Journal d'investigation en ligne
par Eric Bouliere

Ceci n’est pas une plage...

Quand les élus locaux font dans le surréalisme…

Quatre années déjà que Reflets s’inquiète de la pollution chronique de la plage d’Aytré. Mais ici on préfère parler de contamination ponctuelle et d’interdiction passagère de baignade. Alors bon bain à tous. État des lieux en cette mi-saison estivale 2024.

Aytré : la trahison des images et le surréalisme du discours. - © Reflets

Comment avouer à des milliers touristes, envie de soleil en tête et carte bleue en poche, que ceci n’est plus une plage mais une zone contaminée ? On y relève la présence massive et hors normes d’Escherichia coli et d’entérocoques intestinaux depuis 2013, raison pour laquelle la baignade fut officiellement interdite en 2018.

E. coli, rappelez-vous, il s’agit de cette bactérie potentiellement mortelle qui fait la Une de tous les médias lorsqu’elle infecte une pizza surgelée mais que les bébés nageurs Aytrésiens peuvent boire sans incidence à la source d’eau de mer…

A qui souhaite l'entendre... Au cas où ce dossier vous intéresserait un peu, voire beaucoup, vous retrouverez ici nos précédentes enquêtes pour mieux cerner les problématiques autour de la plage d’Aytré. ( 1 , 2 , 3 , 4 )

Cet article a été adressé à la municipalité d’Aytré (Mr le maire et son responsable de l’environnement), à l'ensemble des élus des 28 communes de la communauté d’agglomération, à la cellule communication de l’ARS Nouvelle-Aquitaine et au directeur départemental de Charente-Maritime, aux scientifiques et autres acteurs ou associations traitant de la mer et des océans, ainsi qu'à plus de 100 professionnels de la presse et des médias (rédactions locales, journalistes, correspondants), Tous auront ainsi loisir de nous faire part (ou non), de leur avis par retour de mail.

De l’intérêt collectif porté sur ce débat naîtront peut-être des solutions pratiques et originales pour faire avancer les choses. Nous ferons état de la réaction des uns et des autres en septembre prochain.

La saison estivale bat son plein et cette année encore les touristes que nous avons croisés sur la plage ignorent tout de la situation sanitaire. Ils s’étonnent du manque d’informations délivrées aux entrées de plage et s’offusquent en apprenant les choses, de ne pas avoir été plus sérieusement avertis de l’interdiction de baignade. Les parents d’enfants en bas âge qui barbotent en bord d’eau, là où justement la concentration de bactéries est souvent la plus élevée, s’inquiètent bien davantage encore. Car oui, les analyses de la qualité de l’eau ne sont pas bonnes, oui la baignade est à ce jour toujours interdite, et oui le risque d’infection reste majeur pour les jeunes enfants.

Si la décision de se mettre à l'eau ou non demeure très personnelle, il serait juste que ce choix puisse être fait en pleine connaissance de cause.

La plage d'Aytré fait bien sûr la joie des tout-petits. Oui mais... - © Reflets
La plage d'Aytré fait bien sûr la joie des tout-petits. Oui mais... - © Reflets

Mais pour certains responsables locaux, E.coli serait une chimérique bactérie qui empêcherait surtout l’économie locale de se baigner en rond. Alors on préfère éviter le sujet. Officiellement, c'est à dire en façade, on s’indigne, on s’ébroue, on s'interroge, mais on en revient toujours à décider de l’urgence à agir plus tard. Et au final rien n’est mis en place sur le terrain pour alerter le public et lui signifier le risque existant.

Point d’orgue de cette spectaculaire agitation, la mise en place d’une thèse doctorale qui s’est tenue sur 3 ans pour venir confirmer cette sempiternelle interdiction de baignade.

Une sacrée révélation...

En fin de cette étude et 400.000 euros plus tard (payés par le contribuable) restait cependant à découvrir les causes et la raison de cette pollution chronique. Si bien qu’après avoir accusé les oiseaux marins, les chevaux du petit matin, le gros chien du voisin, et les sangliers des chemins, on cherche encore et toujours de nouveaux coupables.

Sur le long terme ces actions sont si efficaces et si pointues qu’en dehors de la saison estivale (juin/septembre), les analyses de la qualité de l’eau ne sont plus effectuées par l’ARS. Peine perdue nous dit-on, à quoi bon s’échiner à étudier le problème alors que la saison d’été se clôture et que les pluies d’hiver vont raviner bactéries et pollution vers la plage.

Facile à dire dénoncent certains, il est vrai que la situation est lourde et complexe à gérer pour un maire d’une commune aussi dépendante du tourisme. Pour autant, on se garde franchement bien à Aytré d’afficher la réalité des choses ou d’annoncer l’interdiction de baignade de façon significative. Certes la police municipale patrouille en bordure de plage mais par manque d'effectifs et de consignes adaptées les agents n'ont pas charge de s'occuper de ces affaires là.

La patrouille passe, le manque d'affichage et les dégradations restent. - © Reflets
La patrouille passe, le manque d'affichage et les dégradations restent. - © Reflets

Les panneaux d’entrée de plage sont régulièrement dégradés, rarement nettoyés, les informations datées de 2018 sont illisibles, les drapeaux d’avertissement du danger sont invisibles dans certains secteurs, leur signification et les codes couleur demeurent bien souvent inconnus des vacanciers (rouge : baignade interdite, violet : pollution), et les explications données ici ou là sur des affichettes défraîchies donnent le ton du « je-m’en-foutisme » avéré de la municipalité.

Du rouge et du violet en haut, du vert et du jaune en bas. Ceci n’est pas un drapeau - © Reflets
Du rouge et du violet en haut, du vert et du jaune en bas. Ceci n’est pas un drapeau - © Reflets

En 2022, le directeur de l’ARS de Charente Maritime (agence régionale de Santé) pointait déjà ce laisser-aller: « Un courrier a bien été adressé par l'ARS au Maire d'Aytré, suite à plusieurs signalements. Des photos ont été prises pour confirmer l'absence d'affichage. Le courrier demandait au maire de se mettre en conformité avec les dispositions de l'article D1332-32 et d'assurer une information appropriée et réglementaire au public ».

A titre de comparaison, même si la situation s'avère fort différente, on remarquera la façon de procéder sur la plage rochelaise voisine lorsque les eaux de ruissellement de la ville se répandent en mer les jours d’orage. Mais apparemment ce qui s’avère techniquement possible de faire ailleurs avec trois panneaux de fortune et du simple ruban de signalisation devient inutile, accessoire ou trop coûteux à Aytré. Une entente collégiale des responsables locaux à ce propos serait une heureuse initiative. Si soucieux de la qualité de vie du territoire les 82 élus à la communauté d’agglomération refuseraient-ils de se mêler de ce qui se passe ou se pratique dans la deuxième ville de l’agglomération en cas de pollution de l’océan durant l’été ? Mais peut-être ceci est-il… de l'ordre du réalisme politique.

Vu à La Rochelle : des panneaux explicites et du ruban de signalisation                                  - © Reflets
Vu à La Rochelle : des panneaux explicites et du ruban de signalisation - © Reflets

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