Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Eric Bouliere

Vaccination à La Rochelle : classée top secret

Quand la presse n'est plus la bienvenue…

Désormais, la Covid serait donc moins une maladie qu'une crise sanitaire. Et en temps de crise, on gère les choses comme elles arrivent, nous dit-on. Mais à force de valses-hésitations et de secrets d’État, le virus du mensonge semble devenir le variant français le plus à craindre.

Vue panoramique d'une logistique médicale top secrète - © Reflets

Vous avez parcouru l'épisode 1 du périple vaccinatoire des plus de 75 ans et vous avez suivi l'acte 2 à l'Espace Encan, voici le troisième volet de la série. Le dernier peut-être, car officiellement il n'y aurait plus rien à voir ou à savoir ici.

Officieusement, pourtant, il reste tant encore à apprendre sur le sujet. Il reste aussi à s'adresser à celles et ceux qui savent pour leur poser les bonnes questions. Ou plus précisément, encore faudrait-il –pouvoir- s'adresser à eux, dès lors que ces personnes accepteraient de nous répondre libres et en conscience. Pas sûr...

Voyez comme on s'écarte vite du quotidien et de la réalité du virus sitôt que le discours se voit compassé d'une prudence imposée. Alors bien sûr la raison d’État fait loi, mais l'omerta venue d'en haut semble avoir contaminé jusqu'aux responsables locaux d'en bas. Au détour de cette épidémie, la ville historiquement belle et rebelle de La Rochelle aura nettement perdu de son caractère séditieux. Après Martine et Mauricette vont chez le médecin, voici le pont des espions sur le vieux port.

Des vaccins congelés, décongelés, cuits à point? Allez savoir...
Des vaccins congelés, décongelés, cuits à point? Allez savoir...

Lors de l'inauguration du vaccinodrome rochelais, on m'avait dit de revenir en milieu de semaine pour faire un point presse sur la situation. Oui, mais…

Entre-temps, la campagne de vaccination s'est transformée en une opération spéciale classée secret-défense. Raison pour laquelle on opposa une fin de non-recevoir à toutes mes requêtes ultérieures: "Je n'ai rien à vous dire / Je ne suis pas autorisé à parler à la presse / J'ai un devoir de réserve / Je n'ai pas d'avis sur le sujet / Cela ne m'intéresse pas / Ecartez-vous, vous gênez le passage / Je vous demande de ne pas rester là…". Le malaise était palpable mais je ne pensais pas être accueilli de la sorte à mon arrivée sur la place rouge de L'Espace Encan. Efficace comme un agent double hospitalier, la responsable de la direction santé publique de la ville m'a vertement claqué la porte au nez avec consigne stricte de ne plus y revenir.

Lors de l'inauguration du vaccinodrome rochelais, on m'avait dit qu'il suffisait de demander pour aussitôt connaître le nombre exact de doses de vaccins disponibles. Oui, mais…

Ça, c'était avant la déclaration de guerre froide. Le vendredi 22 janvier au soir, les choses semblaient encore parfaitement limpides. Seringue de bois, seringue de fer, cette information-là n'était entravée d'aucune retenue hiérarchique. Le directeur départemental de l'ARS coopérait alors pleinement: "oui, je vous dirai, vous savez, on ne cache rien, je n'ai pas les chiffres en tête, vous connaissez mon adresse mail, vous me faites un p'tit mail et puis je vous réponds, il n'y a aucun souci". Un p'tit mail daté du 23 janvier 2021 lui fut donc adressé, mais apparemment il s'est avéré plus difficile que prévu de rassembler ces données-là (voir ci-dessous). Tenant compte de l'urgence actuelle de la situation, de l'importance de tels éléments, et de la bonne disposition de mon interlocuteur, je pensais naïvement que des renseignements si précieux se trouveraient à portée de clic. Loin de là, un retour chiffré me parviendra seulement dix jours plus tard. Les résultats fournis demeureront toutefois difficilement exploitables tant ils ne coïncident en rien avec les valeurs indiquées sur le site gouvernemental (data.gouv.fr). Entre l'affichage des stocks disponibles en Nouvelle Aquitaine à l'instant X, et celui des livraisons effectuées au moment Y dans le département, il devient impossible de commenter la course aux vaccins dans un tel imbroglio. Bref, en dépit de cette belle transparence déclarée par tous les dirigeants, l’accès à ces chiffres reste auréolé d'un très épais brouillard. Souhaitons malgré tout, comme indiqué via le site Data.gouv pour la période du 2 février au 22 février, que La Rochelle puisse bénéficier des 2.118 vaccins allouées au seul centre de vaccination de l'Espace Encan. Et sur la foi de ces prévisions, espérons également que les 18.000 patients de plus de 75 ans puissent obtenir plus aisément un futur rendez-vous. Mais au delà de tout, une évidence demeure : 2.118 doses (seconde séance vaccination comprise) pour la presque totalité du mois, le compte n'y est toujours pas. Cela fait au moins un point sur lequel, hélas, tout le monde s'accordera...

Même dans l'urgence, rassembler les données, c'est parfois long...
Même dans l'urgence, rassembler les données, c'est parfois long...

Lors de l'inauguration du vaccinodrome rochelais, on m'avait dit que l'on pouvait systématiquement soutirer 6 doses de vaccin par flacon. Oui, mais…

Nombre d'autorités médicales n'affichent cependant pas cet enthousiasme courtois. En cause, le nombre de doses de vaccin qui aura connu d'étonnantes fluctuations ces derniers temps. Le laboratoire Pfizer avait en effet commercialisé son produit à raison de 5 doses par flacon. Les hospitaliers réalisant les injections de la première heure au States et en Grande-Bretagne se sont vite rendus compte de la possibilité de faire une 6e dose. Pfizer a aussitôt fait modifier son autorisation de mise sur le marché (AMM) en évoquant le passage de 5 à 6 vaccins. Mais en remontant le cours de l'histoire, on s'aperçoit que le laboratoire américain s'était bien gardé d'approfondir la question. Et notamment sur le fait que l'obtention de ces 6 doses restait attachée à une forme de prélèvement et à un type très particulier de seringue.

Branle-bas de combat lorsque la France découvre ce point de détail et que le ministère de la Santé se voit contraint de faire passer le message. Une directive ministérielle très explicite frappée d'un titre qui ne l'est pas moins, (voir "Utilisation de la 6e dose du vaccin Comirnaty") fut aussitôt adressée de façon confidentielle à tout le personnel concerné. Cette directive confirme qu'un type très précis de seringue est requis : celles-ci ne doivent pas présenter un volume mort supérieur à 35 microlitres et doivent être munies de préférence d'aiguilles serties. Tout cela pour éviter la perte de quelques gouttes de ce précieux et rare liquide, lors des différentes manipulations.

Tout est dit, mais tout n'est pas faisable...
Tout est dit, mais tout n'est pas faisable...

L'affaire est devenue à ce point essentielle que plusieurs centres hospitaliers de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ont rapidement procédé à des tests en interne. Tests réalisés avec du matériel d'injection classique, tous non-conformes aux prescriptions officielles. Nos sources nous ont fait part de ces résultats hautement confidentiels: "Les derniers équipements seringue/aiguille dont nous disposons ont un volume mort réduit, mais cela ne va pas jusqu'à faire 0,35 microlitre. Aucune seringue actuellement disponible ne permet de prélever confortablement et à coup sûr les 6 doses de vaccin par flacon. En fait, le matériel d'aujourd’hui ne permet pas de respecter l’AMM, et tout dépend de la dextérité de l'opérateur…".

Un détail en passant, toutes ces fidèles infirmières se déclarant prêtes à en découdre dans la France entière avec n'importe quel outil, ont-elles réellement conscience de ne pas respecter à la lettre ces indications hautes?

De ce que l'on nous dit, seules les seringues à volume mort de 0,35 microlitre équipées chacune d'aiguille pré-sertie seraient en mesure de correspondre aux prescriptions d'usage. Sauf que selon nos informations, ce type de seringues "spéciales Covid" ne sera a priori disponible qu'à partir du mois de mars. Voire du mois de juin...

Dans le même temps, certains déclarent que les choses vont aller en s'arrangeant avec l'arrivée du prochain vaccin AstraZeneca. C'est une nouvelle fois déplacer le problème, car le souci premier ne provient pas du fabricant mais du conditionnement multi-doses. L'AstraZeneca sera pour sa part livré en flacons contenant théoriquement 10 doses. Et en pratique ? Outre-manche, la question s'est déjà posée et on hésite encore entre 6, 7, 8, mais rarement les 10 doses annoncées. Une méthode de préparation serait en cours d'élaboration pour expliciter la meilleure façon de récupérer le maximum de doses en France. Selon les dernières déclarations du porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, les pharmaciens devraient être prochainement mobilisés pour intervenir dans la campagne de vaccination: «nous avons besoin d'eux, il y a un maillage d'officines sur le territoire extrêmement dense, s'ils ne pouvaient pas le faire jusqu'à maintenant c'est parce qu'on a des vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna qui ont des nécessités de conservation jusqu'à -80 degrés, ce qui objectivement rend très difficile pour un pharmacien de le faire dans son officine et ce qui n'est pas le cas pour AstraZeneca". Mais de nouveau le problème du conditionnement multi-doses risque de se poser. Il serait insensé de laisser les pharmaciens se débrouiller seuls face à cette problématique d’extraction des vaccins. Les différentes autorités sanitaires se doivent, cette fois-ci, de déterminer le nombre de vaccins par flacon avec la plus grande exactitude.

Lors de l'inauguration du vaccinodrome rochelais, on m'avait dit qu'il n'y avait absolument aucun souci avec les seringues fournies par Santé Publique France (SPF). Oui, mais…

Ne serait-ce pas là un moyen laborieux de se cacher la réalité à la seule fin de ne pas interrompre la campagne de vaccination ? Ce n'est désormais plus un secret pour personne (quoique...), le matériel adapté vient à manquer tout autant que les vaccins. Mais avant d'en finir avec la forme des seringues, un détour sur le fond des flacons s'impose. Figurez-vous qu'avec ma p'tite calculette, j'ai calculé des calculs (et oui, l'apprentissage est lent et difficile lorsque les sachants refusent de vous parler) et j'en suis arrivé à conclure les conclusions suivantes : sachant qu'un flacon de 0,45 ml de solution vaccinale se voit dilué avec 1,8 ml de Chlorure de sodium à 0.9%, il est aisé d'obtenir un volume total de liquide de 2,25 ml. Compte tenu du fait que la dose à injecter aux patients est de 0.30 ml, il s'avère mathématiquement envisageable de soutirer 7,5 doses par flacon (2,25 /0,30= 7,5 doses). En respectant cette logique algébrique, on pourrait donc extraire 7 doses pleines d'un flacon dans lequel il resterait une demi-dose inutilisable de 0,15 ml. Ceci s'avère d'autant plus troublant que les autorités sanitaires consignent elles-mêmes ce phénomène de "volume non extractible maximal de 0.15mL". Mais alors 5... 6... ou pas tout à fait 6... voire 5,9 doses, comme l'a tout récemment déclaré Olivier Véran ? La piste du 7e vaccin gratuit serait-elle à suivre ? La réponse est non.

D'éminents spécialistes nous le confirmeront en off: "On ne peut pas raisonner en terme de volume net, vos calculs ne sont en rien représentatifs de la réalité laborantine. Les infirmières doivent même en c…. pour faire ce boulot. La marge d’erreur fait qu’on ne peut pas à être 0,30 à chaque mesure, il y a des traits sur les seringues, des traits trop épais pour que ce soit d'une précision scientifique, on est avec des marges d'erreurs de 0,1/0,2, ce qui peut faire varier la dose de 0,25 à 0,32 selon le matériel et l'opérateur; c’est individu-dépendant. Et il y a toujours des microgouttes qui adhèrent aux parois, ou qui se nichent derrière le bourrelet caoutchouc d'étanchéité. Croyez bien que dans les faits, sortir 6 doses, c’est déjà suffisamment compliqué…". Mais alors comment feront-elles nos p'tites infirmières pour œuvrer en toute tranquillité lorsque les cadences augmenteront ? Hé bien, c'est très simple, en fonction du matériel dont elles disposeront, elles respecteront plus ou moins ce qui est indiqué sur la note du ministère de la Santé signée de la main du directeur général de la Santé Jérôme Salomon. Car, bien sûr, la parade existe. Reste a savoir si Pfizer assurera le SAV en cas de problème. Cette pratique est mondialement reconnue dans la sphère médicale : nous parlons-là de la redoutable technique dite de la bubulle !

La bubulle en haut: imparable sans la bonne seringue
La bubulle en haut: imparable sans la bonne seringue

Il s'agit de contrecarrer l'importance du volume mort en laissant entrer plus ou moins d'air dans la seringue, puis de forcer la bubulle à remonter juste sous le piston d'un mouvement de poignet décrit comme "unique et franc".

Un problème d'approvisionnement ? Le Système D existe
Un problème d'approvisionnement ? Le Système D existe

Faire entrer ainsi une bulle d'air dans la seringue n'est pas en soi catastrophique pour une injection intramusculaire. Elle n'en demeure pas moins contraire aux élémentaires "bonnes pratiques infirmières" d'antan. Souvenez-vous de ces traditionnelles petites frappes sur le corps de la seringue pour purger efficacement la pompe.

Encore un détail. Pour autant qu'il ait de l'importance pour les plus vigoureux du poignet, le guide de manipulation du vaccin édité par Pfizer semble formel sur ce point: "une fois dilué le produit doit être manipulé avec précaution et douceur pour ne pas rompre les nanoparticules dans lequel l'ARNm est inséré et qui le protègent". Voyez quand même comme le travail des soignants peut être long et complexe en devant recourir à toutes ces techniques... Heureusement presque, qu'on manque de doses et que l'on soit dans l'incapacité de vacciner en nombre !

Alors qu'on se le dise : chut, vaccinons, circulons, y'a rien à voir !

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