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Dossier
par Jacques Duplessy

Covid-19 : « On va droit dans le mur »

Pour Catherine Hill, les autorités n'ont plus d'autre choix que de durcir le confinement

Tel Jean-Baptiste criant dans le désert, l'épidémiologiste continue d'appeler à un dépistage de l'ensemble de la population via des tests groupés et l'analyse des eaux usées. Pour elle, le reconfinement signe l'échec de la politique du gouvernement.

Catherine Hill - Laszlo - Wikipedia - CC BY-SA 4.0

« La situation est mauvaise, les mesures prises sont insuffisantes, nous sommes mal partis car les autorités n’ont toujours pas compris la méthode pour juguler l’épidémie. ». Ainsi s’exprime l’épidémiologiste Catherine Hill. Nous l’avions interviewée sur la seconde vague dès le mois de mai et le 27 septembre où elle prédisait exactement la situation que nous connaissons aujourd’hui.

« Nous allons monter plus haut que la première vague car nous avons confiné plus tard cette fois-ci. Le 27 octobre, nous étions déjà à la situation du 17 mars. La situation était plus dégradée qu’elle ne l’était au 17 mars. Et en plus, nous avons confiné moins strictement, déplore Catherine Hill. Déjà les hôpitaux sont en train de craquer. Dans huit jours, ça sera dramatique. Je pense que le gouvernement n’a pas d’autre choix que de confiner plus sévèrement. Le maintien de l’ouverture des écoles ne va plus être possible. Les enfants contaminent autant que les adultes et ont la même charge virale. Plusieurs études le prouvent. Mais il faut confiner pour tester. C’est une erreur tragique d’attendre pour confiner plus durement. On va droit dans le mur. Actuellement, nous avons déjà 421 admissions en réanimation par jour en moyenne sur les 7 derniers jours et cela ne cesse de croître. »

Admissions en réanimation - moyenne glissante sur 7 jours au 27/10/20 - © Catherine Hill
Admissions en réanimation - moyenne glissante sur 7 jours au 27/10/20 - © Catherine Hill

Projection d'admissions en réanimation si le confinement "en même temps" est aussi efficace que le premier - @ Catherine Hill
Projection d'admissions en réanimation si le confinement "en même temps" est aussi efficace que le premier - @ Catherine Hill

La prévalence du virus dans la population générale progresse. La prévalence, c’est la proportion de la population positive un jour donné. Pour l’estimer correctement dans notre pays, il faudrait tester un échantillon représentatif de la population. « Cela a été fait en Angleterre par une équipe universitaire avec l’aide de l’institut de sondage IPSOS à trois reprises, raconte Catherine Hill. La prévalence était de 0,13 % début septembre, de 0,6 % début octobre, et de 1,28 % sur l’échantillon entre le 16 et 25 octobre. Ils ont constaté que la prévalence du virus doublait tous les neuf jours. Cela n’a pas été fait en France malheureusement. Dans notre pays, je pense qu’on doit être aux alentours de 1 %. »

Pour elle, avec le confinement, nous payons l’échec de la stratégie du gouvernement. « Le conseil scientifique a déclaré que l'avenir de l'épidémie à court terme est en grande partie entre les mains des citoyens. C’est une erreur majeure : l’avenir de l’épidémie est surtout dans les mains des autorités. Il faut organiser le dépistage de masse par test PCR ou test antigénique pour trouver rapidement les personnes contagieuses et les isoler. Comme l’a très bien formulé une experte de l’Organisation Mondiale de la Santé, le Dr Margaret Harris, le confinement de la population entière est le prix fort à payer pour les pays qui n’ont pas réussi à isoler les malades du coronavirus et leurs cas contacts. L’OMS ne recommande pas le confinement, il recommande de tester, de tracer et de mettre en quarantaine les cas positif. Ce reconfinement signe l’échec de la politique sanitaire française. »

L’épidémiologiste déplore que les autorités n’aient toujours pas compris la dynamique de circulation du virus. « Les instructions du ministère de la Santé sont, selon leurs mots, un dépistage offensif des cas symptomatiques et de leurs contacts. Cela montre qu’ils ignorent la dynamique de l’épidémie. Il y a environ 50 % de porteurs asymptomatiques. Et nous allons beaucoup trop lentement pour les dépistages. On dépiste en moyenne les personnes symptomatiques 3 jours après les premiers symptômes qui surviennent autour du cinquième jour. La moitié des personnes ont le résultat 24 heures après, selon les statistiques de la Drees certains plusieurs jours après… Donc la plupart des personnes sont contagieuses depuis plus de 5 jours quand elles ont le résultat de leur test. C’est beaucoup trop tard. »

Comme elle le répète inlassablement depuis le mois d’avril, la solution passe par le dépistage de l’ensemble de la population. « Nous devons, comme en Allemagne, aux États-Unis ou en Israël, pratiquer les tests groupés pour tester plus de monde, économiser les réactifs et augmenter ainsi notre capacité d’analyse globale. Les modèles mathématiques permettent même d’estimer la taille optimale de l’échantillon -le nombre de prélèvements regroupés en un seul test- en fonction de la prévalence du virus dans la population générale. Je sens que certains commencent à le comprendre, mais malheureusement ils ne sont pas au ministère de la Santé… En mesurant la quantité de virus dans les eaux usées des villes et villages, nous pouvons aussi obtenir une indication sur le nombre de personnes infectées. S’il n’y a pas de virus, personne n’est infecté. Si on trouve du virus on peut remonter dans le réseau pour trouver les bâtiments d’où provient le virus, et tester les personnes de ce bâtiment pour isoler les personnes infectées. »

Au 5 novembre, 1,6 million de personnes ont été diagnostiquées positives par un test de dépistage. « Mais dans les faits, il y a beaucoup plus de personnes infectées. J’estime qu’il faut aujourd’hui multiplier par quatre le nombre de personnes annoncées positives chaque jour. Olivier Véran dit qu’il faut multiplier par deux, mais je trouve que c’est optimiste. La situation se dégrade : dans la semaine du 12 au 18 octobre, 1 cas positif sur 4 était contact d’un cas connu. Aujourd’hui c’est presque 1 cas sur 5. Conclusion : chercher les contacts est une perte de temps. Il faut mettre notre énergie ailleurs. Idem pour les clusters : ils représentent 8 % des cas diagnostiqués, soit 2 à 4 % des cas. Donc c’est négligeable. »

Concernant le nombre de décès de la seconde vague de Covid-19, Catherine Hill ne veut pas faire de pronostic. Quand on évoque l’estimation du ministère de la Santé qui parle de 60.000 nouveaux décès, elle répond : « Je ne sais pas, de toute façon c’est un exercice inutile. Sauf si ça permettait de secouer notre Président pour qu’il prenne enfin les bonnes mesures ! »

Décès par jour en France en moyenne glissante sur 7 jours au 27/10/20 - © Catherine Hill
Décès par jour en France en moyenne glissante sur 7 jours au 27/10/20 - © Catherine Hill

L’épidémiologiste déplore que beaucoup d’erreurs circulent dans les médias. « L’épidémie a été l’occasion d’un tsunami de désinformation. Certaines sont inévitable, mais d’autres pourraient être évitées en donnant la parole à des spécialistes du sujet. Par exemple, une responsable du pôle infectiologie d’un laboratoire et membre du Syndicat des jeunes biologistes médicaux (SJBM) Stéphanie Haïm-Boukobza a déclaré : " Le dépistage par pooling n’est pas autorisé à ce jour, et ce ne serait de toute façon pas utile d’y recourir parce que les taux de positivité sont trop élevés". Cette personne confond le taux de prévalence du virus dans la population générale (environ 1%) avec celui dans la population testée (20 % en France au 1er novembre). Non, il n’est pas trop tard pour faire des tests groupés. »

Autre idée fréquemment évoquée : il faut protéger les plus de 70 ans et les personnes fragiles. « Clairement, on n’y arrive pas, constate Catherine Hill. Le virus arrive à rentrer. Les autorités ne sont jamais arrivées à protéger les personnes âgées dans les EHPAD. La mortalité dans ces établissements représente aujourd’hui 30 % des décès, à peine moins qu’en mars. C’est infaisable en pratique. On voit qu’aujourd’hui la positivité des tests par âge est la plus élevée chez les 80-89 ans. »

« Il faut vraiment faire comme les Chinois et tester toute la population, conclut Catherine Hill. Dans l’idéal, il faudrait le faire deux fois à 8 ou 10 jours d’intervalle à cause des faux négatifs. Cela coûtera moins cher que ces confinements à répétition. »

Pour aller plus loin Cette vidéo de Science4all (français) explique l’intérêt et comment optimiser les tests groupés https://www.youtube.com/watch?v=oz1afOJhHOA&feature=youtu.be&t=411Cette

L’enquête en Angleterre pilotée par Ipsos sur la population générale (anglais) https://www.ipsos.com/ipsos-mori/en-uk/latest-interim-findings-covid-19-study-published

Sites français pour suite l’évolution de l’épidémie de Covid-19 drees.solidarites-sante.gouv.fr geodes.santepubliquefrance.fr

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