Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Maxime Sirvins, Antoine Champagne - kitetoa

Alsetex : maintien de l'ordre partout, justice nulle part

La société française est très présente à l'international - Révélations

Selon des documents internes que Reflets a pu consulter, le producteur de matériel de maintien de l'ordre est présent dans de nombreux pays un peu fâchés avec les droits de l'Homme.

Le stand Alsetex à Milipol - © Reflets

Voilà une société française qui réussit bien à l'international. Alsetex, spécialiste de la fabrication d'outils de maintien de l'ordre, déteste cependant la lumière. A tel point que lors du dernier salon de l'armement policier et des services de renseignement, Milipol, son stand était équipé de multiples panneaux interdisant les photos et les caméras. Aucun salarié n'acceptait, évidemment, de parler à la presse. Et pourtant, l'entreprise fait régulièrement l'objet d'articles. Ses munitions (balles pour les LBD, grenades) font l'objet de vives et anciennes controverses.

Reflets s'est plusieurs fois fait l'écho des blessés et de la mort de Rémi Fraisse liés à l'usage des armes pourtant dites non-létales, de cette entreprise : à Sivens où Rémi Fraisse a été tué par l'explosion d'une grenade Alsetex, pendant les manifestations contre la Loi Travail, à Bure, mais surtout pendant les manifestations des gilets jaunes.

Reflets avait enquêté dès janvier 2019 sur l'usage du LBD par les forces de l'ordre et avait longuement expliqué que les munitions utilisées, celles d'Alsetex et non celles du fabriquant suisse du LBD, pouvaient être à l'origine de la violence des blessures constatées. Outre le fait que les forces de l'ordre visaient bien la tête, le fabriquant du LBD lui-même expliquait que ses munitions ne pouvaient pas provoquer de telles blessures.

Balle de LBD de la marque Alsetex - © Reflets
Balle de LBD de la marque Alsetex - © Reflets

Toutes ces mutilation ou la mort de Rémi Fraisse, n'empêchent pas le gouvernement français de commander toujours plus de munitions auprès d'Alsetex.

Selon des documents que Reflets a pu consulter, Alsetex ne se contente pas de vendre au gouvernement français ses armes de maintien de l'ordre.

Ainsi, Alsetex exportait en 2018/2019 ses armes vers 29 pays pour le maintien de l'ordre. Toutes activités confondues, Alsetex est présent dans 66 pays.

Les pays concernés par la ventes d'armes pour le maintien de l'ordre sont les suivants :

Algérie, Azerbaïdjan, Bahreïn, Bosnie Bosnie-Herzégovine, Cameroun, Danemark, E.A.U, Espagne, Guinée Équatoriale, Indonésie, Jordanie, Kazakhstan, Kosovo, Koweït, Liban, Liechtenstein, Malaisie, Maroc, Norvège, Oman, Pologne, Portugal, Qatar, Roumanie, Sénégal, Singapour, Suisse, Tchad, Togo.

Nous avons dressé une carte des pays où Alsetex est présente. Les points rouges signifient que Alsetex y vend des armes pour le maintien de l'ordre. Les autres points (en bleu) concernent les autres activités, comme par exemple les leurres pour l'aviation ou les bateaux, bref, des produits destinés aux armées. Pour accéder à la carte interactive, cliquez sur l'image, vous serez redirigé vers le site Maphub. En rouge, les pays où Alsetex vend des produits de maintien de l'ordre, en bleu, les pays où elle vend d'autres produits. MO signifie maintien de l'ordre. SF, soutien des forces. Ruggeri est une marque du groupe Etienne-Lacroix, propriétaire de Alsetex. Unitive est une initiative commerciale.

Mais au delà des informations contenues dans les documents internes, il semble que les armes Alsetex se retrouvent sur de nombreux terrains qui ne sont pas - à priori - clients de l'entreprise. Il y a quelques années, nous avions évoqué la migration fantôme des armes numériques développées par des Etats dits démocratiques. Il semble que ces migrations fantômes s'appliquent elles aussi pour les armes liées au maintien de l'ordre. Ce qu'il advient de ces matériels après une vente officielle est parfois incontrôlé.

Maxime Reynié, auteur de Maintiendelordre.fr, et co-auteur de ces lignes, a repéré au fil des années du matériel Alsetex un peu partout en Afrique sur des photos d'agences de presse ou dans des reportages.

La plus incongrue de ces trouvailles est sans aucun doute apparue dans le fil Telegram d'Oleg Blokhin, un militaire russe en Syrie qui a publié des photos de munitions trouvées à Kafr Nubol, dans le sud de la province d'Idlib, en Syrie.

Copie d'écran du compte Telegram d'Oleg Blokhin
Copie d'écran du compte Telegram d'Oleg Blokhin

A Madagascar, en 2014 et 2017, l'AFP photographiait des grenades Alsetex et des laceurs Cougar.

Grenade à Madagascar, photographiée par l'AFP - AFP/Copie d'écran - D.R.
Grenade à Madagascar, photographiée par l'AFP - AFP/Copie d'écran - D.R.

Cougar à Madagascar - AFP/Copie d'écran - D.R.
Cougar à Madagascar - AFP/Copie d'écran - D.R.

Au Bénin, au détour d'un reportage, on aperçoit des grenades lacrymogènes et des lanceurs Cougar.

GLI-F4 au Bénin en 2019 -  Afrik ChronoTV
GLI-F4 au Bénin en 2019 - Afrik ChronoTV

Au Burundi, l'AFP repère une grenade GLI-F4 et Reuters des lacrymogènes.

GLI-F4 au Burundi - AFP/Copie d'écran - D.R.
GLI-F4 au Burundi - AFP/Copie d'écran - D.R.

Grenades lacrymogènes Alsetex  - Reuters/Copie d'écran
Grenades lacrymogènes Alsetex - Reuters/Copie d'écran

Au Ghana, un journal dédié au football affiche une très belle photo d'un joueur qui devient policier et brandit son lanceur Cougar Alsetex.

Sani Mohammed, joueur de foot devient policier, équipé d'un Cougar d'Alsetex - Ghanasoccernet.com/Copie d'écran
Sani Mohammed, joueur de foot devient policier, équipé d'un Cougar d'Alsetex - Ghanasoccernet.com/Copie d'écran

Au Liberia, l'AFP immortalise des grenades lacrymogènes.

Grenades lacrymogènes au Liberia - AFP/Copie d'écran - D.R.
Grenades lacrymogènes au Liberia - AFP/Copie d'écran - D.R.

En janvier 2018, Alsetex produisait un document titré "Substitution de la grenade GLI F4 par la grenade GM2L. Ce document, publié sur Maintiendelordre.fr affirme que la grenade GLI-F4 n'est vendue qu'au ministère de l'intérieur français, qu'elle n'est pas exportable. Ce discours officiel d'Alsetex diffère de celui tenu en 2006, lorsque la société affirmait qu'elle était exportable sous réserve d'une Autorisation d'Exportation de Matériel de Guerre (AEMG). Alsetex a-t-elle exporté des GLI-F4 dans ces pays d'Afrique, comme le montrent ces photos ? A-t-elle obtenu de la France des AEMG en conséquence ? S'agit-il de migrations fantômes, un client ré-exportant ces matériels ? Mystère. La société n'a pas répondu à nos diverses sollicitations.

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée