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par Antoine Champagne - kitetoa

Les errements de la diplomatie française sont loin d'avoir provoqué tous leurs effets

Totalement déboussolé par vague de critiques qui a salué l’inaction totale de la diplomatie française pendant les révolutions tunisiennes et égyptiennes, Nicolas Sarkozy a choisi un effet de balancier complet pour répondre à la crise libyenne. D’un silence assourdissant à peine troublé par la proposition d’envoyer des forces anti-émeutes aider l’ami Ben Ali, il est passé à l’envoi de l’armée pour bombarder les forces du colonel Kadhafi.

Totalement déboussolé par vague de critiques qui a salué l’inaction totale de la diplomatie française pendant les révolutions tunisiennes et égyptiennes, Nicolas Sarkozy a choisi un effet de balancier complet pour répondre à la crise libyenne. D’un silence assourdissant à peine troublé par la proposition d’envoyer des forces anti-émeutes aider l’ami Ben Ali, il est passé à l’envoi de l’armée pour bombarder les forces du colonel Kadhafi. Ce choix aura des répercussions que le président français, plus connu pour son impulsivité que pour ses capacités à pondérer une décision par la réflexion, ne mesure probablement pas.

En termes de gestion de crises internationales, l’ONU, qui a quelque pratique en la matière, procède généralement par paliers. Première arme, l’argent. Assécher les revenus d’un pouvoir en place que l’on souhaite voir tomber est une option intéressante. En l’occurrence, priver le colonel Kadhafi de ses liquidités dans les banques de la planète était assez simple à réaliser. Le priver des recettes de la vente du pétrole aussi.

Ce choix a été fait en partie, de manière désordonnée. Aux Etats-Unis, un « executive order » a été signé par Barack Obama et des avoirs ont été gelés. Les entreprises ont reçu l’interdiction de faire du business avec le pouvoir en place.

En Suisse, premier pays à réagir (il devait y avoir le feu au lac…) les avoirs libyens ont été gelés avec l’aide des banques. Banques dont le culte du secret a longtemps été critiqué par l’équipe politique en place en France.

En Grande-Bretagne aussi, des avoirs ont été gelés.

Et en France ? En France, on a choisi d’envoyer des avions au dessus du ciel libyen, en entrainant avec nous une bonne partie de la communauté internationale. Le marteau pour écraser le moustique. Pourquoi ? Parce qu’à défaut de nous démontrer le contraire, les avoirs libyens en France n’ont pas été saisis. Seule information sur ce point, la Fnac a décidé de ne plus payer le loyer d’un de ses magasins appartenant à la Libye. Quelqu’un s’est interrogé sur les circuits financiers qui permettent à des fonds collectés à l’étranger d’arriver en Libye ? Non.

Nos questions en ce sens, notamment la liste des avoirs éventuellement saisis en France, posées à Bercy et à l’Elysée via Twitter restent sans réponse. Circulez, il n’y a rien à voir.

En fait, si justement, il y a quelque chose à voir.

Si l’on déclenche l’envoi de l’armée française, sans même se poser la question d’une réponse graduelle, notamment, la saisie des avoirs, l’assèchement des finances des dictateurs, que fera-t-on lors de la prochaine révolution dans un pays sous le joug d’un dictateur qui écrase la révolte dans le sang ?

Or la question se pose déjà. A Bahreïn par exemple où la répression est d’une violence inouïe. En Syrie ou au Yémen, où les manifestants reçoivent moult balles dans la tête en guise d’offre de dialogue de la part du pouvoir.

Nicolas Sarkozy n’a pas grand-chose à craindre en termes de réactions de la part de son propre peuple. Il est atone depuis longtemps.

En revanche, l’opinion publique des pays qui ne bénéficient pas du même appui, du même enthousiasme de la part de Nicolas Sarkozy ne montrera probablement pas une forte reconnaissance. Créer un sentiment d’injustice est le meilleur moyen de radicaliser les positions de ceux qui s’en estiment victimes.

Pourquoi les Syriens, les Yéménites ou le peuple de Bahreïn ne bénéficient-ils pas du même traitement de la part de la France et de la communauté internationale ?

Parce que la diplomatie française est à géométrie variable et totalement erratique. Silence pour la Tunisie et l’Egypte. Bombardements pour la Libye, rien pour la Syrie, rien pour Bahreïn, rien pour le Yémen… Pourquoi rien pour ces pays ? Peut-être parce que les choix sont mauvais ou basés sur un mode de réflexion éculé ?

Pour le Yémen, la France craint de perdre son allié dans une lutte contre Al-Qaïda qui a pourtant montré ses énormes limites si l’on en croit la bonne santé des groupes terroristes dans ce pays.

Pour Bahreïn, la France a embarqué dans sa guerre en Libye des alliés encombrants. L’Arabie Saoudite et quelques autres pays de la région qui justement, sont intervenus militairement à Bahreïn pour aider le pouvoir en place à écraser les aspirations du peuple. Comment faire maintenant pour imposer la fin de la répression à Bahreïn sans s’aliéner les grandes démocraties comme l’Arabie Saoudite et ses amis présents dans le petit royaume ? Impossible. Sauf à faire preuve de cohérence et d’un peu courage.

Cela n’arrivera pas.

Toutes ces incohérences commencent à se voir et à gêner. Elles se sont vues lors de la révolution en Tunisie. Elles se sont vues lorsque l’Egypte s’est réveillée. Elles se voient aux Etats-Unis lorsque les représentants découvrent que la Réserve Fédérale a prêté de l’argent avec un taux très bas à une banque appartenant à la Libye (l’Arab Banking Corporation) qui le prêtait à  son tour au gouvernement américain avec un taux bien plus élevé. Lorsque les mêmes représentants découvrent que cette banque jouit d’une dérogation et peut toujours mener ses activités en dépit des restrictions appliquées aux entreprises libyennes.

Il ne fait aucun doute que tout cela laissera des traces. Traces qui se verront lorsque les pays comme la Syrie, le Yémen ou Bahreïn se seront libérés de leurs tyrans. Les peuples ont de la mémoire.

Les Chinois qui ont fourni à l’humanité des textes essentiels comme Le livre de la voie et de la vertu savent bien, eux, que toute action entraîne une réaction. Même infime, une réaction influe sur le cours de la vie. Elle se manifeste un jour ou l’autre. De petite, elle peut devenir grande. Un minimum de réflexion ne nuirait pas à la diplomatie française ces temps-ci. Mais pour cela, il faudra attendre le départ du président pour qui « on a plus le temps de réfléchir, il faut agir ». Et encore, rien ne dit que le prochain sera moins borné.

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