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par Antoine Champagne - kitetoa

Le contrat Amesys en Libye gravé dans le marbre

Le jugement dans l'affaire Karachi évoque Philippe Vannier et Amesys

Pour Reflets, c'est une porte qui se ferme. Nous avions les premiers évoqué la vente d'un système d'interception des flux Internet à la Libye de Kadhafi en février 2011. La société Amesys avait nié, initialement. Désormais, son rôle est détaillé dans une vérité judiciaire : le jugement dans l'affaire Karachi.

Amesys

Amesys, c'est un peu le dossier fondateur de Reflets.info. En février puis en mai 2011, Reflets.info dévoilait que la France avait vendu un outil de surveillance permettant d'intercepter les communications Internet, cellulaires, satellites, des Libyens. Notre premier article posait une série de questions. L'entreprise commençait par nier, faisait le ménage de tous ses prospectus commerciaux sur ses sites. Mais le 30 août 2011, les soupçons d'une vente du produit "Eagle" à Kadhafi, avec comme intermédiaire Zyad Takieddine, étaient confirmés par une journaliste du Wall Street Journal qui visitait un centre d'interceptions Amesys au cœur de Tripoli après la chute de Kadhafi. Depuis, une instruction est ouverte au TGI de Paris. Elle patine. Amesys a fait du chemin, son patron également. Initialement, il s'agissait d'une SSII bien introduite dans le milieu militaro-industriel. Mais après le contrat libyen, elle va prendre une autre ampleur. Présenté comme un rachat d'Amesys par le géant Bull, c'est l'inverse qui se produit : Amesys s'empare de Bull. Philippe Vannier devient logiquement le patron de Bull. Puis il revend Bull à Atos. L'actuel commissaire européen chargé de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l'espace, Thierry Breton est alors le flamboyant patron d'Atos. Pas du tout embarrassé par les affaires libyennes, l'ouverture d'une procédure par le TGI de Paris, Thierry Breton nomme Philippe Vannier Directeur Exécutif, Big Data & Sécurité, Directeur de la Technologie du Groupe Atos et l'intègre au comité exécutif du groupe. On aurait pu penser qu'après tant de culbutes financières et de casseroles (des Libyens sont venus témoigner devant les juges des tortures qu'ils ont subi après avoir été surveillés par les outils d'Amesys), Philippe Vannier se retirerait du paysage. Pas du tout, avec l'aide de Thierry Breton, il a continué ses activités comme si de rien n'était. Ce n'est que très récemment que Atos a commencé à effacer les traces de la présence en son sein de Philippe Vannier.

Au détour du jugement de près de 450 pages de l'affaire Karachi, quelques lignes gravent dans le marbre le fait que la société i2e, devenue Amesys, présidée par Philippe Vannier, a bien vendu ce matériel d'interception à la Libye de Kadhafi en ayant comme intermédiaire Ziad Takieddine. Celui-ci étant en contact avec Kadhafi et Abdallah Senoussi. Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi avait été condamné en France en 1999 par contumace pour acte de terrorisme. Un interlocuteur parfait pour faire du business.

Voici la partie du jugement Karachi qui évoque Amesys et le contrat Libyen :

Contrats de la société I2e TECHNOLOGIES devenue AMESYS

M. Ziad TAKIEDDINE a également exercé une activité occulte d’intermédiaire entre la société I2e TECHNOLOGIES et le gouvernement Libyen dans le cadre de la conclusion d’un contrat de fourniture de systèmes électroniques de communication et de détection.

M. Ziad TAKIEDDINE a déclaré : « Là aussi, j’ai agi comme intermédiaire. La partie me revenant a été également transférée sur mon compte personnel à la Fransabank. Ma part s’est élevée à 2 millions de dollars. Le reste étant destiné à des hommes d’affaires Libyens proches du pouvoir. J’ai permis à Amesys d’obtenir ce contrat. J’avais la confiance des autorités libyennes en la personne de Khadafi et de Sanoussi.»

Pour mener à bien ce projet et dissimuler ses honoraires, M. Ziad TAKIEDDINE a créé deux sociétés écrans : « Como et Tristar sont des sociétés libanaises que j’ai créées pour pouvoir recevoir les rémunérations d’Amesys telles que prévues dans le contrat et les distribuer à leurs destinataires dont je faisais partie. » M. VANNIER, ancien PDG de la société AMESYS a confirmé l’existence de contrats avec le gouvernement libyen et le rôle d’intermédiaire de M. Ziad TAKIEDDINE.

Les deux sociétés de M. Ziad TAKIEDDINE ont signé le 10 avril 2007 deux contrats de consultant avec la société I2e TECHNOLOGIES en contrepartie de la rémunération suivante :

  • 2.476.800€ pour la société COMO HOLDING SAS
  • 2.070.000€ pour la société TRI STAR HOLDING

Plusieurs factures adressées à la société I2e TECHNOLOGIES ont été découvertes au domicile de M. Ziad TAKIEDDINE :

  • 990.720€ de la société COMO HOLDING SAS le 18 décembre 2007
  • 743.040€ de la société COMO HOLDING SAS le 8 janvier 2008
  • 743.040€ de la société COMO HOLDING SAS le 8 octobre 2008
  • 90.580€ de la société COMO HOLDING SAS le 23 décembre 2010
  • 828.000€ de la société TRI STAR HOLDING SAL le 18 décembre 2007
  • 621.000€ de la société TRI STAR HOLDING SAL le 8 octobre 2008

M. Ziad TAKIEDDINE, en sa qualité de bénéficiaire des sociétés COMO HOLDING SAS et TRI STAR HOLDING SAL a perçu 4.016.380€ comme l’attestent les virements effectués par la société AMESYS. Une partie de ces fonds a ensuite été appréhendée par M. Ziad TAKIEDDINE sur ses comptes bancaires personnels à la AL-AHLI INTERNATIONAL BANK. Le contrôle de M. Ziad TAKIEDDINE sur ces deux sociétés est aussi confortée par le virement effectué par la société TRI STAR HOLDING au bénéfice de Madame Nicola JOHNSON afin de payer sa pension alimentaire. Madame POUILLY, a confirmé que M. Ziad TAKIEDDINE était le bénéficiaire économique des sociétés COMO HOLDING SAS et TRI STAR HOLDING SAL.

La prochaine étape, si elle voit le jour, serait un éventuel procès pour complicité d’actes de tortures. Wait and see.

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