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par aeris, Antoine Champagne - kitetoa

Le grand retour discret des trackers publicitaires sur Liberation.fr

Que sont devenues les grandes déclarations sur la vie privée ?

A grand renfort de déclarations enflammées, Libé annonçait en 2019 être le premier journal à retirer les trackers publicitaires. A l'occasion du lancement d'une nouvelle version du site, les voici revenus en force...

A gauche un article pour des lecteurs, à droite une liste de sites qui bénéficient de la monétisation des lecteurs

Caramba ! Que s'est il passé ? Paroles et paroles et paroles et paroles et paroles. Et encore des paroles que tu sèmes au vent ? Où sont passées les promesses de Clément Delpirou, directeur général de SFR Presse, et Paul Quinio, directeur délégué de la rédaction de Libération ? Le 10 octobre 2019, chez France-Inter qui buvait leurs paroles parce que la contradiction, c'est un option (trop cher ?), les deux représentants de Libé annonçaient la fin des trackers publicitaires sur le site de Libération. Mieux, Libé était le premier site de presse à le faire. Patatras, il s'agissait d'une annonce marketing pas très bien préparée et les trackers étaient toujours là. Qui plus est, de nombreux journaux, dont celui-ci, n'on pas de trackers publicitaires. Nos lecteurs ne sont pas une marchandise. Lorsque l'on faisait remarquer à Libé que les trackers étaient toujours en place, Checknews, le traqueur de fake news se penchait sur la question (deux fois). Pas avec beaucoup de précision, il faut l'avouer. Mais il faut dire que les trucs techniques, c'est compliqué. A tel point que Libé décidait ensuite de planquer ses trackers avec une moche redirection. Mais revenons à aujourd'hui. Libé ne va pas très bien. Patrick Drahi, propriétaire du groupe Altice, lui-même propriétaire de Libération, a décidé l'année dernière de sortir le quotidien du périmètre. Voilà le quotidien cédé à un « fonds de dotation pour une presse indépendante » doté de 15 millions d'euros. Sachant que le quotidien perd plusieurs millions par an, combien de temps peut-il tenir sans actionnaire ? La course contre la montre est engagée. Les dirigeants misent tout sur le numérique puisque les ventes en kiosque, déjà lamentables avant le covid, sont devenues faméliques. Un nouveau site a donc été lancé cette semaine. Avec 50.000 abonnés (annoncés), le site est encore loin du compte. La pub sur Internet ne rapportant que quelques miettes, il reste donc la monétisation des visiteurs. Ah. Oui, mais on avait annoncé qu'il n'y aurait plus de trackers... Que faire ?

La réponse est simple. En remettre.

Du coup, Checknews va devoir se pencher sur la question suivante : « Libé est-il le premier média à remettre ses trackers publicitaires après avoir été le premier média à le retirer sans avoir été vraiment le premier ? ». Bon courage aux confrères.

Reconnaissons-leur la seule chose qu’a priori on pourra leur reconnaître : l’arrivée sur leur site est (enfin) conforme aux exigences du RGPD et de la CNIL, avec aucun cookie de déposé à l’arrivée. Mais c'est un peu tout. Parce qu'après cela se corse. Une belle fenêtre de consentement illégale s'affiche en plein milieu du site…

Kinenveut des cookies ?
Kinenveut des cookies ?

Cette fenêtre ne permet pas de refuser le tracking aussi facilement qu’on l’accepte. Il faut aller dans « Gérer mes choix » pour enfin avoir le (non) choix de refuser (certains) trackers. En effet les « finalités spéciales » (assurer la sécurité, prévenir la fraude, déboguer, diffuser de la publicité) qu'ils jugent obligatoire (sans consentement) sont explicitement exclues comme telles par le RGPD, EDPB et la CNIL. De même pour des fonctionnalités comme « relier différents terminaux » ou « mettre en correspondance et combiner des sources de données hors ligne ». Et le tout pour une autorisation de collecte auprès de 516 « partenaires » différents… La liste des sites tiers qui récupèrent les données des lecteurs, abonnés ou non à Libé est longue. Pubmatic, Ayads, Hubvisor, Amazon, Mpulse, Trustcommander, Google, Xiti et ATInternet, Doubleclick, Smartadservers...

Faites votre choix
Faites votre choix

Et bien entendu, une fois (pas) refusé, impossible de revenir en arrière ou alors dans un menu introuvable ou inaccessible, ce qui est aussi une nouvelle non conformité par rapport aux exigences législatives.

Contrairement à ce qu’annonce Libération, que ce soit avant le bandeau de consentement ou après (y compris après refus), le site est rempli d’une dizaine de trackers divers et variés, allant de régies publicitaires (pubmatic, smartadsever, adnxs, googlesyndication…) à du suivi statistique (xiti…). Le tout s’asseyant de toute façon sur votre refus explicite éventuel de telles fonctionnalités et la collecte de votre adresse IP par ces « partenaires » malgré votre opposition.

L'alliance Gravity, un tiroir dans la commode
L'alliance Gravity, un tiroir dans la commode

Lorsque l'on se penche sur la page « gestion des cookies » de Libération, on découvre que Libé fait partie de l’Alliance Gravity. Le visiteur de Libé qui accepte les cookies se retrouve donc dans une nasse décrite ainsi par Wikipedia : « Alliance Gravity regroupe une centaine de médias, de télécoms et de sites d'e-commerce qui mettent en commun leurs données publicitaires afin de mieux commercialiser leur offre digitale auprès des annonceurs [...] La société affirme être présente sur plus de 230 sites ou applications, mesurer chaque mois plus de deux milliards d'événements alimentant 2 000 segments de ciblage publicitaires et être capable, par exemple, de recenser mensuellement, en France, 300 000 nouveaux ou futurs parents, 400 000 personnes ayant récemment acheté ou ayant l’intention prochaine d’acheter une nouvelle voiture ou encore 300 000 personnes ayant déménagé récemment ou ayant un projet de déménagement. La plateforme de data marketing Mediarithmics fournissant le socle technologique d'Alliance Gravity, cette dernière tente notamment — comme le fait également en France Skyline, sa rivale directe — de détecter et de regrouper les données sociogéographiques, professionnelles, de consommation et d’achat des internautes français au moyen de traceurs invisibles9 tels que les cookies quand ils surfent sur le web. »

Et dire qu'en 2019 Libé annonçait comme une révolution le fait de ne plus tracer ses lecteurs pour leur vendre de la pub ou monétiser leurs visites. Tout ça pour ça ?

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