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par Jacques Duplessy, Antoine Champagne - kitetoa

Roya : la vallée des passeurs d'humanité

Reportage : une chaîne de solidarité pour les migrants

Reflets est allé à la rencontre des habitants de la Roya qui donnent de leur temps, de leurs ressources pour venir en aide à ceux qui n'ont rien. Ni accès au droit, ni abri, ni nourriture, ni perspectives d'avenir.

L'association Infopoint à Vintimille - Jacques Duplessy - Reflets - Citation Reflets.info requise

"Les préjugés sont l'apanage de ceux qui n'ont jamais rencontré un réfugié, qui n'ont jamais parlé avec une de ces femmes, un de ces hommes ou de ces enfants qui ont risqué leur vie pour échapper à une situation terrible". Cette phrase, tous les habitants de la vallée de la Roya que nous avons rencontré l'ont répétée. C'est une sorte de fil conducteur de tous les habitants de cette région qui se sont mobilisés ces dernières années, et qui continuent de l'être, pour que ces réfugiés aient un toit, de la nourriture et la possibilité de demander l'asile à la France. Car justement, cette demande d'asile, la France fait tout ce qu'elle peut pour l'éviter et elle y parvient dans l'écrasante majorité des cas. La géographie et la topographie de la région aident les gouvernements successifs à mettre des bâtons dans les roues des réfugiés. Impossible d'accéder à Nice où la demande doit être faite. Les migrants sont interceptés avant, dans la vallée de la Roya et renvoyé immédiatement en Italie. Et lorsque la topographie ne suffit pas, le pays des droits de l'homme "s'arrange" avec les lois de la République, comme nous avons pu le constater.

Dans les jours qui viennent, nous publierons une série d'articles, de portraits et de reportages pour témoigner du sort que réserve la France aux réfugiés qui tentent de la rejoindre ou de la traverser. Des formulaires avec des cases "je souhaite retourner immédiatement en Italie" aux falsifications de dates de naissance pour transformer des mineurs en majeurs, jusqu'aux par des réexpéditions forcées par le train vers l'Italie sans passer par la case reconduite au poste-frontière italien, les autorités françaises (mais aussi italiennes), ont mis en place une sorte de Jeu de l'Oie avec les réfugiés. Ces derniers avancent d'une case de Vintimille en Italie à Menton en France, reculent d'une case en étant renvoyés en Italie. Puis de 20 cases lorsque l'Italie les renvoie dans le sud à bord de bus deux à trois fois par semaine. Puis avancent à nouveau de 20 cases en revenant à Vintimille, et ainsi de suite. Cela dure plusieurs mois pour chaque réfugié. Jusqu'au jour où ça passe. En attendant, seuls quelques "passeurs d'humanité" leur apportent un peu de réconfort en les écoutant, en leur permettant de demander l'asile, en leur fournissant un abri temporaire.

Menton : la frontière avec l'Italie - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise
Menton : la frontière avec l'Italie - Antoine Champagne - Reflets - Citation Reflets.info requise

Une militarisation de la région

Pour décourager ces citoyens, la France ne manque pas d'idées. Les procès se succèdent. Des papys et des mamies se retrouvent condamnés pour "délit de transport de personne en situation irrégulière". Au fil des ans, la vallée s'est peu à peu transformée en véritable place forte. Des "points de passage autorisés" (PPA) ont été installés aux croisements des très rares routes et que les réfugiés sont obligés d'emprunter. Il s'agit en fait de barrages policiers qui pratiquent un contrôle au faciès (normalement interdit) et fouillent les véhicules. "C'est bon, il n'y a pas de migrants", nous a répondu un policier qui venait de refermer notre coffre à l'un de ces PPA quand nous lui demandions si nous pouvions repartir. Au fil des ans, depuis 2015, les habitants de la Roya ont vu débarquer l'armée, des CRS, des gendarmes, la police de l'air et des frontières. Une véritable militarisation de la région qui est très pesante, même pour les touristes. La réintroduction des contrôles aux frontières entre la France et les autres pays membres de l'espace Schengen (en novembre 2013 pour "sécuriser" la COP21) a été justifiée par les risques "de menaces graves pour l’ordre public ou la sécurité intérieure", cas permettant ce rétablissement de ces contrôles qui ne doivent pas durer plus de deux ans, aux termes de l'article 25 du Code frontières Schengen. La France est la seule à l'avoir prolongé jusqu'aujourd'hui. Or, de toute évidence les réfugiés qui tentent de passer la frontière avec l'Italie ne présentent aucune menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure...

Ce déploiement de moyens n'entame pas la volonté des réfugiés. Ils continuent de tenter d'échapper à leur passé. Ils sont encore 250 dans le camp de la Croix-Rouge, parqués dans des préfabriqués sur un terrain des chemins de fer italiens, coincés entre des autoroutes, à quatre kilomètres de Vintimille. Quelques-uns continuent de fuir les "rafles" de la police italienne au sein même de la ville. Combien sont-ils en tout ? Mystère. Seule certitude, ils se cherchent un avenir. "Tous ceux qui sont passés par la Libye ont été torturés. Lui, il tombe régulièrement dans les pommes quand il parle de son itinéraire", nous explique Hubert, qui accueille des réfugiés sur sa propriété.

"Je veux aller à l'école", répète pour sa part inlassablement un réfugié qui habite chez Hubert. Pas sûr que la France lui donne cette chance. Elle préfère dépenser un "pognon de dingue" pour tenter de le renvoyer en Italie.

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