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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Demain tout sera différent (spoiler : pas du tout)

Privatisation des profits, socialisation des pertes

Vous pensez vraiment que demain sera différent ? Accrochez vos ceintures, ce sera sans doute pire.

la Super Halle d’Oullins fait du local - D.R.

Une grosse crise, c'est toujours un moment intéressant pour observer comment fonctionne le système. Alors que tous les esprits normalement constitués lancent des appels aujourd'hui pour que demain, après la crise du Coronavirus, les choses changent en profondeur, rien ne va changer. Ce sera sans doute même pire. Et les solutions financières pour passer le cap vont préparer la prochaine crise, qui, comme d'habitude sera pire que la précédente.

Ne devrait-on pas tirer les leçons de la crise économique, financière et sanitaire qui secoue la planète ? Produire et consommer local ? Mettre un terme à la financiarisation de l'économie ? Repenser l'écologie comme moyen de soulager une planète exsangue ? Repenser qui on élit pour nous préparer à ce genre de crise ? Ils sont nombreux ceux qui espèrent un avenir meilleur. Votre serviteur le premier. Mais...

Les crises du capitalisme, quand il tousse, c'est souvent. Et à chaque fois, le processus est le même. Les institutions sauvent le secteur financier qui nous a poussé au bord du précipice par son incurie et son appétit féroce pour des profits indus. L'argent gratuit qui tombe du ciel, il faut bien le sortir de quelque part ou, dit autrement le (re)prendre dans les poches de quelqu'un après l'avoir distribué. Ce que viennent de faire - encore une fois - les banques centrales (cette fois elles ont probablement sauvé des hedge funds qui menaçaient de s'écrouler, on le saura dans quelques mois), c'est de sauver le secteur financier. Ces sommes astronomiques qui tombent du ciel, elles tombent dans les poches du secteur financier. Pas dans celui des petites entreprises qui ne passeront pas le cap si ce shutdown dure. Il ne tombe pas dans les poches des ménages qui vont très vite avoir du mal à payer leurs factures. Mais il va être repris par l'impôt et/ou par l'inflation. Les banques centrales sauvent le secteur financer. Point.

Les gouvernements, eux, tentent de sauver "l'économie réelle". Les entreprises des autres secteurs économiques. Mais a bien y regarder, ce sont sans doute les très grosses entreprises de secteurs pas très utiles qui vont ramasser le plus gros des aides. Sans doute l'hôtellerie, le secteur militaro-industriel, les compagnies aériennes... Sûrement pas la petite épicerie du coin, la mercerie de tata Simone ou le petit bar-tabac du village. Et même, probablement pas l'entreprise de taille moyenne. Ce que ne fera pas non plus le gouvernement, c'est de distribuer un salaire de temps de crise, de temps de "guerre", comme dit Emmanuel Macron aux ménages, pour les aider à passer le cap. Non, l'argent magique, l'hélicobite des banques centrales, ce n'est pas pour les particuliers.

Re-consommer local... Voilà une proposition qui revient souvent. De fait, même les libéraux les plus bornés ont fini par admettre, Coronavirus oblige, que notre dépendance à la Chine était un peu énorme. Pourquoi pas...

Mais à y regarder de plus près, il y a de fortes chances pour qu'il n'y ait plus de local. Qui va passer le cap d'un arrêt complet de l'activité pendant plus d'un mois. Pas les petits, les indépendants, les producteurs locaux. Les énormes groupes en revanche... Ceux qui font volontiers travailler des enfants dans des pays où le droit du travail est plus "souple"...

Tariq, 12 ans, coud des ballons Nike. Sialkot, Pakistan, 1996 - Photo de Marie Dorigny parue dans Life magazine
Tariq, 12 ans, coud des ballons Nike. Sialkot, Pakistan, 1996 - Photo de Marie Dorigny parue dans Life magazine
Ceux qui ont tant profité de la mondialisation, ceux-là seront sans doute encore là après. Et ils seront sûrement très contents de racheter les petits producteurs locaux en faillite si cela peut servir leurs profits.

Et puis, pour que les choses changent, il faut aussi que les gens aient envie que cela change...

Est-ce que cela va dans le sens du changement de continuer à commander des livraisons de plats par des livreurs précaires, sous-payés, mal protégés ? Est-ce que cela va dans le sens du changement que d'importer le Coronavirus dans des régions qui en étaient exemptes et bien moins bien équipées sur le plan médical, tout en se comportant comme des beaufs ?

La société de "Ma pomme" a encore de beaux jours devant elle. Mais surtout, le système a trop a perdre et est trop bien installé pour laisser à quelques utopistes la possibilité de le déposséder de ses outils... Et comme beaucoup de profits vont être perdus pendant et après cette crise, il va falloir (dans l'esprit du système) les reconstituer. Pour cela, il va falloir demander à la main d'oeuvre de faire de gros efforts... Et ça a déjà commencé...

Depuis longtemps, le capitalisme a intégré la privatisation des profits et la socialisation des pertes. Il y a peu de chances pour que ce soit différent cette fois. C'est d'autant plus clownesque que les ultra-libéraux à qui l'on doit par exemple la réduction drastique du nombre de lits dans les hôpitaux (il faut "rationaliser" les "coûts") devraient être les premiers à fustiger l'Etat que l'on appellerait à la rescousse pour sauver des pans entiers de l'économie... Le marché devrait faire son office. Que celui qui doit mourrir, meurt. Si une entreprise est en faillite, elle ne doit pas attendre que l'Etat, communiste, vienne la renflouer ? Eh bien si. Quand ça va mal, tous les ultra-libéraux appellent à l'aide l'Etat, c'est à dire, les contribuables, à la rescousse.

Il y a peu de chances pour que cette fois, cela soit différent. D'ailleurs cela a déjà commencé avec les sommes abracadabrantesques injectées par la Fed pour sauver le secteur financer, contribuant ainsi à créer la prochaine crise. Le monde de demain ne sera pas différent, surtout si l'épidémie suit un rythme similaire à celui de la Chine, c'est à dire, si elle s'éteint "rapidement".

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