente dans la catégorie « gestion des foules » du programme général de sécurité des grands événements et des Jeux olympiques 2024.

Située sur l’avenue des Champs-Élysées, cette société française est présidée par Dominique Mercier, également dirigeant de Bow Medical — connue pour proposer des logiciels de gestion aux anesthésistes, avec un chiffre d’affaires de 9 millions d’euros en 2022 réalisé avec moins de 100 salariés. L’entrepreneur est également à la tête de A2A ingénierie, créée il y a 25 ans et spécialisée dans la gestion du risque sanitaire des bâtiments, qui dispose d’un laboratoire de recherche et propose une palette de services pour notamment contrôler les risques de pollution chimique dans le secteur de la construction.

Une expertise qui a permis à Dominique Mercier de diversifier ses investissements en créant Anatox en 2018, qui se présente comme un « Laboratoire d’ingénierie & d’intégration de solutions innovantes dans le domaine de l’environnement, la sûreté, la sécurité et la santé ». Très discrète sur les réseaux sociaux, seule une page Linkedin indique que l’entreprise se compose de moins de 10 salariés — notons qu’aucun d’entre eux n’a jugé utile de mentionner son appartenance à Anatox sur le réseau social —, et son site Web est à peine plus fourni.

Toutes sortes de clients...

On y découvre que la société propose ses services à Chanel, Nexity, mais aussi à la Préfecture de Police ainsi qu’au laboratoire central de la Préfecture de police. Anatox expose quatre types d’expertise : la sécurité sanitaire d’abord (outils de mesure et prévention de risque de contamination par des substances chimiques), la santé ensuite (présentée en une seule phrase : « technologies d’identification olfactive dans le cadre de la santé [maladies] »), puis la « sécurité NRBC » (pour nucléaire, radiochimique, biologique, chimique), et enfin, celle qui nous intéresse plus particulièrement puisqu’elle s’adresse directement au contrôle des foules, à savoir l’expertise « sûreté des biens et des personnes ».

Dans le discret catalogue de produits sécuritaires du programme général de sécurité des grands événements et des Jeux olympiques 2024, Anatox met en avant deux types de produits, dont le premier concerne le marquage codé ou PMC. Créés en laboratoire, indétectables à l’œil nu, inodores et incolores (non toxiques), les PMC ont été initialement conçus pour lutter contre la contrefaçon et sont également utilisés contre les vols à main armée dans certains établissements (une alarme ou un détecteur de présence asperge les cambrioleurs). Le ministère de l’Intérieur y dédie même une page explicative sur son site en expliquant qu’il s’agit de « marquer une identification par un code unique » et que le procédé permet d’apporter des « preuves matérielles au sein du procès pénal ».

Mais ce qu’Anatox ou le ministère de l’Intérieur ne précisent pas, c’est que cette technologie a, depuis quelques années, progressivement glissé sur le terrain du maintien de l’ordre.

Utilisés lors des manifestations des gilets jaunes par la BRAV à l’aide de sprays, le ministère de l’Intérieur précisait à AEF info en novembre 2023 que les PMC étaient (« rarement ») utilisés sur des épisodes de violences urbaines, de rodéos urbains ou de maintien de l’ordre en zone rurale.

Les PMC ont également été utilisés à plusieurs reprises lors des manifestations contre les mégabassines à Sainte-Soline .

Mais autant le dire tout de suite, les PMC font aujourd’hui l’objet de polémiques, aussi bien sur le plan légal qu’en termes d’efficacité. L’avocate Chloé Chalot — qui a défendu un journaliste victime d’une garde à vue de 24 heures suite à la détection de ces produits sur sa main — soulève que ces produits lancés à l’aide d’un fusil de type paintball « posent des questions sur les libertés individuelles et l’identification des opposants politiques à un projet. Que fait-on de ces données, y a-t-il un fichier ? Se met-on à étiqueter les personnes ? ».

L’efficacité du dispositif est également remise en cause. À Sainte-Soline, deux personnes ont été indirectement marquées par des PMC à cause d’un contact avec d’autres personnes touchées (le temps de séchage du produit est estimé à 5 minutes), et le problème de la variation de précision du tir est également soulevé. Si le ministère de l’Intérieur a fait savoir qu’il mettait fin à l’expérimentation de ces agents chimiques par la gendarmerie, cela ne signe toutefois pas la fin de l’usage des PMC. Éric Dupond-Moretti déclarait en septembre dernier devant la commission d’enquête de l’Assemblée sur les groupuscules violents que « le recours plus important aux produits de marquage codés peut s’avérer précieux ».

Des polémiques qui n’empêchent pas Anatox de proposer un catalogue de produits « innovants » et quelque peu surprenants pour (a minima) dissuader les fauteurs de troubles. Pour rendre « détectables » ces derniers, l’entreprise propose aux forces de sécurité un produit de marquage codé olfactif. Conditionnée dans des munitions de type LBD 40 (lanceur de balle de défense) ou de contenant aérosol (bonbonne « lacrymo »), leur « solution » contient un liquide invisible à l’œil nu (une fois séché). Active seulement quelques heures, l’odeur unique est ensuite détectée par le nez d’un chien entraîné pour attester de sa présence sur un individu.

Dans un style plus répugnant, Anatox propose également des « solutions olfactives sidérantes ». Présenté comme des « compositions pour disperser les foules », le produit peut être conditionné dans un canon à eau ou un conteneur aérosol pour diffuser une « odeur nauséabonde » associée à un « agent incapacitant » (même si l’entreprise se veut rassurante, en précisant que le liquide est biodégradable et que le produit n’est pas « irritant »).

Ce type d’attaque a déjà été observée en Israël — les manifestants contre le projet de réforme judiciaire se sont vus aspergés d’« eau de putois » — mais aussi sur les populations palestiniennes qui décrivent l’odeur comme un mélange d’excréments, de gaz nocifs et d’un âne en décomposition. Les manifestants français ont également été aspergés lors de la manifestation du 1er mai 2018, avec un cocktail made in France composé de sang, d’os, de cornes et de sabots d’animaux broyés, puis mélangé à de l’ammoniac .

L’éphémère utilisation de « cacatov » par les manifestants pendant le mouvement des gilets jaunes (à destination des forces de l’ordre) ne faisait-il que constituer une réponse à l’usage de ces dispositifs rebutants ?

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