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par bluetouff

Orange perquisitionné : Megaupload et neutralité du Net en trame de fond

L'affaire remonte à Janvier 2011. Nous vous avions relaté la guéguerre entre Cogent et l'opérateur historique. Au coeur de la polémique le trafic généré par Mégaupload via Cogent. Orange est accusé par Cogent de remettre en cause les accords de peering et d'abus de position dominante. Orange avait d'ailleurs porté plainte contre le transitaire pour dénigrement.

L'affaire remonte à Janvier 2011. Nous vous avions relaté la guéguerre entre Cogent et l'opérateur historique. Au coeur de la polémique le trafic généré par Mégaupload via Cogent. Orange est accusé par Cogent de remettre en cause les accords de peering et d'abus de position dominante. Orange avait d'ailleurs porté plainte contre le transitaire pour dénigrement. On se souvient aussi de Stéphane Richard déclarant que "la majorité du trafic issu de Cogent était illégal", se plaçant ainsi en douanier de ses propres tuyaux et lésant ses abonnés en refusant d'augmenter la capacité des fibres transatlantiques opérées par Cogent. Pour l'opérateur, ce n'était pas à lui de s'acquitter de la facture induite par la consommation de ses propres abonnés. Depuis 2009, les abonnés d'Orange faisaient les frais de ce bridage qui ne disait pas son nom.

L'asymétrie des débits entre les continents américains et européens, c'est surtout une histoire de gros sous. Orange, comme d'autres opérateurs français et européens, préférant laisser les liens transatlantiques en sous capacité (et ainsi ralentir le trafic de ses utilisateurs), plutôt que d'augmenter les capacités des liens qui permettraient un accès confortable aux services en ligne, très souvent américains. Toujours en France, on sait que Free joue du même type de négligence avec Youtube en arguant que Google devrait cofinancer ces liens pour distribuer ses contenus aux abonnés de l'opérateur.

La question qui se pose est donc la suivante : est-ce aux fournisseurs de contenus de payer pour pouvoir délivrer leurs contenus ou est-ce aux fournisseurs d'accès qui encaissent les abonnements de s'assurer que les abonnés puissent accéder à n'importe quel service dans de bonnes conditions. Vous l'aurez compris, nous parlons ici de neutralité du Net.

Aujourd'hui, la Tribune nous signale donc que 25 agents de la Commission à la Concurrence de Bruxelles sont venus perquisitionner les locaux d'Orange. La Commission européenne s'est saisie du dossier, ce sont les 3 opérateurs européens (Orange, Deutsche Telekom et Telefonica) pointés du doigt par Cogent qui tombent sous le coup de l'enquête de la Commission pour « abus de position dominante dans les services de connectivité Internet. ».

Le cas d'Orange est assez symptomatique du malaise créé par les problèmes d'asymétrie et le vide abyssal européen en matière de contenus. L'opérateur historique dispose d'une filiale, Open Transit, qui traite directement avec Cogent, pour ses propres besoins mais aussi pour les besoins de tiers... Comme d'autres fournisseurs d'accès à Internet Français. Orange pousse évidemment les FAI français à rejoindre sa filiale pour mutualiser les coûts de transit et négocier des conditions plus avantageuses avec Cogent. Cette démarche est naturellement peu appréciée par les gros concurrents français d'Orange qui pour certains, sont loin de vouloir renoncer à leur indépendance. Hors de question pour eux de retomber dans une dépendance envers l'opérateur historique, les souvenirs du douloureux dégroupage sont encore trop proches.

Il faut également noter qu'Orange avait obtenu gain de cause devant l'autorité de la concurrence française. Et les chiffres ont de quoi faire sourire. Car comme nous le signalions à l'époque, les 35% de piratage en moins revendiqués par Nicolas Sarkozy pour justifier du dispositif de riposte graduée de l'HADOPI, c'était surtout 35% de progression pour le site de téléchargement direct Megaupload. Là où les internautes français échangeaient principalement entre eux, de pair à pair, l'HADOPI avait sonné le glas du P2P et déroulait le tapis rouge à Megaupload et aux gros sites de direct download, dont beaucoup ont leur infrastructure aux USA. Bilan, ce qui était autrefois gratuit et indolore pour les fournisseurs d'accès français, devenait dés lors un poste important de coût pour maintenir une qualité de service correct avec un océan au milieu ...

Le peering entre opérateurs français, ça se limite à une poignée de mains, le trafic s'équilibrant. En allant chercher les contenus aux USA, les internautes français ont très vite fait grimper les factures de transit vers les USA. Ainsi, la Tribune nous rappelle :

En septembre dernier, le gendarme de la concurrence français, saisi par Cogent en 2011, conforte Orange en tranchant que l'opérateur français est en droit de demander une rémunération pour l'ouverture de nouvelles capacités d'interconnexion, comme cela était prévu dans le contrat, « compte tenu de caractère très asymétrique des échanges de trafic », jusqu'à 13 fois supérieur en provenance de Cogent, dont 90% venant du sulfureux site de téléchargement de vidéos MegaUpload, fermé depuis, à la date de la saisine, selon France Télécom. Cogent, qui arguait que l'ex-France Télécom remettait en cause le système d'échange gratuit des flux, le « peering », a d'ailleurs fait appel de la décision

L'autorité française avait argué dans son avi qu'« exiger de Cogent un paiement pour un accroissement de la capacité d'interconnexion n'apparaît donc pas comme relevant, en soi, d'un comportement anticoncurrentiel »

Bref, comme nous nous y attendions, l'affaire Cogent / Orange, un dossier complexe, est bien loin d'être terminée. Elle est en fait la première du genre de cette importance et l'avi de la Commission Européenne risque d'être particulièrement intéressant. Qu'Orange soit condamné ou non, la décision de la Commission aura un impact significatif sur la manière dont les éditeurs de contenus et les opérateurs s'entendront pour que les internautes ne soient plus les dindons de la farce. Si la solution idéale serait que les européens se mettent à utiliser massivement des services européens, on se rend vite compte de la pauvreté de l'offre européenne et de la suprématie des américains. Peut être que l'affaire PRISM déclenchera une petite prise de conscience, mais soyons réalistes, ce n'est pas demain que nous serons capables de rivaliser avec les américains. En clair, l'Europe aura besoin de transit asymétrique, pour encore un bon moment encore.

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