Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Eric Bouliere

Vaccination des plus de 75 ans : l'effet Mauricette

Derrière l'info en continu et les effets d'annonces, la réalité du Covid

La première dame de France à s'être fait vacciner va bien ! La rumeur n'était qu'une sinistre fake news. En voici une autre qui aura fait long feu : le lundi 18 janvier, les plus de 75 ans pourront se faire vacciner…

Quand la com' prend le dessus sur l'évènement

Quittons la grosse agitation de l'Île-de-France pour la douce quiétude des régions. Rapprochons nous de la Charente-Maritime pour arriver jusqu'à La Rochelle, ville phare d'une communauté d'agglomération de quelque 170.000 âmes. Ici comme ailleurs les seringues devront piquer à plein régime sachant que le gouvernement a annoncé son souhait de traiter un million de personnes âgées d'ici février. En conséquence l'ouverture de la campagne anti-Covid pour les personnes de plus de 75 ans fut ici annoncée le 15 janvier dernier, lors d'une conférence de presse présidée par Monsieur le Maire. Jean-François Fountaine s'y déclarait alors prêt à affronter la dure réalité du moment. Le ton était constructif, volontaire, voire familier, et le discours faisait plaisir à entendre. On se serait presque cru Chez Mauricette à pouvoir se faire si facilement vacciner au bar entre amis. Pourtant à l'énoncé de certains chiffres, il y a lieu de s'étrangler sous son masque: 18.000 personnes de plus de 75 ans sur l'agglomération pour 40 doses de vaccin/jour actuellement disponibles au centre municipal de vaccination. Le compte n'y est pas vraiment, et même vraiment pas.

Le match: Mauricette VS Monique

Sonnez trompettes et clairons, envoyez les majorettes, à l'aube du 18 janvier la presse locale fut toute conviée à assister à la première séance de vaccination. Ici la patronne s'appelle Monique. D'un clic-clac Kodak une photo d'elle fut prise, et d'un clic-clic de mulot est apparu dans la foulée un article détaillant les circonstances de l'évènement. Peu attiré par les flonflons de ce genre de manifestation, je m'étais pour ma part attaché à lire l'article d'une collègue sur l'étrange virtualité du nombre de vaccins dispos sur le marché en français. Résolu à me rendre sur les lieux un peu plus tard dans la matinée, j'ai toutefois raté l'essentiel, à savoir Monique, la piqure de Monique et la photo de Monique. Mais la séquence aurait été contrariée par quelques incidents. En effet, il semblerait, c'est du moins ce que j'ai cru lire, qu'on aurait frôlé la castagne de cannes blanches et l'émeute révolutionnaire face caméra.

La blagounette du nom de famille était-elle utile ? Elle était à retrouver dans l'article fameux de la presse locale.
La blagounette du nom de famille était-elle utile ? Elle était à retrouver dans l'article fameux de la presse locale.

Étonnant cette peur du Covid.

C'est sur les coups de 11h30 (l'effet apéro du déjeuner pour mieux situer le moment), que je me suis enfin décidé à me rendre sur place. Devant la porte du centre de vaccination plusieurs personnes âgées s'entretenaient sur la meilleure façon d'accéder au Graal vaccinatoire. Le ton restait mesuré mais l'énervement était tangible et bien réel. Derrière la porte, le personnel soignant faisait de son mieux pour accueillir, renseigner, diriger, informer, et, tant qu'à faire vacciner un maximum de personnes. Car oui, ce matin-là, ils étaient nombreux à désirer se faire vacciner. Qui donc aurait pu imaginer cela ? Comment pouvait-on prévoir qu'une bande de retraités colériques puissent souhaiter se faire si urgemment vacciner contre cette "cochonnerie" de maladie, et en si grand nombre ? Fallait-il encore être devin pour cela, ou bien aurait-il fallu que quelqu'un prévienne le président, le gouvernement, les députés, les sénateurs, les élus locaux, ou qui sais-je encore, la presse peut-être ? Mais évidemment, personne ne parle à personne aujourd'hui, alors allez vous étonner que personne n'informe personne après ça…

Et pire encore, figurez-vous que nombre de ces adeptes de la seringue n'avaient même pas pris soin de suivre les consignes données la veille. Quel manque flagrant de citoyenneté ! D'irréductibles gaulois ont ainsi osé se déplacer, clopin-clopant et avec leurs douleurs articulaires en bandoulière, sans même avoir pris de rendez-vous. M. le Maire leur avait portant gentiment conseillé de le faire, dans une officielle allocution. Et ne les avait-il pas prévenus d'éviter la précipitation, n'avait-il pas justement signalé à qui voulait l'entendre: "_qu'il y a par ailleurs plus 250 personnes fragiles identifiées qui seront prioritaires et qui vont être les premiers vaccinés… _" ? Il suffisait de bien écouter, 18.000 patients, 250 personnes prioritaires et 40 doses de vaccin, mais non, ils n'écoutent rien, ils sont terribles nos petits vieux !

Et pourtant elle tourne...

La moindre des choses aurait été d'allumer son ordinateur personnel pour se tenir au courant. C'est vrai, finalement on n'a que ça à faire sur Terre, passé un certain âge. Mais rassurez-moi, soudain un doute m'assaille… et si tous ces braves gens n'étaient pas connectés à la réalité 2.0 : serait-ce alors possible qu'ils n'écoutent pas BFM TV en continu pour s'ouvrir au monde réel, ou qu'ils ne se connectent même jamais à Brut pour écouter leur président expliquer le monde d'après à notre belle jeunesse ? Suivre la procédure bon sang, ce n'était pourtant pas si compliqué. Il suffisait juste de prendre rendez-vous en amont du 18 janvier, via trois sites Internet et une plateforme téléphonique dédiée. Bon, d'accord de ces trois propositions numériques, un seul site s'est avéré fonctionnel. Bon, d'accord le site retenu, doctolib.fr a fini par imploser dans les tuyaux du net. Bon, d'accord le standard de la plateforme téléphonique a sauté comme au bon vieux temps des Dossiers de l'écran d'Armand Jammot. Mais quand même, ils auraient pu faire un effort avant de venir en masse.

et paf la connection et boum le standard...
et paf la connection et boum le standard...

Info en continu, Info du coin de la rue

L'avenir sera numérique mes aïeux, mais apparemment nous n'y sommes pas encore totalement. Alors lisez donc la presse locale sur le net, vous apprendrez en direct-live l'essentiel des choses du Covid qui se déroulent à coté de chez vous. Pour savoir ce qui s'est passé ce matin du 18 janvier 2021, visons quelques points de cet article fameux pour en apprendre davantage. De vous à nous, il aurait été navrant de rater ces infos plus que pertinentes, et surtout, cette mine de renseignements propres à aider les plus anciens à ne pas perdre le Nord de la seringue. Mais que pouvait-on donc bien lire le jour-même de si intéressant sur Internet, émanant du journal local ?

On pouvait y lire "Vingt flacons de produits non transformés sont arrivés vers 9 heures au 2, rue de l’Abreuvoir, de quoi préparer entre 120 et 140 doses de vaccin".

Une prétentieuse mesure… La directrice du centre de vaccination prendra soin de m'éclairer sur ce sujet. S'il est légalement prévu de réaliser 5 doses de vaccins par flacon de solution vaccinale, il s'avère techniquement possible d'en réaliser parfois 6, soit une de plus que la norme spécifiée par les autorités sanitaires. Ce gain providentiel serait afférent au matériel employé ou à la technicité du personnel en charge d'opérer la transformation initiale. Ce qui d'ailleurs demeure parfaitement étonnant si l'on songe à l'intelligence déployée pour inventer ce vaccin dans l'urgence, quand soudain: "Oup's, Lol, Ptdr, j'm'ai gouré dans mes comptages" se serait exclamé le plus savant des chercheurs. Bref, avec 20 flacons il devient donc possible de remplir entre 100 et 120 seringues. 120, et non pas 140 comme précédemment indiqué (le fois sept tiendrait du miracle). Et si les mots ont un sens, les chiffres ont une juste quantité. Car cette prétentieuse mesure de 20 vaccins en trop, multipliée par les quelque 800 centres de vaccination ouverts sur tout le territoire, représenterait quelques 16 000 doses supplémentaires. Soit quasiment le nombre de personnes de plus de 75 ans recensées sur l'agglo rochelaise. Dans la situation de flou global dans laquelle le monde se trouve, davantage de précision ne nuirait pas.

On pouvait y lire "Le délai est de cinq jours pour assembler les différents produits, 6 heures pour administrer le vaccin une fois préparé"

Confusion des temps. Pas clair. Le délai de cinq jours n'est absolument pas destiné à - assembler les différents produits -. Sans quoi il aurait été impossible de vacciner qui que ce soit à l'arrivée des 20 flacon le 18 janvier vers 9h00. Ce délai est en fait le temps d'usage du Vaccin Cominarty Pfizer-BioNTech dès lors que le produit quitte les très basses températures d'un super congélateur. Une fois préparé, le vaccin doit être injecté dans les 6 heures suivantes. Bis repetita, dans la situation de flou dans laquelle le monde se trouve, davantage de précision ne nuirait pas.

On pouvait y lire "On ne sent pas grand-chose", a confié Monique Métro juste après avoir présenté son bras gauche à la seringue"

Scientifiquement prouvé... La plus grande crainte des plus de 75 ans face au Covid reste la grosse douleur de la grosse piqure qui fait très très peur aux petits enfants. Un conseil, prévoyez un doudou en cas de pleurs inconsolables. L'info est d'importance, et puis quand les vaccins manquent autant s'amuser à se faire peur.

On pouvait y lire "Monique a été autorisée à regagner son domicile, en attendant de revenir d’ici 21 jours, pour une deuxième piqure de rappel. Si elle réussit à prendre un nouveau rendez-vous…"

Rien à craindre... La grosse difficulté était, et est encore, d'obtenir son premier rendez-vous. Mais une fois l'identité des patients vaccinés entrée dans la base informatique du centre médical, tous seront recontactés pour la seconde injection. Du reste, dès lundi midi, et sitôt le site doctolib.fr remis de ses émotions numériques, les personnes vaccinées ont pu quitter les lieux avec une date de second rendez-vous en poche.

On pouvait y lire "Ce lundi matin, avant même l’ouverture du centre de vaccination de La Rochelle, des personnes âges faisaient la queue devant la porte, espérant pouvoir s’inscrire au débotté. Certains commençaient même à devenir agressifs. Un policier municipal est venu en renfort".

C'est bien connu… Une manif de papys et de mamys entre 75 et 96 ans "commençant à devenir agressifs" s'avère plus explosive qu'une manœuvre de Black bloc. Il était donc naturel d'appeler la police en renfort, et tout aussi important d'en souligner les faits "au débotté".

On pouvait y lire "On ne prend pas de rendez-vous madame, a tenté d’expliquer l’employée administrative à une dame criant au scandale dans la rue. C’est le démarrage. Quand la plateforme Doctolib sera rétablie, ça ira mieux, rassurait la coordinatrice de l’Atelier Santé Ville aux côtés de l’équipe constituée d’un médecin et de trois infirmières qui prend en charge les inscrits "

Un choix éditorial... Crier au scandale, et dans la rue en plus, alors que tout se déroulait au mieux en matière de prise de rendez-vous ? Non mais cela ne va pas Madame ! Il y a bien de quoi crier au scandale dans le journal. Mais on aurait tout aussi bien pu vouloir entendre le cri silencieux d'un personnel soignant se désolant du manque d'efficacité de l'outil informatique, ou décrier le scandale du démarrage poussif de cette opération de vaccination qui doit sauver le monde.

On pouvait y lire "On est complet pour un mois, glissait lundi matin le maire Jean-François Fountaine, qui espère ouvrir au plus vite l’Espace Encan aux futurs vaccinés. C’est une question de jour, on va monter en puissance. Si on nous avait dit dès le départ que ce serait à nous de nous en occuper, on se serait organisés…"

On s'étonne encore? Complet pour un mois, point à la ligne. Alors SVP circulez les black-bloc du troisième âge. Ouvrir un second vaccinodrome pour accueillir la grande foule, soit et tant mieux, mais peut-on savoir si les vaccins vont suivre et sous quelle échéance exactement ? Et si personne ne sait, pourquoi ne pas le dire franchement ? La vérité simple et nue éviterait toute désillusion future. Quant à discourir sur le fait de savoir à qui revenait la charge et les moyens, alors là, si la question se pose encore, mieux vaudrait par la suite s'en référer directement à l'avis des soignants. Car eux, apparemment, ils savent.

On pouvait y lire "Pour l’instant, le centre n’est en mesure de recevoir que 40 personnes, la moitié le matin, l’autre l’après-midi."

Quarante personnes, ou 40 doses ? Ce lundi 18 janvier au soir environ 44 personnes, seulement, ont été vaccinées. Cela parait bien dérisoire. Pour autant il faut savoir qu'une "ligne médicale" est idéalement composée d'un médecin et de trois infirmières pour fonctionner à plein régime. Le protocole sanitaire estime que 6 personnes doivent pouvoir être vaccinées toutes les heures. Ce qui correspond à l'exploit réalisé ce jour à la mi-journée par les équipes du centre vaccination de La Rochelle. Plus encore que de la taille des locaux, c'est bien du nombre de personnels soignants présents sur les lieux et de la disponibilité des doses de vaccins disponibles dont il s'agit de s’inquiéter. Il serait préférable de méditer rapidement sur ce point plutôt que de se glorifier d'avoir construit le grand vaccinodrome de France ou de Navarre.

Et alors, la haut, vous êtes sourds ou quoi ?

Voilà, tout est lu et tout est dit de cette première journée de vaccination, ou presque. Est-il utile de chercher un coupable à cette désorganisation chronique ?

Faut-il incriminer untel ou untel en fonction des étapes à franchir ou à atteindre ? Sur qui se décharger de sa colère, à qui la faute, au gouvernement qui semble perdu et cherche à rebondir de déclarations en contre-déclarations ; à tous ces ministres qui reprennent d'une voix blanche des paroles officielles vides de sens ; aux chercheurs qui subissent des pressions terribles pour trouver des solutions sans devoir s'inquiéter des potentiels profits espérés par les labos ; du mauvais coup du sort qui s'acharne sur le monde, vague après vague et en fonction de l'ouverture et de la fermeture des frontières, des aéroports, ou des brasseries ; des Chinois de Wuhan, des Parisiens de l'île de Ré, du variant anglais, brésilien ou africain ; des pangolins, des chauve-souris, des tweets complotistes relayés complaisamment par une presse aux abois se satisfaisant par trop souvent de clichés putassiers et de titres racoleurs ; ou bien de tous ceux qui ne sont pas connectés, de ceux qui ne font pas le tri de leurs ordures ménagères, de ceux qui ne disent pas bonjour à la vieille dame… Ok, ok, ok, ok aurait chanté Michel Jonasz en sortant de la boite de jazz, je m'égare un peu dans la musique de mon propos, mais le fait de s'approcher de ces personnes âgées, quelque fois souffrantes mais toujours inquiètes, m'aura probablement fait perdre de ma lucidité.

Une évidence cependant, si au niveau national cette première journée a frôlé le raté intégral, au niveau local on ne peut que saluer une nouvelle fois le dévouement des soignants qui sont toujours là quand il le faut. Pour combien de temps encore ? Non pas les soignants, rassurez-vous ils seront toujours là aussi longtemps qu'ils pourront tenir, mais lui, le Covid, pour combien de temps encore Messieurs les gouvernants ? C'est apparemment à vous d'en décider, du moins il vous appartient de faire des choix en vous assurant de l'efficience et de la possible réalisation des mesures proposées. Car du port du masque pour un enfant de 6 ans au maniement de la souris d'ordinateur par un gamin de 90 ans, soyez convaincus que certaines évidences hautes semblent parfois éminemment virtuelles lorsqu'elles rencontrent la réalité du quotidien des Hommes.

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