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par Antoine Champagne - kitetoa

Qosmos a-t-elle facturé 4 millions d'euros à la DGSE entre 2011 et 2012 ?

C'est en tout cas le montant versé par l’agence comptable des services industriels de l’armement au fabriquant de sondes DPI

Comme l'indique la Cour des comptes, l’agence comptable des services industriels de l’armement est le comptable assignataire de la direction générale de la sécurité extérieure. Or l'ACSIA a versé plus de 4 millions à Qosmos entre 2011 et 2012

Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des sceaux des premiers ministres Manuel Valls et Bernard Cazeneuve l'avait juré craché au cours d'une "table ronde sur les libertés et les activités de renseignement" le 13 novembre 2014 : Amesys ? Qosmos ? Connais pas... En tant que président de la commission des lois et président de la Délégation parlementaire du renseignement, cela nous avait un peu étonnés.

Mais réécoutons Jean-Jacques Urvoas :

"Sur Qosmos, Amesys, heu... je..., je..., n'ai jamais rencontré depuis que je suis directeur, enfin président de la délégation parlementaire au renseignement, cette structure, je n'ai jamais entendu qu'elle soit un prestataire de qui que ce soit, en tout cas pas pour les organes qu'il m'arrive de fréquenter".

C'est presque aussi beau qu'un ministre garde des sceaux qui transmettrait des informations confidentielles à un député, concernant une enquête pénale visant ce dernier. Le tout via Telegram, cette "application cryptée" que les terroristes utilisent pour préparer leurs attentats, comme le répètent à l'envi les politiques de tous bords...

Mais revenons à Qosmos et à la DGSE.

Selon des documents consultés par Reflets, il apparait que l’agence comptable des services industriels de l’armement (ACSIA) a versé sur le compte n° 30076 02544 103963 002 00 au Crédit du Nord, détenu par la société Qosmos la somme de 4 009 729,92 euros entre 2011 et 2012.

Une paille, pour du logiciel.

Dans un courrier de la Cour des Comptes à Michel Sapin, Jean-Yves Le Drian et Christian Eckert, daté du 7 avril 2017, on apprend que :

C’est ainsi qu’en vertu des arrêtés du 31 décembre 2003 et du 12 avril 2005, l’ACSIA est le comptable assignataire des dépenses et recettes de l’administration centrale, des services industriels de l'armement et d'un certain nombre d'ordonnateurs secondaires tels que le service de santé des armées (SSA), la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), le service industriel de l’aéronautique (SIAé).

Il est donc très probable que ces 4 009 729,92 euros aient été payés par le service de renseignements extérieur.

En tout état de cause, la société Qosmos a bien eu des relations avec l'armée française. Quand Jean-Jacques Urvoas, président de la Délégation parlementaire du renseignement explique que Qosmos n'est pas un prestataire connu, il ment. Ou alors, il a été très mal informé par l'armée française, ce qui est tout aussi grave.

Car l'ACSIA n'est pas le seul client de Qosmos pour la période 2011-2012. Il y aussi un mystérieux MIN70 qui lui a versé 1 889 123,18 euros. Selon le ministère de l'Economie et des finances, MIN70 correspond à l'armée.

"En tout, l'armée française a versé 5 898 853 euros à Qosmos en deux ans"

En 2013, Le Monde révélait que le projet classifié "Kairos" faisait référence a un contrat de Qosmos avec la DGSE. Franck Johannès et Simon Piel, les auteurs de l'article faisaient une large place dans leur papier à une retranscription d'une réunion entre Eric Horlait, l'un des fondateurs de Qosmos, et les chercheurs du Lip6. L'enregistrement de cette réunion avait été révélé par Reflets en mars 2012.

Extrait :

"Allez voir la DGSE en France, avant d'aller voir qui utilise tel ou tel matériel à tel ou tel endroit pour faire telle ou telle chose. Vous connaissez les fabricants des équipements qu'utilise la DGSE pour faire des écoutes légales en France ?"

"Qosmos travaille ou pourrait travailler pour les RG Français ?", demande un chercheur.

"Ecoutez mes propos, vous aurez la réponse, poursuit M. Horlait. C'est un problème de déchiffrage, hein, c'est pas très compliqué. (…...) Il y a eu un énorme marché –– juste pour illustrer les choses ––, la France, je pense que ce que j'ai dit, hein, vous avez la réponse à ta question sur les services français. (…...) Parce que notre beau pays dont on pense qu'il est tout de même raisonnablement démocratique (...…), il faut bien reconnaître que c'est notre pays qui le fait. On a ces gens qui le font au nom de...… Ça se comprend aussi, mais c'est comme ça. Tous les pays, même démocratiques, raisonnablement, ont leurs perversions."

Et de conclure : "Et à un moment donné, quand vous développez des technologies de ce type-là...… Je suis certain, un jour ou l'autre, que les technologies de Qosmos se retrouveront dans des usages parfaitement critiquables, sur le plan déontologique. Est-ce que c'est une raison suffisante pour ne pas développer cette société, je n'en sais rien."

Justice sereine ?

Depuis longtemps, Reflets.info s'interroge. La Justice peut-elle travailler sereinement lorsqu'une entreprise sur laquelle elle a des soupçons est aussi liée que Qosmos ou Amesys à l'Etat français ? Ces montants versés par l'armée française à Qosmos renforcent notre questionnement. En mai 2012, le pôle crimes contre l'humanité, crimes et délits de guerre au Tribunal de grande instance (TGI) de Paris avait rendu une ordonnance disant y avoir lieu à informer. Depuis des mois, la FIDH s'affairait pour que Amesys soit poursuivie pour complicité d'actes de torture en Libye. En janvier 2013, une instruction judiciaire était ouverte. Le 11 avril 2014, une enquête judiciaire pour complicité d’actes de torture en Syrie était cette fois ouverte contre la société Qosmos. Cette instruction vise la vente vente de matériel de surveillance au régime de Bachar Al Assad. Qosmos avait participé à un consortium international (ASFADOR), fournissant les sondes DPI d'un système d'interceptions massif pour la Syrie de Bachar Al Assad.

En mars 2011, alors que Qosmos était en plein contrat ASFADOR, l'équipe de Reflets avait invité Thibault Bechetoille, patron de Qosmos à une émission sur TechToc TV. Thibault Bechetoille assurait alors que l'on ne retrouverait pas ses sondes dans les pays fâchés avec les droits de l'homme.

Ce qui était assez culotté. D'une part elles étaient installées en Syrie, d'autre part, elle avaient été installées en Lybie au début du contrat d'Amesys avec ce pays :

Compte rendu de la réunion de lancement du projet Eagle (Lybie) - © Reflets - CC - citation requise
Compte rendu de la réunion de lancement du projet Eagle (Lybie) - © Reflets - CC - citation requise

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