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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

StopCovid : le projet dont il ne faut pas parler

L'Inria, SIA Partners ou le secrétariat d'Etat du numérique refusent de nous répondre

Le cabinet de consultants SIA Partners doit-il son entrée dans le groupe de travail StopCovid à la grande proximité entre un de ses cadres dirigeants et En Marche où il a milité ? Impossible en tout cas de savoir quel est le rôle de cette entreprise.

Covid - Nostromo

Voilà une app qui aura fait couler beaucoup d’encre. StopCovid… Rien que le nom… Comme si une application, c’est à dire un bête programme informatique, pouvait stopper le covid… Peut-on raisonnablement penser que le virus va être endigué parce que quelques personnes utilisent une application mal faite, dans l’urgence, avec des technologies inadaptées et alors que ceux qui ont tenté l’aventure disent clairement que cela ne marche pas ? Passons.

Le génie français, qui s’est déjà illustré à de nombreuses reprises a encore frappé. Après le cloud souverain, le plan calcul, les Bull et autres champions de la tech comme France Telecom qui a tant oeuvré pour qu’Internet ne prenne pas en France, voici STOPCovid, l’appli franchouillarde qui fait la nique à tout le monde et qui va nous stopper la propagation du virus d’un coup de bit magique. On va encore être les seuls à réussir là où tous les autres ont échoué.

Ou pas.

En se penchant (à nouveau) sur « l’équipe pojet » STOPCovid, nous nous sommes intéressés à SIA Partners. Une boite de consultants que nous ne connaissions pas.

Selon les promoteurs du projet, les entreprises qui participent, le font à titre gracieux. Nous avons cherché à savoir, auprès de l’INRIA qui drive tout ce beau monde, quel a été le processus menant à la sélection de telle ou telle entreprise dans le projet STOPCovid. Sur quelles bases les entreprises ont-elles été retenues ? Combien ont postulé ? Mais surtout, Si la participation au groupe est volontaire et non rémunérée comme annoncé, existe-t-il des contrats définissant les responsabilités de chacun ? En cas de problème, qui assume quelles responsabilités ?

Mystère. Car Laurence Goussu, du service conseil opérationnel et relations aux publics de la direction de la communication n'a daigné répondre à nos multiples appels de la semaine que par un texte probablement généré à la volée par un algorithme :

Je suis navrée nous avons eu en effet de nombreuses sollicitations et les équipes restent fortement mobilisées sur les enjeux scientifiques et ne sont malheureusement que très peu disponibles pour des interviews Concernant l'équipe projet StopCovid, je vous confirme que toutes les entreprises et organisations impliquées le font à titre gracieux. Vous trouverez dans le communiqué de presse en lien ci-dessous la répartition des rôles de chacun https://www.inria.fr/fr/stopcovid

Evidemment, si nous avions pris la peine de joindre l'INRIA, c'est que ce communiqué de presse ne répondait pas à nos questions. Notamment, sur le rôle de SIA Partners au sein de l'équipe du projet StopCovid.

SIA Partners : une entreprise bien connectée

Même problème de communication avec SIA Partners : leur standard téléphonique diffuse en boucle un disque : « ne quittez pas, nous allons prendre votre appel ». Dommage parce que nous avions une tripotée de questions à leur poser.

SIA Partners est une grosse boite de conseil. De nombreux articles racontent comment Matthieu Courtecuisse, son patron, a fondé la boite à 26 ans, sans véritable savoir-faire dans le domaine. Avec simplement une expérience de trois ans au sein du fonds d’investissement de la Banque Mondiale, le voici à la tête d’une société de consultants. Et ça marche. SIA fait de la croissance externe. Beaucoup. En achetant d’autres sociétés de conseil, elle grossit. Les bonnes fées se sont visiblement penchées sur le berceau de Matthieu Courtecuisse. Sans grande expérience professionnelle en règle générale, sans expérience dans le consulting en particulier, les banques, qui ont probablement financé cette croissance externe, lui ont fait confiance. Le voici désormais à la tête d’un gros machin qui fait 117 millions d’euros de chiffre d’affaires et 9,5 millions de bénéfice (en 2018).

La boite est présente un peu partout dans le monde. Notamment dans plusieurs pays connus pour leur régime fiscal accommodant. Les Pays-Bas, la Belgique, Singapour… Plus intriguant, le patron de SIA Partners, Matthieu Courtecuisse a fondé deux entreprises au Luxembourg : SIA Holding Luxembourg et SIA Communication. Le nom SIA Holdings apparaît aussi dans les Offshore Leaks du ICIJ, mais il peut s’agir, bien entendu, d’homonymes.

Visualisation (Maltego) de la présence de SIA dans la base des OffShore Leaks de l'ICIJ  - Copie d'écran
Visualisation (Maltego) de la présence de SIA dans la base des OffShore Leaks de l'ICIJ - Copie d'écran

Si cette fois, comme l’annonce l’INRIA, SIA Partners ne gagnera rien pour sa participation à l’équipe de STOPCovid, l’entreprise de Matthieu Courtecuisse est très présente sur les marchés publics. Entre 2014 et 2017, ce sont 20 contrats qui sont remportés par SIA. Entre Mai 2017 et mai 2020, SIA remporte 31 marchés publics pour un montant de 23,4 millions d’euros.

SIA Partners apparaît également dans les MacronLeaks par le biais d’un de ses consultants, très proche de Pierre Person. Simon Rumel est aujourd’hui « Manager Secteur Public » chez SIA. A l’époque de la campagne d’Emmanuel Macron, il était assez impliqué chez En Marche, au point d’apparaître sur leur site.

Simon Rumel à l'époque de son engagement au sein d'En Marche - Copie d'écran
Simon Rumel à l'époque de son engagement au sein d'En Marche - Copie d'écran

Entré chez SIA en août 2016, Simon Rumel était auparavant chez CGI, une autre société de consultants très active sur les marchés publics. Il y avait là aussi côtoyé Pierre Person, lui-même embauché par CGI avant son élection comme député.

Mail issu des MacronLeaks - Copie d'écran
Mail issu des MacronLeaks - Copie d'écran

CGI est également une société qui apparaît beaucoup dans les MacronLeaks. On y découvre qu'elle est très bien implantée au sein de plusieurs ministères (Justice et Intérieur).

Présentation envoyée par un consultant de CGI à Pierre Person (MacronLeaks) - Copie d'écran
Présentation envoyée par un consultant de CGI à Pierre Person (MacronLeaks) - Copie d'écran

Les MacronLeaks donnent également quelques indications sur un personnage apparu le 30 mars. Le Canard Enchaîné rapporte que lui a été confiée une « mission d’analyse des propositions numériques à la crise sanitaire » et qu'il a été nommé le 3 avril expert numérique du conseil scientifique Covid 19. Aymeril Hoang est un ancien de la Société Générale, du cabinet de Fleur Pellerin et apparaît dans de nombreux mails des MacronLeaks (voir ici ou ou ici).

La proximité de Simon Rumel avec En Marche ont-elles aidé pour que SIA Partners soit retenue dans le groupe mené par l’INRIA ? Qu’apporte SIA au projet ? Toute sortes de questions que nous aurions aimé pouvoir poser à SIA si le standard téléphonique avait répondu ou s’ils avaient répondu à notre mail. Nous aurions aussi beaucoup aimé poser nos questions à l’INRIA, mais la responsable des relations extérieures est restée muette. Le cabinet de Cédric O nous a demandé d'envoyer nos questions par mail, puis les a oubliées au fond du puits. Ses promoteurs parlent beaucoup de code source ouvert pour StopCovid, mais lorsque l'on pose des questions, c'est plutôt du code propriétaire. Sans doute crypté avec du bluetooth, comme dirait Stéphane Richard, la patron d'Orange.

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