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par François Nenin

Crash du vol Rio-Paris : Air France et Airbus relaxés

Fin du procès des Intouchables

Les deux entreprises de l’aérien ont été relaxées par la juge Sylvie Daunis, qui a pourtant démontré au cours des débats sa très grande expertise technique

Airbus A330 - Air France

Dans le procès du crash de Rio (survenu en 2009), la montagne a accouché d’une souris. Comme pour les procès des crashs d’Habsheim et du Mont Sainte Odile, en 1988 en 1992, qui mettaient déjà en cause Air France et Airbus. C’était pourtant une décision très attendue, quatorze ans après la catastrophe aérienne. Elle provoque l’écœurement des familles de victimes. « Notre combat s’arrête aujourd’hui. Notre engagement a été vain mais reste légitime. », a estimé Denis Linguet, vice-président de l’association Entraide AF 447, qui a perdu son frère dans l'accident.

Nous avons suivi le procès et dès le mois d’octobre, nous avions fait le triste pronostic qu’il s’agissait du « procès des intouchables », en dépit du caractère accablant du dossier.

Puis, lors de son réquisitoire, étrangement, le parquet n'avait demandé aucune peine pour les deux groupes, après cette procédure judiciaire de plus d'une décennie, marquée par un non-lieu en 2019 et un procès finalement ordonné par la cour d'appel de Paris en 2021.

Faut-il en tirer une loi ? Par exemple, de celle la raison économique supérieure : Airbus est le principal atout de la France à l’étranger pour les exportations. Et Air France en est sa vitrine.

En guise de réponse, proposons une image à nos lecteurs, car elle vaut mieux que tous les discours, elle est tirée du film que nous avions réalisé pour Canal Plus en 2012 : « Air France la chute libre » à la suite du crash de Rio. Le juge d’instruction Germain Sengelin, dessaisi de l’enquête sur le crash de Habsheim et que nous avions retrouvé en Alsace, affirmait face à notre caméra : « on m’a démarché, physiquement , exactement comme vous le voyez dans certains films, il s'agissait du ministère des Transports dont la doctrine était qu’il fallait "à tous prix sauvegarder les intérêts économiques de la France et des associés de la France : on est en train de lancer une fabrication, on a des contrats mirifique". Cela m’a été dit par un directeur de cabinet ». Bis repetita ?

Pendant le procès, une petite dame au regard décidé, était régulièrement assise seule sur le premier banc des familles de victimes. Danièle Lamy a perdu un fils dans le crash de Rio. A la tête de l’association Entraide et solidarité, elle se bat depuis quatorze ans pour que la responsabilité mais aussi la culpabilité d’Air France et d’Airbus soient reconnues. A l’annonce de la relaxe, certaines parties civiles se sont levées, incrédules face à la décision d’une justice trop souvent considérée comme faible avec les forts mais forte avec les faibles.

Les détails du délibéré :

Lors du prononcé du délibéré, le tribunal correctionnel a indiqué avoir retenu quatre imprudences ou négligences de la part de la société Airbus :

« La première imprudence est de ne pas avoir procédé au rétrofit des sondes Pitot Thales AA de la flotte A330/A340 en sondes Goodrich. En effet, en raison 1°) de la corrosion accélérée et des défauts de conception des sondes AA, 2°) de la survenance d'incidents quasi inexistants sur la sonde concurrente qu'il s'agisse d'ingestion d'eau ou de givrage, 3°) de l'accélération du nombre d'incidents en 2008 et 2009, il ne pouvait qu'apparaître clairement à Airbus que ces sondes Thales AA, proposées en option sur A330/340, pâtissaient de performances moindres que l'équipement de série, et étaient d'une durabilité inférieure, bien que cet équipement ait été également certifié avec les mêmes exigences. »

« La deuxième consiste de la part d’Airbus en une forme de « rétention » d'informations et une pratique trop verticale du traitement des incidents subis par ses clients, dès lors qu'un partage d'expérience entre compagnies aurait permis d'accroître leur prise de conscience de la gravité et de la multiplication des incidents en 2008 et d'entraîner les compagnies moins réactives à suivre les actions menées par les compagnies les plus vertueuses auprès de leurs pilotes et sur leur flotte. »

« La troisième est le fait que le classement et le contenu de la procédure « Stall Warning » soit inadapté, dans le contexte des années 2008 et 2009, ses incidences en termes de formation étant cruciales. »

« La quatrième est l'absence de message ECAM informant l'équipage de l'indisponibilité des sondes Pitot alors que l'avion était en mesure de le détecter puisqu'il l'a signalé à la maintenance au sol et qu'un tel message était de nature à avoir un impact sur les choix opérés par les pilotes dans la conduite du vol. »

S'agissant d'Air France, la présidente du tribunal a précisé que :

« la note de l'officier de sécurité des vols n'aurait pas dû être supprimée du portail internet dédié aux pilotes en janvier 2009 en l'absence de disparition des incidents et aurait dû leur être de nouveau adressée en mars 2009 lors de la survenue du premier incident sur A330. Ces choix constituent des imprudences fautives. »

Néanmoins, le tribunal estime qu'aucun lien de causalité certain n’a pu être démontré entre les fautes commises par Airbus et Air France telles qu'elles sont retenues et l'accident.

Ainsi, « S’agissant du changement des sondes, il n’est pas établi que ce changement aurait permis de manière certaine d'éviter le gel des sondes. En effet, même si les statistiques permettaient d'observer une résistance plus grande des sondes Goodrich aux incidents de givrage, de tels incidents se sont à nouveau produit après l’accident.  »

« Aucun lien de causalité certain n'a pu être établi non plus avec l'accident s’agissant du défaut d’information de la part d’Airbus à l’égard des compagnies, compte tenu de l'aléa existant quant aux mesures supplémentaires qu'aurait pu prendre la compagnie Air France munie de ce supplément d'informations. »

« Il en est de même s’agissant du classement de l’alarme Stall Warning, les pilotes concernés ayant suivi une formation à ce sujet dans les 3 ans précédant l’accident.  »

« Enfin, aucun lien de causalité certain n’a été établi avec l’absence de message ECAM spécifique, un diagnostic de perte des bonnes indications de vitesses ayant été formulé par les pilotes malgré l’absence d’un tel message  »

En outre, les juges soulignent que, « s’agissant d’Air France, compte tenu d’une part des autres sources d'information dont bénéficiaient les pilotes à la même époque, d’autre part des différentes formations reçues, le tribunal considère que malgré l’absence de nouvelle transmission de la note OSV, les pilotes disposaient des connaissances nécessaires pour faire face aux incidents de gel de sondes. Dans tous les cas, l’adjonction des différentes sources d’information et de formation aboutissaient au même résultat que la note d’Air Caraïbes. »

C'est pourquoi, « en l’absence de lien de causalité certain, le tribunal relaxe les sociétés Airbus et Air France du délit d'homicide involontaire qui leur est reproché. »

Le tribunal a néanmoins examiné les fautes retenues sous l'angle de la responsabilité civile qui permet l'indemnisation des victimes, car, soulignent les juges, « la disparition de la probabilité d'un événement favorable, par l'effet d'une faute ou de tout autre fait générateur de responsabilité, constitue une perte de chance indemnisable en matière civile ».

Sur le plan civil, la « perte de chance » est certaine, pour les juges, en ce qui concerne le non changement des sondes : « la probabilité selon laquelle un changement de sondes, antérieur à l'accident, aurait permis de l'éviter, en n'exposant pas les pilotes à un incident qu'ils ne sont pas parvenus à gérer, est forte compte tenu de la statistique de résistance des sondes Goodrich, étant rappelé que les sondes Thales, n'équipant pourtant qu'un quart de la flotte, ont été impliquées avant l'accident dans plus de 97% des incidents. De ce fait, l'imprudence reprochée à Airbus à ce titre est bien la cause certaine d'une perte de chance sérieuse d'éviter l'accident, indemnisable sur le plan civil. »

Toujours au titre de la perte de chance sur le plan civil, le tribunal a souligné que « la réaction des pilotes, difficilement intelligible, était nécessairement liée à un « startle effect » dont ils ne sont jamais parvenus à se départir, et seule une meilleure information sur ces incidents de givrage, leurs symptômes et la procédure à appliquer aurait permis de surmonter cet effet de surprise. Il est donc très probable qu'une réaction plus vive d'Air France à l'égard de ses pilotes, encouragée par les démarches entamées par Air Caraïbes, aurait permis à ces derniers de se remémorer les informations utiles au moment de l’incident, pour le gérer plus aisément, éviter le décrochage de l'avion et l'accident. La perte de chance est ici également caractérisée, et en lien certain avec l'absence de mise en relation des compagnies entre elles sur le sujet précis des incidents de givrage? »

« Enfin, si l’absence de message ECAM spécifique n'a pas été considéré comme en lien certain avec l'accident, il doit être observé néanmoins que, face à la multiplication des messages de panne, le PNF, malgré l'identification par le PF de la perte des bonnes indications de vitesses, a commencé à lire l'ECAM, se raccrochant dans ce contexte aux analyses de l'ordinateur de bord. Il est donc probable qu'un message de ce type aurait conforté l'équipage dans son diagnostic et l'aurait conduit à privilégier l'application de la procédure adéquate « Unreliable Speed Indication». Un tel message aurait accru les chances pour l'équipage d'adopter des manœuvres plus adaptées, et d'éviter l'accident. La perte de chance est donc ici aussi caractérisée et doit conduire à une indemnisation civile.  »

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